« Lutte contre le terrorisme, un projet de loi qui banalise les exceptions au droit sans apporter de réponse aux questions pratiques de la lutte pour la sécurité » par Marietta KARAMANLI

A l’occasion du projet de loi dit « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme », j’ai déposé plusieurs amendements visant à concilier la protection des citoyens et leur sécurité juridique par l’apport de précisions sur les obligations de l’autorité administrative qui se voit reconnaître des prérogatives qui auparavant nécessitait la mise en œuvre de l’état d’urgence.
De nombreux juristes et organisations ont considéré que ce projet de loi banalisait des procédures exceptionnelles sans que l’on ait la garantie d’une efficacité quant à leur capacité à prévenir et empêcher la commission d’infractions.
Le Défenseur des droits (autorité administrative indépendante) ou la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme ainsi que plus de 500 praticiens et universitaires ont pris position et alerter sur le risque de « régression de l’État de droit ».
Après la commission de nouveaux attentats, il est difficile de dire qu’un texte qui prétend défendre les citoyens ne convient pas.
Me concernant, je me suis abstenue et j’ai refusé de voter tel quel ce projet que j’ai tenté d’amender. Les députés de la majorité (En Marche) ont pris un engagement de soutenir les projets gouvernementaux (traduisant la volonté présidentielle qu’«aucun candidat investi ne pourra[it] exprimer de désaccord avec le cœur de notre projet » E. Macron, en janvier 2017), ce qui se traduit souvent par une difficulté à ne pas initier de propositions constructives pour améliorer les textes en discussion ou à soutenir celles-ci.
Comme vous le constaterez, mes propositions d’amendements ont visé à protéger les citoyens sans amoindrir la capacité de la police et de la justice à agir !
Aucune de ces propositions n’a été acceptée par les députés de la majorité présidentielle.
Je le regrette comme je regrette que nous n’ayons pas pu débattre de l’opérationnalité et de l’efficacité de ce qui existe.
Mes propositions d’amendements ont été les suivantes.


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Source Photo : Assemblée Nationale

Mes propositions d’amendements

L’article 1er du projet de loi autorise la création d’un périmètre de protection où l’accès à la circulation des personnes est réglementé. J’ai soutenu qu’il est important de donner la possibilité au juge de mieux contrôler la décision de l’autorité administrative. J’ai proposé que l’arrêté du Préfet précise les circonstances particulières établissant un risque pour la sécurité des personnes et des biens
Au même article, j’ai souhaité sachant qu’ il est possible que matériellement il n’y ait pas assez d’agents de la force publique nationale et d’officiers de police judiciaire pour réaliser les contrôles que tous ceux qui participent à ces contrôles soient soumis au Code de déontologie de la police et de la gendarmerie. Celui-ci donne aux agents les repères essentiels sur leurs obligations et leur cadre d’action. Il est logique que l’ensemble des citoyens bénéficient du même degré de protection et de non-discrimination. L’obligation ainsi faite participe à cette protection.
Toujours à l’article 1, il est prévu une sanction en cas de refus de se soumettre à chaque passage en entrée et sortie de la zone de sécurité aux contraintes de contrôle ; celle-ci peut être l’interdiction d’accès ou la reconduite d’office à l’extérieur du périmètre ; ce qui est manifestement inadaptée et disproportionnée à l’égard des personnes qui ont leur domicile ou leur lieu de travail dans ledit périmètre. J’ai donc proposé que le Préfet trouve une solution adaptée qui facilitera la compréhension et la participation des personnes concernées aux mesures de sécurité en garantissant leurs droits d’aller et venir, d’accéder à leur habitation et de travailler.
L’article 3 prévoit des mesures individuelles de surveillance des personnes (articles L. 228 -1 à L.228-7 du Code la sécurité intérieure) qui sont des mesures administratives restrictives de liberté ou de droits, de la même nature de celles prononcées à l’encontre des personnes placées sous contrôle judiciaire donc mises en examen, parce qu’existent à leur égard des indices graves, précis et concordants de culpabilité.
Ici la simple existence de notes de police dite « notes blanches » peut conduire les personnes concernées à faire l’objet de mesures très restrictives. Ces obligations extrêmement contraignantes (dont l’inexécution est sanctionnée de trois ans d’emprisonnement, sanction plus forte pour certaines obligations que celles encourues lorsque le régime exceptionnel de l’état d’urgence) pourront être décidées pour des personnes simplement suspectées à partir souvent et exclusivement de notes blanches» des services de renseignement donc émanant de l’administration elle-même qui établit unilatéralement ses propres preuves. J ‘ai proposé simplement que les raisons sérieuses, motivant lesdites décisions, soient circonstanciées par des éléments de fait retracés, de façon précise et que les risques pour la sécurité des personnes et des biens soient évoqués de façon détaillée et argumentée. Il convient d’éviter erreurs et confusions provenant de notes non datées et non signées, faisant état d’éléments de fait qui « prouveraient », selon l’autorité administrative, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics sans que cela ne soit avéré. Pour moi de tels documents doivent être considérés comme des « renseignements » utiles mais non comme des preuves ce qui doit permettre aux juges de décider pleinement des mesures d’instruction complémentaires considérées par eux comme nécessaires.
L’article 8 bis du projet traite du « Passenger Name Record » ou en Français « registre des noms de passagers » ; il s’agit d’un vaste fichier recensant l’identité de tous les passagers des avions circulant, entrant ou sortant de l’espace européen. Le projet de loi supprime entre autres le caractère expérimental des données PNR conformément à la directive européenne n° 2016/681. La CNIL n’a pas été saisie du projet de loi. La CNIL a précisément compétence de veiller à l’équilibre entre le contrôle des données personnelles et le respect de la vie privée. Le fait d’instituer ce fichier de façon permanente n’ôte rien à l’exigence d’évaluation ce que la directive prévoit au travers entre autres d’une clause de réexamen de l’ensemble du dispositif, sur la base des informations communiquées par les États membres. L’amendement que j’ai proposé réaffirmait la compétence d’évaluation de la CNIL en la matière.
L’article 10 du projet introduit de nouvelles modifications au régime des contrôles d’identité tel que prévu aux articles 78-2 et suivant du code de procédure pénale et 67 du code des douanes. Il étend les possibilités de contrôles d’identité dits frontaliers «aux abords des gares». Nos collègues du sénat avaient ajouté que le contrôle ne peut constituer un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans lesdites zones. J’ai proposé de bien préciser les raisons pour lesquelles il est procédé de la sorte et éviter concrètement que ces contrôles ne soient pas systématiques sachant qu’ils seront, si j’ose dire, indépendants du comportement des personnes. Je demandais que soient précisés les critères d’intervention justifiant aux yeux de l’administration la mise en œuvre des mesures de contrôle qui ne peuvent ni ne doivent pas remettre en cause la liberté de circulation au sein de l’Union de l’Européenne telle que précisée et garantie par la convention de Schengen.
Pour ne prendre que ces points et ceux-ci, aucun amendement n’a été accepté par la majorité. Je le regrette.
Par ailleurs, aucun bilan de la législation anti-terroriste n’a été faite ; un droit pénal anti-terroriste existe déjà qui sanctionne des comportements à visée terroriste en préparation, sans requérir la caractérisation d’un acte accompli : association de malfaiteurs à visée terroriste, entreprise terroriste individuelle depuis la loi du 13 novembre 2014 et autres infractions de financement ou de préparation du terrorisme.
Aucune mise en perspective entre l’existant et ce qui est prévu par le nouveau texte n’a été faite.
Aucun élément n’a été mis en discussion sur l’opérationnalité des mesures existantes. Fin 2016 j’avais fait adopter une proposition de résolution à partir de constats sur les difficultés réelles et fait des propositions concrètes comme le caractère interopérable des différents fichiers de police pour que, sur le terrain, policiers et gendarmes disposent d’une interface unique qui interroge de manière simultanée toutes les ressources nationales et européennes, la mise en place d’un centre commun d’expertise sur la radicalisation au sein d’Europol en renforçant le réseau actuel d’experts nationaux, la mise en place de systèmes intelligents de surveillance des frontières…
Voir en ce sens https://mariettakaramanli.fr/interventions/justice-et-securite/article/proposition-de-resolution-sur-la
Pour toutes ces raisons, je n’ai pas voté le projet de texte, plus que des articles de lois, il faut d’abord de la coordination entre services et de l’efficacité en utilisant bien ce que nous avons ; les derniers évènements m’ont malheureusement plutôt donné raison.

Ma participation en commission des lois

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 13 septembre 2017, Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 16 Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente
– Examen des articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (n° 104) (M. Raphaël Gauvain, rapporteur)

Elle est saisie de l’amendement CL226 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Cet amendement porte sur le périmètre de protection dont l’accès à la circulation des personnes est réglementé. Je rappelle que l’article 78-2 du code de procédure pénale donne déjà au procureur de la République le pouvoir d’ordonner des contrôles d’identité, des inspections visuelles, des fouilles de bagages, bref, un arsenal suffisamment précis. L’article 78-2-4 de ce code octroie les mêmes pouvoirs de contrôle aux officiers et agents de police judiciaire afin de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens. Enfin, la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs comporte des dispositions similaires.

La notion de lieu ou d’événement soumis à un risque d’acte de terrorisme à raison de leur nature même et de l’ampleur de leur fréquentation, telle que définie par le présent article, est assez générale. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire de permettre au juge de mieux contrôler la décision de l’autorité administrative, et d’apprécier des circonstances particulières établissant ledit risque.

M. le rapporteur.

Je m’interroge sur la nécessité d’ajouter du formalisme, alors que le texte prévoit déjà que l’arrêté doit être motivé. Ainsi, aux termes du texte adopté par le Sénat, s’il est saisi, le juge administratif appréciera en fonction des contrôles les critères cumulatifs, si l’événement est soumis à un risque d’acte de terrorisme en fonction de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation.

Dès lors que le texte prévoit que l’arrêté doit être motivé, la précision que vous souhaitez apporter n’est pas nécessaire. Mon avis est donc défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Le mot « motivé » ne suffit pas à donner au juge la possibilité la possibilité d’exercer son contrôle.

La Commission rejette l’amendement.

Mme Cécile Untermaier.

Nous souscrivons à la rédaction de cet article. Toutefois, dans l’alinéa 6, vous écrivez : « L’arrêté prévoit les règles d’accès et de circulation des personnes dans le périmètre, en les adaptant aux impératifs de leur vie privée, professionnelle et familiale ».

Avez-vous entendu par là traiter la question des personnes résidant dans les périmètres de protection ? Nous y reviendrons en examinant un amendement de notre collègue Marietta Karamanli, mais c’est ce qui explique notre interrogation quant à l’intérêt de prévoir dans l’arrêté pris par le préfet l’obligation de s’interroger sur le traitement devant être réservé aux personnes qui vivent dans le périmètre de protection.

Si vous le jugez utile, nous déposerons un amendement propre à clarifier ce point.
Puis elle examine l’amendement CL227 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Loin de ne vouloir proposer que des suppressions, nous souhaitons prendre en compte les préoccupations des élus locaux et celles des agents qui interviennent directement, qu’il s’agisse de la police municipale ou du secteur privé.

Je propose de modifier légèrement cet amendement de telle sorte qu’un décret simple puisse prévoir les conditions de mise en œuvre des obligations s’appliquant à la police et à la gendarmerie, mais aussi aux agents du secteur privé, en particulier en matière déontologique.

M. le rapporteur.

Je comprends la préoccupation qui inspire cet amendement mais il est à mon sens déjà satisfait, au moins en partie, parce que les policiers municipaux, en vertu des articles R. 515-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, sont soumis au respect d’un code de déontologie, comme le sont d’ailleurs les agents de sécurité privée en vertu des articles R. 631-1 et suivants dudit code.

Mme Marietta Karamanli.

Je retire l’amendement pour en revoir la formulation en vue de la séance publique.
L’amendement CL227 est retiré.

Elle passe à l’amendement CL228 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

À la suite de l’intervention de M. le ministre, cet amendement permet de clarifier la situation des personnes qui habitent ou travaillent dans les périmètres de sécurité. Je propose d’en modifier la rédaction de sorte que le préfet, comme nous l’avons évoqué plus tôt, prenne dans son arrêté « des mesures concernant les habitants résidant et personnes fréquentant pour leur travail la zone considérée », le reste de la phrase étant transféré dans l’exposé des motifs.

M. le rapporteur.

À mon sens, cet amendement est satisfait, mais la rédaction du texte peut toujours être améliorée. Avis défavorable, quitte à revoir la formulation de l’article.

M. Olivier Marleix.

L’amendement de Mme Karamanli pose une véritable question, celle du consentement, qui est extrêmement biaisée. En effet, les habitants de la zone en question n’ont pas le choix : s’ils souhaitent rentrer chez eux, ils sont obligés de se soumettre aux fouilles et palpations. Ce dispositif provoque donc une rupture d’égalité qui nous incite à penser que la question du consentement est toute théorique, voire rhétorique et, en l’occurrence, inutile.

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 13 septembre 2017, Séance de 15 heures
Compte rendu n° 17

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente

Elle en vient à l’amendement CL230 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Les mesures administratives individuelles de surveillance prévues à l’article 3 sont restrictives de libertés et de droits. Elles sont de même nature que celles prononcées à l’encontre des personnes placées sous contrôle judiciaire du fait d’indices graves et concordants de culpabilité. La simple existence de notes blanches peut ainsi amener certaines personnes à faire l’objet de mesures particulièrement restrictives et contraignantes. L’inexécution de certaines obligations est sanctionnée de trois ans d’emprisonnement, et la sanction est parfois plus forte que celles qui étaient prévues dans le cadre de l’état d’urgence !

Pour éviter erreurs et confusions, nous proposons de compléter l’alinéa 8 par les phrases suivantes : « Les raisons sérieuses, motivant lesdites décisions, sont objectivées par des éléments de fait retracés de façon précise et circonstanciée ; doivent être évoqués aussi, de façon détaillée et argumentée, les risques pour la sécurité des personnes et des biens ».

M. le rapporteur.

Le texte de loi est déjà très exigeant sur les critères qui doivent être retenus ; qui plus est, il appartiendra au juge de les apprécier. De manière générale, il faut prendre garde à ne pas empiéter sur l’office du juge. Des éléments de preuve lui seront soumis et il lui appartiendra de juger si les mesures sont ou non légales. Avis défavorable.

M. le ministre d’État.

Nous avons indiqué ce matin que des mesures de ce type avaient pu être annulées par le juge administratif. Ce n’est évidemment pas sur la base de vagues indications mais d’éléments précis que le juge appréciera la demande de mise en surveillance.
La Commission rejette l’amendement.
La Commission rejette l’amendement CL228.

Mme Marietta Karamanli.

Ce n’est pas possible !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet.

En attendant son éventuelle réécriture, cet amendement n’a pas été adopté.
Puis elle examine l’amendement CL231 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Il est prévu, dans le projet de loi, que des perquisitions pourront être ordonnées par le JLD sur saisine motivée du préfet, aux seules fins de prévenir des actes de terrorisme. Ces « visites » ont donc une finalité préventive, ce qui constitue une grave dérogation au principe constitutionnel et conventionnel de l’inviolabilité du domicile. Le Conseil Constitutionnel avait ainsi censuré, dans une décision du 29 décembre 1983, les dispositions d’une loi qui permettait des perquisitions administratives, et ce, malgré l’autorisation préalable du juge judiciaire. Le Conseil relevait que, « quelles que soient les garanties dont les dispositions de l’article censuré entourent les opérations qu’elles visent, ces dispositions […] n’assignent pas de façon explicite au juge ayant le pouvoir d’autoriser des investigations des agents de l’administration mission de vérifier de façon concrète le bien-fondé de la demande qui lui est soumise ». Or le projet de loi comporte la même omission. Nous proposons donc de compléter l’alinéa 4 de l’article 4 en indiquant explicitement que « le juge saisi est compétent pour apprécier le bien-fondé de la mesure de visite des lieux et des saisies envisagées des documents, objets ou données qui s’y trouvent ».

M. le rapporteur.

Avis défavorable. L’amendement est satisfait, dès lors que c’est l’office même du juge que d’apprécier le bien-fondé de la mesure de visite des lieux et les saisies envisagées. Le projet de loi va même bien au-delà, puisqu’il est prévu que le juge apprécie également le bien-fondé de l’éventuelle exploitation des documents qui auront été saisis.
La Commission rejette l’amendement.