(Retour sur quelques débats à l’Assemblée Nationale (octobre 2017)) « Modification du règlement de l’Assemblée Nationale : assurer la juste représentation des différents groupes et éviter la confusion des positions ; pourquoi je défends le principe d’une plus grande clarté» par Marietta KARAMANLI

Le Président de l’Assemblée Nationale a déposé au cours de la dernière session une proposition de résolution visant à modifier  le Règlement de l’Assemblée Nationale (RAN) pour préciser le système de répartition des postes de Vice-présidents, de questeurs et de secrétaires à l’Assemblée Nationale.

Plus précisément il s’agissait de codifier un système habituel et relevant de la coutume de fonctionnement des instances de la Chambre. En fait la répartition des postes s’effectuait et s’effectue par choix prioritaire en fonction de l’importance numérique  des  groupes sachant que l’ensemble  des  postes  représente  un  total  de  35,5 points  qui  est réparti entre les groupes à la proportionnelle au plus fort reste.

A l’occasion de la nouvelle législature, des députés ont pu former un groupe qui se déclarant d’opposition a, à la suite, décidé de soutenir quasi-systématiquement tous les projets du gouvernement et le gouvernement lui-même, « brouillant » de la sorte  les notions de majorité et d’opposition mais surtout lui permettant de bénéficier des avantages d’être un groupe tout en enlevant certains droits aux véritables groupes d’opposition (postes au Bureau par exemple) qui lui permettent, entre autres de participer aux décisions et à la gestion de l’Assemblée par la majorité et de pouvoir, le cas échéant, pouvoir participer au contrôle.

Plusieurs journaux ont rapporté les réactions et incidents nés de ce « détournement » de l’esprit de la pratique … www.liberation.fr/france/2017/06/28/a-l-assemblee-les-droites-s-empoignent-pour-les-postes-cles_1580251

https://actu.fr/bretagne/loudeac_22136/pourquoi-marc-fur-ne-siege-pas-comme-vice-president-lassemblee-nationale_8605064.html

Voir aussi la / une synthèse sur http://laconstitution.fr/assemblee-nationale-droits-de-lopposition-formalises/

Au final, en concentrant les postes et moyens sur des groupes de la majorité, la diversité et la qualité du travail parlementaire seront possiblement moins bons, le principe en démocratie étant que l’on est meilleur à plusieurs et une forme de sagesse pouvant émerger de la collégialité et de la contradiction. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet dans un autre article.

Dès le dépôt de ce projet j’avais fait trois observations.

  • Le système est par nature « contingent » et l’opposition se définit après la survenance des élections mais aussi en fonction des prises de positions en cours de législature.
  • Le système de répartition initié une fois appliqué de ne doit pas permettre d’aboutir sur la répartition à un autre résultat que celui auquel tend l’article 39 du Règlement à savoir que la présidence de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire revient à un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition.
  • Enfin les notions de majorité et d’opposition sont in fine des plus vagues et des plus aléatoires  car un groupe parlementaire peut s’inscrire comme groupe d’opposition et soutenir tous les textes gouvernementaux (voire une partie de la majorité peut revendiquer le statut d’« opposition » et soutenir les textes).

Avec le souci d’être constructive et après avoir consulté des universitaires spécialistes du droit constitutionnel, j’ai décidé de déposer deux amendements.

Ils visaient à donner une définition plus substantielle de la notion de groupe d’opposition. En effet, alors que le statut de groupe d’opposition ouvre un ensemble de droits spécifiques (présidence de la commission des finances etc…), le bénéfice de ce statut ne repose que sur une déclaration qui peut n’avoir aucune correspondance sérieuse avec la réalité. Concrètement ils avaient pour objectif de distinguer « groupes d’opposition » et « groupes minoritaires » , les premiers s’opposant à la politique générale suivie et aux  textes qui structurent le débat politique en votant contre les textes lorsqu’il est fait usage de l’article 49 alinéa 1er (sur lesquels le Gouvernement engage sa responsabilité et son existence), ou contre les projets de loi de finances et  financement de la sécurité sociale lors d’une même session.

Ces deux amendements qui répondaient pourtant aux préoccupations de l’ensemble des groupes ne se revendiquant pas de la majorit,  ont été refusés non sur le fond mais au motif d’une réflexion plus globale de l’Assemblée Nationale…il y a le risque réel que le sujet précis se fonde dans des discussions générales qui n’aboutissent pas et que le progrès qu’ils pouvaient représenter reste oublié à la fin. C’est probablement dommage…

Marietta KARAMANLI

 

Mon intervention en séance publique

Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2017-2018, Compte rendu intégral, Deuxième séance du mardi 10 octobre 2017

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, madame la présidente et rapporteure, mes chers collègues, la proposition de résolution que nous examinons ce soir vise à inscrire dans le règlement de notre Assemblée une pratique de fonctionnement déjà ancienne et à garantir la mise en œuvre de principes constitutionnels.

Mon propos sera centré autour de trois idées. Il s’agit tout d’abord d’une disposition de nature a priori technique, mais dont les effets politiques sont importants pour notre démocratie parlementaire. Le but de cette proposition de résolution est plutôt simple : codifier équitablement un système de répartition des postes de vice-présidents, questeurs et secrétaires du Bureau de l’Assemblée nationale. Le principe de ce système est la proportionnalité, tant en ce qui concerne la définition de l’importance des postes et des responsabilités que la répartition de ceux-ci entre groupes parlementaires.

La proposition met en avant le caractère consensuel de l’accord entre groupes qui doit d’abord y présider. Elle évoque aussi la place de l’opposition, puisqu’un des questeurs doit y appartenir. Globalement, cette disposition reprend une pratique presque aussi ancienne que les institutions de la Ve République. La « distribution » – au sens fonctionnel – des postes répond à une nécessité de partage des responsabilités au sein de notre assemblée.

Si la disposition renforce la légitimité d’une pratique acquise, elle complète aussi des dispositions du règlement de l’Assemblée nationale actuellement en vigueur donnant des pouvoirs aux groupes d’opposition. Je pense notamment à l’article 16 de notre règlement qui établit une commission spéciale de quinze membres chargés de vérifier et d’apurer les comptes de notre assemblée et dont le bureau comprend un président, lequel ne peut être qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition.

Je pense aussi à l’article 39 de ce même règlement disposant que seul un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition peut être élu à la présidence de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

L’ensemble des dispositions déjà en vigueur et celle que nous nous apprêtons à discuter contribuent à assurer la répartition équitable des responsabilités entre groupes, entre majorité et opposition.

Au-delà du dispositif visant à faire vivre la diversité des groupes au sein de l’Assemblée, ces dispositions mettent en œuvre des principes constitutionnels qu’il nous appartient de respecter et, surtout, de faire vivre.

Deuxième idée : très concrètement, il s’agit d’une disposition mettant en œuvre un des grands principes constitutionnels de notre République et de notre démocratie, énoncé non dans le titre IV relatif au Parlement mais dans le titre Ier relatif à la souveraineté. En effet, l’article 4, alinéa 3, de la Constitution pose le principe que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». C’est bien de pluralisme, de participation équitable et de groupements politiques participant à la vie démocratique qu’il est ici question.

Après avoir rappelé ce principe de base, je souhaite vous faire part de quelques interrogations suscitées par ce texte. Plusieurs observations peuvent être faites.

D’une part, la répartition des responsabilités est par nature « contingente ». Elle l’est au sens où elle dépend non seulement des résultats des élections nationales, mais aussi des positions prises par les groupes à la suite de ces mêmes élections lors de la législature. On le sait, les regroupements et constitutions de groupes des députés se font dans notre système institutionnel selon le fait majoritaire résultant de l’élection du Président de la République, entre ceux qui soutiennent le Président et ceux qui proposent une alternative politique à ses choix essentiels. L’opposition se définit après les élections, mais aussi en fonction des prises de positions et des votes en cours de législature.

D’autre part, l’appartenance d’un groupe politique à l’opposition repose sur une déclaration, mais non sur le constat de votes significatifs et cohérents. C’est l’article 19 du règlement de notre Assemblée qui définit ce qu’est un groupe d’opposition. Pour faire simple : le groupe majoritaire est celui qui a l’effectif le plus élevé. Les autres groupes sont minoritaires, sauf celui ou ceux qui se sont d’eux-mêmes définis comme d’opposition. Autrement dit, ce qui prime, en l’état, c’est le caractère déclaratif de l’opposition.

Ainsi – c’est ma troisième observation –, cette situation n’est pas sans soulever de problèmes. En effet, un groupe peut revendiquer son appartenance à l’opposition et, pourtant, soutenir quasi systématiquement les choix de l’exécutif et de sa majorité à l’Assemblée. Ainsi, un groupe parlementaire peut s’inscrire comme groupe d’opposition et soutenir tous les textes gouvernementaux. Une partie de la majorité peut même revendiquer le statut d’« opposition » et soutenir les textes.

Pierre Cordier.

Que voulez-vous dire ? De quoi parlez-vous ? (Sourires.)

Mme Marietta Karamanli.

Les notions de majorité et d’opposition sont donc aléatoires et parfois sources de confusion.

Thibault Bazin.

Il faut de la clarté !

Mme Marietta Karamanli.

C’est pourquoi nous soutenons le principe de la codification de la pratique des points adossant les postes au sein du bureau et leur répartition à la proportionnelle. Néanmoins, nous nous demandons s’il ne conviendrait pas de préciser ce qu’est l’opposition, aujourd’hui, par des éléments plus objectifs…

Jean-Paul Lecoq.

C’est vrai !

Mme Marietta Karamanli.

…que la simple déclaration afin de garantir ainsi la représentativité des groupes sans leur en laisser l’appréciation, car ils pourraient en détourner l’esprit tout en respectant la lettre du règlement.

Jean-Paul Lecoq.

Le vote de la loi travail, c’est un critère !

Mme Marietta Karamanli.

Mes chers collègues, n’a-t-on pas intérêt à prévenir un dévoiement et une forme de détournement d’un système qui se veut vertueux, mais qui, en raison même d’un périmètre changeant, aurait l’effet inverse à celui recherché et tendrait à l’exclusion, de fait, d’une représentativité équitable des courants de pensée et de votes au profit d’une représentativité de déclaration, d’intentions ? Nous soutiendrons un amendement allant en ce sens.

Ainsi, il nous semble possible de circonscrire le risque de détournement d’un système normalement vertueux en posant un garde-fou : est dans l’opposition celui qui ne vote pas les textes qui définissent une majorité – « en être ou pas », dirais-je, pour paraphraser un immense auteur…

Il s’agit d’aller au-delà du caractère déclaratif d’une appartenance et de l’incarner en constatant le vote de textes principaux et significatifs définissant une politique, la majorité qui les soutient et ceux qui s’y opposent, et en croisant ces éléments avec le caractère numérique desdits groupes. Autrement dit, il s’agit de réconcilier le déclaratif et le réel.

Nous proposons donc d’inscrire ce garde-fou dans le règlement de l’Assemblée en disposant que font seuls partie de l’opposition les groupes ayant refusé de voter la confiance après utilisation de l’article 49, alinéa 1er, ou ayant rejeté les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale lors d’une même session.

Cette précision vise à donner une définition plus substantielle de la notion de groupe minoritaire soutenant et constituant la majorité avec le groupe majoritaire et, ainsi, à le ou à les distinguer réellement du ou des groupes d’opposition. En effet, alors que le statut de groupe d’opposition ouvre un ensemble de droits spécifiques – par exemple, l’obtention de la présidence de la commission des finances –, le bénéfice de ce statut ne repose ici que sur une déclaration qui peut n’avoir aucune correspondance sérieuse avec la réalité.

Enfin, les échanges en commission ont conduit à rejeter la précision d’une répartition des postes au plus fort reste – certes calculée à partir d’une pondération –, laquelle avait fait naître des interrogations sur de possibles effets favorisant les plus petits groupes.

In fine, nous soutenons le principe de la codification dans notre règlement d’une disposition déjà appliquée en souhaitant lever toute possibilité de détournement de procédure et en précisant les notions de groupes minoritaire et d’opposition. J’espère que ces sujets seront clarifiés lors de la discussion des amendements.

Le président.

Je suis saisi de deux amendements, nos 20 et 12, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour les soutenir.

Mme Marietta Karamanli.

En écoutant nos débats, il m’arrive parfois de m’interroger. En effet, certains propos sont assez éloignés du texte dont nous débattons.

Nous avons évoqué précédemment la vraie et la seule question qui se pose aujourd’hui concernant notre règlement : la définition des groupes minoritaires et des groupes d’opposition est imparfaite. Cela a été reconnu sur tous les bancs de cet hémicycle. Aussi souhaitons-nous, par cet amendement, qui est très proche du cœur de la résolution que nous examinons, compléter l’article 19 du règlement par une définition plus précise, qui permettrait d’éviter tout détournement du texte, comme c’est parfois le cas aujourd’hui.

Le président.

Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

Mme Yaël Braun-Pivet, rapporteure.

Il me semble, pour ma part, que nous sommes bien loin du texte qui nous occupe ce soir. S’il y a lieu de se poser la question de la définition d’un groupe d’opposition ou d’un groupe minoritaire, cette réflexion devrait se tenir dans le cadre des groupes de travail que vous avez constitués, monsieur le président, dont l’un porte précisément sur la procédure législative et les droits de l’opposition. L’avis est donc défavorable.

Le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

On a eu ce débat en commission. L’argument consistant à renvoyer le débat aux travaux des groupes de travail ne peut évidemment nous satisfaire. Nous allons rédiger une contribution à partir de ces deux amendements, qui se distinguent par le fait que l’un est de nature plus substantielle tandis que l’autre a une portée plus étendue. Nous souhaitons, monsieur le président, que cette contribution, dont vous êtes l’un des auteurs, avec d’autres collègues, qui l’ont cosignée – M. Gosselin rappelait précédemment que nous traitons ici d’un sujet de fond – puisse aboutir à une prise en considération de ces définitions. Cela permettra, j’y insiste, d’éviter que des détournements de procédure aient lieu dans cet hémicycle et de faire en sorte que la démocratie vive encore mieux demain.

Le président.

Cela signifie-t-il que vous retirez vos amendements, madame Karamanli ?

Mme Marietta Karamanli.

Non, nous les maintenons, car il est important qu’il y ait un vote à leur sujet, mais nous contribuons d’ores et déjà par écrit auprès des groupes.

(Les amendements nos 20 et 12, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

 

Source image : capture d’écran depuis la vidéo de la séance publique sur le site de l’Assemblée Nationale