(Retour sur quelques débats à l’Assemblée Nationale (septembre 2017))  » Loi sécurité intérieure et terrorisme : pourquoi j’ai proposé et soutenu des amendements visant à expliciter le recours à des mesures dérogeant et limitant la liberté d’aller et venir » par Marietta KARAMANLI

 

Le Conseil Constitutionnel vient par une décision du 11 janvier de censurer la loi de 1955 sur l’état d’urgence. Plus précisément il a estimé que l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 2017, qui prévoyait que la déclaration de l’état d’urgence donne certains pouvoirs aux préfets des départements dans lesquels s’applique l’état d’urgence n’était pas conforme à la Constitution. Selon le 2° de cet article 5, le préfet a le pouvoir : « D’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ».

Il a jugé que ces dispositions n’assurent pas une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

En effet, le législateur n’a, d’une part, soumis la création d’une zone de protection ou de sécurité à aucune autre condition que l’instauration de l’état d’urgence. D’autre part, il n’a pas défini la nature des mesures susceptibles d’être prises par le préfet pour réglementer le séjour des personnes à l’intérieur d’une telle zone et n’a encadré leur mise en œuvre d’aucune garantie.

Pour ces motifs, proches de ceux retenus dans la décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 sur les interdictions de séjour dans le cadre de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, avec effet immédiat, les dispositions du 2° de l’article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 juillet 2017. Cette décision s’attache ainsi au seul état du droit applicable au litige à l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité qui avait été soumise au Conseil constitutionnel.

Lors des débats sur le projet de loi Sécurité intérieure et terrorisme j’avais déposé un amendement allant dans le sens d’une plus grande explicitation des motifs du recours à la création de telles zones.

Je vous livre le sens de mon intervention sur un sujet sensible celui des libertés individuelles et publiques.

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 13 septembre 2017, Séance de 9 heures 30, Compte rendu n° 1

Olivier Dussopt.

Comme nous l’avons indiqué hier, l’équilibre global de l’article 1er nous convient. Notre collègue Marietta Karamanli présentera simplement un amendement visant à préciser la nature exacte du risque qui doit conduire les préfets à décider d’instaurer des périmètres de protection.

La disposition nous convient d’autant plus qu’elle permet de prévenir les actes de terrorisme et uniquement ceux-ci, car, pour le reste, le choix du Gouvernement est de renvoyer aux dispositions judiciaires classiques de maintien de l’ordre. Nous refuserons les remises en cause de cet équilibre.

Mme Élise Fajgeles.

Accepter l’idée que nous vivons dans un monde complexe, comme l’est la question particulière du terrorisme, ne me pose aucun problème. Tous les experts nous ont dit que la menace est évolutive, et que, d’exogène, elle est devenue endogène. Ainsi, ce que l’on appelait un terrorisme low cost est en train de se professionnaliser. Comme M. Bernalicis, je peux citer des auditions : le directeur général de la sécurité intérieure nous a dit que, depuis 2015, nous avons changé de logique parce que cette menace est durable et qu’elle évolue, et que nous devons disposer de solutions adaptées en permanence. Ainsi, nous ne pouvons pas revenir au droit commun, dont tout l’arsenal que vous évoquez est inadapté à cette menace qui, depuis 2015, évolue constamment et rapidement. Nous avons donc besoin de cet arsenal nouveau, particulièrement bien adapté grâce à l’expérience acquise depuis deux ans.

À M. Ciotti, qui demande pourquoi ne pas rester dans l’état d’urgence, et considère que nous voulons inscrire dans le droit commun, ad vitam aeternam, des mesures d’exception, je rappelle que des clauses de rendez-vous sont prévues pour les mesures importantes des articles 3 et 4.

Il est donc important de trouver un point d’équilibre afin de faire face à la lourde responsabilité de s’adapter à la situation sur le terrain comme au contexte géopolitique du terrorisme.

La Commission rejette successivement l’amendement CL101 et l’amendement CL169.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL70 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL226 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Cet amendement porte sur le périmètre de protection dont l’accès à la circulation des personnes est réglementé. Je rappelle que l’article 78-2 du code de procédure pénale donne déjà au procureur de la République le pouvoir d’ordonner des contrôles d’identité, des inspections visuelles, des fouilles de bagages, bref, un arsenal suffisamment précis. L’article 78-2-4 de ce code octroie les mêmes pouvoirs de contrôle aux officiers et agents de police judiciaire afin de prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens. Enfin, la loi du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs comporte des dispositions similaires.

La notion de lieu ou d’événement soumis à un risque d’acte de terrorisme à raison de leur nature même et de l’ampleur de leur fréquentation, telle que définie par le présent article, est assez générale. C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire de permettre au juge de mieux contrôler la décision de l’autorité administrative, et d’apprécier des circonstances particulières établissant ledit risque

Le rapporteur.

Je m’interroge sur la nécessité d’ajouter du formalisme, alors que le texte prévoit déjà que l’arrêté doit être motivé. Ainsi, aux termes du texte adopté par le Sénat, s’il est saisi, le juge administratif appréciera en fonction des contrôles les critères cumulatifs, si l’événement est soumis à un risque d’acte de terrorisme en fonction de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation.

Dès lors que le texte prévoit que l’arrêté doit être motivé, la précision que vous souhaitez apporter n’est pas nécessaire. Mon avis est donc défavorable.

Mme Marietta Karamanli.

Le mot « motivé » ne suffit pas à donner au juge la possibilité la possibilité d’exercer son contrôle.

Source photo : capture d’image sur la vidéo d’une séance de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale le 4 octobre 2017