Le 29 février dernier, je suis intervenue lors de l’examen en seconde lecture du projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines.
A cette occasion, j’ai fait quatre observations.
La première est que ce projet a été qualifié par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, institution indépendante de la République, comme relevant « de l’opportunité politique et non du travail législatif réfléchi ».
La deuxième est que cette loi qui prévoit la création de 25 000 nouvelles places de prison, et devrait coûter trois milliards d’euros en investissements et des centaines de millions en fonctionnement par an, ne fait l’objet d’aucune inscription budgétaire…et n’a donc pas de financement.
La troisième est que cette loi est incohérente avec ce qu’a adopté le Parlement (et donc la majorité parlementaire, il y a peu) ; la loi dit « plus prisons car il y a des peines non exécutées » mais plus de 90 % des condamnations en attente d’exécution €“ 96 % exactement €“ sont des condamnations à des peines inférieures ou égales à deux ans et le législateur a posé dans la loi pénitentiaire de 2009 le principe de leur aménagement en d’autres peines.
La quatrième observation porte sur la partinence du classement que font le projet de loi et le rapport annexé en matière de dangerosité des détenus par les lieux où ils seront détenus alors même que la dangerosité est difficile à établir avec certitude et que l’outil de diagnositic est encore en cours d’évaluation. C’est la qualité du suivi des détenus qui doit déterminer les mesures à prendre et les lieux ne suffisent pas à dire si la personne a fait l’objet du suivi et des mesures adaptées à son éventuelle sortie.
J’ai voté contre cette loi qui va coûter cher, augmente l’enfermement sans certitude sur le suivi des détenus, va à l’encontre de peines moins criminogènes notamment vis à vis des jeunes délinquants qui doivent être pris en charge sans risquer de sortir plus « durs » et donc plus délinquants après leur peine.
Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2011-2012, Compte rendu intégral, Première séance du mercredi 29 février 2012,
projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines
Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, ce projet de loi, le dernier de la législature en matière pénale, mérite quelques observations ; j’en ferai quatre.
La première concerne la méthode de discussion. Ce texte s’inscrit dans une série de lois que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, institution indépendante de la République, a considéré comme relevant « de l’opportunité politique et non du travail législatif réfléchi ».
La CNCDH dit aussi ce que nous avons dénoncé depuis le début de la législature, ce que met en évidence la majorité sénatoriale actuelle et ce que suggèrent, entre les lignes, certains rapports parlementaires de nos collègues de la majorité : « L’importance d’une politique pénale cohérente, stable et lisible ne se mesure pas à son degré de réactivité aux faits divers ou aux circonstances du moment. »
Ce texte a été examiné et débattu selon la procédure dite accélérée qui ne garantit pas la sérénité nécessaire. Paradoxalement, cette loi de programmation arrive en toute fin de législature, alors que, par nature, le sujet et les moyens à mobiliser ont besoin de s’inscrire dans le temps.
Deuxième observation : c’est une programmation sans moyens. Comme l’ont excellemment rappelé Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, le seul objectif de ce texte est en effet la création de près 25 000 places en établissement pénitentiaire, entre 2013 et 2017, s’ajoutant aux quelque 5 000 places du programme précédent et portant le parc carcéral à 80 000 places à l’horizon de cinq ans.
La création de nouvelles places pourrait se révéler utile si elle compensait en quelque sorte la fermeture de places dans des établissements vétustes, dont plus de 80 devaient initialement fermer d’ici à 2015. Néanmoins, sur ce sujet comme sur d’autres, les promesses n’auront tenu que quelques mois puisque le nombre de fermetures de sites ne pouvant accueillir des détenus dans de bonnes conditions a été réduit à moins de quarante. Cette politique n’est, par nature, pas favorable à l’encellulement individuel promu €“ rappelons-le – par la loi pénitentiaire.
Mais la plus grande surprise de cette loi est que l’ensemble du programme n’est pas précisément chiffré, même sous la forme de fourchettes. Pour une loi de programmation, cela constitue une sorte de contradiction.
Troisième observation, les dispositions de ce projet de loi en matière de résorption des peines, de dangerosité et de taille des établissements sont contestables.
S’agissant de la résorption des peines non exécutées, l’étude d’impact estime à plus de 85 000 le nombre de peines délictuelles en attente d’exécution.
Plus de 90 % des condamnations en attente d’exécution €“ 96 % exactement €“ sont des condamnations à des peines inférieures ou égales à deux ans. Autrement dit, ce sont des peines qui peuvent être aménagées ou converties, après leur prononcé, en une surveillance électronique, un placement à l’extérieur, une semi-liberté, une libération conditionnelle ou un travail d’intérêt général. Il y a donc un certain paradoxe à justifier la création de places par une non-exécution de peines quand une loi adoptée par le Parlement il y a seulement quelques mois a posé le principe de leur aménagement en d’autres peines. Une évaluation des raisons de la non-réalisation de cet aménagement aurait été non seulement souhaitable mais aussi raisonnable.
[[Ainsi l’article 84 de la loi du 29 novembre 2009 a prévu ( article 723-15 du code de procédure pénale) que « Les personnes non incarcérées, condamnées à une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement ou pour lesquelles la durée de la détention restant à subir est inférieure ou égale à deux ans, ou pour lesquelles, en cas de cumul de condamnations, le total des peines d’emprisonnement prononcées ou restant à subir est inférieur ou égal à deux ans bénéficient, dans la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent, suivant la procédure prévue au présent paragraphe, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’un placement sous surveillance électronique, d’un fractionnement ou d’une suspension de peines, d’une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l’article 132-57 du code pénal. Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale. Préalablement à la mise à exécution de la ou des condamnations, le ministère public informe le juge de l’application des peines de cette ou de ces décisions en lui adressant toutes les pièces utiles, parmi lesquelles une copie de la ou des décisions et le bulletin n° 1 du casier judiciaire de l’intéressé. Sauf s’il a déjà été avisé de ces convocations à l’issue de l’audience de jugement en application de l’article 474 du présent code, le condamné est alors, sauf décision contraire du juge de l’application des peines, convoqué en premier lieu devant le juge de l’application des peines, puis devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation, dans des délais qui ne sauraient être respectivement supérieurs à trente et à quarante-cinq jours à compter de leur information par le ministère public, afin de déterminer les modalités d’exécution de sa peine les mieux adaptées à sa personnalité et à sa situation matérielle, familiale et sociale.]]
S’agissant d’établir un classement des établissements selon la dangerosité des détenus, le projet de loi pose le principe en renvoyant au rapport annexé. Cette consécration n’est pas sans poser problème.
Un projet de rapport, certes centré sur le suivi des auteurs d’infractions à caractère sexuel, remis la semaine passée, relève qu’il est difficile d’expertiser la dangerosité et l’adaptation du suivi. Élargie à la question d’ensemble de la détention, la définition systématisée de la dangerosité aurait mérité autre chose qu’une catégorisation par lieu. Une approche en fonction des types de suivi aurait été utile.
Le projet renvoie aussi à la mise en place d’un outil partagé, valable pour tous les condamnés : le diagnostic à visée criminologique, actuellement expérimenté. Selon les échos que nous pouvons en avoir, cet outil viserait à prédéfinir des modalités de suivi selon des items renseignés et de façon quasi automatique. Je constate donc qu’on nous propose de généraliser un dispositif, alors que les résultats de son évaluation préalable ne nous ont pas encore été communiqués.
Dernier point : ce projet prend acte, en quelque sorte, de l’échec de la politique du Gouvernement en matière de répression pénale.
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, et M. Michel Mercier, garde des sceaux.
Oh !
Mme Marietta Karamanli.
Je l’ai dit en première lecture, et je le redis, monsieur le garde des sceaux.
L’étude d’impact retient quatre scenarii d’évolution du nombre de condamnations à des peines d’emprisonnement. Ce qui est remarquable, c’est que le Gouvernement retient celui d’une progression de 2 % par an du nombre de peines privatives de liberté, qui passerait donc de 140 000 en 2012 à 154 000 en 2017. Dans cette hypothèse, il y aura 96 100 personnes placées sous écrou et 80 100 personnes détenues à l’horizon 2017.
On peut craindre, à l’instar de nos collègues du Sénat et des experts de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, que « l’accroissement des capacités de détention n’ait d’autre effet que d’encourager de nouvelles incarcérations ».
Ainsi ce projet apparaît à bien des égards brouillon, imprécis sur les moyens, en contradiction avec d’autres engagements gouvernementaux et textes législatifs, et finalement comme un pis-aller face à une politique de prévention et de dissuasion de la délinquance qui échoue ou dont on sent qu’elle est en train d’échouer.
M. Christophe Guilloteau.
C’est excessif !
Mme Marietta Karamanli.
Hélas, plutôt que de s’interroger sur l’efficacité des mesures, le texte préfère organiser une fuite en avant, mauvaise pour l’efficacité des peines de détention et mauvaise pour les finances publiques.
M. Dominique Raimbourg.
Tout à fait !
Mme Marietta Karamanli.
Je le regrette pour la justice, je le regrette aussi pour notre pays.
M. le président.
La discussion générale est close.