Le 10 octobre je suis intervenue dans le débat en séance publique sur l’avenir de l’Europe.
J’ai, à la suite du ministre de l’Europe et des affaires étrangères en charge d’une déclaration générale sur celle-ci, affirmé l’attachement des député-e-s du Groupe Nouvelle Gauche (socialistes et sociaux-démocrates) à l’Europe non comme une entité désincarnée mais comme une opportunité pour porter des politiques publiques qui, comme je l’ai dit, « embarquent » plus de monde.
Préalablement j’ai rappelé la fracture entre citoyens et institutions européennes et l’éloignement de l’opinion face à l’Europe. J’ai indiqué que cet éloignement touchait aussi les élites qui considèrent en majorité qu’on ne peut aller plus loin ou qui estiment que l’Europe doit perdre de ses compétences.
J’ai appelé à une politique économique nouvelle. Une récente étude montre en effet qu’une augmentation raisonnable simultanée des dépenses publiques, une taxation plus progressive des revenus, et une meilleure prise en compte des salaires dans chaque pays et tous ensemble aurait un effet positif sur l’investissement public et privé, et que le déficit diminuerait. L’alignement se fait malheureusement plutôt en sens inverse avec des politiques de rigueur « mal partagée ».
La crise vient aussi selon moi de l’absence de politiques publiques de progrès. J’ai insisté sur trois propositions qui touchent les citoyens : renforcer Erasmus programme qui permet aux jeunes d’aller se former en Europe ; initier une assurance chômage européenne ; continuer à bâtir l’Europe de la police et de la justice.
J’ai aussi insisté sur la nécessité pour les parlements nationaux de prendre des initiatives ensemble pour peser sur les textes de l’Union européenne.
De façon plus ponctuelle, j’ai redit que supprimer un symbole comme un drapeau ne faisait pas disparaître une réalité. Le plus important est pour moi de changer les priorités et de mettre en œuvre un nouvel idéal égalitaire en Europe.
Marietta KARAMANLI
Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2017-2018
Compte rendu intégral, Première séance du mardi 10 octobre 2017
3. Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur l’avenir de l’Union européenne
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
…
M. le président.
La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le ministre, madame la ministre, mesdames les présidentes de commission, mes chers collègues, l’Europe et la construction européenne constituent un des enjeux forts de la législature.
L’Europe est une réalité.
D’ailleurs, ce n’est pas en supprimant un mot ou un symbole, tel un drapeau dans l’hémicycle, que cette réalité sera supprimée.
Mme Marielle de Sarnez, présidente de la commission des affaires étrangères.
Très bien !
Mme Marietta Karamanli.
Changement climatique, migrations, défense, lutte contre le terrorisme et le crime organisé et, bien évidemment, développement économique et partage des richesses, dans le contexte de la globalisation : aucune de ces questions ne peut trouver une solution seulement nationale. La dimension européenne nous empêche de vivre seuls et enfermés dans nos frontières. Ce que les États pris isolément ont perdu en efficacité dans leur territoire soumis à des décisions qui ne leur appartiennent plus seulement, ou à des événements dont ils ne sont plus maîtres, ils peuvent le retrouver en agissant ensemble et le faire valoir face à des États situés en dehors de l’Europe plus puissants démographiquement, économiquement ou militairement.
Mon propos est celui des députés socialistes pour lesquels l’Europe est, non pas un plan B ni une variable d’ajustement de la politique nationale, mais un espace politique qui a vocation à donner plus de protection et plus de prospérité à nos concitoyens.
Le Président de la République a récemment appelé à une refondation de l’Europe, en invoquant, entre autres, la sécurité, les migrations, la politique étrangère, la transition énergétique, l’innovation radicale, la coordination des politiques économiques ou l’instauration d’un budget commun à la zone euro. Il a cité plusieurs initiatives : la refonte de la directive sur les travailleurs détachés, la généralisation de la taxe sur les transactions financières ou l’harmonisation des cycles d’études du second degré. Il a parlé méthode en réitérant son souhait d’instaurer des conventions démocratiques faisant partie intégrante de la refondation européenne.
Tout cela, dans les intentions, apparaît satisfaisant, mais ce n’est pas la garantie de la meilleure façon d’avancer et de combler les fractures au sein de l’Europe.
Les outils sont déterminants, mais ils ne font pas à eux seuls une politique nouvelle. Les fractures sont de trois ordres.
D’abord, il existe une fracture sur la nature et les objectifs mêmes de l’Union, et ce, entre les décideurs nationaux et européens, et les citoyens.
Selon une étude de juin 2017 menée dans dix pays, seulement 34 % du public a le sentiment d’avoir bénéficié de l’appartenance à l’Union européenne, contre 71 % des responsables. Une majorité du public – 54 % – estime que son pays était un meilleur endroit pour vivre il y a vingt ans. L’identité joue un rôle significatif dans la façon dont les citoyens le perçoivent.
Cette fracture existe au sein même des responsables – certains parleraient des élites –, qui divergent sur la façon dont le processus doit être poursuivi ou non. Contrairement aux idées reçues, les élites ne sont pas toujours des fervents défenseurs de l’intégration : 28 % d’entre elles soutiennent le statu quo, et 31 % estiment que l’Union européenne devrait rendre une partie de ses pouvoirs aux États membres.
Il ne suffira donc pas d’affirmer pour convaincre. Il ne suffira pas de communiquer.
Il faudra des actes forts, des actes qui traduisent de nouvelles politiques publiques européennes, qui « embarquent » – permettez-moi le mot – plus de monde. Plutôt que de suivre une logique de crédits épars, vécue comme lointaine par les citoyens, il faut donner à l’Europe une vocation plus large. Des projets qui parlent aux individus doivent être relancés. Certains de ces sujets ont été fortement défendus par les députés de la majorité de la précédente législature.
À cette première fracture s’ajoute, la fracture économique et sociale, exacerbée en partie par la crise économique qu’ont connue l’Union européenne et ses États depuis 2008. Les politiques de ce que j’appelle « la rigueur mal partagée », défendues dans un contexte d’accroissement des inégalités, ont laissé et laissent des incertitudes qui constituent une des causes principales de la désaffection. Rien dans les propositions faites n’annonce un recadrage ou une nouvelle étape de type plan européen.
Les choix faits dans notre propre pays en termes de politique budgétaire et fiscale, que nous examinerons prochainement dans cette même assemblée, évoquent plutôt un alignement sur ce que pratiquent plusieurs gouvernements de droite, sans nouveau souffle pour l’Europe. Avoir un outil commun est un préalable, mais cela ne change pas la donne si les opportunités nouvelles ne sont pas saisies.
Pourtant, des marges existent : une récente étude réalisée par des experts et économistes montre qu’un scénario d’actions coordonnées, avec une augmentation mesurée simultanée des dépenses publiques, une taxation plus progressive des revenus, et une meilleure prise en compte des salaires dans chaque pays aurait un effet positif sur l’investissement public et privé, ainsi que sur le solde budgétaire – le déficit diminuerait.
S’agissant de l’amélioration des rémunérations, elle pourrait être atteinte par l’augmentation de la couverture de la négociation collective, la politique des salaires minima et l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes, ce qui ne ressemble pas aux orientations prévues par les récentes ordonnances. Autrement dit, la coordination dans la zone euro doit permettre de retrouver le chemin de la prospérité, et pas seulement celui des équilibres.
La troisième fracture est celle de la non-perceptibilité des grandes politiques publiques européennes. Dans le cadre de l’Europe, la France et les Français ont à discuter et négocier avec les autres États. On le sait, en matière de négociations internationales, les victoires sont, pour une large part, un art d’exécution. C’est parce que les citoyens auront le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes sont mieux prises en compte par l’Europe qu’ils accepteront d’aller plus loin. Cette préoccupation d’une dimension sociale et solidaire de l’action de l’Union doit être un leitmotiv.
Cet objectif passe aussi par des services publics efficaces.
Le droit de l’Europe est d’abord un droit de la concurrence ; il tend à ignorer le service public. Pourtant, celui-ci reste, dans la plupart des cas, le garant de principes qui ont une fonction sociale, qui font « société » : l’égalité, la liberté, la continuité du service public. À bien y regarder, cette notion existe dans bon nombre de pays, et elle mériterait d’être revalorisée.
Concernant les grandes politiques publiques, trois grands projets qui « parlent » aux individus pourraient être défendus par notre pays.
L’un est la relance et l’amplification d’Erasmus, des échanges scolaires et des temps de formation dans un autre pays, seul véritable succès européen, qui « parle » tant aux jeunes.
Un autre est la mise en chantier d’une assurance chômage européenne, qui marquerait une volonté de convergence et de construction sociale par le haut et serait un outil économique et budgétaire. Ce pourrait être un fonds de stabilisation organisant des transferts temporaires entre États membres au gré de leur situation à un moment économique ou bien un régime d’assurance chômage commun, première réalisation d’une intégration budgétaire de l’Union européenne.
Un autre encore est l’approfondissement d’une Europe de la justice et de la police, avec ce que cela suppose de réelle mise en commun de moyens renforcés, à l’image de la création d’un corps de garde-frontière européen, défendue de longue date par notre assemblée, ou de l’interopérabilité des systèmes d’information.
Je termine par une considération institutionnelle.
Pour la plupart de nos concitoyens, les traités de l’Union européenne et les accords au sommet constituent une part inconnue et, partant, inquiétante de l’Europe. Il faut que les parlements nationaux puissent mieux faire entendre leur voix en se concertant entre eux en amont de chaque étape importante de la coordination intergouvernementale sur les grands textes européens. L’Assemblée nationale l’a fait avec succès ces dernières années en matière de politique culturelle, de sécurité ou encore des droits des consommateurs. Il s’agit là d’un moment de réappropriation politique de l’Europe.
Si la démocratie directe et instantanée a son importance, la continuité des débats, leur caractère contradictoire raisonné par le dialogue, la mesure des effets des décisions dans la durée sont autant d’éléments majeurs de la vie démocratique et de la représentation.
Il nous faut aller vers l’Europe pour mieux revenir vers notre pays.
Dans un monde en crise, celle-ci ne peut être une option. Si on veut l’approfondir et la rendre plus solidaire, on ne peut l’abandonner.
Dépasser la crise des identités nationales suppose que nous défendions un nouvel idéal égalitaire et accomplissions des progrès réels pour lutter contre les inégalités. Ce message sera au cœur des propositions que défendra notre groupe en matière de politique européenne.
(Applaudissements sur les bancs des groupes NG, REM et MODEM.)
Source image : capture de la séance sur le site de l’Assemblée Nationale