« Comment le pouvoir exécutif et le fait majoritaire contraignent la discussion des lois » par Marietta KARAMANLI

Le 17 décembre 2010 j’ai participé à la Faculté de Droit de l’Université de Rennes à une journée décentralisée de l’Association Française de Droit Constitutionnel .
Le thème en était « La séance publique au Parlement : les effets de la révision constitutionnelle de 2008 et des modifications des règlements des assemblées parlementaires de 2009 ».
Plus précisément j’ai contribué à la seconde séance : « Visions croisées des conditions de débat au Parlement » sous la présidence de Mme Anne-Marie Le Pourhiet, Professeur à l’Université de Rennes en compagnie de mes collègues députés Jean-Jacques Urvoas et Marcel Rogemont.
J’ai rappelé le contexte de la réforme et plus précisément de l’adoption de la loi organique (mettant en Å“uvre) la réforme constitutionnelle de 2008 et visant notamment à limiter le droit d’amendement des députés aux seuls amendements adoptés en commission, après un délai qui serait raccourci.
J’ai mentionné le contexte de l’adoption de loi (le secrétaire général de l’Elysée déclarant que la réforme visait à empêcher le « sabotage » des réformes voulues par le Président de la République) et la logique institutionnelle de notre régime où le Président de la République domine et dispose par l’action d’un Premier ministre qui en dépend de multiples prérogatives pour contraindre sa majorité et l’opposition.
J’ai, par quatre exemples, tenté de montrer le « verrouillage » auquel conduit une pratique qui en recourant par plusieurs outils (procédure accélérée – avec une seule lecture par chambre, pouvoirs du Président de l’Assemblée Nationale, limite du temps de parole, demande de nouveau vote) prive les parlementaires de temps et de discussion et amoindrit par cela la qualité de l’examen de la loi.


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Le texte de mon intervention

Madame la Présidente de séance, Mesdames et Messieurs les professeurs et enseignants, Mesdames et Messieurs, Cher(es) Collègues,

Tout d’abord Je souhaite vous remercier pour cette invitation à venir échanger sur la séance publique et à vous livrer une vision modeste celle d’acteur ou d’actrice engagé(e) d’un moment de la mise en scène de la vie parlementaire dont les metteurs en scène sont à la fois le gouvernement, la Présidence de l’Assemblée, la Conférence des présidents et les groupes et très partiellement les députés pris individuellement même si sans eux le film ne pourrait avoir lieu et le débat n’aurait que peu ou pas d’intérêt pour les citoyens !

Je souhaite aussi vous prier de m’excuser de n’avoir pu assister ce matin aux premiers débats, des engagements antérieurs et surtout des soins m’ayant retenue au Mans ce matin. Cette absence me vaudra, je l’espère excuse de dire ou redire des choses qui auront déjà pu être évoquées.

Je souhaite organiser ma contribution autour de trois points.

J’évoquerai le contexte de la réforme de la discussion en séance tel qu’il résulte de la loi organique du 15 avril 2009 contexte sans lequel il est difficile de comprendre la nature des réticences des députés de l’opposition et de la minorité.

Je rappellerai dans la foulée la difficulté à comprendre les objections des députés si on ne remet pas en perspective chaque novation procédurale avec la logique institutionnelle d’ensemble c’est-à-dire la possibilité pour le gouvernement de piocher dans un ensemble de mesures qui si elles sont toutes utilisées les unes après les autres ou quasi-simultanément vont amoindrir voire ruiner la discussion parlementaire.

Enfin je donnerai quelques exemples qui me donnent à penser que les effets de la réforme sont modestes en termes de « rehaussement » de la qualité des débats en séance publique. Ce dernier point étant directement lié à ma deuxième observation€¦

Tout d’abord le contexte.

Le projet de loi organique examiné par l’Assemblée Nationale en janvier 2009 relatifs aux articles 34, 39 et 44 visait notamment à

  limiter le droit d’amendement des députés aux seuls amendements adoptés en commission, après un délai qui serait éventuellement raccourci ;

  donner la possibilité au seul Gouvernement de déposer des amendements après l’examen en commission ;

  limiter le temps de la discussion, de façon à proscrire tout débat sur les amendements.

Alors même que nous apprêtions à discuter de ces dispositions, le secrétaire général de l’Élysée, Premier ministre bis, déclarait sur une grande chaîne de radio privée, le dimanche précédant les débats, qu’il s’agissait d’empêcher le « sabotage » et de faire passer les réformes présidentielles.

En économie, le sabotage est un acte matériel tendant à empêcher le fonctionnement normal d’un service ; mais en régime parlementaire, faire délibérer des députés, leur permettre de s’exprimer parfois longuement et de contester, sous l’Å“il vigilant des citoyens et de l’opinion publique, c’est assurer le fonctionnement normal de la démocratie.

Vous comprendrez que ce genre de propos n’est guère de nature à conduire à une réforme consensuelle comme certains en rêvaient !
Voici pour le contexte !

Maintenant la logique institutionnelle.

A bien des égards les nouvelles dispositions se sont ajoutées à un dispositif de nature orthopédique, c’est-à-dire, étymologiquement, de nature à « rendre droits les enfants », déjà existant.

En l’occurrence, celui-ci vise à corriger les éventuelles défaillances d’une majorité.

Le Gouvernement et sa majorité ont en effet la possibilité d’utiliser ensemble tout un appareillage de contrainte et je dirai de sur-contrainte : je citerai pêle-mêle les dispositions des articles

 34 (domaine limitativement énuméré de la loi),

 38 (habilitation législative donnée au gouvernement),

 40 (irrecevabilité financière),

 44 (exercice du droit d’amendement dont maintenant la Constitution renvoie le contenu à une loi organique évoquée),

 45 (exercice de la procédure accélérée)
Et j’en passe€¦

Il y a donc la loi fortement « pro exécutif » si j’ose dire et la façon dont on l’applique, dont on y recourt.

Le danger est que

 le couple Gouvernement-majorité parlementaire limité les amendements des députés au-delà d’un délai fixé en amont de la discussion,

 dépose les siens au dernier moment, y compris pour autoriser une délégation législative « furtive » €“ laquelle permettrait à l’exécutif de rédiger à la place des députés €“,
Et

 limite, enfin, l’examen du texte à une lecture sans droit d’amendement et de discussion par exemple en ayant recours à la procédure accélérée

Pour résumer le risque est que le gouvernement « panache » en utilisant tout ou partie de l’ensemble de ces dispositifs pour réduire l’Assemblée à une chambre d’enregistrement même là où l’existence gouvernementale n’est pas menacée, son action pas contrariée et le sens global de sa volonté suivi, et qu’il tende à se passer non seulement de l’opposition mais aussi de sa majorité !

En ce sens mes observations critiques ne sont pas celles d’une députée de l’opposition mais d’une députée tout court.

Je prendrai quatre exemples !

Quatre exemples qui m’amènent à douter du réhaussement de la participation de l’Assemblée Nationale notamment par la séance publique à la fabrication de la loi !

Premier exemple : la loi portant réforme de l’Hôpital et relative aux Patients, Santé, Territoires (HPST pour les spécialistes)

En première lecture ce texte a fait l’objet de 29 séances de discussion en séance publique à l’Assemblée Nationale.
1973 amendements ont été déposés.
Le texte est parti au Sénat et y a été largement réécrit. Le rapporteur de la commission mixte a évoqué « l’ampleur des modifications apportées au texte »
Il y a fait l’objet de 1295 amendements sachant que le texte final fait à peine quarante articles !
Il a fait l’objet de moitié moins de discussions en séance publique qu’à l’Assemblée Nationale soit 15.
Examiné selon la procédure accélérée, ce texte n’est revenu devant l’Assemblée Nationale que pour y être adopté en une seule séance sans véritable possibilité pour les députés de discuter je ne parle même pas de modifier le texte qui avait fait l’objet d’un accord, après réunion d’une commission mixte entre l’Assemblée Nationale et le Sénat
Seul un amendement du gouvernement a été discuté et adopté.
Voici un texte censé modifier profondément l’organisation des soins en France dont l’Assemblée a discuté mais dont elle n’aura discuté que peu des dispositions en vigueur !
Le gouvernement peut faire valoir les statistiques relatives aux nombres d’heures de débats dans l’hémicycle.
Il n’empêche que le recours systématique à la procédure d’urgence finit par poser un véritable problème démocratique et constitutionnel.
Que le Gouvernement ait systématiquement recours à la procédure d’urgence revient à vider complètement de son sens la procédure, prévue par la Constitution, de la double lecture par chacune des assemblées.

Pourquoi existe-t-elle, si le Gouvernement peut systématiquement s’en dispenser sans porter atteinte à la qualité et à la nature des débats ?

Deuxième exemple : la loi portant réforme des retraites

Je ferai deux observations
1ère observation
Le 15 septembre le Président de l’Assemblée Nationale a décidé d’interrompre les discussions en séance publique sur le projet de loi portant réforme des retraites privant ainsi les députés inscrits de pouvoir expliquer les raisons de leur vote personnel.
Pourtant l’article 49 alinéa 13 du règlement de l’Assemblée nationale adopté sous la présidence actuelle de l’Assemblée Nationale et par la majorité actuelle de l’Assemblée dispose clairement que « Chaque député peut prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une explication de vote personnelle de cinq minutes. Le temps consacré à ces explications de vote n’est pas décompté du temps global réparti entre les groupes, par dérogation à la règle énoncée à l’alinéa 8. »
Malgré ces dispositions claires, et adoptées sous son autorité, le Président a refusé de les appliquer.
Aussi alors que je devais intervenir le mercredi dans le courant d’après-midi et que j’avais passé la nuit précédente à attendre mon tour, mon intervention a été purement et simplement supprimée de l’ordre de passage des députés. Je ne peux que le regretter et le dénoncer€¦
Qualifier de « moyen d’obstruction », la procédure de l’article 49 discutée et adoptée par l’Assemblée, ne peut manquer de surprendre…
Au pire les députés de la majorité n’étaient pas contraints d’écouter les députés de l’opposition€¦et auraient même pu les laisser parler seuls dans l’hémicycle.
L’explication en est comme cela me l’a été rapporté par des députés de la majorité que le Chef de l’Etat a pressé le Président de l’Assemblée de limiter la parole.

Deuxième observation

Sur ce projet le Gouvernement a, là encore, engagé la procédure accélérée ce qui a privé les députés d’une possible seconde lecture après l’adoption du texte par le Sénat et sa mise au point par une commission mixte paritaire.
A peine les conclusions de cette commission mixte paritaire étaient-elles connues le 25 octobre, que nous avons du dire le lendemain 26 octobre « oui » ou « non » sans possibilité d’amendement aux 118 articles soumis !

Troisième exemple, celui de la discussion de loi relative l’Immigration, l’intégration et la nationalité

Le 7 octobre à la treizième séance les députés socialistes, radicaux et citoyens ne disposaient plus que de seize secondes de temps de parole alors qu’il restait encore presque quarante articles à examiner
Les débats menés antérieurement ont connu une embolie née non pas de l’obstruction de l’opposition mais des amendements et propositions brusques de députés de la majorité tendant à modifier le droit du sol au profit du droit du sang ce qui a allongé la discussion générale.

Sur tous les autres sujets il n’y a malheureusement plus eu de débat à cause de la procédure ici, absurde du temps programmé.
Si vous relisez les débats vous verrez que la confrontation nécessaire à la démocratie, a été conduite sans jamais chercher ni l’outrance ni la démagogie.

La vérité, c’est qu’aujourd’hui, dans notre assemblée, il peut être difficile de conduire un débat au fond sur l’ensemble d’un texte. Le nouveau règlement de l’Assemblée nationale, oblige le débat à s’arrêter, et la confrontation, nécessaire en démocratie, à ne pas avoir lieu.

Le temps programmé trouvait sa justification dans les excès des techniques de « flibuste ». Ces abus ont pour une part disparu alors même que les outils de contrainte et de sur-contrainte à existent et ont été renforcés !

Quatrième et dernier exemple il s’agit des demandes de seconde délibération faite par le gouvernement.

Ainsi le 17 novembre au moment du vote en première lecture du projet de loi de finances pour 2011 le gouvernement a demandé une nouvelle délibération de l’article 48 et état B, ainsi que des articles 52, 56, 59, 60 bis, 60 decies, 66 ter, 86 quinquies et 90 de la seconde partie du projet de loi de finances. A cette occasion la majorité (UMP) est revenue sur ses votes. Si l’Assemblée (majorité et opposition)a consacré des heures à débattre de sujets importants (près de 40 séances publiques en première lecture) et à obtenir parfois des consensus pendant la discussion parlementaire le Gouvernement a pu remettre en cause une large partie de ce travail en une seule séance !
Plusieurs parlementaires de la majorité ont pu exprimer leur désarroi face à l’utilisation de cette procédure

M CARREZ rapporteur général (UMP) « J’ai pu suivre les discussions sur les crédit€¦autre volet de l’intervention du ministre touche aux recettes et à un certain nombre de dispositifs. Les accords pris ne correspondent pas aux différents amendements proposés dans la liasse et que vient de présenter le ministre. Je demande donc une suspension de séance. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et NC.) »

M SAUVADET ( Nouveau centre) « Je tiens à vous dire solennellement, monsieur le ministre, en tant que président d’un groupe qui appartient à la majorité, que le respect dû au Gouvernement est lié au respect par le gouvernement du travail du Parlement. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC, SRC et GDR et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Cet exemple est de nature à faire comprendre que si les réformes (le texte) sont importantes, la pratique, elle, est déterminante !

Au final je voudrais à ce titre faire deux remarques

1) Le nouveau règlement institue la possibilité d’un temps maximal d’examen et son corollaire : un temps de parole limité par groupe politique transformé en temps minimum identique.
Mais ce temps limité n’est pas mis en relation avec le temps global disponible. En commission des lois, la majorité a fait valoir que ce temps limité existait ailleurs.
Comparaison ne vaut pas raison : ladite procédure n’est pas mise en rapport avec le temps effectif global disponible pour la discussion par session.
Ainsi, au Royaume-Uni, ce temps par session est d’environ 700 heures, dont 650 au profit des textes gouvernementaux. Si un tel temps y existe, il y est justifié par le fait qu’une fois passée la session, en l’absence d’adoption, la discussion repart à zéro !

Cela renvoie donc à la question de la maîtrise de l’ordre du jour et de la gestion du temps disponible€¦par celui qui en a la responsabilité juridique à titre principal, et donc, dans nos institutions au Gouvernement
De ce point de vue les exemples de non gestion des priorités gouvernementales sont nombreux !

2) Un encadrement strict du temps de discussion générale aurait pu s’accompagner d’une réglementation du temps de parole lors de la discussion des amendements basée par exemple sur une quotité de temps qui soit dégressive mais minimale par défendre chaque amendement.