Marietta KARAMANLI, à propos de la réforme de la discussion parlementaire, « Le risque est grand de transformer les députés en spectateurs muets »

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Le 14 janvier je suis intervenue lors de la discussion générale sur le projet de loi organique (visant à mettre en Å“uvre la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République) et relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
Ces trois articles de la Constitution traitent respectivement du droit des députés à déposer des propositions de lois, du partage du droit d’initiative législative entre gouvernement et parlement enfin du droit d’amendement des députés.
Le projet tend à 1) limiter le droit de résolution des députés en leur interdisant de prendre des résolutions qui auraient le caractère d’injonction à l’égard du gouvernement, 2) restreindre le droit des députés à s’opposer à l’inscription de l’ordre du jour de l’Assemblée d’un projet de loi qui méconnaîtrait les dispositions de la dite loi organique, enfin 3) encadre le droit d’amendement en limitant le délai de dépôt des amendements, en empêchant la discussion de ceux non déposés avant la séance mais en affirmant, à l’inverse, le droit du gouvernement de le faire €¦rompant ainsi le principe d’une discussion contradictoire..
Mon intervention était la dernière de la discussion générale, les autres séances ayant été par la suite consacrées à l’examen des articles du projet et à la discussion des amendements déposés par les députés.
J’y explique clairement les raisons de la crainte des députés de Gauche que la réforme projetée ne se fasse au détriment de la discussion publique et contradictoire, en muselant l’opposition d’aujourd’hui€¦et de demain, et n’aboutisse à reporter du parlement vers la rue la discussion que le Président et sa majorité n’auront pas tolérer au sein du Parlement.
Mon intervention explique aussi de quelle façon en modifiant techniquement une discussion on la prive de son moteur politique : la transparence, la contradiction et in fine la démocratie.
Certains dirigeants de l’UMP ont parlé d’obstruction et « sabotage ». Dans un prochain article j’aurais l’occasion, en publiant les amendements présentés et soutenus et les explications et motivations données à l’appui, de montrer que notre démarche était positive et non paralysante !


Voici le texte intégral de mon intervention en séance publique le 14 janvier dernier.

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*M. le président.* La parole est à Mme Marietta Karamanli, dernière oratrice inscrite.

*Mme Marietta Karamanli .*

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, trois dispositions du présent projet de loi organique nous inspirent de légitimes craintes : la limitation du droit d’amendement des députés aux seuls amendements adoptés en commission, après un délai qui sera éventuellement raccourci ; la possibilité donnée au seul Gouvernement de déposer des amendements après l’examen en commission ; la limitation du temps de la discussion, de façon à proscrire tout débat sur les amendements.

Nos craintes tiennent à trois raisons essentielles.

La première est l’importation de dispositifs de « surcontrainte », lesquels ont une finalité orthopédique, c’est-à-dire, étymologiquement, de nature à rendre droits les enfants. En l’occurrence, il s’agit de corriger les éventuelles défaillances d’une majorité.

Ces dispositifs existent dans d’autres parlements, mais leur importation dans un environnement qui n’est pas celui d’un régime parlementaire pose problème.

Notre régime a en effet ceci de particulier qu’il cumule l’élection au suffrage universel d’un Président puissant, l’existence d’une majorité parlementaire qui dépend de ce dernier, et un contrôle de constitutionnalité qui, historiquement, fut créé non pour protéger les libertés mais pour surveiller le Parlement et le limiter dans ses initiatives.

Autrement dit, le projet gouvernemental nous propose d’enserrer et de contraindre davantage encore le Parlement.

Le secrétaire général de l’Élysée, Premier ministre /bis/, a déclaré sur une chaîne privée, pas plus tard que dimanche dernier, qu’il s’agissait d’empêcher le « sabotage » et de faire passer les réformes présidentielles. En économie, le sabotage est un acte matériel tendant à empêcher le fonctionnement normal d’un service ; mais en régime parlementaire, faire délibérer des députés, leur permettre de s’exprimer parfois longuement et de contester, sous l’Å“il vigilant des citoyens et de l’opinion publique, c’est assurer le fonctionnement normal de la démocratie.

*Mme Chantal Robin-Rodrigo .* Très bien !

*Mme Marietta Karamanli .*
Le deuxième motif de notre refus des outils qui visent à amoindrir l’opposition est l’absence de contre-pouvoirs. Dans les régimes parlementaires où de tels dispositifs existent, ils ne sont que des éléments d’un ensemble dont la balance est globalement plus favorable aux députés.

J’en prendrai deux exemples.

Le temps guillotine, d’abord. Celui-ci existe au Royaume-Uni, mais il se justifie par le fait que, passée la session, en l’absence d’adoption, la discussion repart de zéro. Si une telle procédure est introduite en France, elle devrait donc être mise en rapport avec le temps effectif global disponible pour la discussion législative par session, et notamment le temps attribué pour la discussion des textes issus du couple exécutif-majorité parlementaire.

Deuxième exemple : la limitation de la discussion en séance publique des amendements, qui existe aussi au Royaume Uni. Mais la différence, c’est que le Parlement y vote une première fois le projet de loi en bloc avant de le renvoyer en commission, afin qu’il y soit discuté et voté article par article ; de plus, il existe une pratique « constitutionnelle » selon laquelle certaines lois sont naturellement de la compétence du Parlement.

Rien de tel en France ! Quelles sont donc les garanties données en contrepartie de la diminution de nos capacités de présentation, de discussion et d’expression sur les textes ? Je ne les vois pas.

Le troisième et dernier motif de nos craintes tient à une utilisation sans limite de ces dispositifs. Le Gouvernement et sa majorité auront en effet toute possibilité d’utiliser ensemble tout cet appareillage de contrainte. Il y a la loi et la façon dont on l’applique, dont on y recourt. Le danger est que le couple Gouvernement-majorité parlementaire n’accepte plus les amendements des députés au-delà d’un délai fixé bien en amont de la discussion, dépose les siens au dernier moment, y compris pour autoriser une délégation législative « furtive » €“ laquelle permettrait à l’exécutif de rédiger à la place des députés €“, et limite, enfin, l’examen de l’amendement à une lecture sans discussion.

On le voit, les dangers sont grands à importer des procédures de « surcontrainte » dans un régime déséquilibré, sans contrepartie donnée aux députés et à l’opposition, qui plus est avec le risque d’une utilisation sans limite.

*Mme Chantal Robin-Rodrigo .* Très bien !

*Mme Marietta Karamanli .* Le risque est grand de transformer les députés en spectateurs muets, en un mot, de priver le Parlement de sa dignité et la démocratie du conflit pacifique dont elle a besoin. /(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)/

*M. Roland Muzeau .* Très bien !

*M. le président.* La discussion générale est close.