Marietta KARAMANLI demande une meilleure prise en compte des préoccupations sociales et environnementales en matière d’échanges économiques et commerciaux et renouvelle sa proposition de mise en place d’un mécanisme de compensation pour mobiliser les excédents financiers en faveur du développement

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Lors de la réunion de la commission des affaires européennes qui a examiné un projet de rapport d’information de Mmes Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort sur le « juste échange » au plan international, j’ai rappelé la nécessité de tenir compte des préoccupations sociales et environnementales dans le cadre des échanges économiques et commerciaux internationaux.
J’ai rappelé aussi que j’avais, avec notre collègue Hervé GAYMARD, défendu la mise en place d’une caisse de compensation.
A notre initiative, lors de la présentation d’un rapport sur le cycle de Doha, la commission avait appelé les institutions internationales à prendre en compte les équilibres ou déséquilibres des échanges commerciaux en engageant une réflexion sur un mécanisme capable de mobiliser les excédents financiers d’une partie du monde au financement du développement de l’autre partie.
Il s’agit d’inviter l’Union Européenne en liaison avec le FMI, l’OMC et la Banque mondiale, à engager une réflexion sur la mise en place d’un mécanisme de compensation multilatérale entre Etats excédentaires et Etats déficitaires, en liant les problématiques du commerce, de la dette et des finances.
Cette idée a fait l’objet d’une attention particulière Mme LEFORT appelant à une réflexion sur le sujet. Elle avait rappelé préalablement que nous avions, M GAYMARD et moi-même, défendu le multilatéralisme dans les négociations internationales, qui ne laisse pas seuls les Etats les moins forts économiquement dans le cadre des négociations.


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Commission des affaires européennes, mardi 4 février 2014 16 h 15

II. Examen du rapport d’information de Mmes Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort sur le « juste échange » au plan international

Mme Seybah Dagoma, co-rapporteure.

Avant toute chose , je voudrais rappeler que le sujet de nos travaux était le juste échange au plan international et non le juste échange au plan européen. Définir les conditions et les contours de la mise en Å“uvre d’un juste échange comme principe de régulation du commerce international revêt aujourd’hui une importance majeure. En effet, en France et en Europe en particulier, la mondialisation, fondée sur la doctrine du libre-échange, est très fortement remise en cause. Y sont notamment associées les délocalisations, l’accroissement des inégalités, la dérégulation financière et la concurrence déloyale entre les différents acteurs mondiaux. Qui plus est, sur notre continent, les citoyens ne perçoivent majoritairement plus l’Union européenne comme un rempart contre une mondialisation non maîtrisée, mais, au mieux, comme un spectateur passif et inutile, au pire comme le « Cheval de Troie » d’un libéralisme international sans contrepoids dont ils seraient, au premier chef, les victimes. Les Européens, et singulièrement nos compatriotes, semblent avoir le sentiment que le monde de demain se dessine sans eux et que rien n’est fait pour empêcher cet inexorable déclin avec les conséquences politiques que l’on sait.

Il est indiscutable que la crise qui a frappé le monde en 2008 a renforcé cette défiance, mais le « basculement du monde » est une réalité qui a précédé la tornade déclenchée par l’éclatement de la bulle immobilière américaine et l’effondrement de la banque Lehman Brothers. Depuis deux décennies, en effet, les contours de l’économie mondiale ont été transformés et de nouveaux acteurs de premier plan sont progressivement apparus. La conséquence en a été la fin d’une forme d’hégémonie occidentale et le déplacement du centre de gravité économique de la planète vers d’autres régions, en particulier la zone Asie-Pacifique. Quelques chiffres illustrent ce bouleversement : en 1990, les pays du Sud assuraient le tiers de la production mondiale. Ils en produisent près de la moitié aujourd’hui. En 1950, la Chine, l’Inde et le Brésil ne représentaient que 10 % de la production économique mondiale, alors que les six puissances traditionnelles du Nord comptaient pour plus de la moitié. Dans quelques années, leur PIB cumulé dépassera celui des cinq premières économies mondiales actuelles. Les échanges commerciaux, qui ont explosé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, représentent désormais 30 % du PIB mondial. Il y a vingt ans, 60 % de ces échanges s’effectuaient entre les pays du Nord, 30 % étaient orientés Nord-Sud et 10 % étaient réalisés entre les pays du Sud ; aujourd’hui, les proportions sont d’un tiers dans chaque sens.

À l’évidence, cette nouvelle donne internationale remet en cause les positions acquises. Elle s’est accompagnée d’une nouvelle division du travail. Auparavant le système était fondé sur la domination des pays industrialisés. Les pays du Sud exportaient des matières premières et des produits agricoles tandis que les pays du Nord exportaient des produits manufacturés. Aujourd’hui, la nouvelle division du travail fait qu’un pays peut à la fois importer et exporter un même produit. Les échanges internationaux se caractérisent par une fragmentation des chaînes de valeur. Le processus consiste à diviser la fabrication d’un produit dans plusieurs lieux et de le réunir pour l’assemblage final. Les multinationales utilisent de la sorte les avantages comparatifs propres à chaque pays au sein d’une stratégie élaborée à l’échelle internationale. Autrement dit, les biens et services sont composés d’intrants provenant de différents pays et une part importante des importations de produits intermédiaires servent à produire les produits exportés. Cette fragmentation de la production enlève à peu près toute pertinence au concept mercantiliste traditionnel selon lequel les importations doivent être comptabilisées en négatif et les exportations en positif. De fait, ce sont les pays qui importent le plus qui exportent le plus et qui tirent le plus profit de leur participation au commerce international.

Plus patent encore, la mondialisation et la libéralisation des échanges ont contribué à l’affaiblissement des États, au profit d’une puissance nouvelle conférée aux grandes entreprises multinationales, qui sont en mesure de jouer des avantages comparatifs qu’elles trouvent dans les différents pays du globe, pour optimiser à la fois leurs coûts de production et leur efficacité commerciale. Ce constat étant posé, il convient de s’interroger sur les conséquences de cette libéralisation des échanges internationaux. En d’autres termes, de se demander si la population mondiale, dans son ensemble, a bénéficié des bienfaits du libre-échange, où se dessinent très clairement deux camps, celui les vainqueurs et celui des perdants. Il est indiscutable que la mondialisation a eu des effets positifs. Elle a ainsi permis à plusieurs centaines de millions d’individus, dans le monde, de sortir de la pauvreté et d’accéder à un niveau de vie plus élevé. C’est notamment le cas des grandes puissances émergentes, regroupées sous l’acronyme BRICS, qui sont généralement considérées comme les grandes gagnantes de la mondialisation et comme celles qui seront les moteurs de la croissance économique des années à venir. Pour autant, cet enrichissement global ne doit pas occulter le fait que le libre-échange a également été un fort facteur d’inégalités, au l’intérieur même de ces ensembles. Les cas de la Chine, de l’Inde ou du Brésil, dont la situation est analysée dans notre rapport, sont à ce titre tout à fait révélateurs. En Chine, par exemple, les différentiels de revenus entre la zone côtière fortement industrialisée, et les provinces centrales et occidentales, encore très rurales, sont énormes allant du simple au double. Au Brésil, dont l’essor s’est quelque peu essoufflé depuis 2012, la hausse générale du niveau de vie s’est appuyée sur des pratiques protectionnistes qui se révéleront difficilement tenables à moyen terme. Si l’on se réfère au coefficient de Gini qui mesure, de 0 à 1, les inégalités – le niveau 0 représentant l’égalité parfaite et un niveau de 0,6 étant très inégalitaire -, la Chine a un coefficient de Gini de 0,61 et le Brésil de 0,54. À cela s’ajoute, dans ces deux pays, le lourd coût environnemental de la croissance économique.

D’autres pays, en émergence, ont également tiré profit de la mondialisation. En Asie du Sud-Est, en Afrique de l’Est, plusieurs états affichent des taux de croissance élevés et apparaissent comme de nouveaux eldorados. Pourtant, les inégalités y sont aussi criantes et le prix à payer pour le développement économique est parfois prohibitif. On se souvient notamment de l’effondrement du Rana Plaza, en 2013, au Bangladesh, qui avait causé la mort de 1 127 personnes. Dernière catégorie, au sein des pays en développement, ceux dont il est clair qu’ils sont encore aujourd’hui les « laissés pour compte » de la mondialisation. Ainsi, les 49 pays les moins avancés (PMA) réalisent à peine plus de 1 % du commerce mondial. Cette faible participation au commerce international s’illustre très symboliquement par le fait qu’aucune saisine de l’Organe de règlement des différends de l’OMC n’a été le fait de l’un de ces PMA, faute d’expertise juridique, d’avocats et d’équipes techniques. S’ils ont accru, en moyenne de 7 à 8 % le volume de leurs exportations au cours des 10 dernières années, la valeur de ces exportations n’a, en revanche, que peu augmenté. Il en a résulté une diminution sensible du taux de couverture des exportations par les importations et une très forte dépendance aux prix des produits de base, en particulier des denrées alimentaires. Le modèle proposé par les organisations internationales d’une croissance tirée par les exportations s’est avérée, pour ces pays, un échec.

Dans les pays industrialisés, enfin, la mondialisation a permis un enrichissement global indéniable et offert plus de choix pour les consommateurs. Elle a ainsi accompagné les 30 Glorieuses, au cours desquels l’Europe de l’après-guerre a rattrapé le niveau de vie des États-Unis. Aujourd’hui, pourtant, nous l’avons vu plus haut, elle a été perçue comme une menace, singulièrement en Europe et en France. Une menace sur les industries locales, avec des pertes d’emplois avérées, et sur le modèle social, dont le coût est jugé trop élevé, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée. De manière peu amène, l’Europe a souvent été considérée comme « l’idiot de la mondialisation ». Pour brutale qu’elle soit, cette assertion n’est pas, loin s’en faut, dénuée de fondement. Elle repose sur deux constatations : la première est que l’Union européenne, sous la houlette d’une Commission idéologiquement très attachée au libre-échange, se comporte comme le « bon élève » de la mondialisation et de l’OMC. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne ses marchés publics, ouverts à plus de 85 %, alors que ceux de ses concurrents directs ne sont souvent ouverts qu’à moins de 35 % (aux États-Unis (32 %), au Japon (28 %) ou au Canada (16 %), par exemple). Nous l’avions rappelé lors de la présentation de la proposition de résolution sur l’instrument de réciprocité sur les marchés publics. La seconde est que, faute d’harmonisation sociale et fiscale, les états membres de l’Union se livrent entre eux à une concurrence fiscale mais aussi sociale souvent déloyale, fondée notamment sur des pratiques de dumping social. On a beaucoup parlé de la directive relative au détachement des travailleurs qui est un véritable problème. Je voudrais vous livrer quelques chiffres montrant les divergences entre États membres. Il ressort du rapport d’Yvon Jacob, ambassadeur de l’industrie, que les écarts de coût moyen de salaire vont de 1 à 15 entre la Bulgarie et la Suède. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée varie de 8 % au Luxembourg et de 25 % en Slovaquie et en République tchèque et celle de la part de l’industrie de 10 % à Chypre et de 27 % en République Tchèque. Un récent rapport de l’INSEE montre qu’en France, entre 2009 et 2010, 20 000 suppressions d’emplois ont été le fait des délocalisations et celles-ci se sont réalisées majoritairement vers l’Union européenne, à 38 % vers les États de l’Union européenne à quinze et à 22 % vers les nouveaux États membres.

Il s’agit là du véritable effet pervers de la doctrine libre-échangiste. Faute de règles claires et d’instance qui soit en capacité de les faire respecter, la mondialisation a entrainé des pratiques contraires à la mise en Å“uvre du multilatéralisme régulé que la création du GATT puis de l’OMC devait promouvoir. Ces pratiques, analysées dans notre rapport, sont de plusieurs ordres. Elles consistent tout d’abord à ne pas respecter les règles du multilatéralisme, à rebours des préceptes de l’OMC, qui visent à « garantir une concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions » et de ne pas adopter une politique protectionniste . Elles se traduisent également par des manquements aux engagements pris dans le cadre de l’OMC. Concrètement, alors que les barrières tarifaires sont historiquement basses et ne concernent que quelques secteurs sensibles, comme l’agriculture pour des raisons de souveraineté alimentaire, de trop nombreux pays mettent en Å“uvre des dispositifs non tarifaires entravant le commerce. L’OMC parle ainsi de « mesures de substitution » par lesquelles les pays contournent leurs obligations : les mesures non tarifaires sont substituées à des droits de douane. Il est ainsi indiqué, dans le rapport conjoint de l’OMC, de l’OCDE et la CNUCED rendu public le 18 décembre 2013 que les principales économies mondiales ont mis en place entre mai et novembre 2013, 116 nouvelles mesures restrictives contre 109 les six mois précédents. Ces nouvelles mesures affectent près de 1,1 % des importations de marchandises des pays du G20, soit près de 0,9 % du total des importations dans le monde. On peut ainsi parler d’un « protectionnisme de la norme » fait de réglementations techniques et de dispositifs relatifs à la protection de la santé et des consommateurs. On peut citer l’exemple du Japon qui met en Å“uvre des dispositifs protectionnistes sous forme de normes techniques et sanitaires. Un faible nombre d’additifs alimentaires sont ainsi autorisés, ce qui restreint de fait l’accès au marché japonais de nombreux produits du secteur agroalimentaire. Les normes sont particulièrement restrictives dans les domaines médical et pharmaceutique. De la même façon, comme je l’avais souligné lors du débat sur le mandat de négociation sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis, ces derniers ayant recours à un ensemble de mesures protectionnistes, dont celle qui réserve le cabotage entre ports américains aux seuls navires battant pavillon américain et fabriqués aux États-Unis.

Ces pratiques se manifestent aussi par le recours à l’arme monétaire, en contradiction avec l’article XV du GATT, repris par l’OMC, qui stipule que les pays doivent « s’abstenir de toute mesure de change qui irait à l’encontre des dispositions du commerce international ». Cependant, l’OMC n’a aucune compétence régulatrice en la matière et est tenue de renvoyer à l’avis du FMI, dont les statuts interdisent de manipuler les taux de change pour obtenir des avantages comparatifs, toute question relative aux régimes de change, aux réserves et à la balance des paiements. L’OMC n’est jamais intervenu.

À l’évidence, il apparaît donc que le libre-échange, voulu comme un vecteur de développement international partagé, a touché ses limites et n’a pas permis de créer, à l’échelle du monde, les conditions d’échanges justes, fondés sur la réciprocité.

Pour autant, il n’est aucunement question de défendre l’idée d’une « démondialisation ». Nous savons que le commerce constitue un des vecteurs de croissance pour le monde d’aujourd’hui et de demain. Rappelons quelques chiffres et faits. En 2020, 90 % de la croissance économique globale devrait être le fait des pays situés en dehors de l’Union européenne. 60% des échanges se font au niveau intracommunautaire. S’agissant des perspectives démographiques, à l’horizon de 2030, la Chine, l’Afrique et l’Inde compteront chacune1,5 milliard d’habitants tandis que les européens ne seront que 520 millions. La jeunesse se trouvera très majoritairement dans ces zones et en raison du chômage de masse , constitueront des réserves de main d’Å“uvre que les multinationales utiliseront. S’agissant du capital humain, calculé en fonction des années d’études et du nombre de jeunes, il sera situé à hauteur de 50 % dans ces zones. Enfin, 70 % de la classe moyenne seront situés dans ces zones.

C’est justement à l’aune de ce constat que nous souhaitons que puisse être mise en Å“uvre, dans l’intérêt de tous, une régulation du commerce international et que l’Union européenne soit le moteur de cet indispensable initiative. Tout comme elle doit être pionnière en matière de transition énergétique, l’Europe doit porter l’idée et la mise en place d’un commerce loyal, équitable, respectueux des normes internationales, en un mot, conforme aux exigences d’un « juste échange ».

Évaluer ce qui est juste ou injuste dans les rapports commerciaux n’est pas aisée. Cette notion de « juste » implique, en effet, un jugement moral. Or, d’aucuns considèrent que dans les affaires, ce qui est juste est ce sur quoi les parties prenantes se sont mises d’accord. Autrement dit, leur référence est le contrat. Le juste échange a donc une connotation morale et même philosophique, renvoyant à la théorie de la justice dans l’échange de Saint Thomas d’Aquin.

Ceci posé , le juste échange s’appuie sur trois principes majeurs. Tout d’ abord, la notion de juste échange implique que chacun prenne la part qui lui revient dans l’effort commun et suppose l’émergence d’un accord sur des « règles du jeu universelles ». Cette conception du juste échange fait référence aux biens publics mondiaux, au nombre desquels figurent la préservation de l’environnement, un système monétaire stable, la protection de la biodiversité ou des conditions de travail décentes. Il est nécessaire de concilier cette conception du juste échange avec le principe des « responsabilités communes mais différenciées ». Ensuite, le juste échange suppose la réciprocité. Enfin, l’Europe doit s’affirmer comme la figure de proue d’un multilatéralisme rénové, qui permettrait de rééquilibrer les bénéfices des échanges internationaux au profit des nations jusqu’alors restées à l’écart de la mondialisation.

Cela suppose que les États membres de l’Union parviennent à surmonter les différences de situations commerciales, entre des pays du Nord, dotés d’un appareil productif efficace, et qui fondent leur prospérité sur les exportations, et des États du Sud, en prise à de nombreuses difficultés structurelles. Elle devra également surmonter les différences entre tenants du libre-échange, pour des raisons idéologiques ou par peur de représailles, et ceux qui souhaitent un renforcement de la régulation.

Défendre un juste échange suppose en effet que les États de l’Union s’engagent à ne plus adopter de stratégies « gagnants /perdants » et à endosser une responsabilité normative commune particulière : tout à la fois respecter et faire respecter les règles existantes (y compris multilatérales, plurilatérales et bilatérales) et promouvoir des normes, en particulier environnementales et/ou sociales, rendues opposables au commerce. La tâche est ardue. Mais l’Europe a des atouts indéniables. Elle reste aujourd’hui le premier marché, le premier exportateur et la première économie du monde. Il ne tient qu’à elle de savoir-faire mieux entendre sa voix sur la scène mondiale.

La proposition de résolution qui vous est présentée dessine les contours d’un juste échange, qui constituerait le cadre de cette nécessaire régulation.

Mme Marie-Louise Fort, co-rapporteure.

Avant de vous présenter la proposition de résolution, je voudrais indiquer que dès le début de nos travaux, j’ai émis de fortes réserves sur la notion de juste échange qui a été bien souvent galvaudée. Derrière le juste échange se cachent parfois des tentations protectionnistes. Il faut s’en prémunir : l’Europe a intérêt à être une économie ouverte car l’économie mondiale est très fortement dépendante des échanges qui représentent plus de 30 % du produit intérieur brut mondial. Je dois souligner que le juste échange est un argument très français qui est très peu compris et soutenu par les autres États européens. Par ailleurs, le juste échange ne doit pas constituer un argument pour justifier notre déficit de compétitivité. Ce n’est pas en instaurant le juste échange que l’on va faire remonter le niveau des investissements étrangers en France qui a chuté de 77 % en 2013 alors que l’Allemagne a vu ces investissements quadrupler la même année. En Espagne, ils ont progressé de 37 % !

Depuis le moment où nous avons commencé nos travaux €“ voilà plus d’un an- les choses ont évolué et le juste échange a eu le temps de devenir une idée dépassée !

Quand Henri Weber nous l’a exposée à Bruxelles, la revendication d’un juste échange pouvait apparaître comme une idée soutenable…. Mais les situations changent et très vite ! Aujourd’hui, les économies des grands émergents montrent des signes de faiblesse évidents. La croissance de la Chine-même si un taux de plus de 7 % cette année a de quoi faire rêver les gouvernements occidentaux- marque le pas depuis deux ans. Les monnaies des émergents accusent le choc du nouveau tournant pris par la Banque centrale américaine qui s’est engagée vers une politique monétaire beaucoup plus restrictive.

Il est vrai que la mondialisation a indéniablement donné un avantage comparatif aux pays ayant une main d’Å“uvre bon marché et une réglementation moins rigoureuse en matière environnementale. Mais là aussi, les choses ne sont pas immuables. Le niveau des salaires reflète en partie l’efficacité d’une économie. Ainsi, en Chine, les salaires augmentent. Le salaire moyen mensuel y est de 380 euros, avec une hausse de 18 % en 2012. On commence à y faire payer des droits à polluer avec l’ouverture de marchés carbone régionaux.

Comme Seybah Dagoma l’a rappelé, l’essentiel de notre commerce se fait à l’intérieur de l’Europe. C’est là que sont les premiers différentiels de productivité et les atteintes à la concurrence loyale. L’Allemagne nous dame le pion et l’Espagne rétablit peu à peu la situation de ses exportations. Ne nous trompons pas de combat ! Sur l’instrument de réciprocité, la ministre du commerce extérieur comptait sur une alliance de la France avec certains pays européens, pour faire aboutir le projet au sein des institutions européennes mais rien ne se fera sans l’Allemagne.

En fait, derrière la notion de juste échange, se trouve celle de réciprocité qui était déjà défendue par Nicolas Sarkozy ; elle l’est aujourd’hui par Michel Barnier à la Commission européenne.

C’est Michel Barnier aussi qui a Å“uvré pour qu’un accord se fasse au Conseil européen et à la Commission européenne sur la transparence des industries extractives afin de préserver les droits des pays en développement. Le précédent gouvernement avait porté haut la revendication d’accords de partenariat économique porteurs de développement pour les pays d’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes. Hervé Gaymard l’avait rappelé devant notre commission en présentant son rapport sur ce sujet.

Il avait aussi, conjointement avec Marietta Karamanli, défendu énergiquement le multilatéralisme contre le bilatéralisme.

Gilles de Robien poursuit, à la tête de l’Organisation internationale du travail, l’objectif d’une mondialisation juste et durable.

La Charte de l’environnement qui a inscrit dans notre Constitution le principe de précaution a été portée par Jacques Chirac. Dans le rapport sur la Chine que nous avions fait avec mon collègue Jérôme Lambert, nous avions regretté les entraves à la libre concurrence et le difficile accès aux marchés de ce pays et avions plaidé pour un rééquilibrage des relations et la définition d’une stratégie européenne commune.

Malgré les réserves sur la notion même de juste échange, je souscris à la proposition de résolution.

Cette proposition de résolution rappelle qu’il faut avant tout défendre le multilatéralisme, en incluant des enjeux sociaux et environnementaux et de sécurité alimentaire et en revoyant le traitement spécial et différencié afin de prendre en compte les nouveaux équilibres économiques mondiaux.

Nous indiquons que le juste échange est aussi une question européenne et qu’une harmonisation sociale et fiscale s’impose. Je pense que notre collègue Chantal Guittet nous le rappellera tout à l’heure .

Nous insistons sur la nécessité pour l’Europe de définir une position cohérente et unie, sur la base du principe de réciprocité à l’égard de nos partenaires développés et émergents et sur le principe d’équité pour les pays en développement. L’Europe doit faire une utilisation renforcée de l’ensemble des instruments unilatéraux à sa disposition – droits antidumping, saisine de l’Organe de règlement des différends – et instaurer un instrument de réciprocité sur les marchés publics. Tous les cadres de négociation- accords de libre-échange, accords sur les investissements, accord plurilatéral sur les services €“ doivent être l’occasion, pour l’Union européenne, d’obtenir des engagements de traitement équitable et non discriminatoire et de respect des préférences collectives de la part de ses partenaires. Les accords de libre-échange, par le biais de leur chapitre sur le développement durable, constituent un levier pour faire avancer l’application de normes sociales et environnementales. Pour cela, les négociations doivent être précédées d’études d’impact et suivies de mesures d’application. La Responsabilité sociale des entreprises promouvant les principes directeurs de l’ONU et de l’OCDE doit également être renforcée pour éviter des accidents dramatiques comme celui survenu au Rana Plazza. S’agissant de l’environnement, l’union européenne porte une responsabilité particulière et vient de présenter son projet de paquet énergie climat qui contribuera, on l’espère, à un accord climatique équitable en 2015 lors de la Conférence de Paris. Si la solution multilatérale échouait, la question de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières, ainsi que Nicolas Sarkozy l’avait défendue en son temps, devrait être posée.

Nous appelons à une coordination monétaire multilatérale et à une politique de change européenne.

Enfin, nous avons considéré que la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation est une condition fondamentale du juste échange. Ce point est d’une importance particulière pour les pays en développement.

….

Mme Marietta Karamanli.

Je voulais saluer le travail des rapporteures qui témoigne, ainsi que cela l’a été souligné, de la constance de la position de notre commission qui avait adopté en novembre 2011, un rapport sur le cycle de Doha.

Devant l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations multilatérales, nous avions proposé, avec Hervé Gaymard, qu’il y ait une meilleure articulation entre les règles sociales et environnementales avec les règles du commerce.

La proposition soulignait également l’exigence d’une équité d’ensemble des échanges avec la mise en place d’un mécanisme de compensation prenant en compte l’endettement des pays. Ces deux points pourraient être repris.

….

Mme Marie Louise Fort, co-rapporteure.

S’agissant des propositions de Marietta Karamanli, l’inclusion des préoccupations sociales et environnementales dans le cadre du multilatéralisme est présente dans la proposition. Quant à l’instauration d’un mécanisme de compensation entre États excédentaires et déficitaires, la question mérite d’être examinée de plus prés.