Je suis intervenue mercredi 8 février dernier en séance publique lors de la discussion de la proposition de loi déposée par Monsieur Jacques Grosperrin, député UMP et relative à la modification de certaines dispositions encadrant la formation des maîtres (n° 4151, 4235).
Cette proposition a été discutée selon la procédure dite accélérée soit avec une seule lecture par chaque chambre, Assemblée Nationale et Sénat, alors que normalement la procédure est de deux lectures et votes.
Je suis intervenue pour dénoncer un texte qui annonce la fin d’un monopole du service public pour la formation des enseignants, une absence d’évaluation de ce qu’ont été les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et un défaut de pertinence globale de la réforme de la formation qui prive les maîtres et enseignants de toute formation devant une classe et en situation, une aberration selon moi.
J’ai voté contre ce texte.
Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2011-2012, Compte rendu intégral, Deuxième séance du mercredi 8 février 2012
Proposition de loi relative à la modification de certaines dispositions encadrant la formation des maîtres (n° 4151, 4235).
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Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons est un étrange objet législatif, dans la mesure où son examen, a priori justifié par un souci de cohérence juridique, peine à mettre en évidence sa pertinence.
Elle vient en conclusion de la réforme de la formation des enseignants, qui est apparue pour ce qu’elle est, à savoir un expédient pour faire des économies à court terme, sans souci de l’efficacité des conditions de transmission des savoirs et de l’apprentissage du savoir vivre ensemble.
Cette proposition vise à faire juridiquement des universités la seule référence en matière de formation des maîtres en tirant la conséquence de l’intégration des IUFM dans les universités.
Elle se félicite au passage de l’allongement de la formation initiale €“ et donc théorique €“ des maîtres et professeurs. Je reviendrai sur cette assertion qui, sur le papier, paraît améliorer les choses, alors qu’elle marque la fin de l’idée de qualité pédagogique acquise par l’enseignement et le métier même.
De plus, la proposition de loi supprime toute référence au cahier des charges de formation, déjà abrogé par un arrêté ministériel qui a lui-même été annulé par le Conseil d’État en novembre 2011 au motif que le parallélisme des formes n’avait pas été respecté eu égard à la nature même de cet élément structurant prévu par le code de l’éducation.
Les organisations syndicales d’enseignants ne s’y sont pas trompées. Certaines voient dans ce texte la volonté d’enterrer, avant inventaire, la moindre trace des IUFM. D’autres y voient le dernier acte de la fin de la formation professionnelle des enseignants.
En fait, derrière la cohérence juridique, se cachent la fin d’un monopole, une absence d’évaluation de ce qu’ont été les IUFM et un défaut de pertinence globale de la réforme de la formation de ceux à qui les familles françaises confient leurs enfants et souvent l’espoir d’un avenir meilleur, pour eux comme pour elles.
En ce qui concerne la question de la fin du monopole de l’IUFM, la nouvelle rédaction proposée pour l’article L. 625-1 du code de l’éducation commence de la façon suivante : « La formation des maîtres est assurée [€¦] notamment par les universités ».
Les députés les plus éminents de la majorité à la commission des lois ont souvent condamné le recours à des adverbes, en particulier le terme « notamment ». Je suis surprise de voir que, si la majorité ne veut plus que l’on évoque les IUFM, elle laisse entendre que les universités ne seront pas les seules à assurer la formation. Qui sera alors à leurs côtés ?
Derrière cette formulation lâche €“ au sens d’une rédaction qui n’est pas resserrée €“, se profile, au détour d’une phrase, la fin d’un monopole dont les conséquences ne sont ni clairement affichées ni assumées.
Au-delà de la formulation, est posée la question plus fondamentale de savoir si les IUFM, qui sont une composante des universités, ne valaient pas mieux que le sort que leur réserve ce texte, qui, derrière un mobile juridique, veut en finir définitivement avec la formation professionnelle en lien avec l’exercice du métier.
On observe aussi une absence d’évaluation des IUFM et une volonté de ne pas reconnaître leurs ressources. Ces dernières, que les universités ayant intégrés les IUFM ont globalement préservées, ont un double mérite.
D’une part, elles existent ; d’autre part, elles constituent un capital social d’expériences et de compétences qui devraient être non pas liquidées mais valorisées.
Il aurait été bienvenu, avant de supprimer les IUFM, d’évaluer sereinement et complètement ce qu’ils ont apporté et ce qu’ils n’ont pu faire. Le législateur se serait honoré en le faisant.
Je note d’ailleurs que le rapport Jolion, rédigé à la demande du ministre de l’enseignement supérieur, n’a suscité que peu de réactions officielles. Il évalue pourtant les effets de la réforme dite de mastérisation de la formation des enseignants, que la proposition de loi entend parachever. Je me contenterai de citer son auteur sur un seul point. Selon lui, la réforme « pose la question de la mission des IUFM et, de fait, de leur statut ». [€¦] Tout en étant clairement partie intégrante du système universitaire, [les IUFM] ont une mission territoriale très spécifique qui pourrait mieux s’accorder avec le statut de service commun de formation ou d’école professionnelle externe. Bien sûr, cette modification statutaire d’une part implique l’accord de toutes les universités associées et d’autre part ne doit pas remettre en cause la capacité des IUFM à porter pleinement une Å“uvre de formation comme les masters associés au concours de professeur des écoles ».
Ce rapport, qui a fait l’objet de nombreux commentaires dans la communauté éducative, semble tout simplement avoir été perdu de vue ici.
Je ne peux m’empêcher de voir derrière le mobile juridique qui sert de justification à cette proposition une volonté idéologique et court-termiste d’en finir complètement avec la formation professionnelle.
En 2006 €“ c’était hier et pourtant, au vu des réformes menées sans conscience depuis 2007, c’est déjà une autre époque €“ le Haut Conseil de l’éducation rendait un intéressant rapport sur la formation des maîtres.
Il y énonçait
- qu’un professeur doit être un professionnel de l’enseignement de sa ou de ses disciplines à des groupes d’élèves ;
- qu’enseigner est un métier et que l’enseignant doit disposer de compétences professionnelles ;
- que la formation en IUFM doit être en prise sur la réalité scolaire ;
- que tous les formateurs, quel que soit leur statut, doivent justifier d’une expérience directe ou d’une connaissance des classes d’aujourd’hui.
Depuis deux ans malheureusement, à l’encontre de ce que préconisait ce rapport, l’année de stage en alternance de la deuxième année de formation rémunérée est supprimée. Le nouvel enseignant est donc devant sa ou ses classes sans avoir appris à agir de la meilleure façon face à un élève ou un groupe peu réceptifs, par exemple pour leur aider à comprendre une méthode.
Pour conclure, je ne peux que regretter et dénoncer, comme députée et comme ancienne enseignante, que la formation professionnelle des enseignants, avant et après le recrutement, ne soit pas vue comme un investissement. Or, c’est bien un investissement d’avenir, non seulement pour la transmission des savoirs des différentes disciplines, mais aussi pour la qualité des relations avec les élèves et les familles et pour la motivation à réussir.
Cette seule raison suffit, mes chers collègues, à expliquer pourquoi nous ne voterons pas une proposition de loi qui diminue encore la formation qualifiante de nos enseignants en faisant croire qu’elle la conforte. Avec la suppression des IUFM, nous sommes loin du compte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)