« Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe : vigilance, progrès et initiatives en faveur de l’abolition de la peine de mort » par Marietta KARAMANLI, rapporteure générale pour l’abolition

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Les 26 et 27 mai 2014 la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe s’est réunie à Helsinki (Finlande).
Rapporteure générale pour l’abolition de la peine de mort, j’ai fait part à mes collègues de l’Assemblée de mes premières actions.
A cette occasion, j’ai rappelé le travail réalisé par mes prédecesseures à ce poste notamment en direction des Etats-Unis pays observateur au sein de l’Assemblée.
J’ai mentionné mes propres interventions au long de ces derniers mois afin d’amener les unités fédérées (les Etats membres) des Etats-Unis à abandonner une politique d’exécution parfois contraire à leurs propres engagements internationaux mais aussi mes initiatives au Proche-Orient.
J’ai fait part de nos interrogations et craintes quant à une certaine résurgence de condamnations à mort prononcées de façon expéditive comme en Egypte.
Parallèlement, j’ai insisté sur la dynamique dans laquelle nous nous situons : sur les 193 États de l’Organisation des Nations unies, cent États sont abolitionnistes en droit et cinquante États le sont en fait car aucune exécution n’y a eu lieu depuis dix ans au moins.
Enfin, j’ai exposé les initiatives envisagées 1) notamment une mission d’information au Maroc et en Tunisie en vue d’explorer, auprès des autorités compétentes et de la société civile, les possibilités de coopération dans le domaine de l’abolition de la peine de mort et 2) d’échanges sur ce thème avec Robert Badinter.
Autant de sujets pour lesquels la commission m’a apporté sa confiance et donné mandat de poursuivre.


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Marietta KARAMANLI à l’entrée du Parlement Finlandais

Déclaration de Marietta Karamanli, Rapporteure Générale sur l’Abolition de la Peine de Mort
(Helsinki, 26/27 mai 2014)

Chers collègues,
Au début de cette année, vous m’avez désignée rapporteure générale sur l’abolition de la peine de mort. J’ai l’honneur de succéder à deux illustres collègues qui ont fait un travail remarquable : Marina Schuster, ancienne première vice-présidente de notre commission, s’est surtout concentré sur la situation aux Etats-Unis, Etat observateur du Conseil de l’Europe qui se trouve en compagnie d’Etats comme l’Iran, la Chine et l’Arabie Saoudite dans la catégorie des pays avec le plus grand nombre d’exécutions dans le monde.

Avant elle, Renate Wohlwend a également mis l’accent sur les Etats observateurs du Conseil de l’Europe, y compris le Japon, et sur le Belarus en tant qu’Etat candidat à l’adhésion.
En ce qui me concerne, je suis bien évidemment déterminée à poursuivre le travail engagé par mes prédécesseures en direction des Etats candidats et observateurs du Conseil de l’Europe.
Mon propos, bref, sera consacré :

 d’une part à l’actualité récente et quelque part toujours dramatique de cette peine,

 d’autre part au mouvement de fond que nous devons continuer d’accompagner et de promouvoir

 enfin à des initiatives nouvelles, que je vous propose de prendre.

I L’actualité récente et quelque part toujours dramatique de cette peine

J’ai déjà été amené à publier plusieurs déclarations publiques en tant que rapporteure générale pour commenter certains développements importants, notamment aux Etats-Unis :

  Deux exécutions virées au cauchemar depuis le début de l’année, en utilisant des injections létales non testées ont fait scandale, et montrent que cette peine est inévitablement cruelle et inhumaine. Une telle exécution scandaleuse dans l’Etat de l’Ohio a motivé un juge de l’Arkansas à interdire toute exécution dans cette Etat en attendant une clarification des règles concernant la méthode d’exécution. J’ai félicité ce juge et exprimé mon espoir que cette jurisprudence fasse tache d’huile dans d’autres Etats. Hélas, fin avril, une autre exécution, dans l’Etat de l’Oklahoma, a viré au drame : malgré l’arrêt de la procédure d’exécution après la rupture d’une veine, le condamné est mort de manière atroce après plus de quarante minutes d’agonie.

  En outre, le Texas, notamment, continue à exécuter les étrangers condamnés à mort sans avoir bénéficié de l’assistance consulaire à laquelle ils avaient droit selon la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Malgré le jugement de la Cour internationale de justice dans l’affaire du Mexique contre les Etats-Unis (aussi connue sous le nom de l’affaire Avena), que le Gouvernement fédéral souhaite mettre en Å“uvre dans l’intérêt des citoyens américains exposés à ces poursuites judiciaires à l’étranger, il y a eu plusieurs exécutions de citoyens mexicains couverts par l’arrêt de la Cour internationale, en défiance du droit international.

  Suite à la publication de statistiques inquiétantes par Amnesty International, je me suis interrogée sur le nombre croissant des exécutions au niveau mondial, ces exécutions étant en réalité l’Å“uvre d’un nombre toujours décroissant d’Etats qui appliquent encore cette sanction odieuse, situation que je condamne.

  Plus récemment et conjointement avec le rapporteur de la commission des questions politiques chargés des relations avec le Moyen Orient, M. Beneyto, j’ai préparé une déclaration adoptée par les deux commissions condamnant le recours en masse à la peine de mort dans les procès visant les alliés Frères Musulmans de l’ancien Président d’Egypte M. Mursi.
J’ai demandé au secrétariat de mettre à votre disposition des exemplaires de mes déclarations publiques depuis le début de l’année, publiées via le site de l’Assemblée parlementaire.
Mais ces évènements graves ne doivent nous détourner des raisons de fond et des progrès déjà accomplis.

II Un mouvement de fond que nous devons continuer d’accompagner et de promouvoir

Il m’apparaît nécessaire de rappeler la dynamique dans laquelle nous nous situons.
Sur les 193 États de l’Organisation des Nations unies, cent États sont abolitionnistes en droit et cinquante États le sont en fait car aucune exécution n’y a eu lieu depuis dix ans au moins.
Seuls 43 États conservent la peine de mort.

Il s’agit là d’un progrès remarquable et pour l’heure irréversible : il n’est pas d’exemple d’un État démocratique ayant rétabli légalement la peine de mort.
Il nous faut donc continuer à prendre de nouvelles initiatives.

III Des initiatives nouvelles

Il faut continuer à faire entendre la voix du Conseil de l’Europe en faveur de l’abolition à l’occasion de nouveaux développements.
Je vous propose d’ouvrir un nouveau chantier.

Je pense qu’il faut soutenir la promotion de l’abolition de la peine de mort dans les pays du Maghreb, nord-africains et « partenaires pour la démocratie » de l’Assemblée parlementaire.
Ainsi au Maroc, existe un mouvement abolitionniste qui prend sa source dans la culture et l’histoire de ce pays. Il y a déjà fait des progrès importants.
Parallèlement en Tunisie aussi, malgré l’échec – provisoire €“ d’une récente initiative de supprimer la peine de mort de la nouvelle constitution, l’élan de réformes après la chute du précédent régime et malgré certains problèmes qui se sont manifestés depuis doit être accompagné et promu.
Je suis convaincue que les développements de la démocratie pluraliste, du respect des droits des individus portés par les convictions religieuses de l’Islam des Lumières, modéré, tout comme le Christianisme moderne, sont des facteurs d’évolution significatifs pour le recul de la peine de mort.
Comme la Turquie l’a déjà fait, le Maroc et la Tunisie peuvent être exemplaires pour d’autres pays et montrer que l’abolition de la peine de mort va de pair avec la modernisation et l’humanisation du système de droit pénal, le respect de l’efficacité de la justice et celui de la dignité des hommes et femmes.
Le statut récent de ces deux pays en tant que partenaires pour la démocratie donne une légitimité encore accrue à nos activités dans ce sens.
Les relations historiques de mon pays d’adoption avec ces pays amis et mon engagement en faveur de la justice dans le monde méditerranéen seront de précieux atouts dans ma démarche.

C’est pour cette raison que je demande l’autorisation de la commission pour organiser une mission d’information au Maroc et en Tunisie en vue d’explorer, auprès des autorités compétentes et de la société civile, les possibilités de coopération dans le domaine de l’abolition de la peine de mort.
Je sais que mon ami Robert Badinter, qui a débarrassé la France de la guillotine, est toujours très motivé à soutenir le Conseil de l’Europe dans ce combat. D’où ma deuxième proposition d’organiser, lors d’une future réunion de notre commission à Paris, un échange de vue avec la participation de M. Badinter et des représentants marocains et tunisiens.
Monsieur le Président, chers collègues, je suis à votre disposition pour engager une discussion à la fin de laquelle, comme je l’espère, vous me donnerez votre feu vert pour avancer dans la direction que je vous ai indiquée- je m’engage de mon côté à enrichir nos initiatives de toutes les idées que vous voudrez bien partager avec moi !