Le 4 juillet à l’occasion d’une des toutes premières séances de la nouvelle législature, je suis intervenue dans le débat consacré aux résultats du conseil européen (des 28 et 29 juin) qui a réuni les dirigeants des Etats membres pour prendre, une nouvelle fois, des mesures en vue de lutter contre la spéculation sur les dettes souveraines, garantir le retour à des finances publiques saines dans chaque Etat sans austérité généralisée, et assurer des perspectives nouvelles à l’action publique.
J’ai souligné quatre points :
l’adoption de mesures positives avec un début de supervision des banques, le rachat possible par le MES d’obligations émises par les Etats (ce qui doit diminuer les taux auxquels les Etats peuvent accéder au crédit), l’extension du mécanisme européen de stabilité aux pays qui ne sont pas soumis aux programmes d’assistance financière,
la nécessité d »amplifier ces progrès à l’heure où la zone euro compte pas loin de 18 millions de chômeurs,
l’importance que les Parlements nationaux soient consultés en amont de chaque étape importante de la coordination intergouvernementale des politiques économiques et budgétaires ; à ce titre je suggère qu’on envisage sérieusement de faire débattre ensemble des représentants des parlements nationaux des grands Etats sur les équilibres budgétaires et les moyens de concilier recettes et dépenses en laissant à la suite le soin à chaque Etat de définir dans ce cadre ses priorités ; autrement dit concernant l’Europe et eu égard aux enjeux le pouvoir doit être mieux partagé et l’expression démocratique des choix faits mieux assuré!
A l’évidence ce sommet a déverrouillé la discussion entre États. Il était très attendu et, comme pour la plupart des sommets depuis trente mois, la pression était grande. Ce qui a déverrouillé la situation c’est, à n’en pas douter, l’élection d’un nouveau président en France et donc le vote des Français en faveur d’autres initiatives.
Marietta KARAMANLI
Le texte intégral de mon intervention
Assemblée nationale, XIVe législature, Session extraordinaire de 2011-2012
Compte rendu intégral
Séance du mercredi 4 juillet 2012
Débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012
Mme la présidente.
La parole est à Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Le sommet européen qui vient de se tenir, le premier de la présidence de François Hollande, marque à l’évidence une nouvelle étape. Comme toute nouvelle étape, il ferme un cycle de mesures, la plupart nécessaires mais trop tardives, et pour d’autres contestables puisque n’offrant pas vraiment de perspective, notamment de sortie de la crise dans laquelle plusieurs grands pays sont tombés.
Il ouvre une période où notre partenaire allemand a fait des concessions que la presse internationale qualifie d’ « inhabituelles ». Et, au-delà du titre « France 1-Allemagne 0 », on peut aussi citer certains journaux allemands qui ont titré « Une attaque sur les épargnants allemands » ou « La nuit où Merkel a perdu ». Les avancées sont réelles. Nous en connaissons les principes. Je citerai pour mémoire la recapitalisation directe des banques, qui devrait permettre notamment à l’Espagne de ne pas voir son propre endettement grevé par le renflouement de ses banques malades ; le droit pour le MES, sous condition, de racheter des obligations d’État ; le principe d’une supervision européenne des banques ; la taxation des transactions financières ; l’affectation de 120 milliards d’euros à la croissance.
J’articulerai mon propos autour de quatre idées.
Tout d’abord, ce sommet a déverrouillé la discussion entre États. Il était très attendu et, comme pour la plupart des sommets depuis trente mois, la pression était grande. Les divisions entre États, gouvernements et partis politiques restent profondes sur la dette et sur les politiques économiques et financières à mettre en Å“uvre pour en sortir. Ce qui a déverrouillé la situation c’est, à n’en pas douter, l’élection d’un nouveau président en France et donc le vote des Français en faveur d’autres initiatives.
L’équilibre de positions entre les deux plus grands États de l’eurozone, qui a succédé à des messages de velléité puis à un alignement total, a conduit à redonner aux autres pays et gouvernements une marge de revendication et d’influence, guidée non par leurs propres options économiques mais par leurs intérêts objectifs d’États au regard de leurs dettes souveraines.
C’est ce qu’avait annoncé déjà l’économiste et prix Nobel Paul Krugman dans une de ses chroniques. Selon lui, « si la ligne défendue par les conservateurs en Europe n’a plus le soutien indéfectible de la présidence de la République française, comme ce fut le cas ces deux dernières années, cela signifie que l’euro et le projet européen ont désormais de meilleures chances de survie. »
J’en viens à mon deuxième point : les avancées significatives de ce nouveau sommet. Ces avancées, je les ai pointées tout à l’heure et il faut s’en féliciter. Je voudrais revenir sur trois d’entre elles. La supervision des banques, tout d’abord. La question de la régulation des banques se pose avec acuité depuis de nombreux mois. L’enjeu est important. Il s’agit ni plus ni moins que de réguler, superviser et garantir les banques de l’eurozone et leurs dépositaires et épargnants. Les banques sont environ huit mille ! La supervision bancaire vise à contrôler en permanence les risques au sein de chaque établissement, ce qui va bien au-delà du respect de la réglementation. Lors de la précédente législature, nous n’avons jamais eu un bilan précis de ce qu’a fait l’Europe depuis la crise de 2008. Pourtant, toute l’histoire de la crise financière de ces dernières années montre que celle-ci, des États-Unis à l’Europe, de la faillite des caisses d’épargne américaines aux désastres des banques ibériques, a pour origine la déréglementation et l’insuffisance de supervision. Il faudra, il est vrai, un accord sur la notion de responsabilité pour mettre fin aux mauvaises pratiques des banques et garantir les économies des populations des dix-sept États concernés. Cette supervision est nécessaire et doit être faite. Certes il faudra un peu de temps pour mettre en place des règles prudentielles et une surveillance organisée, mais un pas décisif a été fait.
Le rachat possible d’obligations par le MES constitue un autre progrès.
Les pays de l’euro ont autorisé le rachat de titres souverains par les deux fonds de sauvetage de l’euro, le FESF et le MES qui est appelé à lui succéder. Le but est de détendre et de diminuer les taux d’intérêt pour les pays lorsqu’ils recourent aux marchés.
L’accès au mécanisme européen de stabilité est étendu aux pays qui ne sont pas soumis aux programmes d’assistance financière, étape indispensable vers la mutualisation des dettes européennes. Il restera à accorder une licence bancaire au MES pour permettre à la Banque centrale européenne de garantir indirectement les dettes souveraines.
Vendredi dernier, pour la première fois, les taux sur les titres de la dette italienne et espagnole ont sensiblement reculé.
M. Jacques Myard.
Ils vont augmenter !
M. Nicolas Dupont-Aignan.
Et sans tarder !
Mme Marietta Karamanli.
Le fait que le principe d’une croissance soutenue et aidée ait été retenu est une autre avancée de ce sommet.
Le Conseil européen a désormais intégré la nécessité pour l’Union européenne de mettre en Å“uvre une stratégie de croissance durable représentant pour l’heure 1 % du budget européen.
Le programme tel qu’il est connu passe par une augmentation de la capacité de prêt de la Banque européenne d’investissement de 60 milliards d’euros, 60 autres milliards venant de la réaffectation de fonds structurels non utilisés. Il faut y ajouter les project bonds, lancés à l’été pour financer des infrastructures de transport et d’énergie, d’un montant de 5 milliards d’euros.
Ce plan, s’il existait depuis quelque temps dans les cartons de la Commission européenne, a reçu pour la première fois le soutien des quatre principales économies de la zone euro à savoir l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. Cela en fait la nouveauté et constitue un saut qualitatif important.
Je voudrais m’attarder quelques instants sur un autre point : l’ensemble des outils déployés se fait sans nouvelle contrepartie demandée aux États bénéficiaires.
Comme l’a souligné le président français, il est donné la possibilité d’utiliser pleinement l’ensemble de ces nouveaux outils sans exigences supplémentaires à la charge des pays qui y auront recours. Cette orientation est importante car certains ont voulu et continuent de vouloir imposer des changements politiques, en particulier dans les économies des États les plus fragiles, en contrepartie de toute nouvelle avancée thérapeutique visant à éteindre la fièvre de l’endettement public.
Trop souvent les orientations préconisées tendent malheureusement à l’effritement voire au démantèlement de l’État protecteur, toutes choses dont les citoyens ne veulent pas et qui s’avèrent, de surcroît, la plupart du temps, dramatiquement inefficaces. Je pense notamment aux coupes envisagées dans les secteurs de la santé et de l’éducation.
J’en viens maintenant à un troisième point. Les mesures annoncées le sont dans un contexte persistant d’austérité dans la plupart des pays européens alors même que la crise reste menaçante.
Recapitalisation directe des banques par tranches, conditionnalité éventuelle au renflouement, périmètre exact de la supervision, veto à la réécriture du nouveau régime bancaire : un certain nombre de règles devront être précisées dans les jours et mois à venir. Il s’agit de définir un régime futur avec des partenaires qui se résignent à laisser de côté des positions strictes dont l’idéologie n’est pas absente.
En effet, pour quelques États et gouvernements, les politiques nationales sont les seules responsables et la cause des déséquilibres au Sud : insuffisance de rigueur fiscale et budgétaire due notamment à une économie souterraine ; secteur immobilier aux résultats gonflés, fragile et finalement insolvable. Pour eux, les cures d’austérité seraient les seuls remèdes et les pays du Sud doivent accepter une longue cure d’austérité.
Pour d’autres États et gouvernements, la monnaie unique a gommé provisoirement des déséquilibres existants s’alimentant les uns les autres ; la crise financière les a révélés et gonflés démesurément. Pour ces derniers, la sortie de la crise doit se faire par le haut avec un engagement volontariste et solidaire : les excédents des uns qui ont exagéré les déficits des autres viendraient se compenser.
M. Nicolas Dupont-Aignan.
Mme Merkel appréciera !
Mme Marietta Karamanli.
La convergence nécessite la croissance au niveau de l’Union avec des normes réalistes et raisonnables. C’est ce qu’a dit le Président français, et c’est ce que nous, députés socialistes, demandons.
M. Nicolas Dupont-Aignan.
L’espoir fait vivre !
Mme Marietta Karamanli.
Cette stratégie est la seule possible dans une situation qui reste préoccupante.
M. Jacques Myard.
Il va falloir payer !
Mme Marietta Karamanli.
En Grèce, le PIB a chuté de près de 16 %, et 21 % de la population active est au chômage. Le salaire minimal a été diminué de 20 % et celui des moins de vingt-cinq ans de 32 %.
En Espagne, la situation est la même. Le chômage atteint 24 % de la population active et le pays est désormais en récession avec une chute du PIB. Le chômage touche plus d’un jeune sur deux, soit 52,1 % des moins de vingt-cinq ans.
En Italie aussi, la récession est là avec un PIB en recul de 1,3 % sur douze mois.
M. Jacques Myard.
On peut tout de même se poser des questions : cela montre bien que le système est pourri !
Mme Marietta Karamanli.
Au niveau de l’ensemble de la zone euro, selon les dernières estimations de l’office européen de statistiques Eurostat, nous approchons les 18 millions de chômeurs. Il existe, il est vrai, une forte disparité entre les taux de chômage des économies au sein de la zone euro. À ce titre le sommet européen qui a débouché sur un pacte de croissance est un premier pas dont nous nous félicitons.
M. Jacques Myard.
Des cacahouètes !
Mme Marietta Karamanli.
Du fait de la nécessité de trouver un accord avec des gouvernements qui refusent de traiter le chômage de masse autrement que comme une variable d’ajustement, il s’agit bien d’une avancée significative.
M. Jacques Myard.
Un grand pas en avant€¦ vers le gouffre !
Mme Marietta Karamanli.
Le président français a fait progresser l’équilibre précédent avec beaucoup de détermination et une connaissance politique des situations critiques. Dans l’optique d’une relance durable, ces progrès devront être non seulement confirmés mais ils devront aussi être amplifiés à chaque fois que l’occasion va se présenter.
J’en viens au quatrième point que je souhaitais présenter. Notre Parlement doit à la fois soutenir les avancées que porte cet accord et être un véritable acteur du changement qu’il initie.
M. Bruno Le Roux.
Très bien !
Mme Marietta Karamanli.
On l’a vu, l’orientation visant à concilier la consolidation des finances publiques avec une reprise de la croissance, peu compatible avec des politiques généralisées d’austérité, a aujourd’hui sa chance.
Elle passe par les initiatives de l’exécutif dont nous aurons à connaître, comme s’y est engagé hier le Premier ministre. Elle passe aussi par une vigilance de ses négociateurs pour que la déclinaison des principes défendus soit à la hauteur de nos espoirs. On le sait, en matière de négociations internationales, les victoires sont pour une large part un art d’exécution.
J’en reviens à notre Assemblée. Les progrès qui doivent être accomplis en matière budgétaire, économique et sociale sont liés aux progrès du fonctionnement démocratique de l’Union. C’est parce que les citoyens auront le sentiment que leurs préoccupations quotidiennes sont mieux prises en compte par l’Europe qu’ils accepteront d’aller plus loin.
Dans ce cadre, monsieur le ministre, notre Assemblée doit faire entendre sa voix et être consultée en amont de chaque étape importante de la coordination intergouvernementale des politiques économiques et budgétaires.
Elle doit aussi, me semble-t-il, prendre des initiatives pour que les discussions sur les orientations économiques et budgétaires des États, la mutualisation partielle des dettes et le contrôle des banques ne soient pas le seul apanage des exécutifs et des chefs d’État réunis en conclave.
Concernant l’Europe, eu égard aux enjeux, le pouvoir doit être mieux partagé et l’expression démocratique des choix mieux assurée. Les parlements nationaux ne peuvent et ne doivent pas être dépossédés de leur pouvoir budgétaire. Il convient donc d’inventer un endroit où les députés et les sénateurs français, mais aussi les parlementaires de tous les États qui veulent aller de l’avant, puissent examiner, discuter, proposer et voter de façon contradictoire les orientations européennes.
M. Jacques Myard.
Quelle insolence ! Mme Karamanli dit exactement le contraire de ce qu’a dit le Gouvernement !
M. Jérôme Lambert.
Et elle a raison !
Mme Marietta Karamanli.
Et je n’oublie pas les députés européens de la zone euro.
Quand je dis « contradictoire », je veux dire « publiquement » et sur des bases politiques.
Moi qui suis citoyenne française et européenne, je suis sensible à ce propos selon lequel une personne a besoin pour avancer d’une jambe droite et d’une jambe gauche€¦
M. Jacques Myard.
Nous sommes d’accord ! (Sourires.)
Mme Marietta Karamanli.
€¦c’est-à-dire de priorités différentes examinées et délibérées à plusieurs car, a priori, on est alors plus intelligent. Il faut aussi qu’il en soit rendu compte, ce qui en permet l’appropriation collective.
Pour conclure, nous nous félicitons des progrès en cours et de l’orientation nouvelle qui se profile. Elle nécessite des conditions politiques auxquelles le Président et le Gouvernement ont pris l’engagement, devant les Français et devant nous, de travailler, tout en nous en exposant les tenants et aboutissants.
Je nous engage tous à imaginer une contribution nouvelle de notre assemblée, à soutenir cette opportunité, en relation notamment avec les autres parlements nationaux de la zone euro, et à en discuter l’ensemble des modalités.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jacques Myard.
Pas mal ! Vous avez bien conclu !
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