« Débats préalables aux réformes nées des évolutions médicales et scientifiques » , Marietta KARAMANLI « il est temps de juger un acte éthiquement bon ou mauvais en fonction, certes, de principes, mais aussi de ses conséquences humaines vécues »

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Les lois dites bioéthiques adoptées en 1994 puis révisées en 2004 seront à nouveau revues en 2010. Ces lois traitent des problèmes moraux et juridiques soulevés par la protection de la vie. Elles ont pour objet la protection du corps humain et de ses éléments, celle des gènes des individus et du genre humain, les règles applicables en matière de procréation médicalement assistée etc€¦
En parallèle une proposition de loi a été déposée par Jean LEONETTI, député et le groupe UMP en vue que soient organisés des états généraux préalables à tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé.
Le 16 février dernier je suis intervenue dans le débat en séance publique sur cette proposition en m’étonnant 1) que les débats sur la révision des lois bioéthiques, censés servir de modèle à ce dispositif, aient été des débats réalisés, principalement entre spécialistes, peu ouverts aux citoyens, 2) que quelques jours auparavant l’Assemblée Nationale n’ait pas voulu débattre sur le fond du recours croissant aux tests génétiques dans le cadre de recherche de parenté, alors même que le Parlement entendait renforcer les sanctions à l’égard de ceux y recourant illégalement (20 000 à 25 000 personnes), enfin 3) que l’Etat qui refuse souvent son intervention pour réguler l’économie intervient de façon très stricte sur des questions où la morale intime est en jeu. Ces questions de fond devront en tout état de cause être rediscutées au moment du réexamen des lois bioéthiques.


Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2009-2010, Compte rendu intégral

Première séance du mardi 16 février 2010

Organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Cette proposition de loi m’interroge pour trois raisons au moins.

Le premier motif de mon trouble vient du fait que les états généraux pris pour modèle n’ont, paradoxalement, pas créé de débats et donc de démocratie autour des sujets dont il est jugé essentiel que notre démocratie se saisisse. Les états généraux de la bioéthique, dont j’ai regardé le film de certains débats, paraissent avoir moins été un lieu de débat que le prétexte à ce que des citoyens avisés posent des questions à des experts, sans qu’il y ait une véritable délibération collective mettant en jeu des convictions différentes et dont serait sortie une opinion réellement citoyenne. Ces états généraux n’ont pas permis non plus de présenter des expériences différentes de celle de notre pays en invitant des personnalités étrangères qualifiées €“ scientifiques, politiques ou citoyennes €“ ayant eu la responsabilité concrète de faire adopter et de faire vivre des législations nouvelles.
Lors de ces états généraux, il n’y a pas eu, non plus, de témoignages de femmes ou d’hommes ayant fait des choix personnels €“ heureux ou douloureux €“ mettant en jeu les règles existantes.
En matière de bioéthique, et je peux personnellement en témoigner, au-delà de l’accompagnement médical souvent pluriel, toujours utile, mais parfois contradictoire, la décision la plus importante revient à ceux qui vont vivre avec elle toute leur vie. À ce titre, ils méritent d’être écoutés et entendus.
Malheureusement, rien de cela ne s’est produit lors de ces fameux états généraux : ils ont débouché sur un rapport constatant l’accord du public sollicité avec les orientations portées par le Gouvernement et déjà expertisées par un Conseil d’État convaincu, essentiellement pour des considérations psychologiques, qu’il ne faut toucher à rien.

Mon deuxième étonnement vient de ce que cette proposition arrive en discussion alors même que, jeudi dernier, nous avons donné l’exemple de ce que nous ne devrions pas faire quand nous abordons des sujets de société de cette nature. Ainsi, dans la LOPPSI, une disposition visant à limiter strictement l’identification génétique hors cadre légal a renforcé les sanctions pénales applicables aux personnes qui recherchent l’identification d’un ascendant, descendant ou collatéral par ses empreintes génétiques sans que celui-ci ait donné son accord. Ce sont environs 20 000 citoyens français qui, chaque année, ont recours à l’illégalité du « tourisme génétique », pour faire pratiquer de tels tests, interdits en France, mais autorisés dans plusieurs pays voisins.
Je l’ai dit en séance jeudi, cette quête de la vérité biologique, qui risque d’engendrer autant de troubles émotionnels qu’elle est censée en guérir, ne doit pas être traitée seulement comme un comportement délinquant, irréfléchi, mais doit faire l’objet de réponses d’information et d’accompagnement.

M. Jean Leonetti, rapporteur.

Tout à fait !

Mme Marietta Karamanli.

J’ai tenté de demander que l’on sursoie au seul renforcement de la sanction pénale, mais ni le ministre ni le rapporteur ne m’ont répondu pour m’indiquer que cette question méritait une discussion et donc aussi, en amont, une réflexion ! Assurément un tel problème de société méritait peut-être mieux qu’un silence.

Enfin, ma dernière interrogation concerne le dispositif lui-même, qui est conçu, me semble-t-il, comme un exercice d’experts, légèrement mâtiné de participation citoyenne

L’article 1er de la proposition donne compétence au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé pour organiser lesdits états généraux et son article 2 crée des conférences de citoyens, formés, qui débattent et donnent des avis.

Assurément, la vision qui domine la mise en place d’un tel mécanisme est celle de spécialistes, éminents certes, mais qui dirigent les opérations « d’en haut », si j’ose dire.

Il n’y a pas, comme je l’ai dit à propos des états généraux de la bioéthique, de reconnaissance de la diversité des expériences et des convictions. Le pluralisme moral, que revendique implicitement la proposition de loi, n’est que la diversité des courants généraux de pensée reconnus comme tels par l’État : il ne fait aucune place à l’expression revendiquée d’opinions différentes sur le sujet à traiter et s’exprimant comme telles ! L’État, qui se refuse souvent à intervenir pour réguler des dysfonctionnements économiques et sociaux très perturbateurs des relations sociales, défend une action très tatillonne sur des sujets moraux de nature intime. Il n’est pas question de prôner son désengagement, mais il convient de s’interroger pour savoir s’il a raison de vouloir contrôler à ce point le débat…

M. Jean Leonetti, rapporteur.

On ne le contrôle pas, au contraire !

Mme Marietta Karamanli.

Les maternités de substitution ou encore les dons d’organes par une personne vivante hors du cercle quasi familial ont reçu des réponses différentes dans des pays voisins et pas seulement anglo-saxons ! Pour autant, ni le corps humain ni les individus n’ont vu leurs statuts et leurs protections diminuer.

M. le président.
Il faut conclure.

Mme Marietta Karamanli.

S’il est normal que les experts français choisis par l’État s’expriment sur ces sujets, il est tout aussi normal que ceux qui ont vécu des expériences sur lesquelles le législateur s’interroge et qui ont pris des décisions souvent par amour, mais non encore reconnues par la loi, puissent en faire état aux citoyens éclairés.

M. Jean Leonetti, rapporteur.
C’est l’inverse du débat public !

Mme Marietta Karamanli.
À titre personnel, je considère que notre pays devrait avoir une approche plus pragmatique consistant à estimer un acte éthiquement bon ou mauvais en fonction, certes, de principes, mais aussi de ses conséquences humaines vécues.

M. le président.
Il faut conclure, madame !

Mme Marietta Karamanli.

Il est urgent de ne pas nous précipiter ! Nous devons prendre le temps nécessaire pour réfléchir à ces questions de société.

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)