Marietta KARAMANLI interroge le ministre de l’Intérieur Français sur la lutte contre l’immigration irrégulière en Europe et les progrès du « Passenger Name Record » ou fichier européen des données personnelles des voyageurs aériens

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Le 10 mars 2015 lors d’une réunion conjointe de la commission des lois et de la commission des affaires européennes, deux commissions dont je suis membre, et qui recevaient Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur avant une réunion des ministres composant le Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) les 12 et 13 mars je suis intervenue pour demander au ministre quelles étaient les priorités défendues par notre pays pour maîtriser l’immigration irrégulière née des conflits civils et militaires en Afrique et au Moyen-Orient.
J’ai plaidé pour une action mieux coordonnée des Etats et de l’Union Européenne, des moyens suffisants pour l’agence FRONTEX, chargée des opérations de surveillance et de sauvetage aux portes de l’Europe.
J’ai demandé que le Parlement Français puisse disposer d’un outil de suivi des objectifs, des moyens affectés et des résultats obtenus.
Je suis ensuite intervenue pour m’inquiéter des progrès réalisés et à venir du Passenger Name Record ou « PNR » autrement le fichier des données personnelles des voyageurs aériens, qui doit faire l’objet d’un cadre européen permettant de rendre opérationnels le recueil des données et leurs échanges mais aussi de garantir leurs conditions d’utilisation.
Le ministre dans sa réponse a fait valoir la nécessité de mieux lutter contre les filières de l’immigration irrégulière toute en garantissant le droit d’asile des personnes. Il a rappelé l’utilité du PNR tout en indiquant que l’existence d’un cadre juridique européen serait la meilleure façon de donner des droits pour garantir les données et limiter leur utilisation dans des situations ciblées.
Il a indiqué que le rapport dont je suis la co-auteure concernant la politique européenne en matière d’immigration irrégulière serait bien pris en compte.


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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES, Mardi 10 mars 2015
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission et de M. Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration de la République

La séance est ouverte à 17 h 15

I. Audition, conjointe avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur le Conseil des ministres Justice Affaires intérieures des 12 et 13 mars 2015

La Présidente Danielle Auroi.

Merci, Monsieur le ministre, d’avoir répondu à notre invitation pour cette audition conjointe avec la Commission des lois en vue d’examiner les sujets qui seront débattus au prochain Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI) les 12 et 13 mars.
Cette audition conjointe est la sixième de la nouvelle procédure mensuelle d’audition préalable aux Conseils des ministres de l’Union européenne mise en place d’un commun accord entre le président Claude Bartolone et le Premier ministre et qui a débuté en octobre dernier.
S’agissant des questions migratoires, le Conseil JAI d’octobre 2014 a dressé une liste de mesures très concrètes qu’il entendait suivre de près. Comment évoluent les travaux sur ces priorités et quel votre sentiment, au vu de l’urgence de la situation – situation dont nous avons débattue le 11 février dernier en examinant le rapport de nos collègues Marietta Karamanli et Charles de la Verpillière ? Une proposition de résolution appelant au renforcement de l’action de l’Union dans ce domaine, et notamment au renforcement de la solidarité européenne face aux catastrophes humanitaires qui endeuillent la Méditerranée, a été adoptée par notre Commission à l’unanimité. Quelles sont, selon vous, les avancées que nous pouvons attendre de ce côté ?

Mme Marietta Karamanli.

La Commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité une résolution insistant sur une action renforcée et mieux coordonnées entre les États et l’Union en matière d’immigration irrégulière. Ces flux migratoires, il faut le rappeler, sont liés à une situation de conflit armé.
Pouvez-vous préciser les propositions que la France entend faire en la matière ?
Vous avez évoqué le renforcement des moyens de l’Agence Frontex et de l’opération Triton ; quid de l’amélioration de l’articulation des différents dispositifs relevant des politiques de coopération avec les États tiers en matière de justice et d’affaires intérieures ?
Nous rencontrons demain le président de la Commission LIBE à Strasbourg ; ce sera l’occasion pour nous de revenir sur le sujet.
Les objectifs énoncés ont un caractère très général. Ne serait-il pas envisageable que l’Union, le Gouvernement français, les Parlements nationaux disposent d’un tableau présentant des objectifs quantifiés et des indicateurs d’efficacité, ainsi que d’un suivi du déploiement des moyens et des actions ?
S’agissant du PNR, notre Commission a fait une communication fin 2014, et je poursuis avec Charles de la Verpillière le travail sur le sujet. L’absence d’un cadre juridique européen stabilisé pose vraiment problème : on ne résoudra pas la question avec des PNR nationaux. Il faut donc chercher le compromis pour construire l’unité. Quelle est la position actuelle des principaux États ? Jusqu’à récemment, l’Allemagne refusait d’avancer sur ce dossier. Nous souhaitons que cette directive soit une priorité de la Commission LIBE.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.

Le prochain Conseil « Justice et affaires intérieures », qui doit se tenir après-demain, fera suite à une réunion informelle qui s’est tenue le 29 janvier à Riga, rassemblant l’ensemble des ministres de l’intérieur de l’Union européenne, ainsi qu’à la réunion que j’avais souhaité organiser le 11 janvier, le matin de la grande manifestation de Paris, en présence des principaux ministres de l’Union européenne, des deux ministres américains de la justice et de l’intérieur, du ministre de l’intérieur du Canada et du commissaire européen en charge des questions intérieures Dimitris Avramopoulos.

Le dossier PNR

Le deuxième dossier concerne le PNR.
C’est pour nous une priorité absolue, pour des raisons sur lesquelles je tiens à revenir car, plus on lira de comptes rendus expliquant les raisons pour lesquelles nous voulons cette mesure et plus nous contribuerons à sensibiliser les représentants de la nation au fait qu’il ne s’agit pas d’inventer le meilleur des mondes sécuritaires mais de protéger les ressortissants de l’Union européenne d’un risque réel et sérieux.

Nous voulons ce PNR car nous sommes en présence d’un terrorisme très nouveau, que nous avons qualifié de « terrorisme en libre accès ». Beaucoup de ceux qui basculent le font à la suite de la fréquentation de sites internet. Beaucoup se rendent sur des théâtres d’opérations extérieures et beaucoup reviennent en franchissant les frontières de l’espace Schengen. Par conséquent, s’il n’est pas possible de se doter de cet outil pour établir la traçabilité des parcours des combattants au moment où ils reviennent et les mettre hors d’état de nuire en les arrêtant, nous exposons nos ressortissants à un risque sérieux.

Certains pensent que le PNR n’est pas nécessaire car d’autres systèmes, tels que APIS (Advance Passenger Information System), permettraient d’obtenir les mêmes renseignements. C’est faux. Le PNR permet d’obtenir des éléments très précis concernant les passagers dès la réservation des billets, alors que le système APIS envoie des signalements au moment de l’enregistrement des bagages. Si le vol dure peu de temps, ces signalements ne permettent pas aux juges et policiers de mettre en place les mandats d’arrêt internationaux ou d’enclencher les processus judiciaires qui assureraient la neutralisation des combattants à leur retour.

J’entends dire également que les services de renseignement pourraient, par des processus de ciblage, obtenir tous les renseignements qu’apporterait le PNR. Là encore, c’est faux. À sa sortie de prison en France, Medhi Nemmouche s’est engagé sur les théâtres d’opérations terroristes en Syrie puis est revenu en Europe par Francfort, après un long périple, dont nous ne connaissons pas les causes, en Asie du Sud-Est. Avec le PNR, nous aurions su bien avant son arrivée à Francfort qu’il avait accompli ce périple, nous aurions été alertés sur le caractère atypique de ce déplacement, et nous aurions pu par conséquent, à partir de Francfort, procéder à toutes les opérations qui auraient permis de le mettre hors d’état de nuire.

J’ai reçu place Beauvau, pour discuter du PNR, l’ensemble des eurodéputés français, à l’exception de quelques-uns qui ne cherchent pas des solutions mais des problèmes. Je me suis également rendu devant la Commission LIBE du Parlement européen. J’ai vu des socio-démocrates qui avaient exprimé des interrogations cheminer vers un compromis, ainsi que des libéraux, à l’origine hostiles au projet, avancer avec nous. D’autres sont complètement bloqués sur des positions idéologiques.

Il faut bâtir un compromis avec le Parlement européen. Si nous considérons que tous les parlementaires qui expriment des interrogations ne sont pas fondés à le faire, nous n’y parviendrons pas. Quels sont les sujets sur lesquels nous pouvons parvenir à un compromis ? Il y a, tout d’abord, l’arrêt d’avril de la Cour de justice de l’Union européenne, qui se prononce sur la durée de la rétention et le périmètre des données susceptibles d’être recueillies dans le cadre d’opérations de sécurité. Les parlementaires européens craignent que le PNR accumule des métadonnées sans aucun contrôle. La première chose que j’ai indiquée est donc que l’on ne pouvait avancer sur le PNR sans tenir compte de cet arrêt.

Par ailleurs, nous ne sommes pas obligés de cibler l’ensemble des passagers : nous pouvons nous concentrer sur ceux qui relèvent de la grande délinquance économique et financière, du terrorisme, de la grande criminalité, c’est-à-dire ceux qui présentent le danger le plus grand. Ensuite, les données récupérées par le PNR seront stockées dans chaque pays par un service à compétence nationale lié par des règles déontologiques dont le non-respect peut être pénalement sanctionné. Enfin, l’absence de directive européenne PNR ne signifie pas qu’il n’y aura pas de PNR en Europe ; des PNR peuvent exister dans tous les pays de l’Union même sans directive. L’intérêt d’une directive, c’est tout d’abord qu’elle rendra le PNR obligatoire et optimisera donc l’efficacité de la mesure, car il ne sera guère possible alors de passer par un aéroport échappant à la traçabilité, et c’est ensuite qu’elle peut être assortie de considérations concernant la protection des données. Ceux qui sont soucieux de la protection des libertés publiques ont donc intérêt à ce que soit créé un PNR présentant des garanties à cet égard plutôt que de laisser les États développer leurs PNR sans contreparties.

Les choses progressent. Le Parlement européen a voté une résolution le 11 février. Le rapporteur a présenté son rapport, et les eurodéputés ont un mois pour l’examiner et déposer des amendements. Il faut que tout le monde se mobilise pour aboutir à une solution. Au Conseil JAI d’après-demain, j’insisterai de nouveau sur la nécessité pour les États d’envoyer leurs ministres se faire auditionner, éventuellement malmener, par les parlementaires européens de la Commission LIBE, comme je l’ai fait moi-même. C’était un moment intéressant à bien des égards, même si je n’éprouve pas forcément le besoin d’y revenir, car, comme l’a enseigné Épicure, le plaisir est d’autant plus agréable que l’on n’en use pas trop souvent.

II Les migrations internationales

J’en viens aux migrations internationales. Nous avons une grande inquiétude. Le nombre de migrants ayant franchi de façon irrégulière les frontières extérieures de Schengen au cours de l’année 2014 s’élève à 270 000 personnes. La désorganisation de l’État en Libye, la présence de groupes terroristes nombreux, le fait que certains de ces groupes pratiquent le trafic d’êtres humains pour prélever sur les migrants vulnérables des sommes destinées à financer des activités hautement criminelles, à quoi s’ajoutent les exactions et persécutions dont sont victimes certains migrants, tout cela conduit à ce qu’un nombre de personnes de plus en plus important arrivent sur le territoire européen. Il y a par ailleurs le phénomène des cargos fantômes en partance de Turquie, battant pavillon chypriote-turc et financés par des sociétés écrans entre les mains d’acteurs de la traite des êtres humains. Enfin, depuis que le Kosovo n’a plus été déclaré pays d’origine sûre par le Conseil d’État, de nombreuses arrivées depuis ce pays ont été enregistrées en Europe, notamment en Allemagne.

La France a une politique très claire. Tous ceux qui relèvent de l’asile doivent être accueillis, et les filières d’immigration irrégulière démantelées. Vous avez vu que nous avons conduit une très grosse opération à Calais il y a vingt-quatre heures. Nous allons continuer de démanteler ces filières : ce sont les instructions que j’ai données à mes services. Par ailleurs, nous avons la volonté de procéder au renvoi à la frontière de tous ceux qui ne peuvent être accueillis en France. Le nombre de reconduites à la frontière a augmenté de 40 % au cours de la dernière année. Je le signale à l’attention de ceux qui trouvent que nous n’en faisons pas assez ; nous en faisons beaucoup plus que ce qu’ils ont fait eux-mêmes, de façon moins spectaculaire et parfois plus humaine.

Nous demanderons au Conseil européen la montée en puissance de l’opération Triton, une opération Frontex qui s’est substituée à l’opération Mare Nostrum, de façon à être plus efficaces dans le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. C’est indispensable.

Nous souhaitons également une véritable coopération entre les services de renseignement et de police pour démanteler les filières de l’immigration irrégulière en Europe.

Le travail consensuel de Mme Karamanli et M. de la Verpillière est pris en considération par le Gouvernement français, afin de porter une ambition sur ces questions à l’échelle européenne.

De même, avec Thomas de Maizière, nous avons saisi Dimitris Avramopoulos afin que la Commission européenne se montre extrêmement dure – et que Frontex soit mobilisée – sur le phénomène des cargos fantômes. Cela implique de mener toutes les enquêtes et d’assurer toutes les coopérations possibles pour identifier les acteurs derrière les sociétés écrans qui acquièrent ces bateaux et procèdent à ce trafic. Nous avons engagé une coopération avec la Turquie pour que ces bateaux soient bloqués au moment de leur départ ; depuis que les Italiens ont négocié avec les Turcs, en liaison avec nous, un plus grand contrôle des ports du sud de la Turquie, on ne parle plus de ces cargos, car il n’y en a plus.

Il faut impérativement – et la Commission doit vraiment bouger sur le sujet – que les personnes relevant de l’asile puissent être traitées dans les pays de provenance, avec un travail de collaboration entre le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et la Commission européenne, y compris jusqu’à l’octroi de l’asile en procédure accélérée, afin d’éviter que ces personnes soient acheminées vers nous sur des bateaux de fortune, avec les risques que cela comporte.

En ce qui concerne l’Europe de l’Est, je suis demandeur que l’on examine les conditions dans lesquelles pourrait être reprise une délibération de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). De même, je suis très favorable à ce que nous engagions de nouveau un dialogue franco-allemand avec les autorités serbes et kosovares, de manière que la situation soit maîtrisée. Je reçois demain matin la ministre kosovare en charge de ces questions, pour dire les choses telles qu’elles doivent être dites, avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté.