Marietta KARAMANLI « Deux propositions de lois examinées en vue de lutter plus efficacement contre les violences faites aux femmes ; notre devoir de protéger les victimes et de dissuader et sanctionner les auteurs de violences »

Le 10 octobre j’ai participé à la discussion publique de deux propositions de lois déposées par des collègues  députés du Groupe des Républicains visant à mieux lutter contre les violences faites aux femmes.

Elles visent toutes à prévenir les violences faites aux femmes au sein de leur couple ou de leur famille qui furent considérées pendant longtemps comme une affaire privée relevant de la sphère intime. Il existait presque une zone de non-droit, dans laquelle les hommes violents pouvaient régler en toute impunité le sort des femmes qui vivaient ou avaient vécu avec eux, ou qui avaient eu un lien personnel avec eux.

Le premier texte prévoit que l’ordonnance de protection de la femme dans un cadre préventif puisse être prise dans un délai de six jours ce qui diminuera le délai actuel d’un mois et demi.

Parmi les autres mesures débattues et adoptées, le texte vise à garantir à la victime et à ses enfants qu’ils conserveront l’usage du domicile. Ainsi il pourra être imposé à l’auteur des violences l’obligation d’assumer les charges du logement tandis que la victime pourra, si elle le souhaite, demeurer sur les lieux ou encore en donnant au juge la possibilité d’octroyer la jouissance du domicile et d’en imputer les charges dans le cadre de l’ordonnance de protection, l’article 2 tend à protéger les femmes et à les préserver du déséquilibre économique.

Le texte dispose aussi qu’un bracelet anti-rapprochement pourra être ordonné par le juge dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ou encore hors de toute plainte, dans le cadre civil d’une procédure en ordonnance de protection. Il  prévoit aussi la mise en œuvre du port du bracelet anti-rapprochement dans le cadre des obligations du sursis avec mise à l’épreuve.

La second texte ayant pour objet de lutter contre les violences au sein des couples et prévenir leurs incidences sur les enfants n’a été examiné qu’en partie. Favorable à son esprit, ses dispositions auraient dû être reprises pour les rendre plus efficaces.

Ces mesures s’ajoutent à d’autres existantes et devront être évaluées et complétées.

J’ai défendu plusieurs amendements d’amélioration du texte. Un soutien de principe ne nous a pas empêchés de proposer plusieurs amendements visant entre autres :

-à réduire le délai de délivrance des protections ;

– à encourager le dépôt de plainte plutôt que les signalements sur main courante lorsque c’est la demande même de la victime ;

– à étendre les mesures de protection aux petites amies ou femmes ayant eu une relation amoureuse ou sexuelle avec un homme violent.

S’ils n’ont pas été adoptés, j’ai demandé au rapporteur de les défendre à l’occasion de l’examen conjoint par l’Assemblée Nationale et le Sénat.

Sur ce sujet je reste comme sur beaucoup d’autre mobilisée nationalement et localement.

Marietta KARAMANLI

 

Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2019-2020, Première séance du jeudi 10 octobre 201

 

Le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 10.

Mme Marietta Karamanli.

Par cet amendement, nous souhaitons renforcer la coopération des acteurs de la lutte contre les violences conjugales. Puisque le juge pourra, dans le cadre de la délivrance de l’ordonnance de protection, présenter à la partie demanderesse une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l’accompagner pendant la durée de l’ordonnance, nous souhaitons qu’il convoque aussi. à ce moment de la procédure, une personne morale qualifiée en qualité d’observateur, qui, étant ainsi associée en amont, pourra mieux jouer son rôle auprès de la victime

le président.

Quel est l’avis de la commission,

Aurélien Pradié, rapporteur.

Je vous suggère de retirer l’amendement. Nous partageons évidemment votre volonté que les victimes soient accompagnées moralement, techniquement, juridiquement et physiquement, mais l’amendement pose un problème de rédaction. Dès réception de la demande de l’ordonnance de protection, le JAF sera obligé de convoquer systématiquement une personne extérieure, ce qu’il ne fait pas toujours, puisque, dans 99 % des cas, les victimes sont assistées d’un avocat qui assure déjà leur accompagnement. Une autre rédaction serait donc préférable. Mieux vaudrait la formule : « Il pourrait associer », à celle que vous proposez : « Il convoque ».

le président.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.

Comme vous le savez, l’ordonnance de protection est prononcée par le JAF à l’issue d’une procédure civile, qui est – c’est même son ADN – l’affaire des parties. Cela signifie qu’elles seules peuvent saisir le juge et soumettre les demandes. Au sein de notre droit, la matière familiale est sans doute celle qui touche le plus à l’intime. C’est pourquoi les audiences ont lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire dans le bureau du juge, sans regard extérieur. Seules les parties, assistées de leur avocat, et le ministère public, en tant que représentant de l’intérêt public, peuvent y assister.

Si je comprends votre proposition sur le plan intellectuel, je crains qu’elle ne respecte pas les principes fondamentaux de cette procédure. À mon sens, elle pourrait même avoir un effet inverse à celui que vous recherchez, en empêchant l’une des parties de s’exprimer pleinement et librement.

De plus, demander au JAF de convoquer une association, pour qu’elle soit aux côtés de la partie demanderesse, avant même que le débat contradictoire ait pu avoir lieu avec le défendeur, me semble porter atteinte au principe d’impartialité et de neutralité du juge.

Je souligne enfin que, dans la procédure pénale, seules les associations déclarées depuis au moins cinq ans et dont le statut porte directement sur les infractions pénales visées peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile.

Pour toutes ces raisons, je souhaite le retrait de l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Merci, monsieur le rapporteur, madame la ministre, pour ces précisions, que je comprends, comme vous avez compris le sens de l’amendement. Pour que la disposition ne possède pas de caractère systématique, et pour éviter que le mot « convoque » ne figure dans le texte, je vous propose de le remplacer, dans un sous-amendement, par le mot « invite ». Le juge aurait ainsi toute latitude pour décider de l’opportunité d’associer les acteurs, éventuellement les associations, qui seront amenés à accompagner la victime.

Le président.

Je suis désolé. Il n’est pas possible de sous-amender oralement un amendement. Vous pouvez envisager un sous-amendement pour la deuxième lecture. Votre groupe peut également demander une suspension de séance.

Mme Marietta Karamanli.

Si je ne me trompe, nos débats sont enregistrés. Ils font l’objet d’un compte rendu écrit. Je précise que le sous-amendement viserait à remplacer, dans l’amendement no 10, le mot « convoque » par le mot « invite »

Le président.

Si vous le souhaitez, je répète que vous pouvez demander une suspension de séance, mais il n’est pas possible de sous-amender les amendements de manière orale.

Damien Abad.

Avant, on pouvait le faire !

Le président.

Vous pouvez, si vous le souhaitez, faire une rectification.

La parole est à M. le rapporteur.

Aurélien Pradié, rapporteur.

S’il n’est pas possible de sous-amender oralement votre amendement, je propose que nous le retravaillions au cours de la navette. Je veillerai à ce qu’il n’y ait pas de perte en ligne.

Le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.

Je ne voudrais pas décourager Mme Karamanli, mais, en toute hypothèse, même si l’on substitue au verbe « convoquer » le verbe « inviter », la rédaction de l’amendement contreviendrait aux principes que j’ai rappelés tout à l’heure.

Le président.

La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier.

Si les députés n’ont pas la possibilité de sous-amender leurs propres amendements, le rapporteur peut le faire. Il est encore possible dans cet hémicycle de travailler en temps réel sur un amendement ! Mais, dès lors que le rapporteur n’est pas sensible à notre proposition, l’affaire est close.

(L’amendement no 10 n’est pas adopté.)

Le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Les différentes interventions montrent l’importance de la présence de référents dans la police et la gendarmerie. L’amendement s’inscrit dans la continuité des mesures visant à faire intervenir des assistantes sociales ou des psychologues avec lesquelles il partage le souci de mieux accueillir et écouter les victimes.

Il ne me paraît pas contradictoire d’instaurer des formations pour l’ensemble des personnels et de désigner des référents spécifiques pour mieux accompagner les victimes.

….

Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2019-2020, Compte rendu intégral

Deuxième séance du jeudi 10 octobre 2019

Le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Le texte que nous examinons depuis ce matin est important et les discussions qui viennent d’avoir lieu montrent l’engagement du Parlement sur ces questions. Longtemps – trop longtemps –, les violences faites aux femmes au sein de leur couple ou de leur famille furent considérées comme une affaire privée relevant de la sphère intime. Il existait presque une zone de non-droit, dans laquelle les hommes violents pouvaient régler en toute impunité le sort des femmes qui vivaient ou avaient vécu avec eux, ou qui avaient eu un lien personnel avec eux.

L’article 2 vise à garantir à la victime et à ses enfants qu’ils conserveront l’usage du domicile. C’est important, car cela permettra de mettre à l’abri la femme avec ses enfants et de préserver ses intérêts économiques. En effet, non seulement ces femmes sont victimes de violences, mais elles doivent en sus souvent assumer le poids économique d’une situation inique et injuste. En apportant des modifications à la rédaction actuelle du code civil, afin de faire apparaître plus clairement la possibilité d’imposer à l’auteur des violences l’obligation d’assumer les charges du logement tandis que la victime pourra, si elle le souhaite, demeurer sur les lieux ou encore en donnant au juge la possibilité d’octroyer la jouissance du domicile et d’en imputer les charges dans le cadre de l’ordonnance de protection, l’article 2 tend à protéger les femmes et à les préserver du déséquilibre économique.

Le président. Il est temps de conclure, madame Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

La mesure relative au délai est elle aussi une bonne chose. Toutefois, nous pensons qu’il faudrait aller encore plus loin.

Le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Nous reconnaissons tous que passer de quarante et un jours à six jours représente un vrai progrès : il n’y a rien à y redire. Si nous proposons malgré tout de passer à soixante-douze heures, c’est parce qu’il existe d’autres possibilités, et des précédents.

Bien sûr, nous ne sommes pas en Espagne, où existe – vous l’avez rappelé à juste titre, monsieur le rapporteur – une juridiction spécialisée. Mais la justice française dispose également de juridictions spécialisées. Par exemple, le référé liberté implique un juge unique, une procédure contradictoire et un délai de quarante-huit heures. Il pourrait donc y avoir une possibilité analogue pour l’ordonnance de protection. Malheureusement, le texte n’a pas retenu l’idée de faire courir le délai de six jours à compter de la date de la saisine ; mais nous aurions pu l’introduire aujourd’hui.

Certains référés suspension interviennent dans les quarante-huit heures, ce qui donne l’impression que les biens sont mieux protégés que les personnes. Il s’agit ici de vies humaines : nous pourrions aller un peu plus loin, et voir au cours de la navette parlementaire si le Sénat confirme nos choix.

Mme Marietta Karamanli. Cette proposition de loi s’inscrit positivement dans un mouvement de prise de conscience et d’action collective efficace contre les violences faites aux femmes. Nous y souscrivons.

Notre devoir est de protéger les victimes et de dissuader les auteurs de violences. Le groupe Socialistes et apparentés votera donc cette proposition de loi, qui a le mérite de simplifier les plaintes, de trouver des réponses pour mettre à l’abri rapidement les victimes et d’élargir les conditions du port d’un bracelet électronique par les auteurs de violences.

Notre soutien de principe ne nous a pas empêchés de proposer plusieurs amendements visant notamment à réduire le délai de délivrance des protections, à encourager les dépôts de plainte plutôt que les signalements sur main courante lorsque c’est la demande même de la victime, ou encore à étendre les mesures de protection aux petites amies ou aux femmes ayant eu une relation amoureuse ou sexuelle avec un homme violent.

Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même rappelé l’importance de certains de ces dispositifs. Prenons l’engagement de les défendre au cours de la navette parlementaire. Nous serons attentifs à vos efforts. Nous serons aussi comptables devant les femmes victimes, pour qui chaque mesure compte énormément. Pour cela, nous vous remercions de votre attention et de votre vigilance. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)

Assemblée nationale, XVe législature, Session ordinaire de 2019-2020, Troisième séance du jeudi 10 octobre 2019

Le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. La violence à l’égard des femmes et des filles constitue l’une des violations des droits de l’homme les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde. Elle demeure également l’une des moins signalées en raison de l’impunité, du silence, de la stigmatisation et du sentiment de honte qui l’entourent, notamment quand elle intervient au sein d’un couple et peut-être encore plus quand elle survient dans une famille, endroit où par définition la protection de chacune devrait être maximale. Comme le dit l’éminent psychiatre Irvin D. Yalom, « quand on ne parle pas de l’essentiel, on ne parle de rien ». C’est pourquoi je me félicite de l’initiative que constituent les deux propositions dont nous aurons discuté aujourd’hui.

Aux violences sexistes et sexuelles qui se matérialisent, si j’ose dire, par des actes et comportements, s’ajoute une violence symbolique : ne pas considérer les femmes comme égales. Je pense que les propos qui dévalorisent les femmes et la féminité sont de nature à créer un terrain à la violence réelle. De façon plus générale, je pense qu’il faut promouvoir un accompagnement éducatif et culturel de masse visant à faire prévaloir une vision égalitaire et non celle de la domination de la femme par l’homme et les hommes.

La dernière loi sur les violences sexuelles et sexistes a constitué un progrès, mais elle reste incomplète. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond qui pose des principes et des règles plus protectrices. En 2010, la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a créé l’ordonnance de protection des victimes et le délit de harcèlement moral au sein du couple. En 2012, on a adopté la loi relative au harcèlement sexuel.

Il faut donc réfléchir aux moyens adaptés : faire connaître la législation ; donner aux acteurs engagés de la société civile les moyens d’accompagner les femmes et les hommes pour sortir du déni et faire progresser les responsabilités ;…

Dominique Potier. Très bien !

Mme Marietta Karamanli. …évaluer la loi et se l’approprier pour l’appliquer et l’adapter ; faire reculer l’image dégradée des femmes véhiculée par exemple par la téléréalité ou la publicité ; donner à l’éducation les moyens de combattre par la mixité les préjugés familiaux et de groupe ; dissuader, non seulement par la peur de la peine, mais aussi par la possibilité systématique pour les victimes de prendre la parole et de dénoncer l’auteur des violences. Ce qui fait reculer le délit et le crime, c’est moins la sanction que la peur d’être attrapé.
Les députés socialistes et apparentés partagent les intentions de la présente proposition de loi. Néanmoins ils s’interrogent sur la portée réelle et le caractère opérationnel de ses principales dispositions.

S’agissant des articles 1er et 2, notre code pénal, dans sa définition des violences conjugales, prévoit qu’elles sont « réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ». La proposition de loi tend à compléter cette définition en s’inspirant de l’article 3 de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui dispose que celle-ci recouvre les « actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ». En précisant la nature des violences, on en fait une incrimination plus fermée, excluant certains cas, alors que toute une série de situations peut en l’état être prise en compte en tant que violence du quotidien, les mots « quelle que soit leur nature » de la rédaction actuelle ouvrant un large éventail aux plaignantes et au juge pour qualifier des situations inacceptables et y mettre fin.

L’article 3 vise à rendre automatique le retrait de l’autorité parentale pour le parent condamné, avec une exception unique : si c’est contraire à l’intérêt de l’enfant. Avec cette nouvelle disposition, le retrait serait le principe et l’exception ne serait maintenue que si l’intérêt supérieur de l’enfant l’exige.

L’article 4 de la proposition de loi a pour objet de rendre obligatoire l’inscription des personnes condamnées pour violences conjugales au fichier judiciaire automatisé, qui existe depuis 2004. Or, dans de nombreuses affaires, les personnes signalées et identifiées comme dangereuses par et pour les femmes sont connues, même si les mesures d’éloignement et de surveillance ne sont pas suffisamment prises ou efficaces – c’est d’ailleurs l’objet de l’autre proposition de loi.

Le président. Merci, madame Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. La discussion parlementaire aurait pu permettre de mieux expliquer ces dispositions. Toutefois, en l’état, notre groupe ne pourrait pas voter pour le présent texte car celui-ci est incomplet et nécessite d’être retravaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)