« Loi dite de sécurité globale, une loi en trompe l’œil pour la sécurité et possiblement dangereuse pour les libertés » par Marietta KARAMANLI

 

Jeudi 15 avril 2021 je suis intervenue en séance publique dans la discussion préalable au vote définitif du projet de loi dite de sécurité globale.

Je suis intervenue pour dénoncer un texte, en fait une proposition de loi, qui, initialement, devait régler les problèmes des compétences respectives des polices nationale, municipale et privée et qui, en fait, s’est transformée en « concours l’Épine » des mesures de contrôle sans qu’à aucun moment l’impact des mesures ajoutées ait été évalué et mis en perspective avec ce qui existait.

L’article 24 visant à interdire aux personnes de filmer la police lors de ses interventions en est un bel exemple. Sous le feu des critiques et notamment de celles des instances internationales en matière des droits de l’homme, de la presse et des citoyens, la première version a été remaniée, le Président de la République ayant suggéré sa réécriture en dehors du Parlement…puis la rédaction a été reprise et modifiée.

En l’état le Premier ministre a jugé utile de saisir le Conseil Constitutionnel, preuve de ses propres interrogations sur le caractère « vague » de l’intention de nuire aux forces de police ; cette rédaction pouvant être différemment interprétées. Pourtant d’ores et déjà des jugements ont été prononcés punissant l’utilisation mal intentionnée de photos ou vidéos.

Si le texte peut donner une protection à une police « malmenée », il se heurte à une réalité, ses  services, ses antennes et ses agents les plus qualifiés sont de moins en moins nombreux ou partent, et ne se sentent guère reconnus sur le plan matériel.

Concernant les polices municipales, j’ai dénoncé un transfert « caché » de compétences sans transfert de moyens ni de ressources budgétaires aux communes.

S’agissant des entreprises de sécurité privée, le texte évite de répondre au problème économique de fond du secteur, celui de la concurrence née de la sous-traitance en cascade de nombreuses missions et activités, qu’il aurait fallu non pas encadrer mais bien interdire.

Le texte modifie aussi le statut des caméras-piétons et ouvre l’accès aux images de vidéosurveillance à de nombreux agents. Il n’interdit pas l’usage de la reconnaissance faciale, ce qui est aussi préoccupant.

Le texte autorise largement l’usage des drones au-dessus des frontières de tout espace public pour constater les infractions, mais aussi lors des manifestations.

La vidéo de mon intervention sur le site de l’Assemblée Nationale

 Le texte de mon intervention

 XVe législature, Session ordinaire de 2020-2021, Séance du jeudi 15 avril 2021, 1e séance, Présidence de M. Sylvain Waserman vice-président

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli (SOC).

Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra la motion de rejet préalable. Je ne reviendrai pas sur les propos de nos collègues du groupe La France insoumise, que nous ne partageons pas toujours. Je me concentrerai plutôt sur le texte : depuis le début, nous affirmons qu’il n’a pas donné lieu à suffisamment d’analyses et d’études – sans compter que les observations du Conseil d’État et de la Défenseure des droits, concernant les atteintes aux libertés, n’ont pas été prises en considération. Au reste, il ne contribuera ni à protéger, ni à accompagner correctement les forces de police et la gendarmerie.

Nous dénonçons le transfert de certaines missions vers la sécurité privée et vers les polices municipales, alors que ces dernières n’auront pas nécessairement les moyens de les accomplir. Notre groupe fait preuve d’un esprit de responsabilité – car nous avons longtemps exercé des responsabilités nationales et locales – mais nous souhaitons que le texte soit appréhendé de façon différente, sur la forme comme sur le fond, car il n’apporte pas de réponses dignes de ce nom. Or, ces réponses, la police nous les réclame sur le terrain. Nous soutiendrons donc la motion de rejet et j’aurai l’occasion, tout à l’heure, de rappeler ce que nous aurions aimé trouver dans la proposition de loi

Le président.

Sur l’ensemble du texte, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Une nouvelle fois, je regrette la procédure suivie : aucun avis préalable de la part des institutions spécialisées et dotées de l’indépendance voulue par la Constitution et par la loi – le Conseil d’État, le Défenseur des droits et la Commission nationale des droits de l’homme.

La Défenseure des droits et des experts internationaux se sont néanmoins exprimés sur son contenu et sur les dispositions susceptibles de mettre en cause les libertés individuelles et publiques. Ensuite, l’article 24 a fait l’objet de tant de critiques que le Président de la République lui-même s’en est mêlé en proposant d’en confier la rédaction à une commission extérieure au Parlement. D’autre part, l’article 24 a un objet analogue à celui de l’article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Le titre de la proposition de loi a été modifié pour faire apparaître le mot « liberté ». Comme le disait un philosophe, chacun a entendu parler du Saint Empire romain qui n’était ni saint, ni romain, ni un empire. Changer une dénomination ne transforme pas la réalité. Bref, pour un texte visant initialement à clarifier les compétences respectives des polices nationale, municipale et privée, nous sommes loin du compte.

S’agissant des dispositions relatives aux polices municipales, le champ de l’expérimentation est très étendu. Les agents de police municipale seront amenés à procéder à des actes d’enquête à la limite des prérogatives de l’État. L’extension de leurs compétences ne s’accompagne d’aucune mesure sur le renforcement de leur formation ou leur évolution de carrière. Le mot « formation » n’est d’ailleurs utilisé que très rarement – pour les directeurs et chefs de la police municipale ou pour les agents de la police municipale parisienne à venir ou encore des engagements de servir.

L’expérimentation dont la généralisation sera peut-être décidée demain sans évaluation finale, comme cela s’est déjà produit en matière pénale, s’apparente à un transfert caché de compétences sans transfert de moyens ni de ressources budgétaires. Comme certains élus et professionnels le font remarquer, des personnes peut-être moins formées et certainement moins rémunérées feront le même travail que les policiers.

Les entreprises de sécurité privées et leurs salariés ont pour mission de surveiller, de faire du gardiennage, de transporter des fonds ou encore de protéger physiquement des personnes. Le texte évite de répondre au problème économique de fond du secteur, celui de la concurrence née de la sous-traitance en cascade de nombreuses missions et activités, qu’il aurait fallu non pas encadrer mais bien, je le dis, interdire.

J’ai pu recueillir plusieurs avis de responsables et agents de la police, qui tous s’inquiètent du risque lié aux conditions de recrutement, que certains qualifient d’opaques, dénonçant un risque de recrutement faisant prévaloir l’entre-soi des origines, des croyances ou des communautés.

Le texte modifie aussi le statut des caméras-piétons. Une loi de 2016 avait autorisé les policiers et les gendarmes à filmer leurs interventions par des caméras mobiles et le texte que nous examinons généralise désormais l’usage des caméras-piéton et caméras embarquées, et ouvre l’accès aux images de vidéosurveillance à de nombreux agents. Il n’interdit pas l’usage de la reconnaissance faciale, ce qui est aussi préoccupant.

Filmer la population à l’aide de caméras mobiles est très intrusif et, pour autoriser une telle atteinte au droit à la vie privée, les autorités doivent prouver que l’usage du drone est une mesure nécessaire et proportionnée. Or le texte autorise largement l’usage des drones au-dessus des frontières de tout espace public pour constater les infractions, mais aussi lors des manifestations. Les dispositions prévues par cette proposition sont à mettre en relation avec la stratégie arbitrée en matière de maintien de l’ordre en Allemagne, pays souvent loué par de nombreux observateurs pour sa mentalité et son souci de l’ordre, stratégie intégrant la protection des manifestants, le dialogue et la désescalade de la violence. Il aurait été possible de faire avancer notre propre stratégie en associant aux cadres à venir les élus de la nation et les grandes organisations syndicales ou associations engagées sur cette thématique.

L’article 24, qui était problématique, reste préoccupant. S’il n’y est plus évoqué la diffusion « du visage ou de tout élément d’identification » d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie, le délit introduit reste vague, évoquant une supposée intention de nuire aux policiers, et des interprétations et décisions divergentes pourront, au bout du compte, nuire au travail des journalistes.

Enfin, le problème est qu’une partie de la parole publique est en crise. Trop souvent, l’État protecteur annonce son retour, mais fait le contraire. Ses missions se multiplient, alors que ses services, ses antennes et ses agents les plus qualifiés sont de moins en moins nombreux ou partent, et ne se sentent guère reconnus sur le plan matériel.

Pour toutes ces raisons, et bien d’autres que je n’ai pas pu rappeler ici, le groupe Socialistes et apparentés votera contre ce texte, vraiment problématique pour ce qui concerne les questions de libertés et de protection.

(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR.)

 

Source image : capture de photo depuis la vidéo de la séance sur le site de l'Assemblée Nationale