Marietta KARAMANLI « L’approfondissement démocratique de l’Union Economique et Monétaire passe par un rapprochement des parlements nationaux et un travail de délibération commun »

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Le 2 octobre dernier la Fondation Robert Schuman organisait une conférence exceptionnelle ouverte au public et ayant pour thème « Quelle place pour les Parlements nationaux dans la construction de l’Union politique européenne ? ».
J’étais invitée à une des tables rondes dont le thème était « Quel rôle pour les parlements nationaux dans la réforme de l’Union Economique et Monétaire ? ».
Les autres participants à cette discussion étaient Jean Arthuis, sénateur de la Mayenne et Ancien ministre ; Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur ; Carlo Casini, Président de la commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen ; Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe-Institut Jacques Delors.
Cette manifestation a été l’occasion pour moi de défendre l’idée selon laquelle l’approfondissement démocratique de l’Union Economique et Monétaire passe par un rapprochement des parlements nationaux et un travail de délibération commun.
Je considère que nous avons collectivement à répondre à un double défi qui est:

 d’une part, de rendre à la démocratie parlementaire sa vocation à créer des orientations politiques et à les trancher,

 d’autre part, d’inventer un rapprochement entre parlements des Etats de la zone euro pour défendre la croissance qui n’existe pas encore.
Le Président de l’Assemblée Nationale ,qui a clos cette conférence, a été dans le même sens et a développé l’idée d’une institution rapprochant les deux types d’institutions.

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Le texte ayant servi de base à mon propos

L’approfondissement démocratique de l’Union Economique et Monétaire passe par un rapprochement des parlements nationaux et un travail de délibération commun
Je fais un triple constat

 suite à la crise Il existe des interrogations « renforcées » sur la nature démocratique de l’Union,

 Il y a nécessité de respecter les parlements nationaux pour réussir des politiques économiques et monétaires convergentes,

 J’observe enfin un affaiblissement global des parlements nationaux dans le processus des décisions touchant les citoyens.
Partant de ces observations je pense que nous avons collectivement à répondre à un double défi qui est:

 d’une part, de rendre à la démocratie parlementaire sa vocation à créer des orientations politiques et à les trancher

 d’autre part, d’inventer un rapprochement entre parlements des Etats de la zone euro pour défendre la croissance.

I Des interrogations nées ou exacerbées par la crise
En 2013 Les Etats européens de la zone Euro connaissent un chômage record, leur cohésion sociale est souvent mise à mal par des politiques d’austérité extrêmes et leurs services publics sont la plupart du temps en retrait. Les citoyens ont donc le sentiment d’être moins protégés.
La gestion de la crise des dettes publiques a contribué à faire vaciller, au moins dans les consciences, le sentiment d’une qualité démocratique de l’Europe.
Je ne prendrai qu’un exemple.
La BCE qui revendique plus fortement qu’ailleurs son indépendance paraît ne pas avoir en face un pouvoir politique démocratiquement fort.
Le parlement européen n’a pas l’initiative et de pouvoir d’exécution.
La commission, elle, n’est toujours pas élue.
Le conseil ressemble trop souvent à un conclave.
J’emploie le mot de conclave (traduit du latin « avec une clef ») à dessein, pour indiquer le caractère « quasi-initiatique » et « secret » des discussions entre Etats qui aboutisse à des décisions pour tous .
Face à cela, il appartient aux politiques de rappeler que ce que les Etats/nations ont perdu en substance et en efficacité dans leur ressort propre, l’Europe peut le regagner et peut faire ce qu’ils ne peuvent faire seuls.
Plus unis et plus responsables, les Etats européens doivent pouvoir mieux lutter contre les spéculateurs et les fraudeurs.
L’Europe ne peut néanmoins fonder sa dynamique et sa légitimité sur la seule unification économique ou ses institutions mais bien sur ses finalités.
Eu égard aux enjeux le pouvoir doit être mieux partagé et l’expression démocratique des choix faits mieux assuré.
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II Les parlements nationaux doivent défendre leur pouvoir budgétaire
Je fais partie de celles et de ceux qui pensent que les parlements nationaux doivent affirmer leur pouvoir budgétaire pour continuer à être des acteurs en capacité de peser dans l’Union.
L’introduction de nouveaux objectifs et de nouvelles procédures au sein de l’union et la zone euro doit, me semble-t-il, respecter pleinement les prérogatives actuelles des parlements nationaux.
Comme je l’ai défendu à l’Assemblée, la réussite même des objectifs et de la convergence demandés au niveau européen nécessite une bonne compréhension et une véritable contribution du parlement Français et des députés à la réussite des objectifs de croissance durable, d’emploi, de compétitivité et de cohésion sociale visés par les traités.
Dans ces conditions, il était utile que le parlement soit à même de discuter et de proposer dans le cadre des procédures mises en Å“uvre entre l’Etat français et les institutions européennes.
Je parle ici des procédures car il ne s’agit pas seulement de la procédure de convergence prévue par le traité mais aussi de celles fixées par les règlements de l’Union, supérieurs aux lois Françaises et s’y appliquant déjà.
Lors du discussion, fin 2012, de la loi organique visant à améliorer la programmation et la gouvernance des finances publiques, j’ai ainsi défendu des amendements visant à ce que le parlement Français puisse débattre à échéances régulières, à l’occasion des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires européennes, de leurs mises en oeuvre et de leurs effets.
Il faut néanmoins aller plus loin car la situation globale est médiocre.

III Le constat d’un affaiblissement plus global
Il faut être clair l’affaiblissement du parlement français face aux décisions de l’union ne concerne pas seulement les domaines économique et monétaire.
Son pouvoir de décision général est en effet affecté.
Les raisons en sont notamment :

 l’existence d’une pluralité de lieux de décision ou d’avis et de procédures parallèles ne se croisant pas,

 un lieu « fort » (la commission) jouant la technique face à des pouvoirs politiques nationaux « éclatés » et du fait d’une absence de coordination et de lieux entre le parlement européen et les parlements nationaux.
Tout cela aboutit un affaiblissement démocratique.
IV Rendre à la démocratie parlementaire sa vocation à créer des orientations politiques et à les trancher
Les progrès qui doivent être accomplis en matière budgétaire, économique et sociale sont liés aux progrès du fonctionnement démocratique de l’Union au niveau de chaque Etat et entre les Etats.
C’est parce que les citoyens auront le sentiment que leurs préoccupation quotidiennes sont mieux prises en compte par l’Europe qu’ils accepteront d’aller plus loin.
Aujourd’hui pour la plupart de nos concitoyens les traités relatifs à la gouvernance économique et financière de l’Union Européenne et les accords au sommet constituent une part « obscure » de l’Europe.
C’est une raison supplémentaire pour laquelle les parlements nationaux doivent faire entendre leur voix et être consultés en amont de chaque étape importante de la coordination intergouvernementale des politiques économiques et budgétaires.
Ils doivent aussi prendre des initiatives pour que les discussions sur les orientations économiques et budgétaires des Etats, la mutualisation partielle des dettes et le contrôle des banques ne soient pas (ou plus) le seul apanage des exécutifs et des chefs d’Etats réunis.
Il nous faut donc aller plus loin qui passe, je pense, par le fait d’
V IIventer un rapprochement entre parlements des Etats de la zone euro pour défendre la croissance
Concernant l’Europe et eu égard aux enjeux le pouvoir dans la zone Euro doit être mieux partagé et l’expression démocratique des choix faits mieux assuré.
Il ne s’agit pas d’affaiblir le Parlement européen qui comportent des députés d’Etats non membres de la zone euro mais de renforcer les parlements nationaux qui veulent agir contre la crise économique et financière.
Les parlements nationaux doivent garder une partie de leur pouvoir budgétaire sur lequel ils fondent leur légitimité et une large part de leurs prérogatives.
Il convient donc, aujourd’hui, d’inventer un endroit où les députés et sénateurs français avec les parlementaires de tous les Etats voulant aller de l’avant puissent examiner, discuter, proposer et voter de façon contradictoire les orientations européennes en matière économique, budgétaire et financière.
Les formes de ce nouveau pouvoir que je suggère pourraient varier :

 réunion des commissions des finances et affaires européennes des grands Etats de la zone Euro,

 constitution de commissions « ad hoc » communes aux différents parlements de deux ou plusieurs Etats de la zone ou autre solution de rapprochement.
Le principe commun serait que ces parlementaires nationaux puissent adopter un objectif d’endettement et un niveau de financement de la dette publique de façon contradictoire et par un vote démocratique.
La convergence vers un niveau d’endettement soutenable n’aurait d’ailleurs pas pour conséquence d’unifier le niveau des prélèvements et des dépenses publiques et sociaux dans chacun des Etats.
Emile DURKEIM disait « Il ne suffit (…) pas que les sentiments soient forts, il faut qu’ils soient précis ».
Je conclurai en disant que nous devons oser préciser ce que nous entendons faire en la matière.