Marietta KARAMANLI « Les limites apportées par la jurisprudence européenne à la garde à vue des étrangers pour entrée ou séjour irrégulier conduisent à une évolution législative en France »

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A l’occasion de la première session de la nouvelle législature, j’ai présenté devant la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale, dont je suis la Vice-Présidente, une communication sur les jurisprudences européenne et française en matière de garde à vue des étrangers mis en cause pour entrée ou séjour irrégulier.
Cette communication a été faite le 18 juillet dernier après que la Cour de Cassation française ( la plus haute juridiction française de l’ordre judiciaire) ait jugé qu’en application d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne, le placement en garde à vue n’était, dans la très grande majorité des cas, plus possible et ce alors même que la loi française le permet. Autrement dit il s’agit d’un cas où la loi Française devient incompatible avec le droit de l’Union Européenne après que la juge l’ait interprété.
Plus précisément la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé que les États membres ne pouvaient appliquer une législation pénale qui pourrait mettre en péril la réalisation des objectifs d’une directive sur le retour des ressortissants en séjour irrégulier et priver celle-ci de son effet utile. Il s’agit d’un arrêt datant d’avril 2011 il y a donc plus d’un an. Très concrètement ces jurisprudences vont conduire à modifier la loi française.
En 2011, près de 60 000 gardes à vue ont été fondées sur les infractions aux conditions générales d’entrée et de séjour des étrangers ont été réalisées (et principalement au titre de l’article L. 621-1 du CESEDA) qui ne peut plus être appliqué comme tel.
Il s’agit donc d’une problématique importante.
Les gardes à vue étant désormais impossibles sur ce fondement, le nombre d’obligations de quitter le territoire (OQTF) prononcées va également nécessairement diminuer très rapidement puisque la garde à vue était le mode classique de vérification de la situation pouvant conduire à obliger une personne à quitter la France.
Il convient néanmoins d’indiquer que pour la même année seules 400 poursuites pénales ont été effectivement engagées sur le fondement de cet article dont l’application est désormais contestable.
J’ai rappelé trois priorités devant guider l’élaboration d’une nouvelle législation :

 permettre aux forces de police de procéder, dans des conditions réalistes, à des vérifications de la situation d’étrangers au regard de la législation qui leur est applicable en matière d’entrée et de séjour,

 limiter strictement et de façon proportionnelle les atteintes aux libertés individuelles des personnes,

 prévoir un mécanisme de contrôle juridictionnel.
Nous sommes maintenant dans l’attente d’un projet de loi déposé par le gouvernement.


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Communication de Mme Marietta Karamanli relative aux jurisprudences européenne et française en matière de garde à vue des étrangers
mis en cause pour entrée ou séjour irrégulier

Cette communication a été présentée par Mme Marietta Karamanli, rapporteure, au cours de la réunion de la Commission du 18 juillet 2012.

L’objet de la présente communication est de faire le point sur la jurisprudence du 5 juillet 2012 de la Cour de Cassation en matière de placement en garde à vue des étrangers sur le fondement d’une entrée ou d’un séjour irrégulier sur le territoire. Tirant les conséquences de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), la Cour de Cassation a jugé que le placement en garde à vue n’était, dans la très grande majorité des cas, plus possible.

En effet, la CJUE a jugé en 2011 qu’un ressortissant de pays tiers (hors Union européenne) ne peut pas encourir de peine de prison dès lors que toutes les mesures prévues par la directive dite directive retour (2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier) n’ont pas été mises en Å“uvre.

La directive retour a institué des règles communes pour le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier vers leur pays d’origine. Elle devait être transposée pour le 24 décembre 2010 et, au 17 avril 2012, seule la Pologne ne l’avait pas transposée(2). La directive vise à mettre en Å“uvre une politique de retour efficace dans le respect des droits fondamentaux, notamment s’agissant de la protection des réfugiés et des droits de l’Homme.

Il convient d’examiner ces jurisprudences ainsi que les questions qui se posent en droit français.

I. La jurisprudence européenne relative à la pénalisation de l’infraction de séjour irrégulier

L’arrêt de la CJUE du 28 avril 2011 (Arrêt El Dridi, affaire C-61/11) portait sur une question préjudicielle adressée dans le cadre d’une procédure engagée en Italie contre M. El Dridi, condamné à une peine d’un an d’emprisonnement pour le délit consistant à demeurer illégalement sur le territoire italien, sans motif justifié, en violation d’un ordre d’éloignement édicté à son encontre. La Cour d’appel de Trente s’interrogeait sur la possibilité de prononcer une sanction pénale conformément au droit italien, qui apparaissait contraire à la directive retour.

L’esprit qui préside à la directive dite « directive retour » (2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier) est bien celui de la gradation dans les mesures prises à l’encontre des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier(3). La priorité doit être donnée au retour volontaire, l’article 7 de la directive prévoyant un délai approprié allant de sept à trente jours. Dans certaines circonstances particulières (risque de fuite), les États membres peuvent imposer des mesures plus contraignantes (dépôt d’une garantie financière, présentation régulière aux autorités) et prévoir un délai de départ volontaire inférieur à 7 jours.

En l’absence de retour volontaire, l’État a l’obligation de procéder à l’éloignement en prenant les mesures nécessaires les moins coercitives possibles.

En application de l’article 8 de la directive, « lorsque les États membres utilisent €” en dernier ressort€” des mesures coercitives pour procéder à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui s’oppose à son éloignement, ces mesures sont proportionnées et ne comportent pas d’usage de la force allant au-delà du raisonnable.

Ces mesures sont mises en Å“uvre comme il est prévu par la législation nationale, conformément aux droits fondamentaux et dans le respect de la dignité et de l’intégrité physique du ressortissant concerné d’un pays tiers. »

L’article 15 de la directive retour, relatif à la rétention à des fins d’éloignement, dispose que :

« 1. à moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. »

La durée de rétention ne peut pas dépasser six mois (elle est de 45 jours en droit français) et peut, dans certains cas (manque de coopération de l’étranger ou de son pays d’origine), être prolongée de douze mois maximum.

La CJUE a rappelé que les États membres peuvent édicter des mesures pénales visant notamment à dissuader les ressortissants de demeurer illégalement sur leur territoire. Toutefois, les États membres ne peuvent appliquer une législation pénale qui pourrait mettre en péril la réalisation des objectifs de la directive (le retour des ressortissants en séjour irrégulier) et priver celle-ci de son effet utile.

La CJUE a donc jugé dans son arrêt du 28 avril 2011 :

Par conséquent, les États membres ne sauraient prévoir, en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives adoptées pour procéder à l’éloignement forcé conformément à l’article 8, paragraphe 4, de ladite directive, une peine privative de liberté, telle que celle prévue à l’article 14, paragraphe 5 ter, du décret législatif no 286/1998, pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié et que le délai imparti dans cet ordre a expiré, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre, mais ils doivent poursuivre leurs efforts en vue de l’exécution de la décision de retour qui continue à produire ses effets.

59. En effet, une telle peine, en raison notamment de ses conditions et modalités d’application, risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. En particulier, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 42 de sa prise de position, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, est susceptible de faire échec à l’application des mesures visées à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et de retarder l’exécution de la décision de retour.

Cela n’exclut pas la faculté pour les États membres d’adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n’ont pas permis de parvenir à l’éloignement d’un ressortissant d’un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière. »

Faisant suite à cet arrêt, la circulaire du ministre de la justice du 12 mai 2011 a notamment indiqué que c’est seulement une fois qu’une mesure d’éloignement a été prise que la directive retour fait obstacle au prononcé d’une peine d’emprisonnement et que la personne ne peut être placée qu’en rétention.

L’arrêt de la CJUE du 6 décembre 2011 (Arrêt Achughbabian, affaire C-329/11) porte sur la compatibilité de l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) avec le droit de l’Union, cet article prévoyant que l’étranger qui a pénétré ou séjourné illégalement en France ou qui s’est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa est puni d’un peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3.750 euros. Une interdiction du territoire ne pouvant excéder trois ans peut en outre être prononcée.

La CJUE a jugé le 6 décembre 2011 que la directive retour (point 51 de l’arrêt) :

« doit être interprétée en ce sens qu’elle

€“ s’oppose à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l’article 8 de cette directive et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention; et

€“ ne s’oppose pas à une telle réglementation pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite directive a été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non-retour. »

La CJUE juge donc qu’une peine de prison au titre du séjour irrégulier ne peut intervenir qu’en cas d’échec des mesures prévues par la directive retour, y compris le placement en rétention.

S’agissant plus spécifiquement de la question de la garde à vue, la CJUE a jugé (point 29 de l’arrêt) : « les normes et les procédures communes instaurées par la directive 2008/115 ne portant que sur l’adoption de décisions de retour et l’exécution de ces décisions, il y a lieu de relever, également, que cette directive ne s’oppose pas à un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers. »

Les conditions de l’arrestation initiale de ressortissants de pays tiers soupçonnés de séjour irrégulier demeurent régies par le droit national. « Par ailleurs, ainsi que le gouvernement français l’a observé, il serait porté atteinte à l’objectif de la directive 2008/115, à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, s’il était impossible pour les États membres d’éviter, par une privation de liberté telle qu’une garde à vue, qu’une personne soupçonnée de séjour irrégulier s’enfuie avant même que sa situation n’ait pu être clarifiée » (point 30).

La circulaire du ministre de la justice du 13 décembre 2011 a indiqué que la directive ne faisait pas obstacle à la pénalisation du séjour irrégulier et que les États membres demeurent libres de prévoir une phase de privation de liberté, telle que la garde à vue, pour déterminer la situation de la personne. Les autorités compétentes doivent en effet disposer du temps nécessaire pour identifier la personne contrôlée et déterminer si cette personne est en séjour irrégulier. Selon la circulaire, « ce n’est qu’au stade de l’engagement des poursuites pénales contre l’étranger en situation irrégulière au titre de l’article L. 621-1, et non lors du placement en garde à vue, que l’arrêt de la cour serait susceptible de produire des effets. » La garde à vue ainsi que les procédures de rétention pouvant faire suite n’étaient donc pas remises en cause par la directive retour. En revanche, afin de laisser prospérer les mesures d’éloignement, il était préconisé de ne pas engager de poursuites sur le seul fondement de l’article L. 621-1.

Toutefois, bien que la CJUE ait reconnu que la garde à vue puisse être justifiée pour vérifier la situation d’une personne, se pose en droit français la question de la possibilité d’une garde à vue si la personne ne peut encourir de peine d’emprisonnement.

II. La jurisprudence attendue de la Cour de Cassation

Depuis la révision de la procédure de la garde à vue par la loi du 14 avril 2011, le placement en garde à vue ne peut intervenir dans tous les cas que si la personne en cause encourt une peine de prison au moins égale à un an (articles 63 et 67 du code pénal).

Se fondant sur la jurisprudence de la CJUE, la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 5 juillet 2012(4), jugé qu’il n’était pas possible de placer en garde à vue un étranger soupçonné d’être en situation irrégulière puisque ce dernier ne peut encourir la peine de prison prévue à l’article L. 621-1 du CESEDA lors d’une procédure uniquement fondée sur le caractère irrégulier du séjour.

Dans un premier temps, un avis de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 juin 2012, demandé par la chambre civile de la Cour, avait clairement indiqué qu’un étranger soupçonné de séjour irrégulier ne peut être placé en garde à vue pour une procédure diligentée de ce seul chef puisque :

 l’article 62-2 du code de procédure pénale dispose depuis la loi du 14 avril 2011 que la garde à vue est une mesure « par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs » ;

 un étranger ne peut encourir de peine d’emprisonnement s’il n’a pas été soumis préalablement aux mesures prévues par la directive retour.

Par ailleurs, en l’état du droit antérieur à la loi du 14 avril 2011, selon la procédure de flagrant délit alors applicable, un étranger ne pouvait être placé en garde à vue que s’agissant des délits punis d’emprisonnement. Pour les mêmes raisons, les étrangers ne pouvaient alors pas être placés en garde à vue.

Dans un second temps, la Cour de cassation a jugé le 5 juillet 2012 que, « attendu qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne [€¦] que la directive 2008/115/CE s’oppose à une réglementation nationale réprimant le séjour irrégulier d’une peine d’emprisonnement, en ce que cette réglementation est susceptible de conduire, pour ce seul motif, à l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers, lorsque ce dernier, non disposé à quitter le territoire national volontairement, soit n’a pas été préalablement soumis à l’une des mesures coercitives prévues à l’article 8 de cette directive, soit, a déjà fait l’objet d’un placement en rétention, mais n’a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure », il s’ensuit « qu’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier, qui n’encourt pas l’emprisonnement prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile lorsqu’il se trouve dans l’une ou l’autre situation exposée par la jurisprudence européenne précitée, ne peut être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef ».

La circulaire de la ministre de la justice du 6 juillet 2012 précise en conséquence que les procureurs doivent inviter les officiers de police judiciaire à « éviter de recourir désormais à une mesure de garde à vue du seul chef de séjour irrégulier ». Une garde à vue peut être envisagée si une autre infraction punie d’une peine d’emprisonnement est relevée (faux, usage de faux, usurpation d’identité). Par ailleurs, il est rappelé que la directive retour ne fait pas obstacle à ce que fassent l’objet d’une sanction pénale les comportements de violence envers les dépositaires de l’autorité publique, de fraude, de soustraction à une mesure d’éloignement ou les comportements visant à faire obstacle à l’exécution forcée de l’éloignement lorsque la mesure la plus coercitive prévue par la directive (rétention) a été mise en Å“uvre.

Les dispositions applicables à la vérification d’identité sont rappelées (article 78-3 du code de procédure pénale) : la personne ne peut être retenue que le temps strictement nécessaire à l’établissement de son identité (ce qui est différent de la situation au regard du droit au séjour), dans la limite de quatre heures.

La circulaire rappelle que l’audition sans placement en garde à vue (audition libre) « est juridiquement concevable mais suppose, conformément à l’article 73 du code de procédure pénale, que la personne n’a pas été conduite par la force publique sous la contrainte devant un officier de police judiciaire. » La personne doit également être informée qu’elle peut, à tout moment, quitter les locaux de police ou de gendarmerie.

III.- Quelles pistes de réflexion envisager ?

Il convient en premier lieu de souligner le caractère prévisible de ces arrêts qui tirent les conséquences de la jurisprudence de la CJUE, connue depuis 2011.

Il convient également de relever que le précédent gouvernement avait fait le choix de ne pas traiter de cette question en amont, alors même que les contradictions de notre droit national avec la jurisprudence européenne étaient connues.

Il n’appartient pas à notre commission des affaires européennes de se prononcer sur la solution qui devra prévaloir. Le ministre de l’intérieur, M. Manuel Valls, a indiqué qu’un projet de loi devrait être déposé à la rentrée.

Selon les statistiques disponibles, près de 60 000 étrangers seraient concernés chaque année. En effet, en 2011, 59 629 gardes à vues fondées sur les infractions aux conditions générales d’entrée et de séjour des étrangers ont été réalisées (et principalement au titre de l’article L. 621-1 du CESEDA). Il s’agit donc d’une problématique qui concerne un nombre important de personnes. Les gardes à vue étant désormais impossibles sur ce fondement, le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées va également nécessairement diminuer très rapidement puisque la garde à vue était le mode classique de vérification de la situation pouvant conduire à l’OQTF. Alors que le taux d’occupation des centres de rétention administrative était de 59 % des capacités théoriques entre janvier et mai 2012, ce chiffre diminue à 37 % dès début juillet 2012.

Plusieurs pistes de réflexion peuvent être évoquées.

Seuls une audition libre ou une vérification d’identité (limités chacun à quatre heures) peuvent dorénavant être effectués dans la majeure partie des cas (personne n’ayant pas été préalablement soumise à l’une des mesures coercitives prévues par l’article 8 de la directive ou personne soumise à une mesure de rétention pour laquelle la durée maximale de rétention n’a pas expiré).

Selon toute vraisemblance, un délai aussi bref ne permettra pas la vérification de la situation de la personne dans les cas les plus complexes. En effet, il est nécessaire de procéder à plusieurs étapes : rechercher la personne sur les fichiers existants, vérifier la situation de la personne au regard d’une éventuelle demande d’asile, déterminer si la personne doit être éloignée ou pas, décider si un délai de retour volontaire de 30 jours doit être accordé ou non ou, le cas échéant, raccourci, évaluer les risques de fuite et, en conséquence, la nécessité de mesures telles que l’assignation à résidence ou la rétention, prendre une décision en matière d’éventuelle interdiction de retour. Ainsi, une obligation de quitter le territoire français regroupe en fait cinq à six décisions individualisées qui doivent être motivées. Un délai de quelques heures peut parfois suffire si la situation de la personne n’est pas complexe, si la vérification se fait aux horaires de bureau et non pas la nuit et si des services de la police aux frontières sont présents dans les préfectures (la circulaire du ministre de l’intérieur du 6 juillet 2012 prévoit que des agents de liaison de la PAF soient présents dans les directions départementales). La question du délai qui sera accordé aux forces de police pour vérifier la situation de la personne sera donc centrale.

La vérification d’identité ne peut servir qu’à vérifier l’identité et, dès lors que celle-ci est acquise, la personne ne peut plus être retenue. Elle ne semble donc pas constituer donc pas l’outil le mieux adapté à la vérification de la situation au titre du séjour.

Les auditions libres, dès lors qu’elles sont entourées de toutes les garanties rappelées par la circulaire du 6 juillet 2012, peuvent également permettre de vérifier une situation, mais elles sont limitées à quatre heures et la personne peut partir à tout moment.

Il conviendra également d’analyser dans quelle mesure l’accès opérationnel des forces de police aux différents fichiers informatiques existants est satisfaisant (vérification de l’existence d’une demande de titre de séjour ou attente d’une décision) ou si des améliorations doivent être apportées.

Les réflexions doivent donc se poursuivre sur l’élaboration, en droit français, d’une procédure nouvelle qui réponde aux exigences de nos engagements européens et permette aux forces de police de procéder, dans des conditions réalistes, à des vérifications de la situation d’étrangers au regard de la législation qui leur est applicable en matière d’entrée et de séjour. Le cas échant, les atteintes à la liberté d’aller et venir de ces personnes devront être strictement nécessaires et proportionnées et un mécanisme de contrôle juridictionnel devra être prévu.

Par ailleurs, la situation des pays européens appliquant la directive retour devra également être examinée attentivement, étant entendu toutefois que l’hétérogénéité des systèmes judiciaires rend parfois les comparaisons délicates.

Selon les premières informations disponibles, la législation allemande prévoit une présentation sans délai au juge d’instance des étrangers entrés illégalement sur le territoire et retenues provisoirement par la police. Une retenue policière serait prévue dans un certain nombre d’États membres, soit limitée au temps strictement nécessaire, soit limitée à une durée maximale de 12 heures (12 heures avec possibilité de prolongation de 12 heures en Belgique) à 5 jours (Pays-Bas). Toutefois, au-delà de la seule durée de retenue, c’est l’équilibre global de la procédure qui doit être pris en compte dans les comparaisons internationales.

En conclusion, ils convient de poursuivre les travaux de réflexion afin de tirer toutes les conséquences des jurisprudences européenne et française. Les enjeux sont importants car le nombre de personnes qui étaient jusqu’à présent concernées chaque année par une garde à vue au titre de la législation sur les étrangers est élevé. Le gouvernement travaille actuellement sur les mesures à prendre et un projet de loi devrait être présenté à la rentrée.

L’exposé de Mme Marietta Karamanli, rapporteure, a été suivi d’un débat.

M. Jacques Myard.

Je retiens de votre exposé que l’on sort désormais du champ pénal, pour aboutir à la rétention administrative. Mon sentiment est, en l’espèce, que la Cour de justice joue avec le feu. La garde à vue est en effet assortie de nombreuses garanties pour les personnes, alors que la rétention administrative est beaucoup moins encadrée, les pratiques variant beaucoup d’un pays à l’autre. Par juridicisme, les juges nous précipitent dans un régime instable, peu encadré et dangereux, et je regrette que ce comportement ne soit pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, exceptionnel.

Mme Marietta Karamanli.

Il faut d’abord préciser que la Cour n’a pas condamné la garde à vue, mais elle s’est prononcée au regard de la peine d’emprisonnement, la Cour de cassation en tirant ensuite les conséquences que je vous ai décrites.

M. Jacques Myard.

Je ne partage pas votre sentiment. Dès lors que la Cour estime que les États ne sauraient procéder à une peine privative de liberté en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives d’éloignement forcé, elle remet de toute évidence en cause la pratique de la garde à vue.

M. Christophe Caresche.

La recherche des responsables de la situation ne nous exonère pas de trouver une solution satisfaisante. Et, à cet égard, je dois à mon tour rappeler que la garde à vue est aujourd’hui €“ qu’on le veuille ou non €“ nécessaire, comme préalable au placement en rétention administrative, l’arrêté afférent étant en effet pris à l’issue de la garde à vue. Et c’est bien pourquoi presque tous les étrangers en situation irrégulière frappés d’une interdiction de séjour sont préalablement mis en garde à vue avant les éventuelles procédures d’expulsion.

La Présidente Danielle Auroi.

J’en conclus qu’il serait opportun de notre part d’examiner avec attention le futur projet de loi, afin d’apporter toute notre expertise sur cette question importante. »