Marietta KARAMANLI « Traités commerciaux conclus par l’Union européenne, être vigilant pour que le commerce soit équitable pour tous, préserve l’accès des pays les plus pauvres aux ressources alimentaires et sanitaires, et que les parlements nationaux soient saisis sur les sujets liés au développement durable et aux productions significatives nationales»

 

Les 8 et 15 mars 2018, je suis intervenue en réunion de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale sur le thème du commerce international, des accords entre l’Union européenne et les Etats tiers s’agissant des échanges et des questions qu’ils soulèvent.

D’une part, concernant un rapport proposé à la discussion de la commission, j’ai insisté sur trois dimensions celle de la régulation demandée par les Etats en voie de développement qui contestent la façon dont les prix des matières premières sont fixés et la différence entre les montants d’achats et de revente en Europe, générant d’immenses bénéfices pour quelques firmes, la nécessité d’un traitement spécial et différencié pour certains produits ( de 1ère nécessité en matière alimentaire ou sanitaire par exemple), enfin sur la question de la ratification de ces accords de nouvelle génération par les parlements nationaux ( à la suite du parlement européen).

D’autre part, à l’occasion de la venue du secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, j’ai reposé la question de la non-participation des parlements nationaux à l’examen des accords commerciaux internationaux. Je l’ai aussi interrogé sur la nécessité d’avis indépendants et experts concernant l’impact des ces traités (cf commission « Schubert », du nom de la Présidente de la commission relative aux impacts du traité CETA, qui a rendu un avis en suggérant plusieurs pistes d’amélioration sans suites pour l’instant).

J’estime que les Parlements nationaux à raison même des sujets pour lesquels l’Union n’a pas de compétences en propre doivent pouvoir être consultés pour donner un avis lorsque leurs intérêts notamment dans les domaines de la santé, de l’environnement ou de leur production nationale sont touchés de façon directe et amènent à diminuer les protections et garanties existantes pour leurs propres citoyens ou producteurs. Il ne s’agit pas d’empiéter sur les compétences de l’Union ou du parlement européen mais d’une part de faire prévaloir la discussion la plus large sur des sujets sensibles, d’autre part de faire prévaloir un droit qui soit juste dans les domaines concernés sachant qu’on ne peut accepter que de façon subtile un domaine où l’Union n’a pas à décider en première intention le devienne par simple renvoi à sa compétence en matière commerciale.

Les rapporteurs comme le secrétaire d’Etat n’ont pas été clairs dans leurs réponses renvoyant à une discussion sur des critères moins explicites que ceux que je défends.

C’est un sujet à suivre et à défendre. Je le ferai!

 

 

 

 

 

Commission des affaires européennes, jeudi 8 mars 2018 , 10 heures, Compte rendu n° 32, III. Présentation du rapport d’information sur la politique commerciale de l’Union européenne et l’OMC

Mme Marietta Karamanli.

Nous observons un certain glissement à l’œuvre dans les relations commerciales à travers ce que nous avons pu constater dans le cycle de Doha. Votre rapport met en relief les difficultés de l’OMC à trouver un nouveau souffle, qui se traduit dans l’évolution des relations commerciales entre les États. Vous démontrez que la régulation économique espérée est difficile à mettre en œuvre dans les relations multilatérales, ce qui confirme la tendance, annoncée il y a quelques années par M. Pascal Lamy, de privilégier les relations bilatérales.

Je souhaiterais à présent vous poser trois questions.

Premièrement, le projet de rapport ne semble pas retracer les éléments de tensions entre pays développés et pays en voie de développement (PED), à savoir que les premiers ont refusé la proposition des seconds de mieux réguler les firmes mondiales qui fixent des prix parfois injustes pour les ressources utilisées dans la production agricole tout en engrangeant d’immenses bénéfices sur la revente des produits finis. Votre rapport traite-t-il de ce sujet ?

Deuxièmement, s’agissant du principe historique de l’OMC de traitement spécial et différencié, permettant, entre autres, aux pays les plus pauvres de fabriquer des médicaments génériques bon marché et d’être protégés sur le marché des produits alimentaires de base comme le maïs, le riz, le blé, vous soutenez l’idée de mieux circonscrire la notion de PED. Pensez-vous que ce principe puisse, en dépit des difficultés actuelles de l’OMC, servir de base à de nouveaux accords, au-delà de simples déclarations bilatérales ?

Enfin, à la fin de votre rapport, vous indiquez que la Commission européenne ne souhaite plus recourir aux accords mixtes de libre-échange pour ne conclure que des accords relevant de sa compétence exclusive. Vous mentionnez que le projet de loi autorisant la ratification du traité AECG-CETA, prévu pour le second semestre de cette année, pourrait donc bien être le dernier sur lequel se prononce le Parlement français. Cela aurait-il pour conséquence la suppression de la ratification par les États membres des accords conclus par l’Union européenne, à l’exception de certains d’entre eux tels que ceux qui portent sur la protection de l’investissement. Compte tenu de l’extrême sensibilité du sujet, je souhaiterais connaître votre point de vue à cet égard, ainsi que celui des autorités françaises.

Jean-Louis Bourlanges.

Je voudrais d’une part signaler une tension et d’autre part apporter une précision. La tension trouve son illustration dans nos débats de ce jour : nous convenons tous que nous avons passionnément besoin de décisions multilatérales parce que les grands enjeux économiques, humains, migratoires, financiers, militaires sont de plus en plus transnationaux. Dans le même temps, il est absolument paradoxal de tenter de concilier l’approche multilatérale avec les droits de 164 États souverains. Et, à cet égard, le rapport essaie de définir des voies médianes tel le plurilatéralisme. En dépit des solutions proposées, il n’en demeure pas moins que la difficulté de conciliation de tendances opposées est réelle. J’illustrerai mon propos en attirant l’attention de la commission sur les deux rapports qui lui sont soumis au cours de la séance d’aujourd’hui : l’on s’apprête en effet à adopter le présent rapport résolument multilatéral après avoir précédemment adopté une proposition de résolution ayant pour objet, à l’inverse, de dénoncer un projet de règlement européen au motif qu’il serait contraire au principe de subsidiarité. Or, il faut être bien conscient que l’on ne parviendra pas à faire perdurer un système multilatéral si l’on ne consent pas au sacrifice d’un certain nombre de compétences, nationales, parlementaires. Il s’agit du prix à payer pour l’efficacité multilatérale.

Sur la question des négociations dites mixtes, j’appelle à une grande vigilance : je ne voudrais pas que s’accrédite au sein de notre Parlement et notamment au sein de notre Commission des affaires européennes l’idée que la Commission européenne aurait une stratégie d’évitement du contrôle des Parlements nationaux en ne menant que des négociations commerciales dans le champ de sa compétence exclusive. Notre rapporteur Vincent Bru a bien insisté sur ce point lors de sa réponse à notre collègue Marietta Karamanli, et je l’en remercie, mais peut-être conviendrait-il de le faire aussi dans le rapport. Car que dit la Commission européenne ? Qu’elle ne veut pas mélanger des négociations dans lesquelles l’Union européenne – c’est-à-dire les États membres et le Parlement européen – a le dernier mot, et des négociations sur lesquelles les États et les Parlements nationaux ont le dernier mot. Pourquoi ? Pour éviter que les États membres « prennent en otage » les compétences relevant du niveau européen (les règles commerciales, par exemple) par le biais de la ratification des règles relevant du niveau national (comme celles relatives aux investissements).

Le fait que nous ne soyons pas compétents en dernier ressort, à travers la procédure de ratification, ne signifie ni qu’une assemblée parlementaire n’exerce aucun contrôle, puisque le Parlement européen intervient dans la procédure, ni que nous soyons totalement écartés, puisque nous contrôlons un acteur fondamental, notre gouvernement. Ce sont les gouvernements nationaux qui donnent à la Commission son mandat de négociation, ce sont eux qui signent l’accord. Décrire la Commission comme un croquemitaine négociant contre tous les Parlements et tous les États membres des accords technocratiques, ce n’est pas décrire la réalité, il est bon que notre rapporteur Vincent Bru le dise, il serait encore meilleur que nos deux rapporteurs l’écrivent !

 

Commission des affaires européennes, jeudi 15 mars 2018, 10 heures, Compte rendu n° 33 ;  Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Mme Marietta Karamanli.

Notre commission a examiné, la semaine dernière, le rapport d’information de MM. Patrice Anato et Vincent Bru sur l’OMC et son articulation avec la politique commerciale européenne. À cette occasion, nous avons appris que la Commission européenne souhaite en finir avec la mixité des accords de libre-échange. Je comprends son objectif qui consiste à supprimer le double niveau de ratification – Union européenne, puis États membres –, et à distinguer, d’une part, les accords de libre-échange relevant de sa compétence exclusive, et, d’autre part, les accords de promotion et de protection de l’investissement qui resteront soumis à la ratification nationale.

Les rapporteurs nous précisaient, la semaine dernière, que le projet de loi autorisant la ratification du traité CETA, qui devrait être examiné au deuxième semestre, pourrait être le dernier sur lequel le Parlement français se prononcera. Quel est le point de vue des autorités françaises sur cette question ? Le sujet est sensible, car nous savons que la Commission européenne a parfois tendance à estimer qu’elle a le champ libre si les États n’y trouvent rien à redire.

Les accords commerciaux qui portent de plus en plus sur le domaine des services, dont certains services publics, pourraient, selon le Parlement européen lui-même, avoir des conséquences fortes sur les femmes, par exemple en limitant leur accès aux soins, ou en les obligeant à reprendre à leur compte des tâches autrefois dévolues au secteur public. Que pensez-vous de l’idée d’intégrer la dimension du genre aux accords commerciaux, comme l’a suggéré le Parlement européen dans une récente résolution ?

Enfin, pouvez-vous nous dire où en est l’idée de faire précéder systématiquement la conclusion des accords de libre-échange d’une évaluation de son impact en termes de transition énergétique et de biodiversité ? Je n’ai pas bien saisi le sens de vos premières réponses sur ce sujet.

Sylvain Waserman.

Dans le prolongement des questions de M. Jean-Louis Bourlanges et de Mme Marietta Karamanli sur les modèles à réinventer, il me semble que, si nous devons être respectueux du Parlement européen, qui est tout aussi légitime démocratiquement que nous le sommes, nous ne pouvons pas nous dessaisir du débat national sur les compétences exclusives de la Commission européenne.

La solution ne serait-elle pas de repenser le lien entre notre Exécutif et le Parlement ? Nous l’avons fait de façon volontariste à votre initiative, Monsieur le ministre, grâce, par exemple, aux réunions que vous avez mises en place ou aux résolutions du Sénat. Serez-vous le ministre qui innovera pour institutionnaliser un vrai renouveau du dialogue entre l’Exécutif et les parlementaires sur les sujets du commerce international ?

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État.

Je comprends ce point de vue, mais les opinions publiques sont de plus en plus attentives et très mobilisées sur ces sujets ; il ne faut pas donner l’impression d’un dessaisissement des parlements nationaux. Encore une fois, les débats en amont portant sur les mandats constituent une façon de procéder. D’ailleurs les résultats électoraux italiens le montrent : certaines forces tendent à s’emparer des sujets européens afin de mettre en évidence une sorte d’éloignement entre l’échelon européen et l’échelon national. Il faut donc avancer avec beaucoup de précautions sur ces sujets.

En termes de crédibilité dans la négociation, il est clair que les partenaires ont le sentiment, lorsqu’il y a uniquement la ratification du Parlement européen, que les choses iront plus vite. Mais, là encore, s’il y a blocage de la part d’un Parlement national, cela ne concerne que le volet investissement. Dans le cas du CETA, une annexe précise que c’est l’ensemble de l’accord qui tombe, mais on peut imaginer que ce ne soit pas systématiquement cette voie qui sera retenue à l’avenir. Le volet commercial relève purement et simplement du domaine communautaire, et, finalement, du point de vue de la ratification, il relève de la compétence exclusive du Parlement européen.

Pour ce qui concerne le Brexit, la France est alignée sur la position de l’Union européenne  ; nous tenons absolument à préserver cette unité avec le négociateur. Theresa May a expliqué sa position il y a quelques jours : elle souhaite, à terme, sortir du marché intérieur ainsi que de l’union douanière. Cela implique effectivement un relèvement des barrières douanières ; et la négociation d’un accord de libre-échange de type CETA pourrait être engagée afin de trouver de nouveaux équilibres. Dans tous les cas, nous ne souhaitons pas que s’installe ce qu’on appelle le cherry picking – formulation anglaise signifiant « cueillette des cerises » – c’est-à-dire une participation à la carte au sein du marché intérieur.

Je confirme à Mme Marietta Karamanli que la France est effectivement favorable et se place en tête de file pour l’inclusion de la question du genre dans les accords commerciaux, nous avons d’ailleurs signé à Buenos Aires une déclaration portant sur le thème « commerce et genre », et nous militons pour l’ouverture d’une négociation sur ce sujet au sein de l’OMC.

La dimension géopolitique des accords a par ailleurs été évoquée. Nous pensons que ces accords constituent l’occasion de partager nos normes, de faire en sorte qu’elles puissent peut-être prévaloir dans un certain nombre d’aires géographiques, notamment dans celles qui ont peu d’accords commerciaux. Le MERCOSUR, par exemple, ne connaît que peu d’accords commerciaux, c’est pourquoi nous pensons qu’il y a là un gisement d’opportunités.

En définitive, la question portait sur l’unité européenne au regard des dernières élections. On a effectivement pu observer un débat portant sur un certain nombre de valeurs dans des pays du bloc central et oriental de l’Europe. D’aucuns d’entre eux adoptent des législations qui font question, alors que, paradoxalement, ils sont soucieux de politique commerciale, et dans ce domaine les clivages sont assez différents. Il me semble d’ailleurs que ces clivages existaient avant tous ces votes.

Habituellement, le clivage en politique commerciale oppose plutôt les États du Nord aux États du Sud, impliquant souvent des pays nordiques, emmenés par les Pays-Bas ou le Danemark, qui sont partisans du libre-échange pur et dur, alors que, de notre côté, nous avons un certain nombre de principes et de « lignes rouges ». Ainsi, au sujet du MERCOSUR ou d’accords en voie de préparation, sommes-nous souvent rejoints par des États d’Europe centrale et orientale, nonobstant le fait que, sur d’autres sujets, nous sommes en désaccord. En matière de politique commerciale donc, les lignes sont un peu différentes.

Dans le même esprit que Jean-Louis Bourlanges, Sylvain Waserman a évoqué le rôle du Parlement européen, qui est l’instance démocratiquement légitime pour avaliser les accords commerciaux. Cependant, nous devons effectivement trouver de nouvelles règles afin de toujours mieux associer les parlements nationaux, et poursuivre ce dialogue fluide qui permet de prendre en compte vos avis.

Nous souhaitons tout simplement pouvoir rediscuter du critère de développement, car c’est aussi cela qui bloque, et peut-être revoir aussi les règles de décision parce que le consensus a montré ses limites, il faut donc s’interroger sur l’institution de règles de majorité qualifiée.

Mme Obono a demandé quelles sont les propositions de la France au sujet de l’OMC. Objectivement, même s’il y a eu quelques petites avancées sur le commerce ou les PME, que vous avez évoquées, la situation n’en est pas moins restée bloquée dans plusieurs domaines cruciaux. Je considère que nous devons revisiter notre mode de fonctionnement, or, pour l’instant, nous n’avons pas de réponses définitives, et la réflexion demeure en cours ; vous serez naturellement tenus informés de ses progrès.

Vous avez cité, Madame la députée, un certain nombre de travaux. Pour ma part, je n’ai cité personne : j’ai simplement relevé qu’il suffit d’ouvrir Facebook pour constater que tout un chacun, parfois, véhicule des idées qui ne sont pas la réalité. Cela parce qu’il y a une façon de présenter, de travestir des chiffres, qui a malheureusement cours. Pour notre part, nous avons souhaité, au sujet du CETA, nous en remettre à l’avis de scientifiques : la commission d’experts chargée de l’évaluation de l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, présidée par Mme Catherine Schubert, était totalement indépendante. Nous n’avons pas tenu la plume de leur rapport et nous nous fions à ces opinions scientifiques qui nous semblent fondées.

Éric Straumann évoque l’attractivité de Paris, susceptible d’attirer des agences européennes : c’est l’agence bancaire européenne qui va venir s’y installer. L’Agence du médicament, elle, ira finalement à Amsterdam. J’avoue par ailleurs ne pas disposer ici d’informations portant sur les autres agences ; je vous les ferai passer après l’audition. S’agissant des délocalisations, toutes les décisions ne sont pas prises, mais je confirme que les entreprises sont nombreuses à se manifester pour s’installer chez nous.

Mme Marietta Karamanli.

Quel compte allez-vous tenir des propositions formulées par la commission dite « Schubert »?

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État.

Pour nous, le commerce n’est pas le commerce « sec » : il comporte un certain nombre de dimensions associées, et nous souhaitons que les études d’impact puissent refléter l’ensemble des effets attendus des accords, ce qui comprend également les aspects environnementaux.

J’observe que le mandat portant sur l’accord négocié avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande comportera une partie consacrée à l’environnement : il faut être également éclairé sur ce point.