« Pourquoi les droits de l’homme sont des alliés de la lutte contre le terrorisme, mon intervention à la 5ème réunion de coordination des parlements nationaux sous l’égide du bureau des Nations Unies (mai 2024) » par Marietta KARAMANLI

Les 8 et 9 mai 2024, j’ai participé, à l’invitation du bureau des Nations Unies contre le terrorisme,  à la 5ème réunion de coordination des parlements nationaux contre le terrorisme qui s’est tenue à Istanbul (Turquie).

Le 8 mai 2024 plusieurs thèmes étaient en discussion.

Y a été présenté le manuel parlementaire pris en application de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette résolution de 2001 réaffirme que tout acte de terrorisme international, constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales, réaffirme le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, que  consacre la Charte des Nations Unies réaffirmé dans la résolution 1368  (2001), réaffirme la nécessité de lutter par tous les moyens, conformément à la Charte des Nations Unies, contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme.

Ledit livre comporte quatre chapitres relatifs à l’aperçu du rôle des parlements dans la mise en œuvre de la cette résolution du Conseil de sécurité Le chapitre II fixe les exigences imposées aux États membres. Le chapitre III est relatif au phénomène des combattants terroristes étrangers. Le chapitre IV traite des défis internationaux liés à la mise en œuvre de la résolution 1373 . Plusieurs questions sont traitées comme l’approche globale de la société et l’engagement de la société civile, la sauvegarde des droits de l’homme et la promotion d’ une compréhension commune, et la coopération internationale et régionale

Je suis intervenue sur l’Importance de la garantie et de la protection des droits de l’homme dans la prévention et la lutte contre le terrorisme. Voici le texte ayant servi de base à mon intervention.

J’ai défendu trois idées.

Limiter les droits serait en quelque sorte donner raison au terrorisme qui parie sur le chaos et essaie de délégitimer l’action du plus grand nombre, l’action citoyenne et pacifique.

Consolider les droits humains c’est accepter que les citoyens vivent normalement et améliorent l’acceptabilité de ce qui est l’exception.

Affirmer la place et le rôle des parlements permet d’anticiper et maitriser des législations d’exception, et en garantit l’évaluation et le contrôle

Le 9 mai mon propos a été axé sur

             l’attaque contre les lieux et symboles est un élément d’une stratégie pensée et menée pour affaiblir le corps social ;

             la loi doit être la même pour protéger toutes les croyances et les individus et cette protection va de pair avec la liberté d’expression dans ses différentes formes ;

             la prévention des actes violents et extrémistes contre les lieux et symboles doit pouvoir s’appuyer au-delà de la mise en œuvre de mesures de police et de justice sur des outils modernes d’anticipation, de suivi et de communication.

J’ai fait plusieurs propositions pour développer les dits outils.

Le texte ayant servi de base à mon intervention du 8 mai 2024

Monsieur,

Madame,

Chères et chers collègues parlementaires,

Des législations et des politiques de lutte contre le terrorisme se sont développées partout dans le Monde à mesure que des intentions et les actions terroristes se sont développées ces dernières années touchant les personnes et les institutions.

Celles-ci sont le plus souvent des législations d’exception par rapport aux droits et lois existants ou habituelles.

Elles recèlent :

             soient des effets immédiats limitant les droits de l’homme et les libertés fondamentales des pays qui les ont adoptées ;

             soient des d’effets « délétères » à terme car persistant au-delà des situations ou circonstances les ayant générés.

Certes le terrorisme a ses particularités mais de nouvelles crises ou situations d’urgence de différentes natures pourraient demain conduire à nouveau les pouvoirs publics à prendre  de nouvelles mesures exceptionnelles mettant en cause l’ordre démocratique.

Il n’est pas possible d’examiner de façon détaillée les législations nationales, les lois locales, la coopération internationale entre services de police et de justice qui sont de nature à poser problème immédiatement ou à terme.

Je me propose de dire en quelques minutes

 1 ) pourquoi les droits de l’hommes sont un allié contre le terrorisme ;

2 ) à quelles conditions ils le sont, les deux étant intrinsèquement liés.

I Les droits de l’hommes sont des alliés contre le terrorisme

A La premier motif est évident.

Limiter les droits serait en quelque sorte donner raison au terrorisme qui parie sur le chaos et essaie de délégitimer l’action du plus grand nombre, l’action citoyenne et pacifique.

B Le deuxième motif est que consolider les droits humains c’est accepter que les citoyens vivent normalement et améliorent l’acceptabilité de ce qui est l’exception, temporaire et améliorable !

Maintenir et développer l’Etat de droit face au terrorisme c’est accepter de poser des questions difficiles et obliger des dirigeants à réfléchir aux réponses.

Tout cela permet d’éviter les erreurs politiques et se  traduit par la prise de décisions politiques plus solides et plus légitimes.

En quelque sorte en fondant le système sur le droit et la justice on est plus efficace que sans.

Un système de droits est alors préférable alors que la force permet d’ imposer y compris l’erreur sans avoir la capacité de la discuter.

II Ma deuxième réflexion est que la promotion des droits suppose un système démocratique performant

J’aborderai trois sujets qui sont autant de conditions, me semble -t-il, au maintien des droits et libertés.

Tout d’abord il faut préserver la place et le rôle des parlements, anticiper les législations d’exception, garantir l’évaluation et le contrôle

D’une part et j’en parle, ici, avec honneur et plaisir, l’existence et la continuité du fonctionnement parlementaires me semblent devoir être une priorité en période de crise.

En effet les parlements comptent de nombreuses personnes qui sont les représentants d’un large éventail de points de vue.

Représentatifs de la diversité des points de vue, le contrôle exercé sur les exécutifs par les parlements est essentiel.

Les législations antiterroristes ou d’urgence s’inscrivent souvent dans une logique où des pouvoirs exorbitants sont conférés au pouvoir exécutif pour répondre à des situations exceptionnelles et temporaires.

Un régime d’exception doit être anticipé pour qu’il soit maîtrisé.

Toute mesure doit ainsi être envisagée, selon des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité.

Parallèlement les parlementaires doivent être associés autant que possible au travail de coordination au sein de l’appareil d’Etat mettant en œuvre les mesures de lutte contre-terrorisme non seulement pour en contrôler la nécessité et la proportionnalité effectives mais aussi parce que cette participation est de nature à assurer un contre-pouvoir.

Les assemblées parlementaires doivent aussi être en mesure d’évaluer l’application de la législation par des missions dédiées.

Il faut des retours d’expérience pour savoir si un dispositif contrariant les droits s’avère efficace et n’est pas détourné de son objet initial.

Enfin les parlementaires doivent avoir la capacité de saisir les instances de régulation juridique en cas d’urgence (Cours constitutionnelles ou hautes juridictions).

En raison du caractère attentatoire aux droits et libertés de certaines mesures ainsi que des risques d’abus et d’arbitraire, l’accès plein et entier au juge doit être garanti, voire renforcé, pour qu’un contrôle juridictionnel soit opéré.

Parallèlement au renforcement des parlements, il faut promouvoir l’action de ce que le Conseil de l’Europe nomme les structures nationales des droits de l’homme (SNDH).

Ces structures ont souvent la qualité d’autorités publiques indépendantes.

Elles peuvent par leur composition diverse, leur expérience, et leur expertise donner des avis juridiques, conseiller, évaluer et permettre le respect des droits des citoyens et des personnes.

Elles constituent aussi l’interface entre les autorités nationales et les citoyens.

Elles peuvent porter dans le débat public et les médias des contre-discours insistant sur la nécessité d’éviter les stéréotypes pernicieux, combattre le racisme et l’intolérance tout en luttant contre le terrorisme.

Pour toutes ces raisons, il faut renforcer leur visibilité et leurs moyens

Enfin ce sera le dernier point de mon intervention, il faut reconnaître et garantir la promotion d’un espace reconnu et propre à la société civile.

C’est essentiel au maintien de la cohésion sociale, de l’État de droit et d’une démocratie saine.

J’ai eu l’occasion de le dire à l’occasion d’un rapport sur les piliers de la démocratie en temps de crise, que les organisations de la société civile sont l’un des éléments essentiels de tout système véritablement démocratique.

Indépendantes de l’État et du marché, elles permettent aux citoyens d’agir collectivement et constituent un pilier essentiel de la vie publique.

Elles contribuent aussi à la formation de l’opinion publique.

Des mesures peuvent restreindre leurs droits fondamentaux comme la liberté de réunion et la liberté d’expression.

Dans ces conditions une attention particulière doit être portée à leur fonctionnement et à l’exercice de leurs droits.

Enfin, et j’en terminerai là, une attention doit être portée aux dispositifs de protection de la liberté d’expression des personnes, journalistes, des organisations de la société civile, des décideurs, et des universitaires/scientifiques ; ils doivent pouvoir rendre compte de la gestion et des effets des lois anti terroristes sans limitation particulière.

Pour l’Etat la tendance de fond est de surveiller et d’empêcher les auteurs avant la commission des actes mais comme le disait un observateur « avoir de grandes oreilles c’est bien mais sans cerveau cela n’est guère utile ».

Les droits des citoyens et les garanties données à leurs libertés sont les « neurones » qui permettent au « cerveau de notre société » de se protéger avec efficacité.

Sécurité(s) sans libertés c’est comme « science sans conscience », c’est la ruine de l’âme, pour paraphraser Rabelais un écrivain humaniste de la renaissance  qui vivait près il y a cinq siècles à quelques dizaines kilomètres d’où je vis.

Merci de votre attention

Marietta KARAMANLI