Projet de loi sur l’immigration et la nationalité, pour Marietta KARAMANLI « des mesures inadaptées face aux enjeux et souvent dangereuses pour les libertés »

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A l’occasion de la discussion du projet de loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité je suis intervenue à plusieurs reprises dans le débat en séance publique. J’ai notamment insisté sur le procès d’intention fait aux personnes d’origine étrangère qui seraient selon le Président de la République et le ministre de l’Intérieur plus enclins à ne pas respecter les intérêts de la France ou à commettre des délits. D’une part, aucune définition n’est donnée des origines étrangères d’un Français : sont- ce les étrangers devenus Français ou ceux ayant des parents ou grands-parents étrangers? D’autre part, ce discours qui ne repose sur aucune donnée fiable est fait pour trouver facilement des responsables alors même que la politique de lutte de l’Etat contre la délinquance est en panne (résultats stagnants, forces de police en diminution, etc€¦) et ne lutte pas efficacement contre les délinquants ni contre les causes de la délinquance . Par ailleurs concernant la déchéance de la nationalité, celle-ci est déjà prévue par le code pénal en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Une telle disposition appliquée aux cas de meurtre ou de violences entraînant la mort d’un représentant de l’ordre public aurait pu être adoptée depuis longtemps, dans la mesure où les malfaiteurs ont toujours défié les forces de l’ordre en n’hésitant pas malheureusement à tirer sur ceux qui s’opposent à leurs méfaits. Elle apparaît maintenant dans le contexte des tensions dans certains quartiers urbaines et est dérisoire pour combattre des criminels qui encourent une peine de prison de plusieurs dizaines d’années. Elle pourrait malheureusement être utilisée pour traiter différemment dans d’autres situations des Français n’ayant pas les mêmes origines créant de la sorte une inégalité de droit injustifiée. Parmi les autres dispositions du projet, l’article 6 crée des zones d’attente nouvelles. Ces zones permettraient de maintenir dans leur périmètre un groupe d’au moins dix étrangers venant d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres. Elles seraient créées par les Préfets ou la police. Concrètement elles pourraient empêcher les personnes retenues de faire valoir leurs droits et ne traiteraient pas différemment les adultes et les enfants ce qui conduirait probablement à retenir ceux-ci alors même que la privation de la liberté est condamnée s’agissant de mineurs. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, institution officielle a parlé, à propos de ces zones d’attente, « d’une banalisation de la privation de liberté », cette qualification résultant d’une absence de précision. Les débats ont été émaillés de prises de position parfois intolérantes.


Assemblée nationale, IIIe législature, Deuxième session extraordinaire de 2009-2010, Compte rendu intégral, Deuxième séance du mercredi 29 septembre 2010

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Nous entendons des choses assez extraordinaires mais revenons plutôt au calme.
Comme mon collègue Etienne Pinte, j’ai été naturalisée, et je possède la double nationalité. Et je ne peux pas comprendre les arguments de M. Goasguen qui plaide en faveur de la renonciation à la nationalité d’origine, au motif que la double nationalité présenterait un danger en tant que source de conflits d’intérêts. Renoncer ne nous rend aucunement de meilleurs Français.

M. Thierry Mariani, rapporteur.

Nous n’avons jamais demandé cela !

Mme Marietta Karamanli.

Pourquoi un Français ayant une autre nationalité serait-il moins bon citoyen qu’un autre ?
Par ailleurs, vous envisagez les cas de conflits, mais j’estime qu’il faut aussi s’inscrire dans la paix. Nous travaillons tous en ce sens. En cas de conflits, nous sommes capables, en tant qu’êtres humains, de faire preuve de bon sens et d’esprit critique et de servir la justice. Et la justice nous fait toujours pencher du même côté. Nous n’aurons donc pas forcément à choisir entre tel ou tel État.

Les suppositions stigmatisent plutôt qu’elles n’aident à résoudre les problèmes qui se posent à nous. À cet égard, l’amendement de M. Braouezec répond de manière très claire aux questions. Il nous paraît normal que l’État puisse établir des statistiques sur les diverses populations qui vivent sur son territoire.

En revanche, il n’apparaît pas nécessaire de revenir sur la double nationalité et d’opposer les citoyens entre eux, comme vous voulez le faire avec ce texte. (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)

Assemblée nationale XIIIe législature, Deuxième session extraordinaire de 2009-2010, Compte rendu intégral Première séance du jeudi 30 septembre 2010

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

L’article 3 bis nous ramène au cÅ“ur du problème posé par ce texte. L’extension de la déchéance de la nationalité, au-delà des cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, y compris la trahison au profit d’un autre État, et d’atteinte à l’administration par des personnes exerçant une fonction publique, aux cas de meurtre ou de violences entraînant la mort d’un représentant de l’ordre public, est à plusieurs titres inquiétante.

À défaut d’être efficace, c’est-à-dire dissuasive, elle vise en réalité autre chose. Je me pose en effet la question de l’utilisation symbolique et politique d’une telle disposition.

Celle-ci a été annoncée par le chef de l’État après des violences urbaines dans des quartiers où vivent des Français ayant des origines étrangères. Une telle disposition aurait pu être adoptée depuis longtemps, dans la mesure où les malfaiteurs, dans le cadre de la criminalité organisée, ont toujours défié les forces de l’ordre et n’hésitent malheureusement pas à faire disparaître ceux qui s’opposent à leurs méfaits. Pourtant, rien de tel n’avait jusqu’alors été envisagé.

Il y a lieu de s’étonner qu’une telle disposition soit discutée, non à l’occasion d’un texte de répression pénale, mais sur un texte relatif à la nationalité et à l’immigration. Je veux donc formuler trois observations sur la « révélation » subite de la nécessité d’une telle mesure.

Tout d’abord, je ne pense pas que celle-ci portera spécialement sur les délinquants les plus durs. Les personnes qui commettent des infractions graves visées par les articles 221-4 et 222-8 du code pénal n’ont pas renoncé à leurs méfaits malgré les peines de plusieurs années, voire de plusieurs dizaines d’années de prison, qu’elles encourent pour ces actes. Je doute donc fort que la menace d’une déchéance de nationalité les dissuade davantage ; je doute même qu’elles soient affectées par une telle décision, dont les effets matériels risquent d’être fort lointains.

Je ne peux donc m’empêcher de penser au contexte dans lequel cette mesure a été annoncée. Le 30 juillet 2010, à Grenoble, le Président de la République déclarait publiquement, à propos des violences urbaines et de la délinquance : « Nous subissons les conséquences de cinquante années d’immigration insuffisamment régulées. » Le 5 août suivant, son ministre de l’intérieur déclarait à son tour : « Chacun sait qu’il y a des liens entre délinquance et immigration. » Le 7 août, ce même ministre annonçait qu’il formulerait des propositions au Président de la République d’ici à la fin du mois pour la mise en Å“uvre juridique de la mesure de déchéance de la nationalité contre les auteurs d’homicides envers les personnes dépositaires de l’autorité publique, de polygamie et d’excision.

Je constate ainsi que les discours des plus hautes autorités de l’État ayant précédé la présentation de cette disposition ont tous laissé penser que si l’on a des origines étrangères €“ ce que l’on s’est bien gardé de définir avec précision à ce moment-là €“, on est probablement moins bon Français, davantage susceptible de transgresser les règles communément acceptées. De la sorte, on a laissé planer très subtilement l’idée que tous les Français n’avaient pas la même valeur. Je crois primordial de rappeler ce contexte, qui crée de façon malsaine une suspicion sur une partie des Français.

Je souhaite par ailleurs relever deux conséquences possibles de cette disposition, toutes deux délétères.

La première, c’est que, comme l’avait laissé entendre le ministre de l’intérieur, la déchéance de la nationalité pourrait concerner demain d’autres crimes ou délits, donc revenir régulièrement en discussion devant l’opinion et dans notre assemblée. La nature très différente des faits initialement visés ne manquera d’inciter à la surenchère.

La deuxième conséquence, c’est le risque que, dans un contexte de crise, des glissements successifs du droit opèrent des changements dans nos principes mêmes. Il y a quelques mois, a été réédité un ouvrage classique intitulé La Politique criminelle des États autoritaires, du professeur Henri Donnedieu de Vabre, livre d’histoire écrit pendant l’entre-deux-guerres qui montre comment certains États semblent mieux répondre aux besoins nouveaux que d’autres États fonctionnant de façon, disons, plus traditionnelle. De la sorte les premiers abandonnent des principes plus élevés et plus durables. Il ne s’agit, hier comme aujourd’hui, aucunement d’une rupture, mais bien de glissements et d’effritements.

J’espère très honnêtement que votre mesure n’en annonce pas d’autres et ne préfigure pas un recul durable de nos principes. C’est pour cette raison qu’il faut revenir sur cet article. (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)

€¦

M. Bruno Le Roux.

Il existe aujourd’hui un nouveau jeu dans les cours de récréation. Celui qui est d’origine étrangère endosse le rôle d’un délinquant que l’on menace : « Attention, on va te retirer la nationalité ! »
Vous jouez avec une notion essentielle dans notre République. Comme l’a souligné Marietta Karamanli, nous verrons demain d’autres délits s’ajouter à la liste, d’autres débats paraître à l’ordre du jour au fil des faits divers.

Connaissant votre réaction hypertrophiée aux faits divers, nous pouvons imaginer que, demain et puis après-demain, nous aurons cette même discussion sur la nationalité, après d’autres événements tragiques. Comment le débat serait-il serein dans ces conditions ?
Vous divisez la République : les Français et les étrangers, les Français de souche et les Français d’adoption, les bons Français, après les bons étrangers€¦ Si nous voulions aujourd’hui un débat sérieux, monsieur le ministre, ce n’est pas vous qui devriez être au banc du Gouvernement, mais M. Hortefeux.

Assemblée nationale, XIIIe législature, Deuxième session extraordinaire de 2009-2010, Compte rendu intégral, Deuxième séance du jeudi 30 septembre 2010

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le ministre, l’article 6 de votre projet constitue à l’évidence une innovation qui inquiète à bien des égards.

Elle inquiète parce qu’elle banalise le principe de la limitation de la liberté d’aller et venir des personnes, ce qui est un comble au moment où l’on favorise la circulation des biens. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, autorité administrative indépendante à qui la loi a confié un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’homme, a parlé, à propos de ces zones d’attente, d’une banalisation de la privation de liberté. Cette qualification résulte d’une absence de précision de votre part.

Cette innovation inquiète aussi à cause de son imprécision, qui fait douter de son caractère de stricte nécessité. En effet, aucun élément sur la création ou sur les conditions de fonctionnement de ces zones n’est donné, ce qui paraît d’ailleurs en contradiction avec la nécessité d’une détermination préalable des lieux et des conditions matérielles de rétention des personnes arrêtées.

Des précisions permettraient aussi de limiter le risque, qui a été rappelé tout à l’heure, de décision arbitraire ou de retenue dans des conditions ne garantissant pas la dignité des personnes. Je me permets de rappeler à cet égard qu’au mois d’août dernier le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est à nouveau inquiété de la situation des centres de rétention de notre pays qui, selon lui, continue de susciter des réserves. En pratique, c’est l’administration préfectorale ou la police qui déterminera cette zone.

L’innovation introduite par l’article 6 inquiète également car elle pourrait aboutir à limiter l’exercice effectif des droits des personnes retenues et, notamment, celui du droit d’asile. L’absence de limitations claires des zones d’attente pourrait restreindre l’exercice du droit d’asile puisque des demandeurs pourraient être à la fois assujettis, en tout lieu déclaré zone d’attente, à la procédure d’asile à la frontière, véritable filtre pour l’accès ultérieur à la procédure d’asile sur le territoire.

Donc l’absence de garanties apportées à l’exercice de ce droit dans le cadre de ces zones créées en fonction des seuls besoins de police paraît de nature à mettre en cause la constitutionnalité et la compatibilité de la mesure avec les conventions internationales telles qu’elles sont interprétées par le juge.

L’innovation introduite par l’article 6 inquiète enfin parce qu’elle oublie et même gomme totalement le sort des enfants et mineurs potentiellement concernés.
Le dispositif s’appliquant aux mineurs isolés étrangers, ceux-ci pourront, eux aussi, être enfermés dans les zones d’attente. Une telle privation de liberté est inadaptée aux mineurs et aux enfants. Or ce point ne fait l’objet d’aucune mention dans le projet, alors que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la situation d’extrême vulnérabilité doit être déterminante et prévaloir sur la qualité d’étranger en séjour illégal.

Dans le courrier qu’il vous a adressé en août dernier, monsieur le ministre, le commissaire au droit de l’homme du Conseil de l’Europe vous a rappelé que la place d’un enfant n’est pas en rétention. Il a ajouté qu’il appartenait à l’État de trouver des solutions appropriées pour organiser le retour d’une famille d’étrangers sans recourir à la privation de liberté.

La détermination d’un représentant des droits des mineurs concernés aurait donc pu être envisagée. Elle aurait permis de prévenir des situations contraires au droit et préjudiciables à la dignité des personnes. Tel n’est pas le cas et je ne peux que le regretter.

C’est la raison pour laquelle nous avions demandé la suppression de cet article. S’il n’y avait pas eu de suspension de séance, ce serait chose faite. Il est regrettable qu’il n’ait pas été supprimé.
€¦

Mme Sandrine Mazetier.

€¦M. le ministre ne l’est pas dans les explications de son refus de mettre en Å“uvre la directive « protection temporaire ». La première fois que je lui en ai parlé, à propos des Afghans, il m’a expliqué qu’il n’y avait pas, sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord, d’afflux massif justifiant de mettre en place les dispositions de la directive « protection temporaire », d’ores et déjà transposée dans notre droit. À présent, il invoque d’autres motifs. Bref, il a toujours une bonne raison de constater qu’il est urgent de ne rien faire et de ne pas appliquer des dispositions qui sont parfaitement applicables.
Vous avez cité l’article 2 de la directive « retour », monsieur le ministre. Permettez-moi de lire son deuxième considérant, qui définit l’esprit dans lequel elle a été rédigée : « Le Conseil européen de Bruxelles des 4 et 5 novembre 2004 a recommandé la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. » Le dispositif des zones d’attente ad hoc, tel que vous le mettrez en place si ce projet de loi est adopté en l’état, bafoue le respect des droits fondamentaux de ces personnes.

Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit ma collègue Marietta Karamanli, à laquelle vous n’avez pas eu l’élégance de répondre. Manifestement, vous avez quelque difficulté à répondre aux députées socialistes.