Dans un précédent article je faisais le point des raisons qui m’avaient amenée à refuser le projet de texte de révision de la Constitution tel que voulu par le Président de la République et soutenu par sa majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale.
J’ai soutenu plusieurs amendements.
Les premiers visent à rééquilibrer les pouvoirs publics entre eux (Président, Premier Ministre et Parlement) en redonnant plus de pouvoirs au 1er ministre (qui présiderait le conseil des ministres), en le rendant plus responsable devant l’Assemblée Nationale (qui voterait sur son nom et son gouvernement avant d’être confirmés par le Président), en lui donnant en contrepartie le droit de dissoudre (retiré au Président).
Dans la plupart des grands pays européens le système politique est conforme à ce modèle et est plus efficace car plus responsable.
Dans notre système présidentialiste le Président cumule des prérogatives mais ne répond aucunement de ses actes devant l’Assemblée Nationale et le Parlement ( le « Qu’ils viennent me chercher» illustre à sa façon une forme d’intouchabilité contraire à ce que les principaux pays de démocratie parlementaire promeuvent et mettent en œuvre).
Pour ne prendre qu’un exemple Mme MERKEL chancelière en République allemande (équivalent du Premier ministre) est responsable devant le Bundestag, cela ne diminue en rien l’efficacité de l’Etat et de l’exécutif) S’il n’est guère envisagé de revenir sur l’élection au suffrage universel du Président dans notre pays, il est possible de rendre plus responsable l’exécutif en la personne du Premier ministre et de maintenir le Président comme un arbitre allant au-delà de Chef de Parti !
Avant même ces mots, j’étais convaincue de la nécessité de rééquilibrer nos institutions politiques.
Les seconds ont visé à protéger les droits nouveaux des citoyens (droits « numériques « ou encore participation à la détermination des circonscriptions électorales)
Un autre encore vise à mieux assurer la séparation des pouvoirs en limitant le passage de hautes fonctions publiques au secteur privé quand les garanties d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêts ne sont pas assurées.
Tous ces amendements ont été refusés par la majorité parfois sans aucune discussion…
Je le regrette et je reste persuadée que les évolutions dans le sens de ceux proposés interviendront à terme.
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Mercredi 27 juin 2018, Séance de 16 heures 30, Compte rendu n° 91
La Commission est saisie de l’amendement CL432 de Mme Cécile Untermaier.
Mme Marietta Karamanli.
Nous souhaitons compléter l’article 1er de la Constitution par l’alinéa suivant : « La loi garantit un accès libre, égal et universel aux réseaux numériques. Elle assure la formation des citoyens à leur utilisation. Elle veille à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée ».
Nous pensons que ce sont des éléments essentiels qui doivent figurer dans la Constitution.
…
Elle est saisie de l’amendement CL834 de Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Un éminent professeur de droit, M. Paul Cassia, a mis en évidence l’existence d’une collusion entre intérêts publics et intérêts privés. Cette situation, très développée dans notre pays, est de nature à mettre en cause la séparation des pouvoirs, principe de valeur constitutionnelle.
Un millier de fonctionnaires d’État seraient concernés chaque année par le pantouflage, c’est-à-dire par le fait de passer du secteur public au secteur privé. Jadis observée en fin de carrière, cette pratique s’est généralisée en France et dans le monde, au point que l’OCDE s’en est inquiétée dans un rapport paru en 2009 : « les relations proches entre, d’un côté, les régulateurs et le pouvoir politique, et de l’autre, l’industrie de la finance et ses lobbyistes, sont alimentées par le recyclage régulier de personnel entre ces deux univers. (…) S’attaquer aux portes tournantes constitue le début d’un processus indispensable afin de restaurer la confiance des citoyens dans le système politique et le fonctionnement des marchés financiers ».
Plusieurs propositions de loi comportent des dispositions qui, comme l’a analysé le président de la commission de la déontologie de la fonction publique, « encouragent ces passages entre la fonction publique et l’exercice d’activités privées ».
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure.
Vous imaginez bien que l’interdiction du pantouflage n’a rien à faire à l’article 1er de la Constitution, qui consacre les principes fondamentaux de notre République. La commission des Lois a mené une mission d’information sur le pantouflage, question qui nous occupe depuis les débats sur la loi « confiance » et les amendements qui avaient été défendus au Sénat. Les conclusions de ce rapport, si elles vont dans le sens d’une modification de notre législation en matière de lutte contre le pantouflage, n’indiquent pas que cette législation est entravée par une difficulté constitutionnelle. Je ne vois donc pas l’intérêt de modifier la Constitution. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Jeudi 28 juin 2018 Séance de 14 heures, Compte rendu n° 93
…
La Commission en vient à l’amendement CL846 de Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Ce projet de loi invoque dans son titre même une démocratie plus « responsable ». Or, dans l’ensemble des États européens, le Gouvernement détient l’autorité politique car il est responsable devant le Parlement, tandis que le chef de l’État, politiquement irresponsable devant les assemblées, assure une fonction d’arbitre et de garant de la continuité des institutions.
Le texte de la Constitution de 1958, au contraire, met en avant le Président de la République. Sa légitimité est équivalente à celle des 577 députés élus au suffrage universel direct. Il a une fonction d’inspiration de la politique menée tout au long de son mandat. Il serait logique, sans remettre en cause la fonction du Président de la République, que ce soit le chef du Gouvernement, responsable devant le Parlement, qui puisse décider de dénouer une crise politique avec l’Assemblée nationale. Le général de Gaulle, fondateur de notre régime politique actuel, avait lui-même précisé à maintes reprises que le Gouvernement devait prendre en charge les contingences politiques, économiques et sociales ainsi que le fonctionnement des services publics, tandis que le Président de la République était responsable de la place de la France sur la scène internationale, de sa défense, et plus largement, des choix fondamentaux. Il serait donc logique que la dissolution de l’Assemblée nationale soit décidée en Conseil des ministres, puisque c’est à celui-ci qu’il appartient, sous la conduite du Premier ministre, de mettre en œuvre la politique de la majorité parlementaire – même si cette politique est inspirée par le chef de l’État
L’amendement n’aurait guère d’effet puisque, depuis la IVe République, on ne vote pas en Conseil des ministres. La légitimité du Président de la République est à ce point supérieure à celle de chaque ministre pris individuellement que cela n’aurait pas de sens.
De plus, la dissolution doit venir trancher une crise politique qui n’est pas forcément de nature parlementaire. Par exemple, en mai 1968, la majorité qui soutenait le Gouvernement de Georges Pompidou ne faisait aucun doute. C’est dans la relation directe entre le Président de la République et le peuple que résidait la difficulté, qui a été clairement tranchée alors.
Enfin, vous proposez que la dissolution soit décidée « après avis du président de l’Assemblée nationale ». Or, dans le droit actuel, ce sont les présidents des deux assemblées qui sont consultés. Il faut garder cet équilibre.
Avis défavorable.
Mme Marietta Karamanli.
Notre amendement a vocation à améliorer les rapports entre les pouvoirs constitués et à mieux faire appliquer le principe de responsabilité. Je regrette que nous ne parvenions pas à rendre notre République plus moderne et plus responsable. Le Premier ministre, responsable devant le Parlement, devrait avoir un autre rôle que celui d’attendre que le Président de la République décide d’une dissolution.
Sébastien Jumel.
Nous soutiendrons cet amendement, puisque nous avons nous-mêmes proposé de réduire les prérogatives exorbitantes du Président de la République pour renforcer l’équilibre des pouvoirs.
Vous semblez très préoccupés de ne pas déstabiliser nos collègues sénateurs, mais nous sommes à l’Assemblée nationale et nous examinons une loi constitutionnelle. Nous n’avons que faire d’un accord conclu entre le Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, ni des marchandages entre la droite et la droite pour adopter ce mauvais projet. Nous examinons les textes au fur et à mesure qu’ils arrivent en discussion et nous ne sommes pas liés par une entente dont nous n’avons connaissance ni quant à la forme ni quant au fond.
Marc Fesneau, rapporteur.
Ma remarque concernant le Sénat n’était pas mon argumentation principale. Par ailleurs, il n’y a pas de marchandage. Nous sommes liés par les travaux que nous avons à mener ensemble et par l’exigence de trouver un compromis susceptible d’être approuvé par les trois cinquièmes des membres de nos deux assemblées. Nous aurons beau écrire tout ce que nous voulons, si nous n’avons pas cette majorité des trois cinquièmes, il n’y aura pas de révision constitutionnelle.
La Commission rejette l’amendement CL846.
Elle examine ensuite l’amendement CL928 de M. André Chassaigne.
Sébastien Jumel.
J’apprécie, madame la rapporteure, la tonalité apaisée de nos débats. Je n’en rappelle pas moins que nous modifions le texte de la Constitution, ce qui appelle l’unité du peuple, y compris dans sa diversité.
De ce fait, il serait intéressant que la majorité accepte quelques amendements de l’opposition, faute de quoi le risque serait grand que la coloration politique de cette révision constitutionnelle l’emporte sur l’unité. Si je formule cette remarque, c’est que d’autres amendements restent à venir, sur lesquels il faudra donner des signes.
Celui que je présente à l’instant peut vous offrir cette occasion. Il s’agit d’interdire à une personnalité nommée par le Président de la République à des fonctions d’intérêt général d’avoir, au cours des trois années précédant sa nomination, exercé une activité privée en lien avec cette mission. Cela devrait vous parler, madame la rapporteure, car il s’agit d’une mesure de précaution visant à prévenir tout conflit d’intérêts, de nature à rétablir la confiance entre nos concitoyens et nous-mêmes.
Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler hier en répondant à Mme Karamanli, la question du conflit d’intérêts et du « pantouflage » nous préoccupe et a déjà fait l’objet de débats à l’été 2017. Une mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts avait d’ailleurs été constituée, qui comprenait une participation du groupe Les Républicains. Il faut évidemment progresser sur cette question, mais la mesure très radicale que vous proposez ne me paraît pas être appropriée et n’a d’ailleurs pas été retenue par la mission d’information. Une fois encore, et vous m’avez déjà entendu le dire, elle n’est absolument pas de rang constitutionnel.
Pour ces raisons de fond et de forme, j’émets un avis défavorable.
Sébastien Jumel.
Sans mauvais jeu de mots, je suggère que, s’agissant de déontologie, nous ne nous endormions pas dans nos pantoufles… (Sourires.) Si, par les temps qui courent, la probité n’est pas élevée au rang des principes fondamentaux, à celui du sens que nous donnons au service de la République, nous nous préparons des lendemains qui déchantent et qui ne pourraient profiter qu’à ses ennemis.
Si vous jugez radicale ma proposition, en réalité modérée, je puis vous en fournir d’autres qui le sont autrement ! Nous avons précisément recherché quelque chose qui fasse consensus : que l’on ne puisse pas, dans les trois ans précédant sa nomination à une fonction déterminée, avoir exercé dans le secteur privé une activité liée à cette fonction.
Nous nous grandirions en posant cette interdiction dans la Constitution.
Mme Marietta Karamanli.
Si je suis intervenue hier à ce sujet, c’est parce que nous sommes montrés du doigt dans différents rapports, notamment celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Il faut mettre à profit notre débat pour franchir, d’ici à l’examen du texte en séance publique, un pas supplémentaire par rapport aux lois pour la confiance dans la vie politique. Nous devons faire un geste car nous ne pouvons pas laisser passer cette révision de la Constitution sans l’évoquer.
Puis elle examine l’amendement CL837 de Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Cet amendement est en cohérence avec celui présenté hier concernant l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, au scrutin public et à la majorité absolue des députés.
Marc Fesneau, rapporteur.
L’avis est le même sur l’investiture du Premier ministre comme du Gouvernement : défavorable.
La Commission rejette cet amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL842 de Mme Marietta Karamanli.
Mme Marietta Karamanli.
Il s’agit du pendant de l’amendement présenté hier soir sur la nomination du Premier ministre par le Président de la République. Il est demandé par cohérence que le Premier ministre préside le Conseil des ministres et puisse déléguer ce droit au Président de la République pour un ordre du jour déterminé.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.
Elle examine ensuite l’amendement CL490 de Mme Cécile Untermaier.
Mme Marietta Karamanli.
Nous souhaitons compléter l’alinéa 3 de l’article 24 de la Constitution qui indique que les députés, dont le nombre ne peut excéder 577, sont élus au suffrage direct, par la phrase : « Chacun de ses membres favorise la participation des citoyens à la vie publique. » Ce rôle du parlementaire en tant qu’animateur et intermédiaire avec les citoyens n’est pas suffisamment défini dans la Constitution. Il mériterait d’être précisé.
Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL90 de M. Jean-François Eliaou et CL472 de Mme Pires Beaune.
Mme Marietta Karamanli.
Les propos que vous venez de tenir, monsieur le rapporteur général, montrent que nous partageons la même analyse : il est nécessaire que le Parlement dispose d’outils indépendants qui permettent à chacun de ses membres, et pas uniquement aux groupes, de travailler correctement. Or, nous ne disposons actuellement que d’un budget d’à peine 100 000 euros, ce qui est loin d’être suffisant, et les fonctionnaires sont très peu nombreux. Si nous ne sacralisons pas, en quelque sorte, ces outils au plan budgétaire en les inscrivant dans la Constitution, comment pouvons-nous être sûrs qu’ils seront à la hauteur de nos besoins ?
Source : photo capture depuis la vidéo de la réunion sur le site de l'Assemblée Nationale