« Mes propositions pour une réponse exemplaire et volontariste de l’Union européenne aux mesures prises par les Etats-Unis en matière de relance économique et de transition écologique  » par Marietta KARAMANLI

Le 22 novembre 2023 j’ai présenté, avec ma collègue Sabine Thillaye devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale un projet de rapport portant sur la réponse de l’Europe à ce qui est appelé l’inflation reduction act (IRA) . Il agit de la politique économique des Etats-Unis de l’actuelle administration démocrate pour faire face aux difficultés économiques et sociales du pays mais aussi aux défis de la transition écologique.

Adopté par les États-Unis, ce texte et la politique publique qu’il porte sont présentés en Europe  comme une menace sérieuse du fait de son montant, de sa simplicité, et de sa perspective de long terme.  Premièrement, l’IRA permet de capter des investissements d’entreprises au détriment d’autres territoires. Deuxièmement, il divise les pays européens sur la réponse à apporter, les petites économies refusant la mise en place d’aides d’État qui ne bénéficieraient qu’à la France ou à l’Allemagne.  Enfin Il permet aussi et surtout aux États-Unis de prendre une avance décisive sur le vieux continent sur le plan de l’innovation dans le domaine des technologies vertes. Ainsi, tout en donnant aux Américains les moyens d’investir et d’innover dans l’économie verte, l’IRA permet de distancer leurs concurrents européens.

Nous avons réalisé un grand nombre d’entretiens en France et j’ai pu à l’occasion d’un déplacement aux Etats-Unis fin août 2023 échanger sur le sujet avec des responsables économiques et juristes sur le sujet de l’IRA.

Nous avons pu constater que l’IRA présente trois aspects : les entreprises décarbonées, mais aussi un volet santé et un volet recettes. Le volet santé traite de la question de la sécurité sociale et c’est un élément que je salue chez Joe Biden. Il y a aussi un volet recettes qui figure dans le rapport que je vous invite à lire et qui traite de la taxation pharmaceutique. Nous parlons souvent du volet industrie et beaucoup moins des autres. Il faut insister sur ce côté volontariste et nous en inspirer dans l’Union européenne.

Pour faire face à ce vaste projet dynamique et concurrent en vue d’attirer des investisseurs j’ai plaidé pour :

  1.  la capacité de l’Union et des États membres à déclencher efficacement les financements privés au cœur de la réponse européenne à l’IRA ; dans ce cadre la simplicité et la prévisibilité des aides en Europe et la portée transnationale de celles-ci est à rechercher ;
  2. la réduction par l’Europe de sa dépendance stratégique à l’égard des matières premières critiques (utilisées dans la vie quotidienne et les technologie modernes, une liste de ces matières premières est faite par l’Union et actualisée autant que de besoinCritical raw materials – European Commission (europa.eu) , alors que les sites d’extraction et de transformation sont aujourd’hui extrêmement concentrés hors Europe et notamment en Chine et Afrique ;
  3. un soutien à l’industrie « net zéro », avec un objectif global de 40 % de production européenne dans les secteurs des technologies propres, telles que les batteries électriques et les électrolyseurs pour l’hydrogène ;
  4. la mise en place d’un véritable Fonds de souveraineté européen ; l’Union européenne ne peut pas se contenter de faire les « fonds de tiroirs » en réagençant les dispositifs existants et en proposant seulement 10 milliards d’euros de nouveaux financements ;
  5.  identifier les projets stratégiques au niveau européen et mobiliser le budget de l’Union ;
  6.  une réponse européenne à l’IRA s’appuyant sur une politique commerciale et une force commune de discussion entre les États-Unis et l’Union permettant de maintenir le dialogue et d’obtenir de premières concessions, par exemple pour les véhicules assemblés en Europe et mis sur le marché américain en leasing. Ces efforts se poursuivent avec la négociation d’un accord sur les matières premières critiques. Il permettrait aux matériaux extraits ou transformés en Europe de bénéficier du crédit d’impôt pour les véhicules électriques prévu par l’IRA. En 2022, les pays européens ont exporté aux États-Unis pour plus de 8 milliards d’euros de matières premières entrant dans la fabrication de véhicules électriques.

Le projet a été discuté en commission puis adopté et sa publication autorisée

Je serai attentive à ce les instances européennes puissent prendre en compte ses objectifs et recommandations.

Marietta KARAMANLI

Le rapport adopté

IRA-MK-rapport-information-2023

Le compte-rendu de la commission sur le site de l’Assemblée Nationale Compte rendu de réunion n° 51 – Commission des affaires européennes – Session 2023 – 2024 – 16e législature – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

Le texte de mes interventions en commission des affaires européennes lors de cette présentation

Réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA) : communication de Mmes Marietta KARAMANLI et Sabine THILLAYE et examen d’une proposition de résolution européenne

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Monsieur le Président, mes chers collègues. Nous avons choisi de travailler sur la réponse européenne à la loi américaine sur la réduction de l’inflation, plus connue sous son acronyme « IRA ».

Notre communication propose une analyse préliminaire des défis posés à l’économie européenne et des actions engagées par l’Union et les 27 États membres. Elle prolonge la table ronde organisée à ce sujet le 22 mars dernier par notre commission, durant laquelle nous avions pu échanger avec des experts de haut niveau.

En premier lieu, de quoi la loi américaine sur la réduction de l’inflation est‑elle le nom ? Ce texte marque le ralliement nécessaire des États-Unis à la lutte contre le changement climatique. Les errements de l’ère Trump laissent place au volontarisme de l’administration Biden. En effet, l’IRA mobilise sur 10 ans près de 370 milliards de dollars de financements publics pour soutenir l’investissement et la demande dans les filières de l’industrie verte. C’est une bonne nouvelle pour l’action climatique au niveau international. Les États-Unis ont pu être soupçonnés par le passé d’adopter un comportement de « passager clandestin », laissant aux autres nations le soin de supporter les efforts liés à la protection de l’environnement. La trajectoire carbone actuelle des États-Unis devait conduire à une réduction de 26 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, par rapport à 2005. Cette baisse devrait atteindre 42 % avec l’IRA. Si nous saluons la prise conscience de nos partenaires américains, c’est bien le fond et la forme de la solution retenue qui posent d’importantes difficultés.

C’est un « coup de boost » (permettez-moi l’expression) à l’industrie américaine financé par la puissance publique.

Disons-le aussi, l’adoption de l’IRA a laissé penser que l’économie européenne allait faire face à un déficit de compétitivité du fait du montant des aides, de leur simplicité et de la perspective de long terme qu’elles ouvrent.

Nous pouvons évoquer ici l’un des éléments les plus connus et les plus contestés. Un crédit d’impôt de 7 500 dollars est institué, sous conditions de ressources, au profit des ménages pour l’achat d’un véhicule électrique neuf. Or l’octroi de l’aide dans sa totalité est soumis à des exigences de contenu local préjudiciables aux constructeurs européens qui exportent vers les États-Unis. Trois critères discriminatoires peuvent être identifiés. D’abord, le véhicule devra être assemblé aux États-Unis, au Canada ou au Mexique. Ensuite, les composants de la batterie devront entièrement être produits aux États-Unis d’ici à 2029. Enfin, les minerais critiques nécessaires à la fabrication de la voiture devront, d’ici 2027, être extraits, transformés ou recyclés à 80 % en Amérique du Nord ou dans un pays signataire d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. Ce n’est pas le cas de l’Union européenne, les négociations du partenariat transatlantique – le fameux TAFTA – se trouvant au point mort depuis plusieurs années. Un seul modèle produit par un constructeur étranger en Amérique du Nord, en l’occurrence une voiture Volkswagen, est aujourd’hui éligible à ce crédit d’impôt.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il ne fait aucun doute que la majorité des dispositions de l’IRA portant sur les technologies propres sont contraires au droit de l’Organisation mondiale du commerce. La clause de traitement national prévue à l’article 3 du GATT interdit expressément toute mesure discriminatoire à l’encontre des produits étrangers similaires. L’Organe de règlement des différends de l’OMC a reconnu à plusieurs reprises le caractère illégal des exigences de contenu local.

Le protectionnisme vert pratiqué par les États-Unis manque ainsi sa cible environnementale. La révision du bonus écologique en France, fondée sur des critères objectifs liés à l’empreinte carbone du véhicule, démontre pourtant que des marges de manœuvre existent dans le respect du droit de l’OMC. C’est bien la performance environnementale de la voiture – et non la localisation de sa production – qui déterminera l’éligibilité à l’aide.

L’Europe peut s’inspirer de la révision du bonus écologique en France. Il faut s’assurer que les normes édictées en matière de réduction d’émissions ne soient pas seulement applicables aux industries européennes, mais à tous les acteurs internationaux qui investissent et vendent sur notre continent. L’analyse du cycle de vie des voitures électriques y contribue.

La principale incertitude réside désormais dans l’ampleur des conséquences du plan américain sur l’attractivité et la résilience de notre industrie. L’appel d’air créé par l’IRA, à l’origine d’un risque de délocalisations ou d’éviction des investissements vers les États-Unis, est difficile à mesurer. Dans cette bataille des chiffres, la Commission européenne, comme les instituts économiques à l’image du Conseil franco-allemand d’experts économiques, ou du CEPII que nous avons auditionné, se veulent rassurants. Il est encore difficile d’évaluer précisément les implications financières de l’IRA, mais nous avons que le volume financier global des divers programmes déjà lancés par l’Union pour faciliter la transition verte est comparable à celui de l’IRA. En termes relatifs, les subventions de l’IRA représentent moins de 0,2 % du PIB américain par an – contre près de 0,5 % du PIB européen pour les dépenses équivalentes. La taille du marché unique, la qualité des infrastructures et la disponibilité de la main d’œuvre formée sont autant d’atouts à mettre au crédit du tissu productif européen.

Les projections alarmistes de l’automne dernier, ponctuées de quelques annonces de réorientation de projets industriels, ont ainsi laissé place à des analyses plus mesurées.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Ces éléments de cadrage soulignent que l’Europe n’est pas désarmée face à l’IRA américain. Ils démontrent néanmoins des fragilités et des insuffisances, auxquelles il convient de remédier rapidement. Comme elle le démontre régulièrement dans les situations de crise depuis quelques années maintenant, l’Union européenne a ainsi su réagir rapidement, pour protéger l’industrie européenne.

La Commission européenne a présenté le 1er février 2023 son plan industriel du Pacte vert. Les propositions de la Commission dépassent la seule réponse conjoncturelle à l’IRA. C’est bien le développement de l’industrie verte européenne et l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 qui sont en jeu.

Le plan industriel du Pacte vert s’articule autour de plusieurs axes de travail. Nous nous sommes attachées en priorité aux leviers de la réglementation, du financement et de la politique commerciale, qui appellent diverses observations et recommandations de notre part.

D’abord, la simplification de l’environnement réglementaire sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie verte nous semble prioritaire. C’est le sens des propositions de règlement de la Commission européenne sur les matières premières critiques et pour une industrie « zéro net », présentées le 16 mars 2023.

Le texte sur les matières premières critiques vise en priorité à accélérer les procédures d’autorisation des projets d’extraction, de transformation ou de recyclage de matières premières critiques. Il est important que l’Union réduise ses dépendances stratégiques sur la phase « amont » de la production, alors que les sites d’extraction et de transformation sont aujourd’hui extrêmement concentrés. La Chine raffine par exemple 90 % des terres rares mondiales. C’est un matériau qui entre dans la fabrication de nombreuses technologies vertes, dont les aimants permanents des éoliennes. En complément de nouveaux partenariats avec les pays tiers, la Commission souhaite donc renforcer les capacités de production sur le sol européen.

Sur ce texte relatif aux matières premières critiques, nous souhaitons souligner que la position du Conseil relève l’ambition de la proposition initiale de la Commission. Notre proposition de résolution européenne envisage ainsi de soutenir la position du Conseil, notamment avec des cibles ambitieuses pour le recyclage et la transformation de matières premières critiques. Les trilogues sont en cours.

Le second texte en cours de négociation, relatif à l’industrie « net zéro », fixe un objectif global de 40 % de production européenne dans les secteurs des technologies propres, telles que les batteries électriques et les électrolyseurs pour l’hydrogène. Cette approche dite de « fast-tracking » est bienvenue et renvoie, en France, aux dispositions à la loi relative l’industrie verte récemment adoptée par le Parlement. Ce texte prévoit également de créer deux nouveaux critères d’évaluation dans l’attribution des marchés publics, relatifs à la durabilité et à la résilience de l’offre proposée. L’idée générale est de soutenir l’implantation d’installations durables.

Ce texte dit « NZIA » est toujours en cours de négociation au Conseil. Le Parlement européen, qui a adopté sa position officielle hier, a profondément revu l’architecture du texte, en laissant chaque État membre décider, parmi une liste prédéfinie et très large, quelles technologies propres soutenir. Nous craignons que cette nouvelle architecture ne mène ensuite les autorités administratives nationales et européennes à mobiliser des moyens humains très importants, pour déterminer ensuite concrètement quels projets soutenir ou non.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ensuite, la capacité de l’Union et des États membres à déclencher efficacement les financements privés est au cœur de la réponse européenne à l’IRA. La simplicité et la prévisibilité des aides gagneraient à être renforcées en Europe. C’est le sens des recommandations récemment formulées par notre collègue Charles Sitzenstuhl sur le fonctionnement des projets importants d’intérêt européen commun, les PIIEC, dans son rapport sur le projet de loi relatif à l’industrie verte. Nous insistons sur la portée transnationale de ce dispositif, à l’heure où le soutien budgétaire déployé par chaque État membre pour soutenir son économie crée un risque de fragmentation du marché intérieur. L’ampleur des réponses nationales peut varier : seules l’Allemagne et la France sont encore en mesure de mobiliser des milliards euros, les autres États ont moins cette capacité.

La mise en place d’un véritable Fonds de souveraineté européen est donc nécessaire. L’Union européenne ne peut pas se contenter de faire les « fonds de tiroirs » en ré‑agençant les dispositifs existants et en proposant seulement 10 milliards d’euros de nouveaux financements. Identifier les projets stratégiques au niveau européen et mobiliser le budget de l’Union, voilà qui devrait rationaliser les initiatives redondantes voire concurrentes au niveau national. Dans un contexte de stress budgétaire intense à l’occasion de la révision du cadre financier pluriannuel, la Commission a proposé la création d’une plateforme dite « STEP », pour le soutien aux technologies industrielles innovantes, dotées de 10 milliards d’euros d’argent « neuf ». Si cette solution se comprend à court terme, l’Union ne peut faire l’économie de la création d’un véritable Fonds de souveraineté d’ampleur à moyen terme.

Enfin, la réponse européenne à l’IRA suppose d’explorer toutes les options de politique commerciale à la disposition de l’Union. Il nous semble peu opportun, à ce stade, d’introduire une plainte devant l’OMC ou de reproduire les exigences de contenu local mises en place outre-Atlantique. Nous aurions tout à perdre d’une guerre commerciale. Les États-Unis demeurent un partenaire privilégié au niveau international, en particulier alors que l’Union réévalue son approche stratégique à l’égard de la Chine.

Une Task Force commune entre les États-Unis et l’Union a permis de maintenir le dialogue et d’obtenir de premières concessions, par exemple pour les véhicules assemblés en Europe et mis sur le marché américain en leasing. Ces efforts se poursuivent avec la négociation d’un accord sur les matières premières critiques. Il permettrait aux matériaux extraits ou transformés en Europe de bénéficier du crédit d’impôt pour les véhicules électriques prévu par l’IRA. En 2022, les pays européens ont exporté aux États-Unis pour plus de 8 milliards d’euros de matières premières entrant dans la fabrication de véhicules électriques. L’effet d’un tel partenariat ne serait donc pas négligeable.

Notre attachement au cadre commercial multilatéral ne doit pas nous empêcher, au contraire, de recourir si nécessaire aux instruments de défense commerciale. L’entrée en application en septembre 2023 du règlement sur les subventions étrangères complète utilement la boîte à outils de l’Union pour lutter contre les pratiques déloyales. La Commission pourra se saisir d’office des subventions étrangères faussant le marché intérieur, par exemple dans le cadre d’un marché public.

Nous souhaitions, chers collègues, vous présenter notre première analyse des difficultés soulevées par l’IRA et de la réponse européenne en cours de déploiement. La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons aujourd’hui reprend les principaux points que nous avons développés. Le soutien à des projets de règlements ambitieux sur les matières premières critiques et l’industrie à zéro émission net ; la création d’un véritable fonds de souveraineté pour rassembler tous les fonds existants et simplifier l’accès ; la mobilisation de la politique commerciale européenne pour conclure un partenariat avec les États-Unis, de manière à garantir l’éligibilité des produits européens à un maximum de disposition de l’IRA. Je vous remercie.

La capacité de l’Union et des États membres à déclencher efficacement les financements privés est au cœur de la réponse européenne à l’IRA. La simplicité et la prévisibilité des aides gagneraient à être renforcées en Europe. C’est le sens des recommandations récemment formulées par notre collègue Charles Sitzenstuhl sur le fonctionnement des projets importants d’intérêt européen commun, les PIIEC, dans son rapport sur le projet de loi relatif à l’industrie verte. Nous insistons sur la portée transnationale de ce dispositif, à l’heure où le soutien budgétaire déployé par chaque État membre pour soutenir son économie crée un risque de fragmentation du marché intérieur. L’ampleur des réponses nationales peut varier : seules l’Allemagne et la France sont encore en mesure de mobiliser des milliards d’euros, tandis que les autres États membres n’ont pas les mêmes capacités.

La mise en place d’un véritable Fonds de souveraineté européen est donc nécessaire. L’Union européenne ne peut pas se contenter de faire les « fonds de tiroirs » en réagençant les dispositifs existants et en proposant seulement 10 milliards d’euros de nouveaux financements. Identifier les projets stratégiques au niveau européen et mobiliser le budget de l’Union, voilà qui devrait rationaliser les initiatives redondantes, voire concurrentes au niveau national. Dans un contexte de stress budgétaire intense à l’occasion de la révision du cadre financier pluriannuel, la Commission a proposé la création d’une plateforme dite « STEP », pour le soutien aux technologies industrielles innovantes, dotées de 10 milliards d’euros d’argent « neuf ». Si cette solution se comprend à court terme, l’Union ne peut faire l’économie de la création d’un véritable Fonds de souveraineté d’ampleur à moyen terme.

Enfin, la réponse européenne à l’IRA suppose d’explorer toutes les options de politique commerciale à la disposition de l’Union. Il nous semble peu opportun, à ce stade, d’introduire une plainte devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de reproduire les exigences de contenu local mises en place outre-Atlantique. Nous aurions tout à perdre d’une guerre commerciale. Les États-Unis demeurent un partenaire privilégié au niveau international, en particulier alors que l’Union réévalue son approche stratégique à l’égard de la Chine.

Une Task Force commune entre les États-Unis et l’Union a permis de maintenir le dialogue et d’obtenir de premières concessions, par exemple pour les véhicules assemblés en Europe et mis sur le marché américain en leasing. Ces efforts se poursuivent avec la négociation d’un accord sur les matières premières critiques. Il permettrait aux matériaux extraits ou transformés en Europe de bénéficier du crédit d’impôt pour les véhicules électriques prévu par l’IRA. En 2022, les pays européens ont exporté aux États-Unis pour plus de 8 milliards d’euros de matières premières entrant dans la fabrication de véhicules électriques. L’effet d’un tel partenariat ne serait donc pas négligeable.

Notre attachement au cadre commercial multilatéral ne doit pas nous empêcher, au contraire, de recourir si nécessaire aux instruments de défense commerciale. L’entrée en application en septembre 2023 du règlement sur les subventions étrangères complète utilement la boîte à outils de l’Union pour lutter contre les pratiques déloyales. La Commission pourra donc se saisir d’office des subventions étrangères faussant le marché intérieur, par exemple dans le cadre d’un marché public.

Nous souhaitions, chers collègues, vous présenter notre première analyse des difficultés soulevées par l’IRA et de la réponse européenne en cours de déploiement. La proposition de résolution européenne que nous vous soumettons aujourd’hui reprend les principaux points que nous avons développés, c’est-à-dire : le soutien à des projets de règlements ambitieux sur les matières premières critiques et l’industrie à zéro émission net ; la création d’un véritable fonds de souveraineté pour rassembler tous les fonds existants et simplifier l’accès ; la mobilisation de la politique commerciale européenne pour conclure un partenariat avec les États-Unis, de manière à garantir l’éligibilité des produits européens à un maximum de disposition de l’IRA.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Quand nous avons décidé de se saisir de cette question de l’IRA, nous étions dans un moment particulier où nous reprochions aux États-Unis ce que nous aurions pu faire. Et en observant et en analysant ce que les États-Unis ont fait, cela nous a permis d’être dans une approche dynamique et positive qui permet aujourd’hui de faire des propositions. Les investissements dans les véhicules propres et les batteries sont concentrés dans des zones défavorisées aux États-Unis, où les salaires, les taux de personnes diplômées et de personnes employées sont parmi les plus faibles. L’IRA a donc un fort aspect social.

Nous parlons beaucoup des investissements qui ont réalisé dans l’industrie, les 400 milliards souvent évoqués. Toutefois, l’IRA présente trois aspects : les entreprises décarbonées, mais aussi un volet santé et un volet recettes. Le volet santé traite de la question de la sécurité sociale et c’est un élément que je salue chez Joe Biden. Il y a aussi un volet recettes qui figure dans le rapport que je vous invite à lire et qui traite de la taxation pharmaceutique. Nous parlons souvent du volet industrie et beaucoup moins des autres. Il faut insister sur ce côté volontariste et nous en inspirer dans l’Union européenne.

Il y a une dimension de souveraineté qui est indispensable pour embarquer les populations et les décideurs.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Pour compléter ce qui vient d’être dit et élargir la réflexion, il ressort de nos auditions que l’IRA n’est pas nécessairement tourné contre l’Union européenne, mais surtout un message à l’adresse de la Russie et de la Chine.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en passons maintenant à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution européenne et des amendements déposés.

Amendement n°1 de Mme Constance Le Grip et sous-amendement n° 4 des rapporteures

Mme Constance Le Grip (RE). J’ai souhaité compléter l’excellente proposition de résolution européenne de nos deux rapporteures en ajoutant un alinéa supplémentaire dans lequel je souhaite que soit approfondie la réflexion sur les nouvelles mesures d’aides d’État c’est-à-dire le cadre temporaire qui a été adopté le 9 mars 23. Le sujet des aides d’État doit être abordé dans le cadre des réflexions actuelles.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. La prolongation des mesures d’aides d’État est actée et la Commission européenne a entendu les États membres en permettant à ceux-ci d’aider les entreprises affectées par l’inflation énergétique jusqu’en 2024. Nous saluons cette réflexion dans notre sous-amendement. Nous sommes favorables à l’amendement de Madame Le Grip si notre sous-amendement, qui distingue ce qui est déjà fait de ce qui doit encore être réalisé, est adopté.

Le sous-amendement n° 4 est adopté.

L’amendement n° 1 est adopté.

Amendement n°2 de Mme Constance Le Grip

Mme Constance Le Grip (RE). L’amendement n° 2 vise à saluer un certain nombre d’États membres qui ont pris des initiatives, à l’instar de la France, avec la loi « Industrie verte ».

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Nous émettons un avis plutôt favorable à cet amendement qui vise à faciliter les investissements dans les industries vertes.

L’amendement n° 2 est adopté.

Amendement n°4 des rapporteures

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. L’amendement vise à soutenir nos entreprises européennes dans la compétition mondiale. Nous avons besoin de revoir nos règles de concurrence. Nous proposons donc d’ouvrir une réflexion sur l’adaptation de nos règles aux enjeux industriels européens, afin de favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Nous allons vraiment nous opposer à cet amendement qui propose un assouplissement des règles pour les entreprises au moment où nous avons besoin de règles pour conditionner écologiquement et socialement les aides d’État. Par ailleurs, dans le contexte actuel nous ne pouvons pas faire plus sur le volet énergétique. La question posée est : que voulons-nous ? Voulons-nous amorcer une transition énergétique ? Voulons-nous harmoniser dans ce domaine ou voulons-nous comme vous le dites, lever des barrières et enlever le peu de protections qui existent encore ? Nous nous y opposons très fermement.

M. Henri Alfandari (HOR). Ce n’est pas du tout ce que les rapporteures proposent. Que ce soit en France ou en Europe, nous sommes particulièrement bloqués sur une question d’opérateur public ou privé : nous ne pouvons subventionner d’opérateurs privés que dans le cadre restrictif des aides d’Etat. Nous ferions mieux de nous poser la question de savoir si un secteur est stratégique ou non. Et cette dimension stratégique devrait permettre de déroger à un certain nombre de règles, et d’allouer des aides d’État car nous en avons bien besoin au regard de l’intérêt stratégique. J’aurais souhaité, Mesdames les rapporteures, que vous ajoutiez la mention de l’intérêt stratégique.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La question que vous évoquez ici est celle de la défense des secteurs stratégiques au niveau européen avec l’ensemble des États pour investir plus.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. À la fin de l’alinéa 49, nous souhaitons rajouter « l’émergence de champions européens dans les domaines stratégiques » et ouvrir une réflexion sur la suspension temporaire des aides d’État.

L’amendement n° 4 est adopté.

L’article unique modifié de la proposition de résolution européenne est adopté.

Par conséquent, la proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.