« Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, un cadrage inquiétant, des mesures insuffisantes » par Marietta KARAMANLI

Photo capture de vidéo de la commission des lois depuis le site de l’Assemblée Nationale

Le projet de loi de financement pour la sécurité sociale pour 2023 est un projet de loi non seulement décevant mais aussi inquiétant.

Un cadrage global inquiétant

L’inquiétude vient de ce que l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) pour 2023 est annoncé en augmentation de 3,7% ce qui, dans une perspective d’évolution sur plusieurs années des dépenses de la sécurité sociale, est insuffisant.

Une évolution qui interroge

En 2019 avant la crise de la COVID l’ONDAM représentait en volume (pas en montant) 2,7 % du PIB mais avec une inflation à 0,9 %. Cela correspondait à une prévision de hausse de 1,8 % à laquelle s’ajoutait l’inflation. En 2023 ce sera 3,7 % avec une inflation ( hausse des prix) de 4%.

Les prévisions faites pour 2024 portent la dépense à 2,7 % du PIB avec une inflation à 4 % ce qui fait que ces deux prochaines années il y aura un décrochage par rapport à l’indice des prix.

Sur la période à venir 2023-2026, l’ONDAM sera inférieur à l’augmentation de l’effort à faire plus l’inflation.

Par ailleurs la provision de 1 milliard € pour faire face à la crise interroge par sa « modestie ».

Par ailleurs toutes les mesures annoncées au titre du Ségur n’ont pas encore fait l’objet d’arbitrages et donc de valorisation.

Il y a donc l’effet d’annonce et une trajectoire de réduction des dépenses de santé qui ne dit pas son nom

Il en résulte une grave incertitude sur le financement des hôpitaux, de leurs effectifs, des lits, des investissements annoncés…

Des exonérations de recettes à revoir

Le projet de loi de financement pour la sécurité sociale prévoit 66 milliards d’exonérations de cotisations et de contributions diverses dont 2, 3 milliards ne sont pas compensés par l’Etat ce qui diminue d’autant les ressources de la sécurité sociale.

Aucune réflexion sur l’efficacité de ces exonérations n’est engagée.

Si le cadrage global n’est pas satisfaisant, les mesures annoncées en matière de prévention restent très insuffisantes au regard des enjeux

Des mesures sont proposées pour améliorer la prévention. Il en est ainsi des consultations gratuites à certains âges clés (20-25 ans, 40-45 ans et 60-65 ans). Néanmoins ces mesures dépendent de la capacité à mobiliser des professionnels de santé pour les faire et y à accéder.

D’ores et déjà les consultations médicales, les visites infirmières, les missions obligatoires de la santé à l’école  ne sont pas toujours bien assurées.  S’agissant des services de protection maternelle et infantile (PMI) relevant des départements et contribuant à la prévention, leurs activités en direction des enfants et mères sont en baisse .  Il convient aussi de noter que les associations qui contribuent à la prévention et à la lutte contre les addictions n’ont pas de crédits pérennes .

Dans ces conditions le virage de la prévention est une mesure de principe plus que de réalisation.

Un changement de politique à l’hôpital est nécessaire

Au moment même où le projet de loi sur la sécurité sociale est discutée, un nouveau plan d’urgence en direction des services hospitaliers pédiatriques est décidé. D’un montant de 150 millions € il ne répond néanmoins pas aux besoins des services hospitaliers, les personnels ne pouvant faire face aux demandes des familles et de leurs enfants.

Le plan d’urgence décidé est un « plan blanc » qui consiste à reporter des activités pour en maintenir d’autres. Au final ces solutions temporaires détériorent les conditions de travail et peuvent amplifier le mouvement de fuite de l’hôpital.

Aucun plan durable n’est envisagé visant à évaluer la lourdeur des soins et à estimer un ratio « décent » de personnels pour faire fonctionner sans a coup ni démotivation les services.

Il faut recentrer les décisions sur les services hospitaliers en modernisant le système national de pilotage. L’expérience tirée d’autres systèmes de santé de l’Union européenne met en évidence des configurations différentes de l’organisation de la santé avec pour certains des entités décentralisées, une détermination de lignes directrices et politiques par l’Etat national et une allocation de moyens selon des critères démographiques et épidémiologiques.

S’agissant de l’attractivité des métiers et carrières des soignants en établissements, la formation continue est un réel levier pour améliorer les compétences, changer de métiers et fidéliser les agents.

Aucune mesure n’a été proposée visant à accélérer les possibilités d’études promotionnelles, valider les acquis de l’expérience et développer un mouvement favorable aux professionnels des métiers en tension.

Ajouter une année supplémentaire de formation pour les médecins généralistes pour lutter contre les déserts médicaux , une décision en trompe l’oeil

La création d’une 4ème année de formation pour les médecins généralistes en les affectant dans des territoires connaissant une désertification médicale n’aura d’effet que dans quatre ans (pas avant 2026), repoussera aussi l’installation de médecins généralistes à temps plein dans les territoires d’une année supplémentaire ( l’année de formation), et maintiendra leur rémunération au niveau des autres internes ou médecins juniors (donc sans revalorisation) et sans avoir de certitude qu’ils s’attachent durablement à un territoire.  Ce n’est donc pas la solution…

Il aurait mieux fallu proposer aux internes de médecine générale (qui font leur spécialisation en médecine générale en trois ans), de pouvoir opter rapidement pour une quatrième année plus professionnalisante, leur permettant d’être rémunérés comme des médecins de ville avec l’objectif de favoriser leur installation en tenant compte de leur souhait d’approfondir les conditions de leur installation en ville ; cela méritait d’être expérimenté.

Le risque dépendance ne fait pas l’objet de mesures à la mesure du défi du vieillissement

L’engagement pris par l’exécutif de créer 50 000 emplois en EHPAD en cinq ans  suppose d’en créer en moyenne 10 000 par an ; il prend d’ores et déjà du retard ; 3 000 en seront créés soit trois fois moins qu’il n’en faudrait si on veut tenir un rythme suffisant.

Aujourd’hui le maintien à domicile reste, quand il est possible, le premier choix des familles.  Quand la dépendance devient trop forte, quand la personne doit être accompagnée 24 h sur 24 et qu’il faut deux personnes pour la déplacer, que l’APA ne suffit plus à couvrir les frais,  la situation devient critique. Les sommes engagées peuvent alors devenir très importantes.

La réflexion collective devrait être mieux portée à la fois par les pouvoirs publics, le monde assurantiel, et s’inspirer des expériences réussies des États européens, qui ont avancé sur des pistes de financement.

Le PLFSS 2023 aurait pu être l’occasion d’avancer sur ce sujet en articulant l’évolution de l’APA, les réductions d’impôts pour l’hébergement et la dépendance, les aides au logement (APL), l’aide sociale et des dispositifs complémentaires à expérimenter  y compris en lien avec les organismes d’assurance complémentaires. Malheureusement aucune piste n’a été portée à la discussion.

Ces raisons me conduisent à ne pas voter le projet de loi de financement de la sécurité dans son ensemble.

Marietta KARAMANLI

Voir aussi ma contribution sur le site de l’Assemblée Nationale