« Seniors dans la société, la question de la dépendance et de son financement doit être mieux portée et les discussions reprendre en portant la nécessité d’un financement par la solidarité et d’un rôle possible pour la protection sociale complémentaire » par Marietta KARAMANLI

Le 16 octobre 2018 j’ai participé à une rencontre nationale sur le thème des « Seniors et société » en abordant, lors d’une table ronde, la question de l’adaptation de la loi au vieillissement de notre société.

Ce fut l’occasion pour moi d’aborder la question du financement de la dépendance.

En 2040, notre pays devrait compter entre 1,7 et 2,2 millions de personnes âgées dépendantes

Aujourd’hui le maintien à domicile reste quand il est possible le premier choix des familles.

Quand la dépendance se manifeste, souvent vers 80 ans, elle a de lourdes conséquences sur la personne, sa famille, les personnes aidantes. Aujourd’hui c’est seulement quand la dépendance devient trop forte, quand la personne doit être accompagnée 24h sur 24 et qu’il faut deux personnes pour la déplacer, que l’APA ne suffit plus à couvrir les frais.

Néanmoins la question de la dépendance n’est pas encore suffisamment considérée par la société comme étant un sujet prioritaire. Concernant le financement nous en sommes encore à des pistes de réflexion portant à la fois sur le financement, la qualité de la prise en charge en amont (hors soins curatifs) et aussi de la structuration du secteur de la dépendance.

Deux modes de prise en charge sont évoqués.

D’une part la solidarité, d’autre part les dispositifs assurantiels.

Dans le cas de la solidarité, la position habituelle de l’Etat est de s’orienter vers le prélèvement obligatoire, comme il en est de la complémentaire maladie qui, de facultative, a été généralisée par voie législative ; ou comme il en a été pour la CMU.

Il y aussi le volet assurantiel qui peut être de deux natures. Il peut être traditionnel : c’est-à-dire reposant sur une cotisation facultative qui débouche sur une rente garantie.  Ces contrats ne sont pas très développés. Toujours dans le domaine assurantiel d’autres suggèrent de rendre obligatoire l’adhésion à une assurance dépendance. En s’assurant jeune, la cotisation ne serait pas très élevée et les assureurs ne pourraient pas imposer des taux de cotisation visant à sélectionner le risque. Mais la plupart des partenaires et acteurs notamment syndicaux, n’adhèrent à cette idée même si la situation s’accompagne d’un statu quo sans renforcement de l’APA. Peut-être que le vecteur des contrats obligatoires mutuelle maladie quand ils comportent un volet dépendance pourrait constituer une piste pour une extension / expérience de la couverture dépendance.

En tout état de cause la réflexion collective devrait être mieux portée et l’expérience des autres Etats européens devrait être mieux partagée.

Marietta KARAMANLI

Le texte complet ayant servi de base à mon intervention

Rencontres « Seniors et société »

Mesdames, Messieurs,

Tout d’abord, je souhaite remercier les organisateurs de cette manifestation de m’avoir invitée à prendre la parole sur un sujet important : celui de l’adaptation du cadre législatif au vieillissement.

Avant même d’aborder cette problématique très transversale, je souhaiterais dire quelques mots pour bien commencer notre rencontre.

Nous sommes dans un monde qui polarise beaucoup

Si les débats politiques n’y échappent pas, nous devons faire preuve, ici, plus qu’ailleurs de sérénité, non seulement pour aller vers des solutions pratiques et justes mais aussi et c’est la science qui nous le dite car c’est gage de longévité !

Revenons-en au fond

Mon intervention, brève, sera centrée sur trois idées essentielles qui, loin de clore le débat, doivent l’ouvrir !

Dans un 1er temps, je souhaite rappeler que si le vieillissement est un problème de société / collectif, la dépendance est vue largement dans la population comme un problème individuel.

Dans un 2ème temps je souhaite mettre en évidence les différents facteurs qui rendent difficile la résolution de l’équation.

Enfin j’entends poser la question de l’articulation de la prise en charge entre solidarité et assurances.

I La dépendance constitue un risque significatif mais qui reste largement traitée de façon individuelle

Quand la dépendance se manifeste, souvent vers 80 ans, elle a de lourdes conséquences sur la personne, sa famille, les personnes aidantes.

Mais collectivement la question de la dépendance n’est pas considérée par la société française comme devant être traitée de façon urgente.

Elle ne fait pas l’objet d’une revendication sociale que l’on pourrait qualifier de « forte ».

Elle n’est portée ni par les partenaires sociaux, ni par les politiques qui n’en font pas un axe central de leurs programmes.

Autrement dit, elle relève pour le moment principalement de l’ordre individuel.

Si la dépendance fait peur aux gens, elle n’est pas un risque vu comme suffisamment grave pour que les personnes souscrivent à un dispositif.

Il est vrai qu’il est difficile d’apprécier l’âge auquel il faut commencer à souscrire.

Les plus jeunes commencent à se sentir motivés quand leurs propres parents rencontrent des problèmes.

Par ailleurs il est globalement assez difficile d’apprécier le coût directement pris en charge par les familles pour l’hébergement des personnes dépendantes ainsi que l’ensemble des dépenses qui peuvent être engagées pour leurs ascendants.

Je note enfin qu’il existe un fort attachement des collectivités territoriales à s’occuper des personnes âgées en dépit du risque financier encouru, en constante augmentation.

On a laissées celles-ci en 1ère ligne même si aujourd’hui les tensions financières sont telles qu’on ne sait pas trop où l’on va.

Quand la dépendance se manifeste, souvent vers 80 ans, elle a de lourdes conséquences sur la personne, sa famille, les personnes aidantes..

Je conclurai en disant qu’il y a encore des obstacles culturels et politiques à un engagement fort des décideurs à débuter un chantier avec des solutions plus collectives.

Si on regarde les chantiers sur la retraite, les premiers datent des travaux conduits à l’initiative de Michel Rocard.

La perspective de la création d’un droit nouveau (positive en soi) n’est pas parvenue à compenser l’incertitude de perception politique que l’évocation de dépendance est supposée générer dans la population.

Venons-en à mon 2ème point.

Un enjeu majeur avec une équation à plusieurs inconnues ou variables

En 2040, notre pays devrait compter entre 1,7 et 2,2 millions de personnes âgées dépendantes[1]

Aujourd’hui le maintien à domicile reste quand il est possible le premier choix des familles.

Dès 1962, le rapport Laroque plaidait déjà pour que les caisses de retraites favorisent le maintien à domicile.

Aujourd’hui c’est seulement quand la dépendance devient trop forte, quand la personne doit être accompagnée 24h sur 24 et qu’il faut deux personnes pour la déplacer, que l’APA ne suffit plus à couvrir les frais.

Les sommes engagées peuvent alors devenir très importantes,

Néanmoins les chiffres et les prévisions en matière de prévalence de la dépendance restent encore incertains sur plusieurs aspects.

La dépendance est-elle proportionnelle au nombre des personnes âgées ?

Dans quel sens les opinions vont-elles évoluer par rapport à ce problème ?

Le reste à charge est-il plus élevé à la ville qu’à la campagne ?

L’APA est-elle suffisante ?

Les dispositifs complémentaires envisages ou imaginés sont-ils là encore suffisants?

Je pense ici aux réductions d’impôts pour l’hébergement et la dépendance, à l’allocation de logement (AL) que les personnes âgées peuvent recevoir sous condition de revenu et aux aides personnalisées au logement (APL) si l’EHPAD dans lequel il réside est conventionné au titre de l’APL, ou encore de l’aide sociale à l’hébergement faisant l’objet d’un recours en récupération dès le premier euro pour les résidents les plus modestes.

Ce sont ainsi plus de 110 000 personnes qui bénéficient de l’aide sociale (pour un montant de près de 2 Mds € en dépenses brutes et de plus 1 Mds € en dépenses nettes).

De plus la place et le rôle des familles restent déterminants…il y a la nécessité de la présence d’une personne de la famille ou proche, « engagée, » pour assurer la bonne mise en place, la coordination des services et des aides, les différentes démarches administratives, et ce pour le compte de la personne dépendante.

Concernant le financement nous en sommes encore à des pistes de réflexion portant à la fois sur le financement, la qualité de la prise en charge en amont (hors soins curatifs) et aussi de la structuration du secteur de la dépendance.

Les travaux déjà menés constituent la base d’une réflexion sur une articulation entre la technique assurantielle et la couverture publique de la dépendance, et ce, dans un contexte des finances publiques ou sociales contraintes.

Ce sera mon dernier point celui d’un possible financement mixte à expérimenter et à articuler

Deux modes de prise en charge sont évoqués.

D’une part la solidarité, d’autre part les dispositifs assurantiels.

Dans le cas de la solidarité, la position habituelle de l’Etat est de s’orienter vers le prélèvement obligatoire, comme il en est de la complémentaire maladie qui, de facultative, a été généralisée par voie législative ; ou comme il en a été pour la CMU.

Il y aussi le volet assurantiel qui peut être de deux natures.

Il peut être traditionnel : c’est-à-dire reposant sur une cotisation facultative qui débouche sur une rente garantie.  Ces contrats ne sont pas très développés.

Le nombre de contrats d’assurance dépendance était d’environs il y deux ans 5 millions dont 2 millions étaient collectés par la MGEN (qui a une tradition mutualiste de gestion de la sécurité sociale).

Cette relative défaveur mérite l’attention.

Les gens n’y pensent pas alors qu’ils assistent à 50 ans à la dépendance de leurs ascendants. Ils souscrivent par contre à des complémentaires santé, qui apportent finalement une couverture marginale pour une dépense qu’ils pourraient peut-être parfois prendre directement en charge, alors qu’ils ignorent le risque lourd de la dépendance.

De leur côté, les assurances n’ont pas de stratégie claire dans ce domaine.

Leurs produits ne sont pas très attractifs et entachés d’imperfections : que sera devenue la valeur annoncée de la rente pour un GIR1/GIR2 dans 25 ans ?

Les assureurs se positionnent sur des produits GIR1/GIR2 (sans réagir sur le GIR3) et ne se positionnent pas sur une politique de services.

Faut-il réfléchir à un système d’indexation de la rente ?

Faut-il concevoir des incitations fiscales comme pour les complémentaires santé afin de combattre la part d’irrationalité qui peut prévaloir?

La portabilité et la transférabilité de ces contrats sont aussi en question.

Au final que faire donc pour rendre ces contrats d’assurance plus attractifs?

Toujours dans le domaine assurantiel d’autres suggèrent de rendre obligatoire l’adhésion à une assurance dépendance.

En s’assurant jeune, la cotisation ne serait pas très élevée et les assureurs ne pourraient pas imposer des taux de cotisation visant à sélectionner le risque.

Mais la plupart des partenaires et acteurs notamment syndicaux, n’adhèrent à cette idée même si la situation s’accompagne d’un statu quo sans renforcement de l’APA.

Je note que le cadre facultatif reste à la portée des gens aisés, mais que la difficulté demeure pour les revenus modestes et très modestes.

Au final il y a certainement à faire progresser la réflexion sur un mixte / un mélange complémentaire entre la solidarité indispensable et la technique assurantielle notamment collective.

Peut-être que le vecteur des contrats obligatoires mutuelle maladie quand ils comportent un volet dépendance pourrait constituer une piste pour une extension / expérience de la couverture dépendance.

En tout état de cause la réflexion collective devrait être mieux portée et l’expérience des autres Etats européens devrait être mieux partagée.

Le secret de « la potion magique » qui doit nous plus forts collectivement et stimuler les initiatives individuelles reste à percer, le temps et la sérénité, évoquée au début de cette intervention, doivent nous y aider

Je vous remercie pour votre attention.

Marietta KARAMANLI

[1] Selon un rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale.