« Accords commerciaux avec les Etats-Unis et le Canada : des interrogations légitimes, des protections à obtenir» par Marietta KARAMANLI

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Le 5 mai dernier, j’ai participé à la réunion conjointe de la commission des affaires économiques et des affaires européennes procédant à l’audition du secrétaire d’Etat au commerce extérieur. Je l’ai interrogé sur les négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) qui suscite beaucoup d’interrogations mais dont la discussion pose aussi la question de savoir quelles normes de sécurité et de qualité nous entendons faire prévaloir dans nos échanges. A partir du moment où nous n’arrivons pas à fixer une norme de façon conventionnelle, le risque existe que s’imposent d’autres normes dominantes par le nombre d’Etats qui les acceptent ou par les standards de production ou diffusion qu’ils permettent.
Me concernant j’ai fait part des interrogations que j’ai sur l’insuffisance de protection des données personnelles résultant de la politique des Etats-Unis mais aussi des grandes entreprises transnationales. J’ai aussi rappelé la nécessité de négociations multilatérales souvent plus protectrices des Etats les plus faibles ou fragiles et de la proposition que j’ai soutenue d’un mécanisme de compensation visant à lisser dans le temps les effets du libre-échange, en employant certains excédents financiers au soutien du développement durable.
Le ministre a répondu de façon claire insistant sur la nécessaire transparence des négociations et des résultats, rappelant l’attachement aux clauses de protection environnementale et sociétale, la protection indispensable des préférences alimentaires des européens, et la nécessité que les parlements soient consultés et approuvent l’accord in fine.
Comme d’autres parlementaires, je suis et je reste vigilante sans avoir d’ a priori me conduisant à refuser d’emblée sans avoir mis en perspective les avantages et les inconvénients possibles.

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Commission des affaires européennes, mardi 5 mai 2015 17 heures, Compte rendu n° 203 ; Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Et de M. François Brottes, Président de la commission des Affaires économiques
Audition, conjointe avec la commission des Affaires économiques, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l’étranger, sur le Conseil Affaires étrangères (commerce) de l’Union européenne du 7 mai 2015

Mme Marietta Karamanli
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Les négociations sur le TTIP marquent le pas à cause des États-Unis, et notamment de leur position sur le mécanisme d’arbitrage. Je reviens d’une mission aux États-Unis, avec Charles de la Verpillière, sur les données personnelles ; nous avons constaté comment elles y sont devenues une marchandise. Les négociations ne seraient-elles pas l’occasion de leur offrir un statut protecteur ? Je partage cependant l’idée que l’Union européenne et les États-Unis doivent arriver à un accord.

En collaboration avec Hervé Gaymard, j’ai présenté un rapport sur le cycle de Doha et le multilatéralisme. Nous y soulignions que le multilatéralisme permet à certains États plus fragiles d’obtenir des clauses plus favorables à la protection sociale et environnementale.
Nous y avons aussi proposé un mécanisme de compensation visant à lisser dans le temps les effets du libre-échange, en employant certains excédents financiers au soutien du développement durable. Ces deux préoccupations trouvent-elles un écho dans le cadre des négociations conduites en amont de la conférence de Nairobi ?

M. le secrétaire d’État.

Quant à l’appréciation globale du TTIP, je dirais qu’un accord mal négocié peut être en effet dangereux.
Je m’efforce de vous présenter avec honnêteté l’état d’avancement des négociations, mais il est difficile de communiquer au sujet de ces négociations, alors qu’elles déboucheront sur des engagements qui sont encore devant nous. À ce stade, la France fait valoir ses souhaits et ses intérêts. Mais l’appréciation globale devra porter sur l’accord finalisé.

Pour le CETA, le Gouvernement estime qu’il s’agit d’un bon accord, qui contient des avancées importantes sur la protection des indications géographiques. Il en reconnaît 42, qui viennent s’ajouter à celles qui étaient déjà reconnues dans l’accord de 2004 sur les vins et spiritueux. Mais ne nous voilons pas la face : rien de tel n’est finalisé aujourd’hui pour le TTIP.

En exigeant de pouvoir conserver nos propres règles, nous laissons à l’inverse à la partie américaine la liberté d’appliquer les siennes. Nous ne devrons pas forer pour chercher du gaz de schiste si nous n’en voulons pas. Mais les Américains pourront continuer à le faire s’ils le souhaitent.

Quant à la défense des services publics, le chapitre 20 du mandat de négociation est clair à leur sujet. Les clauses de préférence locale ou le recours privilégié aux circuits courts ne seront pas touchés par le TTIP, dans la mesure où ces mesures s’appliquent de manière égale à toutes les entreprises des États parties à cet accord.

Je rejoins les analyses de certains d’entre vous sur l’opacité qui entoure les négociations.
Elles prenaient en effet un mauvais départ si le mandat de négociation n’avait pas été publié. Il n’est pas possible d’annoncer un grand accord à grand renfort de trompette et de le négocier en vitesse et en cachette pour mettre l’opinion devant le fait accompli.
Notre comité de suivi stratégique permet de mener à bien le nécessaire travail de transparence.
Je me suis déjà rendu devant la commission des affaires économiques, devant la commission des affaires étrangères, mais aussi devant le Sénat. Sur le site Internet du ministère des affaires étrangères, une page spécifique est consacrée aux travaux du comité de suivi.
La question de votre accès aux documents consolidés se pose aussi. Le Gouvernement exige que les parlementaires français puissent les consulter auprès d’administrations nationales et non dans les ambassades américaines, car ces lieux sont sous souveraineté américaine. Nous ne sommes parvenus à un résultat à ce stade.
Pour les études d’impact, je n’en reprendrai aucune à mon compte, car elles ne me semblent pas fiables
Des contributions supplémentaires doivent être apportées.
Je rencontrerai prochainement des responsables d’organismes de recherche publics.
Mais le parlement peut lui aussi conduire ses propres évaluations, en complément d’une expertise universitaire faisant la place à différentes écoles de pensée économiques. En tout état de cause, il faut cesser de croire qu’il est possible de chiffrer à l’euro près par famille les gains attendus du TTIP.
Les agriculteurs comprennent très bien les enjeux de ces négociations, et les suivent de très près, comme je m’en rends compte au cours de mes échanges avec eux dans le Lot-et-Garonne. Il faut impérativement mener le combat des indications géographiques protégées (IGP). Les IGP et les marques incarnent deux systèmes qui véhiculent deux conceptions différentes de l’agriculture et de l’alimentation. Ce n’est pas grandiloquent de dire qu’une offensive mondiale est lancée en ce domaine.
S’il faut se battre sur tous les sujets, il convient d’être conscient aussi de ce que les négociations commerciales internationales continueraient même en cas d’échec du TTIP, par exemple des négociations commerciales entre les États-Unis et l’Asie. L’Union européenne courrait alors le risque de se voir imposer des normes définies indépendamment d’elle. Je regrette que les négociations actuelles se déroulent entre deux grands blocs plutôt que dans un cadre multilatéral. Leur échec ne consacrerait pourtant certainement pas un succès des positions françaises.
Quant aux clauses environnementales et sociétales, je connais votre attachement…à ces sujets. Au niveau international, la réflexion doit être menée dans les enceintes adéquates, là où elle peut aboutir. Je mettrais donc en garde contre la tentation de greffer sur des négociations où ne pourraient être obtenues que des avancées peu satisfaisantes le sujet du respect des droits de l’homme par les entreprises. À la suite de la proposition de loi de l’Assemblée nationale à ce sujet, la Commission a déjà formulé des propositions dignes d’intérêt.
Pour ce qui est des préférences alimentaires, rien ne permet de dire à ce stade qu’elles pourraient être remises en cause. En matière d’environnement, le forum de négociation le plus pertinent me semble être la session du cycle de Doha consacrée aux biens environnementaux ainsi que la COP21, où peuvent être adoptés un relèvement des normes ainsi que des standards rigoureux qui seront opposables à tous.

Quant à la nature juridique du TTIP, la Commission européenne n’a jamais dit qu’il s’agirait d’un accord mixte. La Cour de justice de l’Union européenne est consultée en ce moment sur la nature d’un accord similaire avec Singapour. Le service juridique du Conseil et les États membres sont cependant unanimes à constater qu’il s’agira d’un accord mixte. À ce titre, il sera soumis à votre approbation.

Sur le mécanisme de règlement des différends, un travail important a déjà eu lieu. À la réunion du Conseil, la France réitérera ses réserves de fond sur ce dispositif, car nous pensons qu’il n’est pas nécessaire dans cet accord. Nous ne sommes cependant pas seuls, de sorte qu’il faudra, le cas échéant, inventer de nouveaux mécanismes de règlement des différends, respectant des règles qui répondent aux différentes objections actuellement soulevées par votre assemblée et par le Sénat : des règles d’éthique visant à prévenir les conflits d’intérêt ; la possibilité d’appel devant une juridiction nationale ; l’établissement d’une cour permanente ; la clarification des concepts de nature à éviter que l’arbitrage ne puisse remettre en cause un choix souverain.
En ce domaine, le travail conjoint avec les autorités allemandes joue un rôle important. Si des progrès peuvent être réalisés, c’est par ce biais. La démarche franco-allemande reste au demeurant ouverte à d’autres États membres. Certains la rejoignent alors qu’ils s’étaient initialement prononcés en sens opposé à la fin de l’année 2014. La Commission européenne présentera demain mercredi, devant le Parlement européen, ses préconisations relatives à l’arbitrage, puis elle les présentera jeudi à la session du Conseil au sujet de laquelle nous nous réunissions. Je serai à votre disposition pour vous rendre compte de la teneur des discussions.

Le Président François Brottes.

Des auditions conjointes de ce type mériteraient d’être organisées chaque mois. Grâce à la diffusion de ce jeu de questions et réponses, nos concitoyens peuvent s’informer en temps réel.

La Présidente Danielle Auroi.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’éclairage que vous nous avez apporté. Il sera en effet utile de connaître ultérieurement le contenu des échanges à cette réunion du Conseil.
La séance est levée à 18 h 50.