Le 23 avril 2015, je suis intervenue en séance plénière de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dans le débat inscrit d’urgence sur les drames successifs qui frappent les personnes qui traversent de façon clandestine la méditerranée. J’ai rappelé que des mesures avaient été prises par l’union Européenne et les Etats membres notamment les plus concernés mais qu’elles étaient insuffisantes au regard du phénomène qui a changé d’ampleur tout au long de ces derniers mois. L’ampleur est liée au nombre croissant de personnes déplacées, fuyant des zones de guerre et de conflits en Afrique et au Moyen-Orient. Les Etats proches et plus lointains n’ont pas la même attitude face à ces migration et leurs engagements reste globalement non coordonné et variable. L’immigration n’est pas une compétence de l’Union mais une prérogative des Etats. Les frontières sont les frontières de tous et devraient être gérées sur la base d’une solidarité réelle entre Etats membres, ce qui n’est pas encore le cas. Enfin j’ai demandé un approfondissement de la coopération au service de la paix sous l’égide de l’Europe mais aussi de l’l’ONU et une appréhension innovante, plus fine et plus opérationnelle des conflits dans cette partie du monde qui ne sont pas qu’internationaux même si les conséquences le sont.
SESSION ORDINAIRE DE 2015, (Deuxième partie), COMPTE RENDU de la seizième séance Jeudi 23 avril 2015 à 10 heures
3. La tragédie humaine en Méditerranée : une action immédiate est nécessaire
(Débat selon la procédure d’urgence)
LA PRÉSIDENTE
– L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion selon la procédure d’urgence du rapport de M. Mariani, au nom de la commission des migrations, sur « La tragédie humaine en Méditerranée : une action immédiate est nécessaire » (Doc. 13764).
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Mme KARAMANLI (France)
– Une situation tragique s’aggrave. Face à ce constat, quoi faire ? La réponse paraît évidente : accompagner fortement tous les pays en mesure d’accueillir cette immigration ; sauver ceux qui sont victimes des réseaux de traite des étrangers ; démanteler les trafics et arrêter les trafiquants, passeurs, receleurs de l’argent volé et des vies mises volontairement en danger ; accueillir et insérer les nouveaux arrivants et faire droit aux demandes d’asile.
En fait, les problèmes posés aux Etats diffèrent selon leur situation géographique et économique. Les pays voisins estiment ne pas pouvoir ou ne pas avoir les moyens d’accueillir les réfugiés, et certains Etats font valoir des arguments de sécurité nationale pour limiter l’entrée des personnes en danger. Des Etats plus lointains estiment ne devoir accepter qu’une immigration choisie et très limitée. Enfin, d’autres Etats encore contribuent seulement financièrement et délèguent en quelque sorte la gestion du problème aux grandes organisations internationales.
À l’évidence, donc, la solidarité ne joue que de façon limitée.
Dire que rien n’est fait est erroné. À la suite aux drames les plus récents, plusieurs initiatives européennes ont été prises, comme un système européen de surveillance des frontières, Eurosur, ou le déploiement des forces d’intervention nationales ou européennes. Le sort des personnes naufragées a entraîné une évolution du partage des compétences entre les Etats nationaux avec une coopération autour du bateau portant secours.
À l’instar d’autres parlementaires, je soutiens aussi l’idée de créer un corps européen de gardes-frontières, et je considère comme indispensable d’augmenter le budget de Frontex pour répondre aux ambitions exprimées et aux besoins constatés sur le terrain.
Par ailleurs, la réforme du régime d’asile commune européen doit être accélérée.
La nature même du phénomène a changé en quelques mois, ce qui appelle à l’intensification de tous les efforts et à une action diplomatique d’ampleur nouvelle.
Il n’échappe à personne ici que, si l’idéologie dominante au sein de l’Europe est celle d’une coopération économique entre les Etats, ceux-ci gardent la main pour les sujets d’ordre public et de sécurité. Il faut donc une gestion plus solidaire des frontières. À ce titre, l’immigration de masse, notamment par la mer, doit être reconnue comme un sujet à part entière.
Il faut aussi une réévaluation des politiques d’asile et d’immigration de l’Union européenne. La politique à mettre en œuvre doit se fonder sur le postulat que nos frontières extérieures, qu’elles soient maritimes ou terrestres, sont les frontières de tous et doivent être gérées sur la base d’une solidarité réelle entre Etats membres, comme le garantit l’article 80 du traité de l’Union européenne.
Il faut enfin un approfondissement de la coopération au service de la paix sous l’égide de l’Europe et de l’ONU et une appréhension innovante, plus fine et plus opérationnelle des conflits dans cette partie du monde, qui sont souvent des conflits sociaux en ce sens qu’ils sont internes avant de s’internationaliser.
Le Conseil de l’Europe doit donc appeler à une nouvelle feuille de route sur ces questions importantes et difficiles.
Emile Durkheim disait « Il ne suffit […] pas que les sentiments soient forts, il faut qu’ils soient précis ». Je conclurai en disant que ce travail collectif consiste non seulement à proclamer des principes mais à en préciser et à en réaliser l’application.