« Les femmes dans la gouvernance des institutions européennes : en finir avec leur sous-représentation, gagner la bataille de leur juste participation » par Marietta KARAMANLI

Le 21 mars 2017 je suis intervenue à la Maison de l’Europe au Mans invitée par celle-ci à venir débattre de la question de la place et du rôle des femmes dans la gouvernance et les postes de responsabilités au sein de l’Union Européenne. Cette intervention s’inscrivait à la suite du 8 mars journée internationale des femmes.
J’ai eu l’occasion de rappeler que les femmes, qui représentent plus de 50 % de la population européenne, sont encore très minoritaires au sein des principaux organes de direction de l’Union. D’une certaine façon l’UE s’accommode assez bien de cette situation anormale, injuste et privant nos organisations d’une diversité et de ressources humaines et intellectuelles pourtant bien présentes dans nos différents Etats membres.
J’ai calculé qu’au sein du parlement européen il faudrait encore, au rythme de la croissance de leur participation comme députées, plus de 20 ans (horizon 2039) pour atteindre la proportion qu’elles représentent au sein de la population de l’Union Européenne.
La commission européenne, sur 28 commissaires, ne compte que 9 femmes commissaires. Les autres organes ne sont pas en reste traduisant au final le peu de place qu’occupent les femmes notamment au sein des gouvernements nationaux. Le conseil composé des Chefs d’Etats et de gouvernement ne comptent que 3 femmes 1ères ministres : en Allemagne, au Royaume-Uni et en Pologne… J’ai appelé de mes vœux un changement ;

 je pense qu’il faudrait imposer la parité dans le collège des commissaires, en obligeant chaque pays à désigner un candidat homme et un candidat femme.

 De plus la désignation à la parité des député-e-s européens dans tous les pays membres devrait être un objectif politique des partis ce qui, au-delà, contribuerait à rehausser leur légitimité.

 Il faut aussi que l’éducation depuis la petite enfance en finisse avec les stéréotypes. Il faut mettre ce thème en avant tout au long de la scolarité et des études.

 Il faut faire que la compétence soit reconnue aussi bien dans les entreprises que dans les institutions publiques.

 Il faut valoriser l’information « objective » qui met en évidence les situations inéquitables et discriminatoires.

 Il faut mieux partager les expériences qui montrent que certains pays font mieux et parfois beaucoup mieux.

 Il faut aussi populariser dans les mentalités que les hommes ont les mêmes devoirs et les mêmes envies de s’occuper de leurs enfants…
Bref un chantier à mener dans la société et les partis politiques qui, s’ils veulent ressembler à leurs concitoyens et les rassembler, doivent aussi changer dans ce domaine.
Marietta KARAMANLI


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Les femmes dans la gouvernance de l’Europe et des Institutions Européennes
Marietta KARAMANLI

“Nous savons que partout dans le monde où les femmes prospèrent, les sociétés prospèrent aussi. Il est dans l’intérêt de chacun d’inclure les femmes dans tous les aspects de la société,” avait constaté Catherine Ashton, ancienne Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour l’Union européenne.
Cette phrase le montre : l’Union européenne se définit a priori comme protectrice des droits de la femme dans ses actions tant au niveau européen qu’à l’international.
L’égalité est un principe fondamental ancré dans l’article 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE) et l’article 23 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
S’agissant de la gouvernance de l’Union Européenne, c’est-à-dire le processus décisionnel et l’application des décisions dans le cadre des Institutions européennes, nous sommes comme dans la société civile et les institutions politiques nationales loin du compte même si un mouvement se dessine.

1 La gouvernance européenne admet et s’accommode très bien de la sous-représentation des femmes

Ce constat est objectivé par les chiffres.
1.1 Je commencerai par le Parlement européen
Si on prend le Parlement européen (751 députés-e-s), la part des femmes est passée de 16 % en 1979 à 37 (36,4) % en 2014, date des dernières élections européennes.
Les meilleurs élèves en termes de parité sont la Suède et la Finlande, avec respectivement 55 et 53,9 % de députées. Avec 43,2 % de femmes, la France fait mieux que la moyenne européenne (36,4 %).
Avec 32 députées, la France compte le contingent féminin le plus important des pays qui possèdent le plus grand nombre de représentants. L’Allemagne en est le plus mauvais élève, avec 35 députées sur 96, soit 36,5 % de ses représentants.
Elle est également la mieux placée parmi les grands pays comme le Royaume-Uni et l’Italie (39,7 %).
Le nombre d’élus est proportionnel à la taille de la population des pays.
On est encore loin des 50 % niveau d’égalité et si on pense en termes de représentativité précise, en 2010 on comptait plus de 51 % de femmes dans la population européenne (celle-ci est en 2016 d’environ 510 millions d’habitants).
Cette progression illustre néanmoins une tendance générale : la plupart des états membres présentent aux élections une proportion plus élevée de femmes.
Si on fait une comparaison avec les parlements nationaux, l’Assemblée nationale ne compte que 26,9 % de femmes députées (25 % de sénatrices).
Au niveau de l’ensemble des parlements nationaux des Etats membres (tous pris ensemble) la moyenne est d’à peine 30 % (29,7) au 31 décembre 2016.
Néanmoins, cette progression est toute relative et la parité reste un objectif difficile à atteindre.
J’ai fait un petit calcul : cela fait environ 3 % de femmes en plus à chaque nouvelle élection depuis 1979 et ce rythme il faudra attendre les élections de 2039 soit dans plus de 20 ans pour que la part des femmes dépasse les 50 % (51,6 % selon moi).
Répartition hommes/femmes
Constitutive 2014
Répartition par sessions constitutives
Pourcentage hommes Pourcentage femmes
1979 EU9 84 16
1984 EU10 82 18
1989 EU12 81 19
1994 EU12 74 26
1999 EU15 70 30
2004 EU25 69 31
2009 EU27 65 35
2014 EU28 63 37
2019 40
2024 43
2029 46
2034 49
2039 51,625

Parallèlement il faut noter que tous les présidents de groupe politique sont des hommes.
Il faut avoir aussi à l’esprit que pour être candidate à la présidence du Parlement européen, il faut aussi être désigné par son groupe politique majoritairement masculin.
1.2 Si je prends maintenant la commission européenne, sur 28 commissaires, on ne compte que 9 femmes commissaires.
Cela fait 32 % des membres de la commission.
Il faut au-delà du seul décompte numérique, remarquer que deux des portefeuilles les plus importants en termes de stratégie de l’Union Européenne, le Commerce extérieur et la Concurrence, sont détenus par des femmes, et que la Haute représentante pour les Affaires étrangères est aussi une femme.
Si je compare avec la représentation au sein des gouvernements des Etats membres de l’Union Européenne, celle-ci atteint 26,7 %…
Deux pays ne comptent aucune femme ministre, c’est la Grèce et la Hongrie…
1.3 Si je m’intéresse au Conseil des ministres, composé des Chefs d’Etats et de gouvernement des Etats membres, il est très majoritairement masculin car on ne compte que 7 femmes Présidentes ou 1ères ministres dans les exécutifs des Etats membres.
On ne compte que 3 femmes 1ères ministres : en Allemagne, au Royaume-Uni et en Pologne.
Si j’ai fait ce petit détour par les chiffres c’est qu’il a l’avantage de montrer que la question que vous avez posée est une question de fond.
Et comme lorsqu’on ne parle pas des choses de fond, on ne parle pas de grand-chose, (c’est ce que le dit l’éminent Psychiatre Irvin Yalom), le sujet est un sujet d’actualité…
Une fois le constat établi

II Que faire…pour augmenter la place des femmes et augmenter l’efficacité et la richesse collectives

2.1 Je pense qu’il faudrait imposer la parité déjà dans le collège des commissaires, en obligeant chaque pays à désigner un candidat homme et un candidat femme.
Quand on se heurte à ce fameux plafond de verre, il faut à un moment donné que ce soit la loi qui oblige.
2.2 De façon plus générale, la désignation à la parité des député-e-s européens dans tous les pays membres devrait être un objectif politique des partis ce qui, au-delà, contribuerait à rehausser leur légitimité.
2.3 Dans la société il faut que l’éducation depuis la petite enfance en finisse avec les stéréotypes.
Il faut mettre ce thème en avant tout au long de la scolarité et des études.
Il faut faire que la compétence soit reconnue aussi bien dans les entreprises que dans les institutions publiques.
2.4 Il faut valoriser l’information « objective » qui met en évidence les situations inéquitables et discriminatoires et qui oblige les hommes et les institutions à se poser des questions sur ce qui semble « naturel » mais ne l’est pas, et relève d’une « pure construction sociale » ;
2.5 Il faut mieux partager les expériences qui existent ailleurs ; par exemple avec et sur les Pays nordiques qui sont avancés sur ces questions-là et qui considèrent qu’il s’agit d’un enjeu de société
2.6 Il faut aussi populariser dans les mentalités que les hommes ont les mêmes devoirs et les mêmes envies de s’occuper de leurs enfants…
Autrement dit, je pense qu’il faut agir à différents niveaux pour changer le modèle du pseudo « dirigeant idéal » fait notamment de disponibilité et de mobilité et où malheureusement les tâches domestiques et la maternité sont vues subjectivement comme des freins.
Il faut aussi changer de l’intérieur les partis politiques.
Je l’ai écrit dans un article, il y a près de 20 ans, sur l’exercice du pouvoir, celui-ci est vu, ici comme ailleurs, comme l’apanage des hommes, c’est à dire comme quelque chose de propre aux hommes.
Il y a peu d’hommes et encore moins de femmes engagés dans les organisations politiques.
A l’inverse de nombreuses femmes sont engagées dans les associations et syndicats.
Au parti socialiste, il y a environ 75 % d’hommes et 25 % de femmes.
Nécessairement les partis vont devoir accepter de voir des femmes s’engager à leurs côtés en n’ayant pas comme préoccupation première la gestion de leur ambition.
Cela doit faire entrer de l’air frais dans les maisons politiques.
Les partis politiques vont devoir

 s’ouvrir aux sympathisants, mieux les associer aux décisions ;

 discuter davantage avec les associations…

 faciliter la participation des femmes aux réunions par une organisation appropriée
;

 changer la façon dont la parole est accaparée par quelques hommes.
Il y a du pain sur la planche…

Source image : wikimédia commons