« LOPPSI 2 : plus d’incriminations, moins de police sur le terrain et pas davantage d’efficacité » par Marietta KARAMANLI

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Le 14 décembre est revenue en discussion à l’Assemblée Nationale la loi dite « Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure II ». En première lecture, j’avais déjà eu l’occasion d’intervenir sur ce texte. J’ai centré mon propos pour dénoncer un texte brouillon avec un florilège de dispositions valant répression de délits sans que nous ne connaissions ni le nombre de faits de mise en danger ou de contrariété avec l’ordre public, ni les effets de certaines dispositions au regard d’autres mesures existantes. J’ai rappelé les diminutions d’effectifs de police et gendarmerie dans le cadre de ce que l’Etat appelle la révision générale des politiques publiques notant pour le seul budget 2011, une nouvelle réduction des effectifs sur le terrain, ce qui signifie moins de personnels permanents et expérimentés. Le Gouvernement prévoit de compenser cette réduction par la vidéosurveillance de l’espace public, celles-ci peut se révéler extrêmement coûteuse pour les collectivités locales qui devront payer avec un résultat plus limité en termes de sécurité locale que celui obtenu par la présence d’une police intégrée à la vie de la cité. Enfin j’ai indiqué que selon la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dépendant du Conseil de l’Europe, la France présentait, en 2006, deux particularités : le nombre de plaintes enregistrées s’élevait à 5,1 millions, et la proportion des affaires classées sans suite était de 70 %. Il est probable qu’un empilement de lois complexes s’inspirant peu de la réalité du terrain, la nécessité pour la police et la justice de s’approprier des dispositifs disparates et l’absence d’une bonne coordination de proximité expliquaient cette situation. Dans un prochain article je reviendrai sur les amendements que j’ai proposés ou défendus.


Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011
Compte rendu intégral, Deuxième séance du mardi 14 décembre 2010

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de cette deuxième lecture, j’aimerais tout d’abord évoquer le périmètre de la loi.

Certaines dispositions sont nouvelles. À bien des égards, le champ du projet de loi s’est élargi. Cette loi devrait être une loi d’objectifs et de moyens, selon les termes mêmes de l’exposé des motifs, en vue de répondre durablement aux enjeux d’organisation et de support des moyens de police mais, en réalité, elle est devenue une loi portant diverses dispositions pénales. Elle constitue une sorte de patchwork de mesures sécuritaires dont les objectifs et la cohérence avec d’autres dispositions ne sont guère démontrés et dont l’efficacité potentielle dans la lutte contre la délinquance est peu ou pas argumentée.

Les articles 24 bis, 24 ter, 24 quater, 24 quinquies, 24 sexies traitent respectivement de l’interdiction d’aller et venir des mineurs non accompagnés, d’un nouveau contrat à conclure entre l’autorité administrative et les parents, du vol, de la distribution d’argent sur la voie publique, de l’exercice d’activités commerciales ou de la vente sur la voie publique. L’ensemble constitue un florilège de dispositions portant obligations de ne pas faire et valant répression de délits. Nous ne connaissons ni le nombre de faits de mise en danger ou de contrariété avec l’ordre public qui sont en cause, ni les effets de certaines dispositions au regard d’autres mesures existantes.

Je ne reviens même pas sur l’article 7 adaptant les sanctions pénales prévues en cas d’utilisation des procédés d’identification par empreintes génétiques qui violent les conditions définies par la loi ou qui se situent en dehors des cas qu’elle prévoit.

Des estimations font aujourd’hui état de 15 000 à 20 000 personnes qui, chaque année, ont recours à un tourisme génétique illégal : le fait que l’achat de tests soit libre dans plusieurs pays voisins permet d’envoyer des tests et de recevoir de l’étranger les résultats. Cette quête de la vérité biologique qui va, me semble-t-il, à l’encontre de la paix de l’esprit et qui risque de générer autant de troubles émotionnels qu’elle est censée en guérir,€¦

M. Jean-Louis Bernard. Ah là, là : troubles émotionnels !

Mme Marietta Karamanli. €¦mériterait un autre traitement qu’une disposition dans une loi de sécurité intérieure.

Il résulte de tout cela une illisibilité de la loi qui a pour effet principal de limiter les débats publics, en empêchant les différents acteurs d’avoir la distance nécessaire pour savoir si tout cela est et sera bien efficace.

J’en viens à mon deuxième sujet.

Les moyens humains qui se trouvent en dehors du champ du texte s’effritent et les garanties offertes aux citoyens sont fragilisées. Certains contribuables sont deux fois sollicités. En effet, si l’utilisation des moyens techniques progresse, les moyens humains, tant en nombre qu’en qualité, avec ce que cela suppose en termes d’expérience et de formation, diminuent. Dans le cadre de la révision des politiques publiques, des diminutions d’effectifs ont été opérées depuis plusieurs années. La lecture des chiffres les plus récents montre, pour le seul budget 2011, une réduction des effectifs sur le terrain, ce qui signifie moins de personnels permanents et expérimentés. Le taux d’engagement des effectifs sur le terrain €“ rapport entre le nombre d’heures consacrées aux activités hors des locaux de police et le nombre d’heures totales d’activité €“ des forces de gendarmerie est de 68 % contre 41,5 % pour la police, appelée à remplir d’autres missions. Il s’agit d’une évolution lourde de conséquences.

À défaut de prévoir des forces de police en nombre suffisant pour prévenir, dissuader et arrêter, il est proposé de généraliser la surveillance de l’espace public. L’autorité administrative pourra placer des dispositifs de vidéosurveillance pratiquement partout sur la voie publique. Les entreprises privées pourront en installer aux abords de leurs établissements. Les préfets pourront surveiller le parcours des manifestations les plus pacifiques.

Plusieurs études montrent que le recours à la vidéosurveillance peut se révéler extrêmement coûteux pour les collectivités locales, avec un résultat plus limité en termes de sécurité locale que celui obtenu avec la présence d’une police intégrée à la vie de la cité.

À bien des égards, les incitations de l’État pour que ces collectivités s’équipent traduisent la volonté de l’État d’externaliser des activités de sécurité relevant de sa compétence initiale et d’en faire supporter le coût de fonctionnement par le contribuable local.

Ainsi, en partant de ce seul exemple, le risque est bien d’avoir un citoyen paisible fictivement protégé, une délinquance mise sous images mais pas dissuadée, un contribuable qui paiera deux fois : une fois pour la police d’État moins présente et une fois pour des caméras censées empêcher une délinquance parfois loin de chez lui.

Ma troisième et dernière observation porte sur le caractère dissuasif, et donc l’efficacité, de l’ensemble des mesures qui sont proposées aujourd’hui. Tout cela sera-t-il efficace ? Tout ce qui est prévu ici permettra-t-il d’améliorer la sérénité et la tranquillité des citoyens et des familles ?

Mme Sandrine Mazetier.

Non !

Mme Marietta Karamanli.

Ici et ailleurs, on entend dire que seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher ont quelque chose à craindre de la loi. Implicitement, cela voudrait dire que ceux qui critiquent les dispositifs en cause sont des élus veules et coupés des réalités, des laxistes, des mous ou des molles. Je renverserai la question : cette inflation pénale n’est-elle pas de nature à détourner les regards de la faible efficacité de notre système après en avoir dilué les forces ?

Dans le rapport 2010 de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dépendant du Conseil de l’Europe, il était noté que la France présentait, en 2006, deux particularités. Le nombre de plaintes enregistrées s’élevait à 5,1 millions, et la proportion des affaires classées sans suite était de 70 %.
En Allemagne, le nombre de plaintes était également de l’ordre de 5 millions, mais le taux d’affaires classées sans suite était de 26 %.

Les chiffres de 2008 montrent que la situation est quasi identique pour la France, avec un taux d’affaires classées sans suite de 68 %, 80 % de celles-ci l’étant au motif que l’auteur de l’infraction reste inconnu. Qu’est-ce qui explique cela ? Un empilement de lois formelles et complexes s’inspirant peu de la réalité du terrain, comme cela a été rappelé ici à plusieurs reprises, la nécessité pour la police et la justice de s’approprier des dispositifs disparates, l’absence d’une bonne coordination de proximité, la priorité donnée à la constatation immédiate et moins à la dissuasion de proximité sont autant d’explications probables au fait que, malgré une inflation de textes, l’efficacité ne progresse plus.

Lao-Tseu, un philosophe du vie siècle avant notre ère, le disait déjà : « Plus les lois se manifestent et plus les voleurs s’accroissent ». C’est le cas aujourd’hui en France.

À son instar, je formule le vÅ“u que, dans notre sagesse collective, nous trouvions la voie de la vertu et de l’efficacité policière, ce qui n’est pas la voie de l’intempérance législative telle que la proposent aujourd’hui votre gouvernement et votre majorité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)