Marietta KARAMANLI à l’ancien président de la Banque Centrale Européenne « Prévenir les crises financières en Europe nécessite d’accompagner en amont plutôt que de sanctionner en aval »

Karamanli07202-hemi-2.jpg

Le 20 février dernier, je suis intervenue lors de l’audition de Jean-Claude Trichet, l’ancien président de la Banque Centrale Européenne par la commission des affaires européennes.
Je suis parti du constat que la récession s’installait en Europe pour lui demander si l’Euro n’était pas surévalué et constituait alors un handicap pour la compétitivité européenne.
Je l’ai interrogé aussi sur les leçons à tirer de la crise grecque.
Sur le premier point, il considère que la stratégie d’une monnaie forte fondée sur une compétitivité réelle a été l’atout de l’Allemagne. Selon lui « les Allemands ont contenu attentivement leurs coûts unitaires de production, regagnant année après année en compétitivité – grâce, aussi, à des réformes structurelles ».
Je note que sa réponse ne met pas en perspective la structure économique des différents pays.
L’Allemagne a un potentiel industriel qu’elle a financé à l’époque du mark, une monnaie forte. Plus les autres pays achetaient plus ils finançaient leur voisin. Aujourd’hui encore , l’industriel allemande fait fabriquer hors zone ‚¬ des produits qu’elle vend cher, avec un ‚¬ fort, à ses voisins.
Ne pas tenir compte de cette situation ampute toute réflexion sur le place et le rôle d’un ‚¬ trop fort en Europe et dans le monde.
Concernant la Grèce, sa réponse est de considérer que la réaction des européens a été lente à raison des intérêts objectifs qu’avaient les Etats, certains ayant été économes et d’autres laxistes. Par ailleurs il estime que des progrès ont été accomplis vers une mutualisation de la gestion de la dette publique en Europe.
Il parle sanctions sans parler incitations raisonnables et responsables.
Ne pas traiter les problèmes de différence de potentiel économique diminue la pertinence des réponses à apporter.
Selon Paul Krugman, il y a toujours au sein de l’Union un écart de compétitivité entre pays. Comme je l’avais dit le 9 octobre 2012 devant l’Assemblée Nationale « Il faut et il faudra probablement accepter qu’il y ait un peu d’inflation à certains endroits pour que les États faibles de la zone euro puissent exporter aussi vers les États forts de cette zone. C’est l’intérêt de ces pays, et c’est l’intérêt de la zone euro. »
Au final l’intervention de Jean-Claude s’est révélée intéressante au sens où elle révèle une vision de l’Europe où les écarts passés sont vus et présents comme devant être réglés de façon budgétaire alors même qu’ils traduisent un problème économique d’investissements pour l’avenir.
Je suis constante et j’entends défendre une vision plus offensive et constructive d’une Europe qui intègre et fasse converger économiquement.


Karamanli07202-hemi-2.jpg

Commission des affaires européennes, mercredi 20 février 2013
8 h 30,

Audition de M. Jean-Claude Trichet, ancien président de la Banque centrale européenne, gouverneur honoraire de la Banque de France

Mme Marietta Karamanli.

La BCE, forte de la stabilisation des marchés financiers et de l’économie dans la zone euro, devrait, selon les analystes, laisser son taux directeur inchangé.
Mais la stabilisation économique ne signifie pas la reprise ; selon l’Office européen des statistiques, la zone euro s’est d’ailleurs enfoncée dans la récession au quatrième trimestre 2012, avec un produit intérieur brut en recul de 0,6 % alors que la plupart des prévisionnistes tablait sur un repli de 0,4 %.
Par ailleurs, en six mois, l’euro s’est apprécié de 11 % face au dollar. Dans ce contexte, certains considèrent que la zone euro court un risque si la BCE persiste à ne pas réagir face à cette perte de compétitivité. La zone euro a-t-elle matière à craindre la surévaluation de sa monnaie ? Dans un autre domaine, quelles leçons tirez-vous de la crise grecque et de la manière dont elle a été gérée au sein de l’Union européenne ?

M. Jean-Claude Trichet.

L’un des thèmes abordés de manière récurrente est celui du change. Il n’est facile ni pour les banquiers centraux, ni pour les économies réelles, ni pour les entrepreneurs, ni pour les ouvriers, ni pour les employés de vivre dans un monde de change flottant. Dans ce monde, qui est celui où nous sommes depuis presque un demi-siècle, les fluctuations peuvent être très importantes. Mais permettez-moi de rappeler que, sous la présidence Carter, le taux de change du dollar a été, à son plus bas, d’un peu moins de quatre francs français, et que le dollar a atteint le pic de sa valeur à l’époque de Ronald Reagan : il valait alors plus de onze francs français. La fluctuation a donc été de 1 à 3 et cela, bien avant l’euro. Ce qui valait pour le franc valait aussi, bien entendu, pour le deutsche mark, le florin et les autres monnaies européennes. Ces fluctuations considérables posent d’énormes problèmes à tous car nous sommes dans un univers de très grandes incertitudes.

Depuis l’entrée en vigueur de l’euro, les mouvements de change significatifs ont été les suivants : lors de sa création, un euro valait 1,17 dollar américain ; au plus bas, il a valu 0,83 dollar et 1,59 au plus haut. L’écart est donc plutôt de 1 à 2. C’est bien trop, je le concède, mais bien moins qu’à l’époque du franc. J’ajoute que, depuis l’introduction de la monnaie unique, il n’y a plus aucune fluctuation sur un très vaste marché antérieur, alors qu’elles pouvaient être considérables, entre les monnaies européennes, auparavant.

La stratégie gagnante, celle que l’Allemagne a conduite depuis la fin de la seconde guerre mondiale, est d’avoir une monnaie nominalement forte et réellement compétitive – c’est-à-dire, en réalité, faible. On y parvient en étant très attentif à l’évolution nominale, aux augmentations de coûts €“ particulièrement des coûts unitaires de production €“ et en s’efforçant de réaliser le plus de progrès de productivité possible, de manière que l’ensemble des entreprises et notamment les entreprises exportatrices soient compétitives. C’est la stratégie pluripartisane qu’a poursuivi la France au cours des années 1980 et 1990 sous le nom de « désinflation compétitive ». Elle consistait à contrôler l’inflation nationale et os coûts, et nous avions pris l’engagement de ne pas réaligner le franc au sein du mécanisme de change. Cette stratégie a réussi : lors de l’introduction de l’euro, la France connaissait un excédent de la balance de ses paiements courants, contrairement à l’Allemagne qui accusait un déficit pour avoir dû faire face au défi d’une réunification qui avait provoqué une hausse des coûts rendant son économie non compétitive.

Le paradoxe de la situation tient à ce que, après l’introduction de l’euro, les Allemands ont contenu attentivement leurs coûts unitaires de production, regagnant année après année en compétitivité – grâce, aussi, à des réformes structurelles. Nous-mêmes avons considéré que l’objectif central, la stabilité monétaire grâce à l’euro, était atteint, et nous avons un peu perdu de vue le fait que même dans une zone à monnaie unique, il faut toujours faire très attention à sa compétitivité. Le fait est que la législation secondaire du traité de Maastricht ne comprenait pas d’indicateurs de suivi des indicateurs de compétitivité ; ils existent désormais, car ce manque est l’une des grandes leçons de la crise.

S’il existe une grande distance entre la compétitivité des différents pays, c’est que la valeur implicite des monnaies est elle-même assez différente ; la zone euro a une monnaie nominale unique, mais elle n’a pas une monnaie réelle unique. Voilà pourquoi l’Allemagne, dont la monnaie réelle est très compétitive, a des excédents colossaux cependant que nous avons plus de problèmes. Cela se traduit dans l’évolution comparée des coûts unitaires de production. Il en résulte que tous les pays de la zone euro doivent s’engager dans une stratégie de stabilité compétitive pour être sûrs de regagner, année après année, une compétitivité réelle. L’idée d’un « choc de compétitivité » est excellente, mais il faut l’envisager, en quelque sorte, comme le coup de talon nécessaire, puis se remettre à agir comme nous l’avons fait au cours des années 1980 et 1990. En réalité, nous avons une monnaie unique depuis janvier 1987, date du dernier réalignement des taux pivots au sein du système monétaire européen.

Toute la question est de savoir si la perspective, en termes de change, est acceptable pour les 333 millions d’habitants de la zone euro. Cette question doit s’apprécier collectivement, sinon tel pays se dira satisfait et tel autre pas du tout, ce qui aurait un effet troublant pour l’extérieur puisque l’euro ne peut évidemment avoir qu’une seule valeur face au dollar ou au yen. Une réforme du système monétaire international serait probablement souhaitable. C’est une thèse constante de la France, qui a la nostalgie d’un système fixe €“ lequel n’est pas sans contraintes comme le montre celui dans lequel nous sommes. Mais peut-être ne les avions-nous pas bien perçues.

Vous savez quel ardent partisan j’ai été de la désinflation compétitive, c’est-à-dire d’une monnaie qui soit réellement compétitive, et non, seulement, nominalement forte. J’ai plaidé en permanence pour les deux : une inflation faible et une monnaie réellement compétitive.

La Banque centrale européenne n’est pas « obsédée » par l’inflation. Elle fait ce que les démocraties européennes lui ont demandé de faire. J’observe d’ailleurs que, lorsqu’ils sont interrogés sur ce point, nos concitoyens se prononcent à une majorité écrasante en faveur de la stabilité des prix. Plus, même : ils critiquent la BCE, comme ils critiquaient auparavant la Banque de France, de ne pas suffisamment l’assurer. Ce sentiment est partagé, en France comme en Allemagne.

Est-ce que être obsédé par la stabilité des prix provoque le chômage ? Observons nos voisins. L’Allemagne, comme le Pays-Bas et d’autres, est quasiment en train de vaincre le chômage de masse. Se dit-on, dans ces pays, « plus il y a d’inflation et mieux cela vaut » ? Non. En Allemagne, l’inflation est un peu plus faible que la nôtre parce que le pays a contenu attentivement ses coûts, si bien que son inflation nationale est, année après année, inférieure à la moyenne européenne. Je ne veux pas faire l’éloge d’un seul pays, et je pourrais d’ailleurs en mentionner d’autres. Je souhaite souligner d’une part que c’est une erreur de penser que nos concitoyens n’approuvent pas la stabilité des prix ; d’autre part que, lorsque l’on prend garde à contenir les coûts, cette stabilité n’est pas un inconvénient mais un avantage dans la lutte contre le chômage. Bien entendu, je me garderai de tout simplisme : il faut aussi faire la part de bien d’autres éléments, dont la créativité, l’innovation et l’ensemble de la compétitivité hors coûts.

S’agissant de l’indépendance de la BCE, je le redis, nous sommes entre les mains des démocraties européennes. Les peuples d’Europe ont défini la charte de la Banque, une charte qui la dit indépendante, chargée d’assurer la stabilité des prix et, sous cette réserve, d’accompagner les autres politiques, et de prendre les décisions appropriées dans les périodes difficiles. Je suis fier qu’au cours de la crise, en dépit de toutes les crispations, y compris en son sein, la BCE ait constamment pris les décisions extrêmement audacieuses requises par les circonstances. Lorsqu’elle a éclaté, la crise a été imputée, peut-être à juste titre pour une part, au laxisme de certaines politiques menées précédemment. J’ai d’ailleurs constaté un retournement d’opinion en France, certains de ceux qui étaient très favorables au laxisme budgétaire et monétaire plaidant alors en faveur de la stabilité et d’une politique économique plus prudente.

L’opposition que manifeste l’Allemagne en certains domaines mérite une analyse. Pendant huit ans, à Francfort, j’ai observé un consensus multipartisan sur la nécessité de regagner la compétitivité perdue et de créer des emplois par un suivi très attentif des coûts. L’opinion allemande est sous l’influence dominante des ouvriers, employés et cadres du secteur exportateur, qui font un lien direct entre leur compétitivité et la création d’emploi. Dans d’autres pays, l’influence dominante est plutôt celle du secteur non exportateur, du secteur public au sens large. Dans ce cas, on ne fait pas le lien entre sa propre compétitivité et l’emploi puisque l’on n’est pas soumis à compétition, et il est important d’expliquer que si l’économie tout entière perd en compétitivité, une crise s’ensuivra que l’on payera cher. C’est ce qui justifie l’introduction des indicateurs européens de suivi de la compétitivité. Ils ne sont pas vraiment utiles pour les pays qui, tels les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche ou la Finlande sont très ouverts sur l’extérieur et dont la culture est spontanément exportatrice, mais ils peuvent être extrêmement utiles en Grèce ou au Portugal. Ils devraient permettre d’éviter des écarts de compétitivité monumentaux qui constitueraient la réelle menace pour la cohésion de l’Union européenne, vos questions l’ont souligné.

L’opposition n’est pas tant, au sein de la zone euro, entre les pays du Nord et les pays du Sud qu’entre les pays à l’économie ouverte ou très ouverte et ceux dont l’économie est assez fermée. C’est ce qui conduit à des décisions, à une appréhension des problèmes et à des négociations entre les partenaires sociaux assez différentes.

Il va de soi que si l’Europe n’était pas à l’épicentre de la crise mondiale des risques souverains, notre économie irait mieux. Le problème est que nous sommes en voie d’ajustement. Cet ajustement, heureusement, se fait : si l’on considère l’ensemble constitué par les pays qui ont été attaqués par l’environnement financier international – l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal €“, on constate que le déficit de la balance de paiements courants, qui était de 8 % du PIB, est passé à 1,2 ou 1,3 % du PIB sur les douze derniers mois. Pour certains coûts unitaires de production, l’Espagne a regagné une compétitivité remarquable, et l’Irlande presque toute celle qu’elle avait perdue au pire de son dérapage incontrôlé ; le Portugal fait d’importants efforts également. Ce qui est lamentable, c’est que cet ajustement ait lieu lors d’une crise très grave dont la zone euro est le centre mondial. Pour éviter à tout prix de nous retrouver dans pareille situation, nous devons mettre en Å“uvre rigoureusement les dispositifs élaborés à la lumière de l’expérience tirée de la crise.

À propos de la politique de la BCE, j’appelle l’attention sur le fait que, comme nous donnons des liquidités de manière illimitée et à un taux fixe très bas, il y a en a en abondance, si bien que le niveau des taux observés sur le marché monétaire est lui-même extrêmement bas. C’est ainsi que se traduit l’accompagnement de la BCE à l’économie européenne. C’est la décision du Conseil des gouverneurs, et la Banque a montré être capable, en temps de crise, de prendre des décisions non conventionnelles, tout en donnant aux 333 millions d’Européens la stabilité des prix en moyenne – ce qui a été fait depuis la création de l’euro. Le mandat premier donné par les démocraties à la BCE, et confirmé par toutes les enquêtes d’opinion, a été respecté.

M. Jean-Claude Trichet.

En Grèce, les choses ont été rendues très complexes par la négligence qui a caractérisé la période qui s’est écoulée entre la création de l’euro et le début de la crise des risques souverains. En raison de très graves défauts d’enregistrement statistique €“ qui devaient être absolument corrigés pour rétablir la crédibilité et de la Grèce et de l’Union €“, les données budgétaires présentées par la Grèce n’étaient pas inquiétantes, mais la BCE et les ministres des finances avaient sous les yeux, mois après mois, certains indicateurs de compétitivité qui montraient une évolution extrêmement dangereuse. Malgré cela, une négligence coupable a prévalu, et les marchés eux-mêmes ne signalaient pas que le risque grec les inquiétait. Ensuite est survenue la crise, et un problème doctrinal s’est posé. Lors de la création de la monnaie unique, les « meilleurs Européens » avaient spécifié que l’on fusionnait les monnaies mais qu’il était hors de question de fusionner les budgets, chaque pays membre de la zone euro demeurant responsable du sien. Cette promesse politique allait au-delà du Traité, qui précise qu’il ne doit y avoir ni transferts ni subventionnements par d’autres pays €“ c’est la clause dite du « no bailing out » €“ mais qui n’interdit pas les prêts avec intérêts à un pays. La promesse avait été : « Pas un centime, même sous forme de prêt », et l’opinion était sur cette ligne dans plusieurs pays.

Par ailleurs, il était assez difficile à certains pays de se dire qu’ils étaient réputés riches alors que les augmentations de salaires y avaient été très inférieures à la moyenne de la zone euro et que, parce que réputés riches, il leur faudrait paradoxalement aider des pays réputés pauvres mais où les augmentations de salaires avaient été de quatre à cinq fois supérieures aux leurs, voire davantage. La France aurait pu avoir la même réaction mais ce n’a pas été le cas parce que nous avons un côté compassionnel : nous avons jugé qu’il fallait aider des gens dans la difficulté.

Certains pays ont donc éprouvé une réelle difficulté à comprendre l’aide qui leur était demandée, et cette réaction a été partagée par les parlementaires et par l’homme de la rue. Je me suis trouvé devant le Bundestag pour expliquer que nous connaissions un problème très grave, qui devait être traité comme tel. Mais comment faire comprendre qu’un pays incroyablement mal géré, qui s’était en quelque sorte distribué de l’euro sans mesure, puisse tendre la sébile à d’autres Européens qui, eux, avaient été très économes pendant une décennie ?
Il y avait là une difficulté extrême, qui explique que les choses se soient déployées lentement, beaucoup trop lentement de mon point de vue, au regard de la rapidité des marchés financiers mondiaux. Nous avons payé cette lenteur assez cher. Finalement, des décisions ont été prises, y compris par ceux des pays qui avaient une conception très ferme du « no bailing out ». Et c’est ainsi qu’a été adopté le Traité créant le mécanisme européen de stabilisation, instrument de gestion de la crise qui est un exemple de mutualisation. Dans le même ordre d’idée, les project bonds, obligations destinées à financer de grands projets, sont considérées comme acceptables par l’ensemble des Européens.

Cela étant, il faut mesurer exactement ce que mutualisation veut dire : si un pays prend en charge les dépenses d’un autre pays, il doit aussi en contrôler les dépenses. La conséquence de la mutualisation serait que le Parlement français ne déciderait plus les dépenses. Une extrême prudence s’impose donc sur ce point, mais il faut considérer qu’une forme de mutualisation existe fort heureusement déjà et qu’une autre est acceptée par tous, sur la base de projets européens. On pourrait imaginer, pour aller plus loin, un embryon de budget de la zone euro, à condition qu’il ne soit pas conçu pour permettre des transferts mais pour absorber les chocs asymétriques, de manière à lisser les cycles économiques. À ce stade, il n’y a pas de consensus sur des transferts permanents lesquels, d’ailleurs ne sont pas sains parce qu’ils supposent que certains pays ne sont pas capables d’être compétitifs, ce qui est faux : il suffit d’ajuster son niveau de vie à son niveau de productivité.

J’ai une autre idée, très audacieuse, qui donnerait de la substance à l’idée d’une fédération budgétaire et économique. À ce jour, les sanctions prévues dans les textes sont des amendes. Ce système, qui n’a jamais été appliqué, ne fonctionne pas : que signifie imposer des amendes, en période de crise, à un pays qui se gère très mal ? On ne peut rien attendre de pratique de cette disposition.

Voyons ce qui s’est passé en Grèce. En ne respectant pas les règles et en refusant, soit par mauvaise volonté, soit par incapacité, de rétablir l’équilibre budgétaire, de 10 à 15 millions d’habitants créent de graves problèmes à 320 millions d’autres Européens. Au lieu d’envisager une amende, on pourrait décider d’activer une procédure au niveau central. La Commission européenne proposerait par exemple une augmentation de la TVA et le gel de certaines dépenses publiques ; après que le Conseil, agissant comme une sorte de « super Sénat » européen, aurait avalisé cette proposition, elle serait soumise au Parlement européen, en liaison, éventuellement, avec les parlements nationaux €“ mais c’est bien au Parlement européen qu’il reviendrait de prendre la décision ultime et non à la Conférence. Une architecture de cette sorte garantirait la démocratie, la légitimité puisque tous les Européens concernés par le problème seraient consultés, et le principe de subsidiarité enfin, puisque l’on ne retirerait leurs prérogatives aux pays considérés qu’en cas de menace grave et immédiate pour l’ensemble de la zone euro. Cette procédure – l’activation d’une fédération économique et budgétaire par exception – n’aurait lieu que pour éviter la déstabilisation de la zone euro dans son ensemble.

Je sais l’objection qui va m’être faite : c’est une atteinte à la souveraineté d’un pays. C’est vrai, mais c’en est une aussi d’imposer une amende lorsqu’on n’est pas satisfait de la décision prise par un parlement national.

Mme Marietta Karamanli.

Je note qu’il s’agit à nouveau d’une procédure de sanction. Mais que fait l’Union en amont ? Je ne saurais dire si la Grèce a provoqué la crise ou si elle a été attaquée car elle était le maillon le plus faible. Quoi qu’il en soit, qu’a-t-on fait avant ? Rien ! On a laissé filer, sans processus d’intervention ou d’accompagnement obligatoire.
Faut-il en rester là sur ce point, et se limiter à un nouveau système de sanction ?