Marietta KARAMANLI « Article 49 – 3 de la Constitution un dispositif de l’arsenal du parlementarisme rationalisé à faire évoluer, un régime politique à réformer»

Depuis plusieurs semaines, la question de l’article 49-3 de la Constitution retrouve une actualité née de l’apparente contradiction de son utilisation par l’ancien premier ministre et de appréciation de celui-ci comme candidat à l’élection présidentielle qui entend le faire évoluer en le rendant plus difficile et en restreignant le recours.
Le texte de la Constitution de 1958
Il convient d’une part de se reporter au texte même de la Constitution de 1958. Celui-ci dit « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Cet article existe depuis 1958 donc depuis près de 60 ans !
Comme je l’écrivais en 2008 lors de la révision de la Constitution puis en 2010, « L’article 49-3 de la Constitution fait partie de ce qu’on appelle l’arsenal du parlementarisme rationalisé qui consiste à forcer une majorité parlementaire à exécuter ce que veut le gouvernement. Cet article permet l’adoption d’un texte sans vote si le Gouvernement engage sa responsabilité et si aucune motion de censure n’est adoptée. La nouvelle rédaction la Constitution (en 2008) réserve cette possibilité à un texte par session et aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
Dans la nouvelle version de la Constitution cette procédure reste néanmoins possible dès la première lecture et peut même être utilisée concomitamment avec une demande d’habitation législative (le parlement s’en remettant au gouvernement pour écrire à sa place) ou de vote bloqué (aucun « amendement n’étant accepté). » https://mariettakaramanli.fr/interventions/renouveler-notre-democratie/article/deux-ans-apres-sa-revision-la
Un texte peut donc être adopté sans vote formel de la majorité ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de majorité mais on s’évite une discussion périlleuse.
C’est une procédure exceptionnelle mais pas extraordinaire au sens où elle serait « bizarre »… c’est prévu. Elle a été utilisée plus de 80 depuis 1958 dont 28 fois par Michel Rocard, premier ministre qui était un homme consensuel et d’ouverture. Le 49-3 est une disposition faite pour souder une majorité…ou plutôt qui présume qu’elle ne pourrait être convaincue. C’est une initiative de l’exécutif qui reste une prérogative de celui-ci…Son possible recours est délibéré en Conseil des ministres que préside le Président. Beaucoup de commentaires ont été faits… Je voudrais rappeler deux éléments objectifs.


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Une certaine logique

Lors de la dernière réforme de la Constitution en 2008 j’ai soutenu aux côtés de Manuel VALLS , d’Arnaud MONTEBOURG et d’Elisabeth GUIGOU, pour ne citer que ces collègues députés, un amendement visant à restreindre le recours au seul vote des lois de finances (le budget de l’Etat) et de financement de la sécurité sociale (la fixation d’objectifs de dépenses et de ressources pour la sécurité sociale). Voir le projet d’amendement joint, ici.
C’est la position actuelle de Manuel VALLS
Lors de cette législature une des raisons du recours au 49-3 a été l’attitude de plusieurs députés de la majorité refusant de dire ce que serait leur vote juste avant le vote sur les projets du gouvernement…s’il leur était loisible de ne pas voter ou de s’opposer en votant contre, la franchise et le courage auraientt été de dire clairement et de façon prévisible ce qu’ils entendaient faire.
Comme le disait Pierre Mendès-France en 1953 « Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. ». On peut dans ces conditions regretter comme je l’ai fait le recours au 49-3, on peut dire aussi que l’effet conjoint des circonstances et d’une logique présidentialiste que je regrette et à laquelle je m’oppose, ont conduit à son recours.
Ainsi l’abandon du 49-3 sur les textes hors lois de finances et de financement se justifie et se justifierait largement car le régime politique de la France n’est plus ou pas un régime parlementaire classique, l’élection au suffrage universel dès 1962 a modifié la donne en créant une majorité parlementaire qui contrainte par de nombreuses autres dispositions de la Constitution, certes peu connues du grand public (ordre du jour largement imposé, domaine de la loi restreint, initiative budgétaire limitée, …) doit suivre l’exécutif sauf à engager une crise politique majeure et disproportionnée par un rapport à un seul texte.
La logique du régime est plutôt d’imposer à la majorité pas de négocier des compromis…

La 5ème République un régime présidentialiste, un régime à réformer

L’éminent professeure de Droit et Constitutionnaliste, Jean Gicquel a, il y a déjà plusieurs décennies, qualifié notre régime politique de « régime présidentialiste à la française ». En effet dans le système français : le Président est élu au suffrage universel, le 1er Ministre est l’exécutant du Président (sauf cohabitation), enfin le fait majoritaire condamne à «la subordination » les députés de la majorité présidentielle et exclut le plus souvent l’opposition de la discussion productive quant aux mesures finalement adoptées.
A l’inverse le régime présidentiel est fondé sur l’équilibre des pouvoirs et non sur leur subordination comme y aboutit le régime français. Ce n’est donc pas le régime présidentiel qui était en vue en 2008 mais plutôt un régime présidentialiste redistribuant une partie infime du trop-plein des pouvoirs institutionnels de l’exécutif et qui n’ont de raison plus de raison d’être du fait d’une majorité globalement disciplinée, d’une opposition contrainte, et de l’externalisation forte de la norme vers le Gouvernement et ses services. Aujourd’hui il est temps de faire évoluer le régime si la suppression de l’élection présidentielle qui donne une légitimité au Président élu plus grande que celle réunie en et « sur « 577 députés, apparaît difficile, une diminution de ses prérogatives (fin de la présidence du conseil des ministre sauf exception, fin de son pouvoir de désignation des ministres, suppression du droit de dissolution transféré au Premier ministre, …) ferait de l’institution présidentielle une institution plus normale à l’image des Présidents des autres Etats européens, où pour être fort un pays a besoin de cohérence majoritaire et non d’un homme providentiel , parfois isolé. J’aurai l’occasion de revenir sur cette réforme majeure qui ferait du bien au pays.

Voir en document joint, le projet d’amendement déposé par les député socialistes et rejeté par la majorité UMP et conservatrice en 2008…

Source image : Assemblée Nationale (AN) , publiée avec l’autorisation des services de l’AN