Marietta KARAMANLI, Députée et Conseillère Générale et Christophe ROUILLON, Maire de Coulaines et Conseiller général, contestent devant le Conseil d’Etat la déclaration d’utilité publique de la future ligne vers l’Ouest contournant Le Mans

Nos arguments portent notamment sur l’absence de financement, l’insuffisance d’évaluation de l’impact de la ligne sur l’environnement, enfin sur l’importance des inconvénients du projet par rapport à ses avantages attendus, plus limités.


Extraits du recours devant le Conseil d’Etat

L’absence de financement

« L’article 4 du décret du 17 juillet 1984 pris pour l’application de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 prévoit que l’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte : une analyse des conditions et des coûts de construction, d’entretien, d’exploitation et de renouvellement de l’infrastructure projetée; Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière;

Les documents de l’enquête publique constituant l’Evaluation socio-économique et financière – Pièce G – Chapitre 5 / page 45 indiquent, de façon très laconique, que :

  • « L’Etat sera un des cofinanceurs »,
  • « les collectivités territoriales qui bénéficient du projet sont également directement concernées, du fait des conséquences positives de la ligne nouvelle sur l’économie et l’aménagement du territoire pour l’Ouest de la France »,
  • « un soutien de l’Union Européenne sera également recherché »,
    le niveau de participation de RFF sera lui « conditionné par les perspectives de trafics et par le montant des redevances futures »,
    enfin « la SNCF assurera le financement de ses propres besoins d’investissements (matériel roulant et installations fixes du transporteur) dans les conditions spécifiques et les obligations applicables à son statut d’établissement public industriel et commercial selon des modalités qui seront définies ultérieurement ».

Selon nous il ne s’agit pas là d’une analyse des conditions de financement (montant monétaire ou répartition physique « approximative », en pourcentage, des contributions entre partenaires financeurs s’appuyant sur différentes hypothèses de participation€¦) mais seulement de la liste des possibles financeurs.

En ce sens, les obligations fixées par la réglementation ne paraissent pas respectées.

On notera avec intérêt que la région Bretagne principalement et directement concernée par le projet et financeur pressenti, a réalisé un appel d’offre sous l’annonce n°218 publiée le 24/10/2007 dans le BOAMP 205 B , Dép. 35 visant à confier « une mission de contre expertise de l’étude de faisabilité de mise en oeuvre du pendulaire réalisée par la SNCF, dans le cadre du projet Bretagne à Grande Vitesse » ( voir aussi infra).

Dans le même ordre d’idées, on remarquera que la commission européenne a fixé le 21 novembre 2007 en matière de transport la liste des 30 chantiers prioritaires pour la période 2009-2013 qui bénéficieront de crédits européens (5 milliards d’euros). Y figurent la ligne ferroviaire Lyon-Turin, la ligne TGV France-Espagne, le prolongement de la ligne du TGV Est jusqu’à Bratislava en Slovaquie, la création d’un axe entre Lyon et Rotterdam aux Pays-Bas. La ligne TGV vers la Bretagne et les Pays de la Loire n’en fait pas partie.

De plus les incidences de ce choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation ne sont pas analysés ; ainsi d’autres investissements urgents tels que la modernisation des lignes Bretagne-Laval, TGV-Est, le contournement de Paris / (barreau d’interconnexion des TGV au Sud de l’Ile de France, ce dernier investissement devrait être une priorité pour l’Etat, RFF et la SNCF puisque répondant à une logique d’aménagement du territoire en raccourcissant de 20 minutes toutes les liaisons TGV en provenance et en direction de l’Ouest) seront très probablement retardés du fait de la priorité donnée à ce projet.

En ce sens, les obligations fixées par la réglementation ne paraissent pas respectées.

On notera aussi que la région Bretagne principalement et directement concernée par le projet et financeur pressenti, a réalisé un appel d’offre sous l’annonce n°218 publiée le 24/10/2007 dans le BOAMP 205 B , Dép. 35 visant à confier « une mission de contre expertise de l’étude de faisabilité de mise en oeuvre du pendulaire réalisée par la SNCF, dans le cadre du projet Bretagne à Grande Vitesse ».

L’insuffisance d’une évaluation de l’impact du projet sur l’environnement

L’article L. 122-3 du code de l’environnement dispose que « pour les infrastructures de transports, l’étude d’impact comprend une analyse des coût collectifs, des pollutions et nuisances et des avantages induits pour la collectivité ainsi qu’une évaluation des consommations énergétiques résultant de l’exploitation du projet, notamment du fait des déplacements qu’elle entraîne ou permet d’éviter ».

Les impacts de l’ouvrage sur le milieu physique ne paraissent pas avoir analysés de façon suffisante : les rétablissements des cheminements de grande faune ne sont pas réévalués et pour certains pas prévus, les impacts potentiels sur les milieux naturels et les zones humides ne sont pas détaillés ; par ailleurs les banquettes petite faune, le reboisement, la reconstitution de milieu font l’objet de principes d’action mais sans assurance de leur mise en Å“uvre. Cela conduit à l’instar du Ministère de l’Ecologie a considéré que l’étude d’impact du projet n’est pas suffisamment détaillée pour répondre de façon satisfaisante à la préservation de l’environnement (lettre du Ministère de l’Ecologie et du développement durable du 7 juin 2006).

L’importance des inconvénients du projet par rapport à ses avantages attendus, plus limités.

La loi du 30 décembre 1982 définit les principes généraux de la politique des transports, notamment la mise en Å“uvre d’un droit au transport dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité, et le développement harmonieux des différents modes de transport individuels et collectifs en tenant compte de leurs avantages et inconvénients, en matière de développement régional, d’aménagement urbain, de protection de l’environnement, de défense, d’utilisation rationnelle de l’énergie, de sécurité. Elle tient compte des coûts économiques réels à la création, à l’entretien et à l’usage des infrastructures, équipements et matériels de transport et des coûts sociaux et environnementaux, monétaires et non monétaires, supportés par les usagers et les tiers. (article 3).
En l’espèce le projet présente des inconvénients supérieurs aux avantages qu’il est censé apporter.

Ce projet est très coûteux

Le coût de la nouvelle ligne est estimé actuellement à 2, 6 milliards d’euros (soit près 17 milliards de francs) et le seul contournement du Mans vaudrait 345,7 millions d’euros (valeur 2003) (soit près de 2,3 milliards de francs). L’estimation du coût a été régulièrement vue à la hausse. Entre mars 2003 (valorisation utilisée dans le cadre de la consultation des élus, acteurs socio-économiques, et associations représentatives d’intérêts) et juin 2006, le coût estimé a augmenté de 400 millions d’euros (+18%) correspondant à une hausse mensuelle (sur 34 mois) d’environs 11,7 millions d’euros (77,18 millions de francs).
Selon Réseau Ferré de France « tout projet d’investissement doit être économiquement fondé : tout perfectionnisme et tout surinvestissement doivent être évités » ; un rapide calcul montre que chacune des 8 minutes gagnées coûtera 43, 213 millions d’euros ( ou 283 millions de francs) supplémentaires ; à ce titre, le projet paraît constituer selon les termes mêmes de RFF un « surinvestissement ».

Le coût estimé de la réalisation est, par nature, un montant prévisionnel : il n’en reste pas moins que le seul montant du contournement a été réévalué à la hausse passant d’environs 200 millions d’euros avant 2003 à 345,7 millions fin 2004 soit une augmentation significative de près de 73 % ; le coût final risque d’être encore plus élevé et le rapport coût / bénéfices encore plus faible.

par rapport aux avantages qui en sont attendus :

Un tracé non optimal

Le projet prévoit une nouvelle ligne à partir de CONNERRE jusqu’à RENNES, communes distantes de 182 kilomètres en ligne directe. Le projet de ligne présente la curiosité de dessiner une boucle très prononcée vers le Sud SARTHE, en descente vers SABLE, allongeant significativement le tracé de la ligne existante sur la portion LE MANS SABLE.

La ligne projetée qui est distante d’environ une vingtaine de kilomètres de la ligne actuelle est ainsi plus longue de plusieurs dizaines de kilomètres (entre 40 et 50 kms, au seul vu des cartes de la pièce B « plan de situation » des documents constituant le dossier d’enquête publique) que si elle suivait le tracé le plus court ; cette situation allonge significativement les temps de trajets que la ligne est censée, dans son ensemble, diminuer et conduit donc à une augmentation des coûts de réalisation et de fonctionnement, préjudiciable à l’ensemble du projet.

Un gain de temps limité

Le gain de temps attendu est dans le meilleur des cas, de 8 minutes vers NANTES et de 35 minutes vers RENNES ; le coût d’une minute « gagnée » sera alors vers RENNES d’environs 74,3 millions d’euros (ou 487,3 millions de francs ) pour un tracé jugé comme n’étant pas optimal par l’Inspection des Finances et le Conseil Général des Ponts et Chaussées.
Le projet est présenté comme visant à améliorer la circulation à grande vitesse vers l’Ouest. Sur la question des retards enregistrés entre PARIS et LE MANS, les études qui avaient été initialement présentées montraient que si 12 % des trains pouvaient connaître des retards entre PARIS et LE MANS, les 2/3 des retards provenaient des conditions de circulation en entrée ou sortie de la région parisienne et seulement 1/ 3 des conditions sur le reste de la ligne. En l’absence de toute précision sur les mesures correctives envisagées, il n’est pas vraiment possible dire si le projet permettra d’améliorer sensiblement la situation. A l’inverse on peut même craindre que l’augmentation du nombre de trains à grande vitesse sur la portion le plus fréquentée réduise la gain de temps escompté entre Paris et Rennes.

Une gestion des passagers en gare délaissée

Selon les études faites l’augmentation du nombre de passagers induit par la nouvelle ligne pourrait être annuellement de 2,1 millions de passagers ; cette augmentation importante ne fait l’objet d’aucune mesure particulière en terme d’accueil, de gestion des flux, de connexion avec les autres modes de transport ( métro, bus,€¦) ; il est à craindre que tout ou partie du temps gagné par un voyage sur les lignes TGV soit perdu du seul fait de l’absence de traitement des flux dans les gares de départ et d’arrivée et notamment à Montparnasse ; l’investissement initial ne conduira pas in fine pour une majorité d’usagers transportés au gain de temps escompté.

Une amélioration du trafic du fret non démontrée

Le projet aurait aussi pour objet d’améliorer la fluidité du trafic dans la gare du MANS en limitant le nombre de trains, notamment de marchandises, la traversant. Aucune étude probante présentant l’ensemble du fret passant par LE MANS n’a été rendue publique. Les documents de l’enquête publique se contentent de pronostiquer que l’emprunt de la nouvelle ligne permettrait de faire gagner 30 à 40 minutes aux 6 trains circulant dans chaque sens chaque jour les deux tiers de l’année et de libérer ainsi des capacités pour les autres trains, sans qu’il ne soit évidemment pris d’engagement sur l’utilisation des sillons ainsi libérés. L’absence de données ne permet pas de connaître la capacité réelle d’utilisation des infrastructures actuelles.

Un avis de la commission d’enquête confortant cette analyse

L’avis favorable donnée à la nouvelle ligne par la commission d’enquête publique confirme de façon paradoxale cette analyse » : d’une part il est constaté que « les inconvénients socio-économiques et humains du projet de LGV entre LE MANS et RENNES sont très élevés si on ne considère que le seul gain de temps obtenu sur ce parcours et dont il est difficile d’évaluer le bénéfice » et d’autre part il est jugé « ce gain de temps constitue un élément absolument essentiel d’aménagement du territoire permettant d’obtenir pour la BRETAGNE et les PAYS DE LA LOIRE une desserte rapide au même titre que les autres régions françaises ».

Autrement dit, la Commission constate que si on met d’un côté, le coût économique et social du projet et de l’autre, le bénéfice du temps gagné par le même projet, la balance penche défavorablement du côté du coût, le bénéfice à mettre du côté du temps gagné (hors le raccourcissement lui-même) n’étant pas évaluable€¦puis elle retourne l’argument et décide que ce gain (qui n’est pas évaluable) est le seul déterminant de l’aménagement ce qui la conduit, alors, à donner un avis favorable.
Le trouble est d’autant plus fort que la même commission constate qu’ « un tracé plus direct entre LE MANS et RENNES €¦» aurait été « a priori plus logique » et qu’elle rappelle qu’en l’état « le financement n’est pas assuré ni même défini ».

Une appréciation de la SNCF confirmant cette évaluation négative

Plus récemment la Présidente du Conseil d’administration de la SNCF a indiqué qu’à l’aune de critères comme « l’effet réseau, le gain de parts de marché par rapport à l’aérien, la saturation du réseau », le bilan carbone (rapporté notamment à l’aérien), « une ligne comme le TVG breton avait peu d’intérêt » ( citée par la Vie du Rail International du 5 décembre 2007, page 19). Cette prise de position nous semble s’expliquer par l’existence d’une alternative possible au sein du même mode de transport.

Une absence de prise en compte de la proposition alternative d’un pendulaire ou autre train ultra rapide

L’article 14 de la loi de 1982 prévoit que « Les grands projets d’infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes intégrant les impacts des effets externes des transports relatifs notamment à l’environnement, à la sécurité et à la santé et permettant de procéder à des comparaisons à l’intérieur d’un même mode de transport et entre différents modes ou combinaisons de modes. Ces évaluations sont rendues publiques avant l’adoption définitive des projets concernés. »

En l’espèce, la comparaison au sein du même mode de transport par une « étude complète, actualisée et indépendante de RFF sur l’alternative pendulaire sur la ligne existante » ou par une évaluation du train à essieu mobile, deux types de trains aux performances très comparables au TGV, n’a pas été menée bien que demandée de façon officielle par des collectivités locales, des élus, des associations, des contribuables et des usagers.

Le principe de l’évaluation posée à l’article 14 n’a donc pas été respecté.

Des territoires fragilisés

La desserte du MANS et de la SARTHE ainsi que celle de LAVAL et de la MAYENNE sont possiblement affectées et le développement de ces territoires peut être remis en cause ou fragilisé.

Le cahier ministériel des charges (document figurant dans le dossier de l’enquête) fixe au 3.9) « Qualité des dessertes des agglomérations » comme objectif « le maintien de la qualité des dessertes des villes situées au droit de la nouvelle ligne ».

Il convient, ici, de réaffirmer que la gare du Mans a vocation à avoir la même qualité de desserte par train à grande vitesse vers Paris, Lyon, Marseille ou Lille ou depuis ces villes que Rennes ou Nantes.

La convention de service signée par l’Etat, le RFF, la SNCF, les conseils régionaux, les conseils généraux et les villes concernés entend seulement confirmer le nombre et la qualité de la desserte actuelle.

Néanmoins aucune référence au nombre de passagers transportés, aux demandes de transports non encore satisfaites, au rapport existant entre les TGV s’arrêtant au MANS et ceux circulant sur l’ensemble de la Ligne ne figurent dans ces documents.

Pour ces motifs et tous autres à développer, nous demandons donc l’annulation du décret.