Marietta KARAMANLI devant les élèves ingénieurs de l’Ecole d’Ingénieurs de la Ville de Paris « Décentralisation : la question est posée de qui fait quoi avec efficacité »

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Le 21 janvier 2014, j’ai participé à une rencontre-débat sur le thème de la décentralisation organisée par l’Ecole d’Ingénieurs de la Ville de Paris – Ecole Supérieure du génie Urbain.
Ma participation a été motivée par la souci de faire connaître le travail parlementaire sur un sujet d’actualité intéressant pour ces futurs hauts cadres techniques.
Cette manifestation s’inscrit dans le cadre d’un programme d’actualités et d’innovation pédagogique.
Préalablement les élèves ingénieurs avaient participé à un jeu de rôles avec pour titre « Décentralisation, top départ ». Répartis en groupes, les élèves avaient incarné les différents échelons de notre organisation territoriale : l’État, les régions, les départements, les intercommunalités et les communes.
Le thème de mon intervention était « Questions autour de la décentralisation ».
Ce fut pour l’occasion d’aborder des sujets variés

 les critères de répartition des compétences entre collectivités territoriales,

 les ressources,

 l’acte de 3 de la décentralisation,

 la question du mille-feuilles territoriale et administratif,

 la question des péréquations,
ou encore les enjeux de la proximité…
Si beaucoup de sujets ont des « histoires » et les dispositifs résultent de mesures prises et « additionnées » avec le temps, la seule question à se poser, et qui vaille, est de savoir qui décide pour que cela soit le plus juste et le plus efficace.
Brève revue des sujets que j’ai souhaités aborder avec un auditoire attentif et participatif.


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I Les compétences

Les compétences exercées par ces différentes catégories de collectivités territoriales varient en fonction de leur niveau hiérarchique territorial.
Deux éléments sont privilégiés :

 La proximité avec les usagers,

 La taille critique pour l’exercice des compétences en question.

La raison de la proximité conduit à donner la compétence de l’aide sociale aux collectivités locales les plus proches des bénéficiaires : ainsi les communes et les départements seront considérés comme plus aptes à y répondre que les régions ou l’Etat.

Le motif de la taille critique implique que les départements soient jugés plus aptes à gérer l’aide sociale que les petites communes ne disposant que de peu de moyens ; confier l’aide sociale aux départements plus solvables que les petites communes garantira un accès plus sûr et « plus » égal.

L’argument de la taille suffisante pour faire face aux besoins des usagers se mêle et se confond avec celui de la cohérence : la Région apparaît plus apte à conduire des actions de développement économique et d’aménagement du territoire parce qu’elle peut équilibrer, éviter les redondances et a une vue plus large que chacun des multiples territoires qui la composent.

II Les ressources

L’autonomie financière des collectivités territoriales est conçue comme une déclinaison du principe de libre administration des collectivités dans le domaine budgétaire et fiscal.

Elle est affirmée par la loi organique du 29 juillet 2004, après avoir été introduite dans la Constitution par la révision du 28 mars 2003.
Les collectivités bénéficient de 4 types de ressources dont elles peuvent disposer librement.

Elles « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures » et la loi peut les autoriser, dans certaines limites, à en fixer l’assiette et le taux.

Théoriquement les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources. Par ailleurs tout nouveau transfert de compétences doit s’accompagner de l’attribution de ressources équivalentes à celles consacrées à l’exercice de la compétence transférée par l’État.
Les ressources totales des collectivités territoriales représentent entre 215 et 220 Mds ‚¬.

La fiscalité c’est plus de 100 Mds ‚¬. Il s’agit de la principale ressource des collectivités locales.
Ces impôts sont les suivants.
Les impôts directs avec la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) ; la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ; la taxe d’habitation (TH) ; la taxe professionnelle (TP) : depuis 2010, elle est remplacée par la contribution économique territoriale (CET) qui est composée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ; l’impôt forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER).
La fiscalité indirecte correspond à une part minime des ressources des collectivités, et est composée d’une multitude d’autres taxes telles que la taxe sur les certificats d’immatriculation dont bénéficient les régions, la taxe départementale de publicité foncière qui profitent aux départements ou encore la taxe de trottoirs qui renflouent les caisses des communes.

Parmi les recettes, il y a aussi les redevances liés à l’utilisation d’un service public comme par exemple l’eau, la cantine, le transport ou encore le ramassage des ordures. Leur montant est fixé par l’assemblée locale, mais toute redevance doit correspondre à un service fait et il doit être proportionné au coût de la prestation.
Comme tout service public, il doit également répondre à des conditions d’égalité d’accès (les discriminations entre catégories d’usagers ne sont possibles que lorsqu’elles sont justifiées par des motifs d’intérêt général).

D’autre ressources extérieures permettent aux collectivités de financer les missions qui leur sont confiées par la loi et de réaliser des investissements dans l’intérêt local. La dotation globale de fonctionnement (DGF) se décompose en deux dotations : une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation. La DGF est la deuxième ressource la plus importante des collectivités territoriales et s’élève en tout à Mds ‚¬ en 2010 (20 % des ressources totales). Il y a aussi les dotations sous enveloppe sont des dotations complémentaires spécialisées.
Par ailleurs le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) permet à l’Etat de compenser aux collectivités territoriales la TVA acquittée sur leurs investissements ; le produit des amendes de police.

L’ emprunt constitue la quatrième ressource en terme d’importance budgétaire pour les collectivités territoriales (18 Mds ‚¬ en 2009, soit 8 % des ressources totales). Il ne peut être autorisé que par l’assemblée délibérante qui doit également approuver son affectation et les modalités de celui-ci, même si, dans un souci d’efficacité, cette assemblée peut déléguer à l’exécutif le soin de négocier au mieux les conditions d’emprunt.
Il existe aussi des ressources en provenance de l’Union européenne sont notamment les fonds structurels européens.

III L’acte 3 de la Décentralisation

Les deux premiers temps de la décentralisation se sont concrétisés par l’adoption de lois élaborées par le gouvernement : ce sont les lois Defferre en 1982-1983, puis la réforme constitutionnelle en 2003.

Les principales dispositions de la loi en discussion

 Fusion de six intercommunalités au sein de la métropole d’« Aix-Marseille-Provence »,

 Métropole lyonnaise dotée du statut de collectivité,

 Création d’un établissement public de coopération intercommunale à statut particulier pour la métropole de Paris.

Les régions occupent une place centrale. Elles se voient confier un rôle de « chef de file » dans de nombreux domaines (développement économique, transports, formation, etc.).

IV Le poids de l’histoire

Quelques observations préalables
Il y a un fait de l’histoire et une sédimentation des structures et ressources.
Au plan national, l’Etat français reste un Etat largement centralisé et où l’exécutif pèse plus que dans la plupart des autres démocraties parlementaires.
Cette centralisation se double d’une concentration du pouvoir résultant d’un cumul de l’élection présidentielle au suffrage universel avec un fait majoritaire et des prérogatives fortes sur le parlement.
De nombreuses études ont montré que le cumul des mandats a été, lui-même, la voie de l’intégration verticale du système politique français.
Pour défendre et imposer définitivement les collectivités locales, leurs territoires et leurs besoins, leurs élus ont dû entretenir des relations étroites, voire se confondre en partie avec la structure des décideurs nationaux qu’ils soient des politiques ou appartiennent aux décideurs administratifs et économiques.
Je constate qu’aujourd’hui encore le bon niveau d’exercice des compétences par des collectivités, dont les assemblées et les exécutifs sont élus, et la question de leurs justes ressources nécessaires sont en discussion.

Les questions posées

C’est la sédimentation qui a fini par poser problème: supprimer les échelons est certainement nécessaire mais pose deux problèmes :

  Lequel doit être supprimé (communes, départements, régions€¦) et comment fusionner sans trop de difficultés

  Dans une période de globalisation éloigner les responsables de la proximité comporte, en soi, un risque de « décrochage » politique.
Une étude faite à la demande de l’Assemblée des départements de France a mis en évidence que, en matière de fonctionnement des régions et départements :

 70 % des dépenses sont spécifiques à chaque niveau de collectivité,

 20 % relèvent de compétences partagées mais consacrées à des catégories de dépenses pour des services ou publics distincts,

 5 % visent des interventions complémentaires sur un même domaine de compétence mais sur des actions distinctes par leur nature et les publics touchés,

 5 % visent des dépenses opérationnelles qualifiables de financements croisés et répondant le plus souvent aux intérêts complémentaires des contribuables locaux, départementaux et régionaux.

En fait ce qu’il faut c’est penser la question de l’utilité des équipements et services€¦souvent peu conceptualisée€¦Il faut faire des choix et mobiliser des financements en fonction d’une utilisation à mutualiser et partager ! (exemple les équipements sportifs, culturels ou sociaux€¦les doublons sont parfois au sein même des collectivités). Certaines grandes villes ont plusieurs grands équipements de même nature€¦sont-ils pour autant bien utilisés€¦les ressources existent mais sont-elles bien utilisées ?
Penser qu’il suffit de dire « on fait une ou deux collectivités locales » pour résoudre l’ensemble des questions posées : meilleur niveau d’exercice des compétences ; inégalités de ressources et de charges ; me paraît « illusoire ».
Vouloir répondre simultanément à toutes les questions posées par un problème complexe c’est assurément prendre le risque de ne répondre à aucune. Notre volonté est au contraire d’adopter une première réponse.

L’affirmation des Métropoles

L’affirmation des métropoles est un premier pas certainement insuffisant mais significatif !
On prend en compte le fait urbain, le développement de territoires et bassins de vie cohérents et dynamiques€¦
La superficie de l’espace urbain a progressé de 20 % environ en dix ans, passant de 100 000 à 119 000 km2.
En 2010, les villes occupent 22 % du territoire et abritent 47,9 millions d’habitants, soit 77,5 % de la population.
L’agglomération parisienne, avec 10,3 millions de personnes réparties sur 412 communes, reste de loin la plus importante des unités urbaines de France. Derrière Paris viennent Marseille – Aix-en-Provence et Lyon avec chacune plus de 1,5 million d’habitants.
C’est donc près de 25 % (14 millions sur 60) de la population française qui se voit concernés par la réforme en cours.

Deux approches sont possibles :

On réforme par la contrainte financière en temps de crise.
On réforme quand les choses vont mieux car on peut répartir les charges et les financements dans le temps€¦

Je pense que c’est la voie€¦sauf à ajouter des difficultés€¦500 Mds ‚¬ de dette entre 2007 et 2011 (Cour des comptes) et + 46 Mds ‚¬ de charge à rembourser en 2014 plus que les crédits de la mission enseignement scolaire donc beaucoup d’effort à faire.

V La ou les péréquations

La péréquation est un mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales
La « péréquation horizontale » s’effectue entre les collectivités territoriales et consiste à attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des collectivités les plus « riches ».
La « péréquation verticale » est assurée par les dotations de l’État aux collectivités. La dotation globale de fonctionnement en est le principal instrument.
Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) a été mis en place en 2012. Il constitue le premier mécanisme national de péréquation horizontale pour le secteur communal. Il s’appuie sur la notion d’ensemble intercommunal, composée d’un établissement public de coopération intercommunal à fiscalité propre (EPCI) et de ses communes membres.
L’exemple d’un amendement portant sur le FPIC déposé et discuté lors de l’adoption du projet de loi de finance spour 2014 visait à renforcer la solidarité entre les collectivités et à rendre plus effectif l’objectif constitutionnel de réduction des inégalités entre elles.

VI Les enjeux du « bon niveau »

Il ne s’agit pas de seulement de savoir « qui fait quoi? » mais s’il le fait bien.
Eloigner sans qualité ajoutée mais en augmentant en longueur un processus , je ne suis pas sûre que cela soit un progrès.
Les collectivités sont des outils démocratiques€¦
La question est celle de savoir « qui décide et pour quel résultat »€¦cela renvoie à mon observation sur la proximité et la taille !

Décider en amont pour des équipements et services communs à un ensemble large de population justifie qu’on mette à un niveau plus élevé mais s’il faut gérer les équipements à proximité quel intérêt de le faire de haut ou de loin ?

On le voit les thèmes abordés ont été variés et les questions discutées présentaient un réel interêt pour les futurs ingénieurs mais aussi pour les citoyens que nous sommes tous.