Marietta KARAMANLI  » Emploi des jeunes en Europe : pourquoi nous pouvons être en colère et pourquoi investir dans la formation, l’insertion, les emplois non délocalisables et l’industrie de demain est une nécessité »

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Le 21 mars, je suis intervenue, au nom du groupe des députés socialistes, dans la discussion en séance publique organisée sur le thème de la politique européenne en matière d’emploi des jeunes.
La situation en Europe est dramatique et constitue, comme je l’ai dit en séance, un « grand bond en arrière ».
Le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé que celui des adultes.
De plus, tous ceux qui ont décroché de l’école rencontrent des difficultés plus fortes et constituent un groupe à risque élevé : près de 55 % d’entre eux n’ont pas d’emploi.
J’ai rappelé les raisons de ce non-emploi : délocalisation de la production ; insuffisance de réduction du temps de travail par rapport aux gains de productivité ; effritement de l’emploi industriel et emplois de services souvent peu qualifiés et moins rémunérés.
Si des mesures ont été prises par l’Union européenne, elles sont très insuffisantes.
Lors du sommet européen de février dernier, il a été décidé, notamment à la demande du gouvernement français, que les dépenses liées à la croissance devraient augmenter de 40 % et qu’un crédit spécial pour l’emploi des jeunes serait dégagé, à hauteur de 6 milliards d’euros.
J’ai demandé que l’Union apporte son soutien à des parcours qualifiants pour tous les jeunes, à des emplois d’avenir pour lesquels la puissance publique donne aide financière ou des incitations fiscales et sociales, valorise les secteurs où l’emploi peut être plus difficilement délocalisable là où les tâches de conception et de relation doivent être réalisées à proximité de ceux à qui elles s’adressent : entretien de notre environnement naturel et matériel, développements industriels libres, ou relations sociales.
J’ai enfin insisté pour que l’Europe se décide à avoir une réelle politique industrielle et commerciale .
J’ai appelé une nouvelle fois à ce que ce qui fait le savoir -faire européen et national soit soutenu (politique de labels et appellations, accompagnement des réseaux d’entreprise, valorisation des relations avec les grandes institutions de recherche).


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Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2012-2013, Compte rendu intégral, Troisième séance du jeudi 21 mars 2013

1. Débat sur la politique européenne en matière d’emploi des jeunes

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le ministre, à mon tour, je vous félicite et vous souhaite la bienvenue. Vous trouverez, au sein de la commission des affaires européennes, des députés passionnés qui essaieront de vous accompagner aussi bien que possible.

Aujourd’hui, nous débattons d’une question déterminante pour notre avenir et celui de l’Union européenne : celui de l’accès à l’emploi des jeunes en Europe et des politiques qu’il est indispensable de mener dans ce domaine.

Un constat : c’est le grand bond en arrière pour la jeunesse européenne. Les chiffres qui décrivent la situation des jeunes en Europe sont sans ambiguïté : le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé que celui des adultes. La probabilité pour un jeune chômeur de trouver un emploi est faible. De plus, quand les jeunes s’insèrent et travaillent, leurs emplois ont tendance à être moins stables. En 2012, 42 % des jeunes employés travaillaient en contrat à durée déterminée, soit quatre fois plus que les adultes ; 32 % travaillaient à temps partiel, soit deux fois plus que les adultes.

On constate par ailleurs que tous ceux qui ont décroché de l’école rencontrent des difficultés plus fortes et constituent un groupe à risque élevé : près de 55 % d’entre eux n’ont pas d’emploi.

Le tout dernier phénomène est peut-être le plus préoccupant : la résignation est croissante €“ 12,4 % des jeunes inactifs n’ont pas cherché un emploi au deuxième trimestre 2012.

En 2011, 12,9 % des jeunes en Europe constituent le groupe des « NEET » €“ veuillez excuser cet acronyme doublement barbare qui signifie : « Not in education, employment or training », autrement dit : « Pas à l’école, sans emploi et sans formation ».

Je me permets de faire mienne cette phrase de Paul Krugman, prix Nobel d’économie, prononcée il y a quelques semaines à propos de la jeunesse aux États-Unis : « Chaque fois que j’entends quelque expert béat ou un responsable politique dire que nous ne pouvons pas dépenser pour aider et créer des emplois pour nos enfants car ce serait alourdir notre fardeau, je suis en colère. » Eh bien, moi aussi je suis en colère, comme bon nombre d’entre nous ici ; mais nous avons choisi un autre chemin.

Le non-emploi des jeunes a plusieurs origines.

D’une part, l’économie s’est mondialisée : des emplois ont été détruits ou délocalisés ; des régulations ont été abandonnées. Malgré cela les bénéfices attendus de la maîtrise de l’intelligence et des services dans les pays les plus avancés sont minces.

D’autre part, le chômage s’est installé : défini comme la différence entre l’absence de réduction de la durée de travail et les gains de productivité, il conduit, puisqu’on ne peut mettre tout le monde au chômage, à un développement sans précédent du travail précaire.

De plus, les mesures imaginées par nombre de gouvernements, au sein de l’Union européenne, sont majoritairement des mesures de déréglementation, sans contrepartie : on part de l’idée que le marché du travail trouvera seul son point d’équilibre et que les embauchés et les salariés en seront les bénéficiaires naturels.

Les jeunes apparaissent comme une catégorie de la population €“ un public, comme on dit €“ particulièrement vulnérable et touché par le chômage.

Trois phénomènes méritent d’être notés. Le premier est qu’ils arrivent à un moment où l’emploi industriel a déjà diminué et continue de diminuer. Les emplois de service sont souvent peu qualifiés et, souvent, les produits et services ne sont plus conçus en Europe. Deuxième phénomène : derniers arrivés sur le marché du travail, les jeunes sont logiquement les premiers à en sortir quand l’activité se ralentit et se raréfie. Troisième phénomène : ils sont aussi souvent les moins organisés pour obtenir la prise en compte de leur souhait d’élargir le champ de leurs activités, de leur volonté d’être formés, de leurs efforts pour avoir un emploi de qualité.

À ce titre, ils font partie des catégories les plus durement touchées par les mesures de dérégulation du marché et les politiques de flexibilité qui les contraignent à travailler souvent de façon précaire et dans de mauvaises conditions.

En Espagne et en Grèce, deux des pays les plus touchés, la décennie 1998-2008 cachait le fait que près de 65 % des nouveaux emplois créés correspondaient à des occupations peu qualifiées : employés de commerce, dans la restauration, ouvriers du bâtiment… étaient majoritairement des jeunes.

Parallèlement, la flexisécurité a mal résisté. Ainsi le système danois a-t-il vu la proportion de jeunes au chômage passer en quatre ans de 7,2 % à presque 15 %.

Lorsqu’on parle d’emploi des jeunes, la bonne question est donc de savoir si les politiques publiques sont à la hauteur. Force est de constater que, malgré des déclarations souvent encourageantes, parfois compatissantes, les mesures proposées et réellement prises restent en deçà des besoins au niveau européen.

Si l’on regarde sur le papier, l’Europe a une ambition. J’ai consulté ce matin le site de l’Union et j’ai pu y lire : « L’UE s’emploie à réduire le chômage des jeunes et à augmenter leur taux d’emploi, conformément à l’objectif global de l’Union, qui vise un taux d’emploi de 75 % de la population en âge de travailler, à savoir les 20-64 ans. »

Concrètement, des mesures ont été adoptées et elles ont longuement été rappelées par le ministre dans son discours introductif. Il existe un programme « Jeunesse en mouvement » lancé en 2010 et visant à faciliter la mobilité au sein de l’Union pour trouver un emploi ou une formation.

En décembre 2012, le Conseil a demandé la mise en Å“uvre d’un programme « Garantie pour la jeunesse » qui vise à ce que chaque jeune en Europe se voie offrir un emploi, puisse poursuivre ses études ou trouve un travail axé sur la formation, au plus tard quatre mois après la fin de ses études ou après le début d’une période de chômage.

Cette initiative part des résultats encourageants obtenus, pendant un temps, au Royaume-Uni, après l’adoption des dispositifs visant à garantir à tous les citoyens l’apprentissage des connaissances de base €“ mathématiques, langues, informatique, utilisation d’Internet. Le succès avait été sensible, le taux d’emploi des jeunes atteignant 50 %.

Plus récemment encore, lors du sommet européen de février dernier, il a été décidé, notamment à la demande du gouvernement français, que les dépenses liées à la croissance devraient augmenter de 40 % et qu’un crédit spécial pour l’emploi des jeunes serait dégagé, à hauteur de 6 milliards d’euros.

Cette initiative sera ouverte à toutes les régions dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %. Un montant de 3 milliards d’euros devrait être octroyé dans le cadre des investissements ciblés prévus par le Fonds social européen.

Tout ce qui est décidé dans un contexte où une large partie des gouvernements européens sont convaincus qu’il faut de l’austérité sans autre perspective est, j’ose le dire, bon à prendre. Néanmoins, selon nous, il faut pousser plus avant l’analyse, faire preuve de davantage d’efficacité et de plus d’imagination.

Nous devons affiner les analyses parce que le taux d’emploi des jeunes est de 30 % seulement en France, 24 % en Espagne mais il est de 48 % en Allemagne et de 55 % en Autriche. Ces chiffres, mis en relation avec le taux de chômage global, n’ont pas forcément de sens car ils reflètent des disparités importantes de trajectoires et de traitement. En France, seulement 11 % des 15-24 ans scolarisés combinent leurs études avec un emploi contre 31 % en Allemagne, 56 % au Danemark et jusqu’à 58 % aux Pays-Bas. Dès lors, il y a lieu de considérer que les mesures à mettre en Å“uvre ne devront pas être les mêmes en France que dans tous les autres États.

J’invoquais également un surcroît d’efficacité. Plus la part des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme ou qualification est élevée, plus le taux de chômage est important. C’est pourquoi, en France, la refondation de l’école et son ouverture constituent des avancées à concrétiser. Les politiques d’accompagnement des jeunes sans diplôme doivent donc se distinguer de celles nécessaires à la réussite des diplômés.

De façon plus globale, il faut plus d’imagination.

Plusieurs pistes méritent d’être explorées, amplifiées, redécouvertes ou tout simplement anticipées.
J’en vois au moins trois.

D’une part, il faut développer des parcours offrant aux jeunes une continuité entre leur formation initiale, leur premier emploi et les qualifications qu’ils vont pouvoir acquérir tout au long de leurs expériences. Ce n’est pas seulement une alternative entre formation initiale, travail et compétences mais une suite entre ces éléments. C’est l’idée d’un parcours garanti qui fasse alterner formation et qualifications, stages et emplois, des activités d’intérêt général avec un revenu et une couverture sociale. C’est l’idée de mesures transitionnelles, organisées et financées permettant aux jeunes d’être ou de devenir autonomes.

D’autre part, il faut proposer des emplois d’avenir ou tremplin en nombre significatif et important, financés pour partie par la collectivité ou bénéficiant d’incitations fiscales ou sociales, avec une préférence pour des activités économiques nouvelles, pour l’heure non encore solvabilisées. Il s’agit là d’anticiper, même si c’est avec une certaine marge d’erreur, les métiers et activités de demain. Les secteurs ne manquent pas : environnement et emplois verts, nouvelles filières industrielles, formation et découvertes, médiation et accompagnement, notamment.

Enfin, il faut valoriser les secteurs où l’emploi ne peut être délocalisé et concurrencé par une baisse des coûts de main-d’Å“uvre.
Dans ce domaine, si l’Europe a, en l’état, déjà perdu une manche, elle n’a pas joué toutes ses cartes. En effet, de nombreuses activités, qu’elles soient intellectuelles ou manuelles, peuvent aujourd’hui être délocalisées et seront demain exportables. À l’inverse, de nombreux métiers et emplois, qu’ils soient intellectuels ou manuels, supposent la compréhension des problèmes posés pour leur apporter des réponses réelles, ce qui ne peut être fait à l’autre bout du monde ou de l’Europe, sauf à un coût exorbitant.

Ces métiers, qui font appel à la capacité de déterminer un problème, à l’intelligence des actes et des situations et qui sont, en fait, nombreux dans l’entretien de notre environnement naturel et matériel et dans les développements industriels et relationnels, doivent être valorisés et proposés comme des filières d’emploi aux jeunes d’aujourd’hui et de demain. Cela suppose évidemment de mener une réflexion et d’y consacrer des moyens et des expérimentations.

Au-delà de ces quelques pistes de réflexions qui viennent la conforter, la volonté du Gouvernement de traiter « en grand » le problème de l’emploi des jeunes et de leur insertion dans le marché du travail, sera d’autant plus efficace que le taux de croissance du PIB sera élevé et que les gains de productivité seront équitablement distribués entre les générations.

En Europe, la politique industrielle est mise sous le boisseau de la politique de concurrence jugée priorité des priorités. Comme l’a dit un économiste il y a quelques années, la politique industrielle a été et reste peut-être un passager clandestin de la politique communautaire.

Je suis persuadée qu’il faut une vraie vision de ce qui devrait être une politique industrielle et commerciale européenne.

Il faut donc mieux valoriser ce qui a fait et fait l’excellence européenne : les labels et appellations, les réseaux d’entreprise et les relations avec les grandes institutions de recherche. Il y a une façon de « faire européen » qui doit être promue, défendue et valorisée. Le « faire européen » doit être une priorité commerciale de l’Union.

Par ailleurs, en matière de propriété intellectuelle, l’Union doit faire valoir des solutions plus ouvertes et offensives, des solutions qui permettent aux entreprises de construire des innovations autour de systèmes évolutifs comme la téléphonie ou l’automobile.

Enfin, une attention particulière doit être portée aux infrastructures financées par l’Europe, aux interconnexions qu’elles permettent et aux retombées positives qui doivent en être attendues. C’est aussi à ces conditions et en fonction de ces objectifs qu’une politique européenne de l’emploi pour les jeunes sera innovante et efficace. Nous sommes déterminés et volontaristes, monsieur le ministre. Nous souhaitons, avec vous, avec le Gouvernement, appliquer des solutions non seulement en France mais aussi à une échelle plus large au sein de l’Union européenne.

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)