Marietta KARAMANLI « Les députés s’opposent au déploiement des scanners corporels pour les contrôles de sécurité des aéroports car ils portent atteinte à l’intimité des personnes sans que la loi n’ait donné de garanties aux citoyens sur leur emploi»

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Co-rapporteure, avec le député Didier QUENTIN, au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale, je me suis inquiétée du fait que l’administration de l’aviation civile ait pu envisager de lancer le processus d’expérimentation du scanner corporel dans les aéroports alors qu’à l’évidence une loi s’impose préalablement au déploiement de ce type d’appareil.
En effet ces appareils envoient des ondes millimétriques, analogues à celles des téléphones portables et reconstituent, en trois dimensions, une vision d’humanoïde où figurent tous les éléments pouvant échapper aux palpations de sécurité, ou aux portiques. Ces appareils coûtent cher, leur éventuelle dangerosité n’a pas été suffisamment évaluée et ils portent atteinte à l’intimité des personnes ce qui empêche qui on y ait recours sans que des garanties soient apportées.
Cet exemple prouve l’importance de la vigilance parlementaire sur les questions de libertés publiques.


Communication de Mme Marietta Karamanli et M. Didier Quentin sur l’utilisation des scanners corporels pour les contrôles de sécurité des aéroports

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Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure.

La Commission a eu l’occasion de s’intéresser à cette question au cours de l’audition du Président de la CNIL, M. Alex Türk, et pourra interroger à ce sujet Mme Alliot-Marie cet après-midi. Un certain nombre de nouvelles technologies sont mises en Å“uvre pour faire face à l’imagination des terroristes, parmi lesquelles les scanners corporels.
La question des scanners corporels a perdu de son acuité depuis que, suite à l’émoi suscité par son initiative d’autoriser le principe de cet appareil, la Commission européenne a décidé de retirer de la liste des appareils autorisés pour le filtrage des passagers le scanner corporel. Par ailleurs, le projet de déployer un scanner corporel à titre expérimental à Nice a été suspendu.
Cependant, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur ce sujet et demande de lui transmettre un avis au plus tard le 19 décembre 2008.
Aujourd’hui, les explosifs peuvent être dissimulés d’une manière extraordinairement discrète. Les industriels de la sécurité ont donc développé des procédés permettant d’améliorer ces contrôles, en particulier le scanner corporel qui permet de repérer tout ce qui peut être collé sur le corps et n’est pas détectable par les portiques. En Europe, des expérimentations ont été menées à Londres, à Amsterdam et à Helsinki.
La lutte contre le terrorisme ne permet pas de s’affranchir des règles constitutionnelles qui réservent au législateur, et à lui seul, la conciliation entre les impératifs de la sécurité et les libertés publiques. Un ferme rappel de ce principe par la représentation nationale s’impose.

Les appareils qu’il est prévu de déployer dans les aéroports pour le contrôle des passagers envoient des ondes millimétriques, analogues à celles des téléphones portables. Ils reconstituent, en trois dimensions, une vision d’humanoïde où figurent tous les éléments pouvant échapper aux palpations de sécurité, ou aux portiques. Il existe également des appareils de ce type qui fonctionnent avec des rayons X, mais il n’est pas prévu de les utiliser en France.

L’administration française de l’aviation civile a souhaité procéder à une expérimentation de scanner corporel à ondes millimétriques sur l’aéroport de Nice. Cependant, suite à l’annonce par la Commission européenne de son intention de retirer les scanners corporels de la liste des appareils d’inspection des passagers autorisés, le projet d’expérimentation à Nice a été suspendu.

Mais il convient de noter que les autorités françaises avaient prévu d’assortir l’expérience conduite à Nice de garanties supplémentaires :
€“ examen par une personne seule, du même sexe, situé dans un local séparé ne lui permettant pas de voir le passager ;
€“ floutage du visage et des parties génitales ;
€“ interdiction du stockage des données ;
€“ volontariat.
En outre, il faut rappeler que le coût de ces appareils est important (de l’ordre de 75 000 à 100 000 euros). Ce coût devrait être imputé sur les taxes d’aéroport, additionnelles au prix du billet acquitté par le passager.
Depuis 2002, les mesures de sûreté en matière d’aviation civile sont de la compétence communautaire. Ces prérogatives nouvelles ont donné lieu à la publication d’un règlement de la Commission européenne, révisé en 2008. Il appartient aujourd’hui aux instances européennes de définir les exigences de sûreté dans les aéroports, et aux autorités nationales d’organiser la mise en Å“uvre de ces mesures.

L’analyse que nous développons dans cette communication ne porte pas sur le bien fondé technique du déploiement des scanners corporels dans la lutte contre la criminalité, mais essentiellement sur la procédure suivie, au niveau européen et français, qui exclut les autorités politiques, Conseil, Parlement européen et Parlement français, d’une décision qui suscite des interrogations au regard des libertés publiques.
Il est important que le pouvoir politique se penche sur la conciliation entre les impératifs de sécurité, la protection des droits fondamentaux et le bon sens.

La Commission européenne a pris un règlement pour permettre l’expérimentation de nouvelles technologies de sûreté. Par ailleurs, la Commission européenne envisageait d’adopter un projet de règlement prévoyant d’inclure les scanners corporels dans la liste des méthodes autorisées pour les opérations d’inspection et de filtrage des passagers dans les aéroports.
Devant les inquiétudes manifestées par le Parlement européen, la Commission européenne a annoncé le 14 novembre 2008, en Coreper, qu’elle modifiera sa proposition de règlement de manière a ne plus faire référence aux scanners corporels.
Les parlementaires européens ont adopté une résolution très critique, à l’égard de ce projet. Ils considèrent que la Commission ne peut pas, sur la base juridique dont elle dispose, autoriser le déploiement du scanner corporel. Ils estiment que cette mesure n’est pas purement technique. Pour eux, ce procédé, je cite, « a des conséquences graves sur le droit à la vie privée, le droit à la protection des données et le droit à la dignité personnelle et€¦doit être assorti de garanties fortes et appropriées ». Ils s’interrogent en outre sur le recours à la procédure de comitologie pour mettre en Å“uvre une disposition qui touche directement aux libertés publiques.

En conséquence, les députés ont adopté une résolution le 23 octobre 2008 selon laquelle le Parlement européen : « estime que ce projet de mesure pourrait outrepasser les pouvoirs d’exécution prévus dans l’instrument de base, dès lors que les dispositions en question ne peuvent être considérées comme de simples dispositions techniques liées à la sûreté de l’aviation mais ont de graves incidences sur les droits fondamentaux des citoyens ».

Le Parlement engage donc le débat sur le fond mais également sur la procédure retenue. Il pose une question fondamentale à travers le point 2 de sa résolution : la modification d’un outil de détection peut changer la nature du contrôle effectué.
Nous partageons le sentiment exprimé par le Parlement européen.

M. Didier Quentin, co-rapporteur. La possibilité de déploiement du « scanner corporel » sur le territoire français se heurte à des obstacles juridiques importants.
Nous estimons le déploiement des scanners corporels sur le territoire national impossible, en l’état actuel du droit, même à titre expérimental. En effet, le fonctionnement de ce type d’appareil n’est prévu par aucune législation. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très claire : il appartient au législateur, et à lui seul, d’autoriser les atteintes à l’intimité de la vie privée motivées par les nécessités de l’ordre public.
Par sa nature même, le contrôle des personnes effectué avec ce type d’appareils exige d’être autorisé par une loi, car nous ne sommes pas en présence d’une simple déclinaison des modalités de contrôle actuellement prévues par l’article L.282-8 du code de l’aviation civile.
Nous sommes en décalage avec la position des autorités françaises qui considèreraient que le scanner corporel peut être expérimenté dès lors que les autorités européennes ont autorisé cette expérimentation.
Le règlement n° 820/2008 actuellement en vigueur permet d’autoriser ponctuellement le scanner corporel, en accordant des dérogations à titre expérimental mais il ne fait qu’autoriser le déploiement de nouvelles technologies sans donner d’indication sur l’emploi de ces appareils, qui relève de la compétence de chaque Etat.
Les dispositions auxquelles se réfère l’administration ne sont pas applicables en l’absence de décret en Conseil d’Etat. Aucun décret apportant des garanties et encadrant les contrôles n’a été pris. L’exigence d’un décret en Conseil d’Etat apparaît comme un minimum. A nos yeux il faudrait aller au-delà et faire intervenir une loi.
Il est difficile d’analyser l’article L.282-8 du code de l’aviation civile comme autorisant l’administration à déployer les moyens appropriés de son choix, sans aucune précaution légale au regard des règles protectrices de l’intimité humaine.
De même que le Parlement européen, nous estimons que ce projet outrepasse les pouvoirs d’exécution conférés à l’administration par le code de l’aviation civile car, les « moyens appropriés », termes employés par l’article L.282-8 du code de l’aviation civile, ne peuvent pas être des outils mettant en cause l’intimité de la personne humaine.

La conciliation entre les nécessités de la sécurité publique, que nous comprenons bien, et les atteintes à l’intimité de la vie privée est une compétence exclusive du législateur.
La mise en Å“uvre du scanner corporel soulève plusieurs autres difficultés. Les agents de sécurité peuvent-ils utiliser le scanner corporel ou son emploi doit-il être réservé aux officiers de police judiciaire ?
Il est prévu que les scanners corporels soient utilisés par des agents de sécurité et non par des policiers. Mais les agents de sécurité ne procèdent aujourd’hui qu’à des fouilles de bagages et des palpations de sécurité dans des conditions prévues par la loi. Ils ne peuvent pas, selon nous, mettre en Å“uvre le scanner corporel en l’état actuel du droit.

Par ailleurs, au-delà de la question du régime juridique des appareils se pose également celle de l’éventuel impact sur la santé des passagers. Les renseignements obtenus sont rassurants et il ne faut pas s’inquiéter, en termes d’exposition aux ondes millimétriques, car l’exposition serait 10 000 fois inférieure à celle liée à l’utilisation d’un téléphone portable. Néanmoins, dès lors que l’on admet le principe de ces appareils et qu’il existe des appareils à rayons X, une évaluation scientifique apparaît nécessaire. Elle n’a pas encore été faite à notre connaissance.

En conclusion, le scanner corporel constitue certainement un outil intéressant pour procéder à la fouille d’un passager car il épargne à la personne l’obligation d’être palpée ou, dans des cas plus rares, de se déshabiller devant un tiers.
Cependant, au vu des atteintes à l’intimité de la personne liées à l’utilisation des scanners corporels, il n’est pas possible de considérer que ceux-ci puissent être mis en Å“uvre, fusse à titre expérimental, sur le territoire français par le biais d’une assimilation à une palpation de sécurité ou au passage par un portique.
Ce type d’appareil ne peut être utilisé que si la réglementation l’autorise expressément et, s’agissant d’un domaine touchant aux libertés publiques, l’intervention du législateur est nécessaire, conformément à l’article 34 de la Constitution.

Au-delà du cas qui nous préoccupe, il convient de se féliciter du rôle essentiel joué par le Parlement européen. Toutefois, s’agissant de la France, nous nous inquiétons du fait que l’administration de l’aviation civile ait pu envisager de lancer le processus d’expérimentation du scanner corporel alors qu’à l’évidence une loi s’impose préalablement au déploiement de ce type d’appareil. Cet exemple prouve l’importance de la vigilance parlementaire sur les questions de libertés publiques.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Nous avons joint au rapport un exemple de ce que donnent les images actuelles du scanner corporel mais nous pouvons imaginer que demain ils reproduiront encore plus de détails. Il nous a été affirmé que ces appareils n’auraient pas de capacité d’enregistrement, mais notre vigilance est absolument nécessaire.

M. Didier Quentin, co-rapporteur. Je voudrais faire deux observations :

 j’ai appris que la fouille des bagages et les palpations de sécurité étaient soumises à l’autorisation des passagers. Hors, il ne me semble pas que cela soit fait automatiquement ;

 j’ai été frappé à l’aéroport d’Amsterdam par la vente de sabres dans les duty free, au-delà des contrôles de sécurité ; de même les couverts qui accompagnent les repas servis aux passagers pourraient constituer des armes.
Ce déphasage entre la sévérité des contrôles et les faits que je viens d’évoquer me parait ubuesque.

M. Marc Laffineur. Je remercie les rapporteurs et j’aimerais savoir si le déploiement de ces scanners sera obligatoire dans les pays de l’Union européenne.
M. Didier Quentin, co-rapporteur. Non, il sera facultatif.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Je me pose des questions sur la notion d’expérimentation car les réponses qui m’ont été apportées sur le terme de l’expérimentation de Nice et la procédure qui serait suivie pour un éventuel déploiement me sont apparues particulièrement floues.

M. Lionnel Luca. J’ai bien écouté les rapporteurs, leur travail est exhaustif, précis et clarifie les données. J’ai vu cet été cet engin installé dans la zone réservée aux abonnés à l’aéroport de Nice. Il est énorme et sa présence m’a inquiété ; aussi ai-je saisi la direction générale de l’aviation civile d’une demande de renseignements. Elle ne m’a jamais répondu.
Heureusement le Parlement européen et certains pays ont réagi, en particulier l’Allemagne, et dit ce qu’il fallait en penser. Certes, l’intimité est une question personnelle, mais à mes yeux les agents de sécurité assermentés n’ont pas qualité pour manipuler ce type d’appareil et la comparaison qui m’a été faite avec une visite chez le médecin ne tient pas.
Je suis disposé à admettre que sur autorisation du procureur et sur un vol particulier signalé comme étant à risques, la police ou la gendarmerie puisse utiliser un scanner corporel pour tous les passagers, mais cela doit demeurer très exceptionnel.
Nous sommes dans une dérive et je m’étonne du comportement de l’aviation civile d’autant que ces appareils ont un coût exorbitant.
Le rappel de la compétence du législateur est extrêmement important.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Il est important de relever que l’appareil déployé à Londres n’est pas utilisé pour le contrôle des femmes enceintes et des mineurs. Le renseignement demeure le moyen le plus efficace de lutte contre le terrorisme et les scanners ne permettent pas de raccourcir la file d’attente au contrôle.
M. Gérard Voisin. Je souhaiterais avoir une précision sur la possibilité de déployer actuellement cet appareil en Europe après la résolution du Parlement européen qui laisse penser qu’il s’y oppose.
Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Des expérimentations peuvent continuer à être mises en Å“uvre selon les textes européens en vigueur. Elles ont lieu, en particulier, à Londres et Helsinki.
Le Président Lequiller. J’appuie la position des rapporteurs pour demander des garanties légales préalablement au déploiement de ces appareils.
M. Didier Quentin, co-rapporteur. Je m’étonne du décalage entre les contrôles des aéronefs et ceux qui existent dans les ferries ou dans les trains. Je trouve très curieux « l’hyper » contrôle aérien.

M. Jacques Desallangre. J’ai bien compris qu’il n’existait pas de législation européenne et française appropriée et que le législateur national a été écarté du débat. Sur quel fondement s’appuie l’aviation civile pour procéder à cette expérimentation ?

M. Didier Quentin, co-rapporteur. Elle s’appuie sur un accord de la Commission européenne mais qui ne porte pas sur les moyens du déploiement au niveau national et qui relèvent des Etats. Il ne faut pas faire une interprétation abusive de cette autorisation.
Le Président Lequiller. Notre Commission pourrait s’opposer à la mise en place de ces appareils en l’absence de garanties fixées par la loi française.

La Commission a alors approuvé cette proposition du Président Pierre Lequiller et a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission s’oppose à la mise en place des scanners corporels, tant que des garanties encadrant leur usage n’auront pas été fixées par la loi. A titre d’exemples, les garanties suivantes pourraient être retenues : examen par une personne seule située dans un local isolé, floutage des parties sensibles, interdiction du stockage des données et, surtout, volontariat des passagers.

Il appartient au seul législateur, et non à l’administration, de fixer ces garanties, de nature à concilier les impératifs de sécurité et le respect des libertés publiques. »