Marietta KARAMANLI « Non à l’extension du travail le dimanche ! Pourquoi je me suis opposée à un texte qui fragilise les salariés, génèrera des inégalités et va à l’encontre du progrès économique et social.»

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A l’occasion du débat sur l’extension du travail le dimanche, je suis intervenue, mercredi 8 juillet, dans la discussion publique pour dénoncer un texte flou, porteur d’incertitudes pour de nombreux salariés potentiellement concernés (près d’un salarié sur dix), générateur d’inégalités entre les salariés « précaires de la semaine » et les salariés « précaires du week-end », erroné sur ses conséquences économiques (il ne donnera pas de pouvoir d’achat aux plus modestes et va à l’encontre du constat que les économies les plus performantes sont celles où la productivité augmente à mesure que temps de travail diminue), et contraire au progrès qui doit donner priorité aux relations sociales et non à la seule consommation. Je me suis aussi étonnée que le Président de la République, le Premier ministre et leur majorité qui, à l’extérieur du pays, affirment qu’ils veulent donner priorité au dialogue social aient simplement oublié de consulter et de dialoguer avec les organisations syndicales sur ce texte qui risque de changer, en moins bien, la vie de millions de salariés.


Retrouvez le texte de mon intervention lors de la séance publique du 8 juillet dernier

M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur le sabbat, même s’il y aurait beaucoup de choses à dire sur le sujet.

M. Jean Mallot. Vous pourriez faire votre intervention en grec, chère collègue, c’est une si belle langue !

Mme Marietta Karamanli.
J’ai prévu de faire quelques références à la Grèce.

L’idée de notre Président d’étendre les dérogations au repos du dimanche au-delà ce qui était initialement prévu par le code du travail, telle qu’elle est reprise aujourd’hui par cette proposition de loi, est une idée « impériale », j’entends par-là une idée digne de l’intuition d’un empereur. S’il nous entend, il sera heureux de se savoir comparé à un tel personnage !

Toutefois, cette proposition marque une rupture en mettant fin à dix-sept siècles d’histoire. C’est en 321 de notre ère que l’empereur romain Constantin a fait du dimanche un jour férié obligatoire ne connaissant qu’une exception : les travaux des champs, c’est-à-dire les travaux qui ne peuvent attendre.

M. Jean Mallot. C’était un « plan de campagne » avant l’heure !

Mme Marietta Karamanli. Si certains entrent dans l’histoire parce qu’ils bâtissent, d’autres sont, il est vrai, malheureusement cités parce qu’ils défont ! On se souvient de certains parce qu’ils permettent un progrès, d’autres parce qu’ils défendent une version trompeuse de la réalité.

Depuis plusieurs mois, le Président de la République explique qu’il faudrait ouvrir le dimanche pour répondre aux demandes des touristes, permettre à des salariés de travailler et de gagner plus sur la base du volontariat et donner, enfin, la possibilité aux familles de faire leurs courses.

Le raisonnement est simple et surtout trompeur.

Il est trompeur pour au moins trois raisons. D’abord, la législation actuelle autorise déjà le travail le dimanche. Ensuite, la façon dont est proposée la dérogation relève de l’amphibologie, une formule de style porteuse d’ambiguïté dans les mots et d’incertitude sur la réalité.

M. Frédéric Cuvillier. Ah !

M. Jean Mallot. Très bien !

Mme Michèle Delaunay. Enfin, le niveau du débat s’élève !

Mme Marietta Karamanli. Enfin, le texte participe d’une « réification » sociale, c’est-à-dire d’une généralisation des échanges marchands où les choses priment sur les individus.

Certaines entreprises sont autorisées de manière permanente à organiser le travail le dimanche. Il s’agit non seulement des entreprises industrielles dont la production nécessite un fonctionnement continu au regard de la nature des produits, mais aussi des établissements de vente de denrées alimentaires au détail €“ dans lesquels le travail du dimanche est autorisé jusqu’à douze heures €“, des établissements fabriquant des produits alimentaires à consommation immédiate, des hôtels et des restaurants, et caetera.

D’autres sont autorisées, sous certaines conditions, à organiser de manière permanente le travail le dimanche, par exemple des entreprises industrielles fonctionnant avec des équipes de suppléance et couvertes par un accord collectif étendu prévoyant le travail le dimanche.

Enfin, les commerces de détail non alimentaires habituellement fermés le dimanche ont la possibilité d’ouvrir cinq dimanches par an sur autorisation du préfet.

M. Richard Mallié, rapporteur. Ce n’est pas le préfet, c’est le maire !

Mme Marietta Karamanli. La proposition qui nous est soumise modifie donc en profondeur le régime de la dérogation.

Nonobstant ce changement de perspective sociale, au plan économique, l’extension d’ouverture des magasins permettra seulement un étalement des achats et en aucune façon une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs, notamment des plus modestes.

La rédaction même du texte relève de ce qu’on appelle l’amphibologie. Ce mot vient du grec et veut dire « frappé des deux côtés » ou « équivoque ».

M. Jean Bardet. Il y en a qui parlent anglais et d’autres qui parlent grec, dans cet hémicycle !

Mme Michèle Delaunay. Il y en a aussi qui citent Luc pour justifier l’autorisation du travail du dimanche !

Mme Marietta Karamanli. Je parle français, monsieur Bardet.

L’article 2 indique en effet que « les établissements de vente au détail situés dans les communes touristiques ou thermales et dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel ».

La définition de « touristique » ou de « zone touristique », la détermination de ce qu’est une « affluence exceptionnelle », ou encore la référence à une « animation culturelle permanente » sont suffisamment floues et extensibles pour que le mot même de dérogation puisse perdre tout ou partie de son sens.

Je note au passage que le texte, à raison même de son périmètre large, ne fait aucun renvoi exprès à la réglementation posée par le code du tourisme. Cette dérogation devenant possiblement la règle dominante pourrait donc toucher, au travers des grandes métropoles et grandes villes, une majorité des 1,7 million de salariés qui travaillent dans le commerce de détail, soit une part significative des salariés français.

Sur le blog de M. François Fillon, notre Premier ministre €“ sous-titré : « La France peut supporter la vérité » €“, j’ai lu hier : « Nous voulons que toutes les réformes législatives fassent d’abord l’objet d’un avis des partenaires sociaux. Nous essayons d’entrer dans une logique de négociation sociale qui est celle qu’un pays comme la Suède connaît depuis longtemps ».

Où est donc cette vérité chère au Premier ministre ? Car cette réforme importante n’a fait l’objet d’aucune négociation sociale importante, et encore moins d’un accord social ! Le ministre du travail s’est contenté de dire que ladite proposition pourrait « évoluer » après « une grande concertation avec les syndicats ». Mais le Président et sa majorité pouvaient organiser la concertation avant l’examen du texte €“ je rappelle que nous en sommes à la quatrième version. Ils ne l’ont pas fait et c’est dommageable.

Pour en revenir au texte, à l’ambiguïté de rédaction fait pendant une incertitude sur la réalité.

Toujours à l’article 2, le texte fait état d’une possibilité de refus par le salarié. C’est le fameux volontariat dont on nous parle tant. Au plan social, l’idée d’une réglementation spécifique par le droit du travail correspond bien à l’idée que les salariés ne sont pas dans une relation contractuelle classique dont ils auraient la maîtrise. Ils ne peuvent, dans bien des cas, qu’adhérer au contrat qui leur est proposé. Penser que la plupart de ceux qui « choisiront » de travailler le dimanche le feront sans contrainte soit hiérarchique soit salariale est donc illusoire.

De façon plus générale, cette nouvelle modification des règles sociales va devenir un élément de concurrence entre les entreprises d’un même secteur. Les salariés d’une entreprise seront donc soumis au chantage d’un alignement par le bas du fait d’un accord accepté ou d’une pratique adoptée dans une entreprise voisine. Bon nombre de députés ont eu l’occasion de constater le chantage auquel se livraient des entreprises industrielles en menaçant de délocaliser. Ici, nul besoin de délocaliser, les salariés des entreprises de commerce devront s’aligner sur celles qui ouvriront.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Eh oui !

Mme Marietta Karamanli. On aura ainsi une extension progressive du travail le dimanche avec, en prime, une aggravation des inégalités entre salariés, avec des travailleurs pauvres travaillant un peu et gagnant un peu plus que la moyenne le dimanche, et des travailleurs à temps partiel travaillant la semaine mais gagnant moins que les précédents.

Enfin, ce raisonnement est trompeur parce que, de façon plus fondamentale, l’extension de l’ouverture des magasins est le signe d’une « réification » sociale, c’est-à-dire d’une généralisation des échanges marchands où les choses priment sur les individus. J’estime que nous produisons pour satisfaire des besoins matériels €“ alimentation, vêtements, logement et équipements, soins, loisirs €“ mais que nous avons aussi des besoins affectifs et moraux.

La satisfaction de nos besoins matériels domine logiquement notre quotidien, mais produire et vendre n’est pas la finalité de notre vie. Ce qui constitue notre finalité humaine c’est, me semble-t-il, de faire autre chose que produire et vendre. C’est, par exemple, connaître et développer notre savoir sur nous, les autres, la société et améliorer les relations que nous avons ensemble.

Cette position qui peut sembler un peu philosophique est confortée par l’analyse économique : là où le temps de travail est plus limité, la productivité est généralement meilleure. Le phénomène est général, ce qui montre que la réduction du temps de travail fait partie des composantes du développement économique, les économies performantes et développées ayant presque toujours une durée hebdomadaire du travail plus faible.

Face à la crise qui touche les Français, et notamment les plus modestes, c’est d’une véritable relance que nous avons besoin et pas spécialement d’une amplitude plus large du temps d’ouverture des magasins. Réfléchissons à tous ces éléments et faisons en sorte qu’après l’examen des articles, la raison et le bon sens l’emportent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)