Rapidité des décisions de l’Union européenne, politique migratoire commune, Brexit, fonctionnement des systèmes d’informations des polices ; Marietta KARAMANLI a interrogé le Secrétaire général des affaires européennes du Gouvernement

Le 7 décembre 2016, Marietta KARAMANLI Vice-présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a interrogé le Secrétaire général des affaires européennes chargé de coordonner et suivre les positions Françaises gouvernementales dans le domaine de l’Union Européenne.
Elle a mis l’accent sur

  l’impression de lenteur de l’Union des décisions prises,

  les mesures prises par l’Union pour faire face aux migrations nées de la guerre notamment au Moyen-Orient et la nécessité de sanctions à l’égard des Etats qui ne respectent pas les décisions ,

  les suites et effets du Brexit,

  la question du fonctionnement des fichiers de police entre Etats membres et au sein même de l’Union.
Le secrétaire général a fait état de la réactivité de l’Union sur des dossiers majeurs mais dont elle gérait seulement les effets sans être à l’origine des faits : crise économique, flux migratoires ; il a mis en évidence les différences de position qui ne contribuent pas à cette réactivité.
Il a fait état de la nécessité de suivre le processus de Brexit en constatant que la question devait probablement faire l’objet d’un vote au parlement britannique après le référendum.
Il a indiqué que les fichiers de renseignements avaient été de conçus de façon parallèle et devient évoluer pour se recouper. La nécessité utilisation de ces données doit se concilier avec les respect de la vie privée et des libertés individuelles des citoyens que nous sommes tous.
Il a relevé l’ensemble des mesures prises depuis plusieurs mois par l’Union européenne pour traiter de façon solidaire les questions de migrations en constatant que tous les pays ne sont pas confrontés aux mêmes risques ni urgences et a rappelé que les Etats avaient des obligations les uns envers les autres.
Ces précisions mettent en évidence le paradoxe de l’Union qui se construit dans les épreuves, adapte ses politiques et reste dominée trop souvent par une vision limitée de certains Etats alors même que les problèmes des uns sont ceux des autres et les solutions peuvent et doivent être partagées : les questions des frontières communes et de la sécurité partagée pour lutter contre le terrorisme et la grande criminalité en est un exemple.


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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES, Mercredi 7 décembre 2016, Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission, La séance est ouverte à 8 h 30 (audition non ouverte à la presse)
Audition de M. Philippe Léglise-Costa, Secrétaire général aux Affaires européennes, sur l’actualité de l’Union européenne, en perspective du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2016.

Mme Marietta Karamanli.

Je me réjouis de la volonté d’agir dont vous vous faites l’écho. Avec mon collègue Joaquim Pueyo, nous avons présenté une proposition de résolution relative à la proposition franco-allemande d’un « pacte de sécurité européen ». Elle sera examinée la semaine prochaine en commission des lois.
Je m’inquiète cependant de la lenteur du processus décisionnel européen. La volonté ne manque pas, mais nous sommes comme en face d’un paquebot qui ne bouge que très lentement. Nos concitoyens attendent une plus grande rapidité dans la mise en œuvre des décisions.
Certaines choses bougent. Mais il reste, comme l’a dit mon collègue Gilles Savary, à partager ce message avec la population. Ce n’est pourtant pas la matière qui fait défaut. Encore faut-il, cependant, que nous décidions plus vite, même si je ne sais comment le problème pourrait se résoudre.
Le Conseil européen qui s’annonce sera très important. Dans le domaine du renseignement et sur la question des fichiers, des rapports successifs ont fait le constat de leur insuffisante interopérabilité. Nous sommes encore loin des conditions requises pour agir efficacement.
Quant à la question des relocalisations, un volet législatif suivra sur l’asile. Il en définira les nouveaux critères. L’objectif de 2 % n’a pas été atteint, car la volonté des États membres n’est pas là. La France a pris la part la plus importante dans le dispositif des relocalisations, mais elle ne saurait tout faire toute seule. Ne doit-on pas ajouter un volet de sanctions aux mesures prévues ? Après tout, il y a un financement européen à la clé.
S’agissant du Brexit, que faut-il attendre de la décision de la High Court relativement à la consultation obligatoire du Parlement britannique ? Quelle réponse celui-ci y donnera-t-il ? Cela nourrit chez moi quelques espoirs.
La Présidente Danielle Auroi. En Turquie, des choses inquiétantes se passent dans le domaine des droits de l’homme.
J’ai rencontré hier le maire d’Alep. Il m’a fait part de son souhait qu’une délégation parlementaire puisse se rendre aux abords de la ville, afin de témoigner notre solidarité.

M. Philippe Léglise-Costa.

La question des migrations a fait l’objet d’un long travail franco-allemand et européen, dans le contexte d’une situation complexe, caractérisée par un afflux massif de réfugiés. Nous sommes ainsi parvenus à un équilibre politique européen, sur une base franco-allemande.
Ainsi, une distinction nette doit être établie entre les demandeurs d’asile et les migrants arrivés de manière irrégulière, même si bien sûr chacun doit être traité dignement.Pour les demandeurs d’asile, l’enjeu auquel l’Europe fait face est d’assurer les moyens de traiter les demandes, d’abord en mettant en place les hot spots, puis, maintenant, en révisant le système de l’asile. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile ou European asylum support office (EASO) sera notamment transformé en agence pour apporter un soutien plus efficace aux pays qui en ont besoin. Quant aux migrants arrivés de manière irrégulière, ils ne peuvent être acceptés et il s’agit donc, après leur contrôle, de procéder à leur raccompagnement . Pour ce faire, Frontex disposera de moyens renforcés en matière de retour. L’enjeu fondamental reste naturellement de prévenir le plus possible les départs et c’est l’objet des coopérations renforcées avec les pays d’origine et de transit.
Quant à l’accord avec la Turquie, il vise à ce que, dans la légalité, un contrôle soit opéré aux frontières, avec une réadmission possible et des conditions assurées aux migrants et réfugiés, que la Turquie a accepté de garantir de manière spécifique en conséquence des réserves posées lors de la ratification de la convention de Genève. Un financement européen est également prévu pour améliorer les conditions de vie des Syriens aujourd’hui présents en Turquie, qui sont plus de 2,5 millions, tandis que des réinstallations directes sont effectuées vers l’Europe pour les plus vulnérables. L’équilibre trouvé est un raisonnable, mais son maintien dépend aussi de la volonté de la Turquie.
Avec l’Afrique et la Méditerranée centrale, la situation n’est pas du tout la même, car il n’est actuellement pas possible d’établir une coopération comparable avec un gouvernement libyen, même si les Européens s’efforcent de favoriser une évolution positive en Libye. L’objectif dans l’immédiat est donc de renforcer les coopérations avec les pays d’origine et de transit, par des « partenariats migratoires », qui sont expérimentés, dans une phase pilote, avec le Niger, le Sénégal, le Nigéria, le Mali et l’Éthiopie.
De manière générale, nous travaillons ainsi avec tous les pays concernés, grâce au Fonds européen de développement ou aux moyens de la politique de voisinage, dans les pays d’Afrique du Nord. Outre ces canaux classiques, des moyens supplémentaires sont alloués. Un fonds a été créé en novembre 2015 à La Valette. Un nouveau plan pour l’investissement en Afrique, favorisant le développement et l’activité économique, est par ailleurs en cours de discussion et il pourra en particulier être actif dans les régions d’Afrique d’où les départs sont les plus nombreux.
À cela s’ajoutent les activités de Frontex par l’opération « Triton » et de l’opération « Sophia » en Méditerranée, qui luttent contre les trafics et les passeurs, tout en participant au sauvetage de naufragés qui ont tenté la traversée.
En ce qui concerne le socle européen de droits sociaux, le président Jean-Claude Juncker nous semble dans une démarche tout à fait sincère. Il pense que cela sera utile à l’Union européenne et recherchera un accord. Nous voulons présenter les propositions les plus ambitieuses possibles. Mais il n’est pas sûr que toutes aboutissent à vingt-huit ; peut-être faudra-t-il se contenter d’une application à l’échelle de la seule zone euro, voire d’une mise en œuvre initiale entre certains États membres seulement. Sur le fond, il s’agit de l’accès à l’emploi, en particulier par la mobilité, des conditions de travail, des moyens de formation, de la protection contre les aleas de la vie, de l’égalité entre les hommes et les femmes… Sur certains sujets, la Commission pourra formuler des propositions législatives, mais non sur d’autres, là où ce serait hors du champ de compétences européen.
Au sujet de la situation à Alep, le Président de la République s’entretiendra avec la Chancelière Mme Merkel à Berlin mardi prochain. Ils auront certainement une expression commune sur la question.
En ce qui concerne la situation en Italie, il faut éviter d’y voir nécessairement la même logique que lors du referendum au Royaume-Uni ou, dans un contexte différent, lors de l’élection présidentielle américaine.Elle serait d’ailleurs d’une certaine manière contredite par le résultat de l’élection présidentielle en Autriche. L’Italie est un pays solide et un Etat membre engagé en Europe.
Après le référendum au Royaume-Uni, le Président de la République et la Chancelière allemande avait associé M. Renzi à la réponse apportée.. Mais toute démarche au-delà du couple franco-allemand est critiquée, par exemple par l’Espagne dès lors qu’elle a dépassé la phase politique dans laquelle elle se trouvait depuis près d’un an.
À propos de la défense, le dialogue a débuté entre le Président de la République et la Chancelière allemande en 2013, dans le contexte de l’intervention française au Mali à laquelle l’Allemagne a apporté son soutien.L’importance de la menace comme les évolutions géopolitiques et, d’une certaine manière, l’impact de l’afflux de réfugiés en Allemagne, a amené à une prise de conscience.
Quant à la sortie annoncée du Royaume-Uni, il s’agit d’éviter que l’Union européenne s’en trouve affaiblie. Notre objectif demeure de poursuivre avec le Royaume-Uni une coopération étroite dans le domaine de la défense, dans notre intérêt mutuel, ce qui n’exclut pas, au contraire, des progrès dans le domaine de la défense européenne.
Quelle forme pourrait prendre une initiative dans ce dernier domaine ? Dans l’Union européenne, la question institutionnelle est toujours compliquée, comme on le voit chaque fois qu’il s’agit de structures telles un un état-major, même si l’on s’en rapproche. Sur ce terrain, nous devons en effet éviter de retomber dans les ornières du passé. Le renforcement de la capacité de l’Union européenne à s’organiser n’est en rien contradictoire avec l’engagement des Etats concernés au sein de l’OTAN.
L’évolution de la position américaine appelle les Européens à faire cette démarche. Chez une majorité d’États membres, la volonté d’avancer est désormais là. Plusieurs sont conscients qu’ils doivent relever leur effort de défense. Notre intérêt est que ces investissements aient lieu de manière coordonnée, afin d’en garantir l’efficacité.
J’en viens au sujet de la communication sur les sujets européens, qui est ancien. Rarement cependant l’écart a été aussi grand entre, d’une part, l’action d’une Union européenne qui en fin de compte parvient à surmonter des crises majeures et brutales, qui ne sont pas en général de son propre fait, mais auxquelles elle se montre capable de faire face en apportant des réponses, même laborieusement et, d’autre part, le sentiment qu’elle est pourtant tétanisée et incapable de changer. Au cours des dernières années, elle a plutôt apporté de la protection alors qu’elle est présentée comme un facteur ou un accélérateur de crises.
En matière de communication, les responsabilités sont partagées. Elles concernent également la presse.
En ce qui concerne la lenteur à décider au niveau européen, le problème existe et des initiatives ont été prises pour y remédier. C’est en même temps aussi un problème de communication. L’Union européenne n’est pas aussi lente qu’on le dit. Sur la question des gardes-frontières européens, la décision est par exemple allée très vite. Il y a un effet loupe sur le processus décisionnel européen. Ce processus n’est pas forcément plus rapide dans d’autres grands pays démocratiques. Mais il est vrai que l’Union européenne est astreinte à un devoir d’exemplarité et doit se montrer plus efficace et plus rapide. C’est aussi l’objectif de l’’agenda défini à Bratislava.
Ceci doit être conçu en admettant une part de complexité, qui fait partie des équilibres européens. L’Union européenne n’est pas un État centralisé avec un processus de décision direct. C’est son essence même que d’être démocratique et coopérative, ce qui ne doit bien sûr pas empêcher d’ accélérer tout ce qui est possible,.
S’agissant de l’interopérabilité des diverses bases de données, il faut bien observer que le Système d’information sur les visas (VIS), le Système d’information Schengen (SIS) ou encore Eurodac se sont développés de manière séparée. Nous travaillons à trouver le juste équilibre entre l’efficacité nécessaire dans l’utilisation des données, qui peut être indispensable à la sécurité des Européens, et le respect de la vie privée et des libertés, cause à laquelle le Parlement européen est, à juste titre, très sensible.
Quant à la question de la relocalisation, la mise en œuvre de la proposition de la Commission s’est heurtée à des difficultés. Il fallait en même temps assurer la mise en place des hotspots et des moyens de contrôle, et donner des garanties à la Grèce et à l’Italie qu’une fois ces procédures effectives, les relocalisations s’engageraient. Nous avons finalement pris l’initiative, notamment vis-à-vis de la Grèce qui se trouvait dans une situation particulièrement difficile, de sorte que nous sommes en avance par rapport aux autres États membres.
La proposition concernant les relocalisations a cependant créé une fracture en Europe, qui ne sera pas facile à surmonter.
La Commission a proposé l’établissement d’un système permanent de répartition des réfugiés une fois un certain seuil dépassé. Ce dernier point s’est heurté à un refus de la part des pays de l’Est. La présidence slovaque a été chargée d’examiner quel compromis serait possible, sur la base des principes de responsabilité et de solidarité. Il s’agit d’assurer que chaque Etat membre est tenu à cette solidarité envers les pays les plus exposés, qui pourrait porter sur une obligation d’accueil minimale et différentes formes. de solidarité telle qu’une contribution financière, une aide à la surveillance de la frontière ou un soutien aux pays-tiers d’origine ou de transit.
L’objectif de travail engagé par la présidence slovaque, et qui sera poursuivi par la présidence maltaise, est de dépasser la fracture qui s’est créée, sans renoncer à ces principes, avant qu’elle n’amène à d’autres divisions en retour.
S’agissant du Brexit, la High Court s’est prononcée début novembre, en estimant que le gouvernement britannique devait saisir le Parlement. L’appel en cours se déroule devant la Supreme Court, qui devrait rendre son jugement début 2017. Il n’est pas exclu qu’elle puisse renverser la position de la High Court, mais cela apparaît peu probable aux observateurs.
Il faut donc a priori s’attendre à ce que la Supreme Court confirme la demande au gouvernement de saisir le parlement. Cela laisse ouverte la question des modalités de cette saisine, qui peut prendre la forme d’une simple demande de vote ou de l’adoption d’une loi, comme le demande la High Court.
À Londres, il est estimé que les parlementaires ne voudront pas remettre en cause la volonté du peuple britannique, telle qu’elle s’est exprimée par le référendum de juin dernier, même si des délais sont toujours possibles.
Il est cependant dans l’intérêt de tous, Britanniques et Européens, que la notification de la décision de sortie, au titre de l’article 50, ait lieu dans les temps.

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