Le 14 décembre dernier, la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, à laquelle j’appartenais, a rendu son rapport. Elle a fait quelques constats et tracé plusieurs pistes d’action.
Comme l’a énoncé son Président Henri EMMANUELLI « Face à des instruments socialement inutiles et potentiellement dangereux, il ne faut pas être trop timoré et ne pas hésiter à utiliser l’arme de la réglementation, voire l’interdiction. Mais en premier lieu, la tâche qu’il est urgent d’entreprendre est d’établir la transparence sur les marchés, financiers mais aussi des matières premières. Nul ne doit pouvoir détenir un monopole de l’information ni procéder en toute impunité à des actions déstabilisantes. Il faut, en outre, remettre sur les rails les activités financières. Le rôle traditionnel de banquiers est d’identifier le risque et de l’assumer et non pas de le masquer puis de le disperser, comme cela était fait à l’envi dans le cadre de la titrisation. Organisation de la transparence, interventions des « gendarmes » des bourses et des marchés, prévention des risques par une véritable supervision nationale et internationale, réglementation des techniques susceptibles de dérive, tels sont les outils qu’il appartient aujourd’hui à la puissance publique de mettre résolument en Å“uvre. Il en va de la stabilité de l’économie mondiale, de la croissance et de l’emploi, et donc de la vie quotidienne de chacun.
A l’occasion de l’audition du Professeur Henri Bourguinat, professeur à l’université Bordeaux-IV j’ai souhaité mettre en évidence le risque que constituent la taille et la concentration bancaires, le cloisonnement des activités des banques de dépôt et des banques d’investissement et la nécessité de réglementer durablement et de ne pas seulement déléguer la régulation à des instances ou des comités liés aux professionnels et ce quelques soient les qualités personnelles de ceux qui les animent.
De façon plus globale, je regrette que la commission n’ait pu s’intéresser davantage aux causes structurelles de la crise financière dont notamment les inégalités économiques et sociales qui contraignent les plus pauvres et les plus modestes à s’endetter et donnent l’opportunité aux plus riches de s’enrichir en spéculant en nourrissant la bulle financière.
Audition de M. Henri Bourguinat, professeur à l’université de Bordeaux-IV
(Procès-verbal de la séance du mercredi 15 septembre 2010)
(Présidence de M. Henri Emmanuelli, président de la commission d’enquête)
Mme Marietta Karamanli.
Monsieur le professeur, vous avez analysé les origines de la crise financière. Certains économistes, notamment américains, mettent également en cause la taille des établissements financiers et évoquent le caractère frauduleux de nombreuses opérations. Qu’en pensez-vous ?
Par ailleurs, la crise ne devrait-elle pas nous inciter à travailler sur le cloisonnement des activités des banques de dépôt et des banques d’investissement ?
Enfin, que pensez-vous des règles à appliquer pour limiter ou éradiquer les comportements à risques ? Convient-il, comme aux États-Unis, d’en édicter le principe et, dans ces conditions, doit-on en confier l’élaboration à des hommes de qualité ? Si on en croit Paul Krugman, faire confiance à la qualité des hommes ne permet pas toujours de préserver la bonne santé de l’économie. La constitution d’un groupe de travail intergouvernemental ne présenterait-elle pas, elle aussi, des risques ?
M. Henri Bourguinat.
Madame Karamanli, vous avez eu raison d’évoquer la taille des établissements : c’est un des problèmes majeurs, que j’ai étudié en détail dans le dernier livre qu’Éric Briys et moi-même avons signé, Marchés de dupes : pourquoi la crise se prolonge.
La règle too big too fail €“ « trop gros pour faire faillite » €“ est omniprésente dans le débat actuel.
Ce sont principalement les grandes banques d’affaires qui ont été à l’origine de la crise.
Mais comme la finance a horreur du vide, elles ont été reprises €“ je nommerai simplement Merrill Lynch à l’initiative de Bank of America, ou Wachovia qui a été reprise par Wells Fargo. La crise a renforcé la concentration des banques et l’exigence de développer les fonds propres est une incitation considérable à poursuivre la concentration. Or celle-ci est une des causes de la crise. Le remède me paraît donc loin d’être adéquat.
Paul Volcker, qui connaît bien le milieu de la finance, a compris que la seule façon de dégonfler la bulle spéculative était de casser l’oligopole bancaire et donc de séparer les activités de financement et celles de dépôt.
Or la loi américaine Dodd-Frank du 15 juillet dernier réformant Wall Street n’a presque rien prévu en la matière. La proposition dite « Volcker », de scinder les deux régimes, empêchait, dit-on, les banquiers américains de dormir : eh bien, pour finir, la loi interdit aux banques de faire des opérations pour compte propre, sauf si elles le font en relation avec un client. On comprend dès lors la mine réjouie des banquiers américains sortant des auditions : il m’étonnerait qu’on ne trouvât pas aux États-Unis un certain nombre de clients prêts à apparaître dans ces opérations !
C’est donc un coup pour rien et j‘attends de voir les décisions que prendra Bruxelles en la matière, car elles ne me semblent pas encore très claires. Si on veut écarter le risque de nouvelles dérives, il faut, en premier lieu, interdire la titrisation et en, deuxième lieu, renoncer au principe du too big too fail, en empêchant la concentration bancaire.
En ce qui concerne la France, vous avez entendu parler, comme moi, de projets de fusion de grandes banques françaises : de tels projets ressurgiront dans les mois à venir. L’Assemblée nationale aura alors un rôle de prudence à jouer car il s’agit-là de procédés antiéconomiques.