« Règlement des différends dans les accords commerciaux internationaux, la proposition de la France d’une justice publique fait son chemin» par Marietta KARAMANLI

Le 16 mars 2016 j’ai interrogé le secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger sur la question sensible des modalités de règlement des différends dans le cadre des accords commerciaux internationaux.
Ma question a porté sur l’accord entre l’Union Européenne et le Canada dit CETA ou accord économique et commercial global. Néanmoins sa portée était plus vaste. En effet elle visait aussi les négociations en cours entre l’Union Européenne et les Etats-Unis sur le projet dit de « partenariat transatlantique de commerce et d’investissement » dit TIPP.
Ce type d’accords vise à faciliter les échanges commerciaux entre Etats en créant des zones où les droits de douane sont réduits, les réglementations visant les marchandises harmonisées, parfois en reconnaissant un niveau élevé de sécurité, de qualité, et d’information, parfois en choisissant des modalités qui sont communes et donc de niveau de sécurité, de qualité et d’information le plus faible.
Ce type d’accords vise aussi à traiter des conditions d’investissement dans les différents pays en créant des droits et obligations réciproques. Ces conditions doivent parfois être interprétées.
Des craintes se font jour alors sur le système de règlement le plus souvent confié à des arbitres privés aux lieu et place des juges « publics ». Conflits d’intérêts, conformisme ou croyance en la seule vertu du marché libre, peuvent amener certains arbitres à être plus favorables aux intérêts des grandes entreprises qu’à ceux des Etats et de leurs citoyens ou consommateurs. Dans ces conditions la proposition faite par la France et portée à la fois par l’Allemagne et elle, tendant à faire prévaloir une justice, spécialisée et donnant toutes garanties, a été acceptée par le Canada dans le cadre du premier accord.
C’est un premier très positif et significatif des progrès qui peuvent résulter de solutions pensées, portées et négociées par des partenaires soucieux de développer les échanges de façon équilibrée et sûre.
Sur ces sujets, je crois qu’il faut donner sa chance à la négociation et rester, là encore, vigilant sur les effets réels.


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Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2015-2016
Compte rendu intégral, Première séance du mercredi 16 mars 2016
Présidence de M. Claude Bartolone
1. Questions au Gouvernement sur des sujets européens

Négociations commerciales internationales

M. le président.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marietta Karamanli.

Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur et porte sur l’état des négociations commerciales internationales, notamment de l’accord entre l’Union européenne et le Canada, dit accord CETA.

Ce type d’accord suscite quelquefois des craintes dans la mesure où il prévoit la possibilité d’instituer un système de règlement des différends par des arbitres privés, en lieu et place des juges publics. La crainte est que ces juges privés soient enclins, par intérêt ou conformisme, à faire prévaloir les intérêts des grandes et très grandes entreprises plutôt que la protection des citoyens et des consommateurs dans des domaines comme l’alimentation, la protection de l’environnement ou les droits sociaux.

La France et son gouvernement ne sont pas restés inactifs et ont proposé une alternative conforme à une véritable justice publique impartiale.

Dans cet accord, il a été obtenu que les différends entre investisseurs et États soient réglés par une cour permanente de règlement des différends. La position de la France, que partagent également d’autres États, a donc été entendue. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous confirmer cette évolution majeure ? Considérez-vous que cette avancée constitue un précédent majeur ?

Par ailleurs, il y a quelques semaines, le Gouvernement français a réaffirmé sa volonté que les négociations commerciales internationales avancent en ce sens. Pouvez-vous également nous confirmer la volonté du Gouvernement de mobiliser les autres États partenaires dans des accords commerciaux internationaux afin de faire prévaloir une solution de justice publique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

Madame la députée, vous m’interrogez sur un point très précis des relations commerciales internationales, à savoir le fameux ISDS – investor-state dispute settlement – qui permet à des tribunaux privés d’attaquer des choix de politique publique. Ce dossier a fait couler beaucoup d’encre et suscite beaucoup d’inquiétudes, en France et au-delà…

M. Jean-Luc Laurent.

À juste titre !

M. Matthias Fekl, secrétaire d’État.

…notamment à l’occasion des négociations avec les États-Unis.

Les différentes dérives qui ont été constatées et qui ont conduit à ce que, progressivement, des firmes multinationales s’attaquent frontalement à des choix démocratiques, des choix de politique alimentaire, de politique de santé, de politique énergétique, m’ont amené, le premier, à proposer une réforme fondamentale du système, avec de nouvelles modalités.

Une cour publique de justice commerciale internationale remplacera les tribunaux privés et des juges publics, nommés et rémunérés par les États, remplaceront les arbitres nommés et rémunérés par les parties, et ce afin d’éviter les conflits d’intérêts. Il convient de préserver la possibilité d’attaquer les abus, les expropriations, et d’interdire les attaques contre des choix de politique publique et des choix démocratiques auxquelles se livrent certaines entreprises.

Cette proposition, que j’ai formulée au nom de la France et que j’ai soutenue avec l’Allemagne et d’autres États européens, fait consensus au niveau européen et le Canada est le premier pays qui a accepté de la reprendre. Ce n’est pas un hasard si c’est avec le gouvernement progressiste de M. Trudeau que ces évolutions ont été possibles.

Il s’agit pour nous d’un précédent fondamental. La France considère désormais que cette cour publique de justice commerciale internationale devra intervenir dans tous les accords commerciaux à venir. C’est pour nous une condition de l’acceptabilité de ces accords.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)