« Service citoyen des mineurs délinquants : un texte qui n’apporte rien et reste sans financement » par Marietta KARAMANLI

MKphotobureau.jpg

Il y a une semaine, jeudi 15 décembre, je suis intervenue lors de l’examen en séance publique de la proposition de loi dite « Service citoyen pour les mineurs délinquants », adoptée en première lecture par la majorité UMP à l’Assemblée Nationale mais refusée par la majorité de gauche au Sénat.
Ce texte vise à permettre à de jeunes délinquants de suivre une formation dans le cadre de l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDE), donc avec un encadrement militaire.
De ce point de vue, le texte est inutile puisque que le code pénal permet déjà à un juge de prononcer une telle mesure!
De plus, le financement du dispositif n’est pas assuré ce qui risque d’avoir pour effet que ce sont les jeunes, non délinquants, volontaires pour suivre une formation encadrée qui ne pourront être acceptés.
J’ai fait remarquer que l’Assemblée Nationale avait établi un bilan de l’exécution des peines des mineurs délinquants mais que ni le Garde des Sceaux ni l’auteur de la proposition n’avaient pris la peine d’en prendre connaissance avant!
Formellement la proposition de loi ne pouvait plus être amendée, le gouvernement ayant demandé l’application de la procédure législative dite accélérée qui fait que l’Assemblée nationale et le Sénat n’examinent le texte qu’une fois au lieu de deux lors d’une procédure habituelle. De plus en plus, le gouvernement applique cette procédure qui ne devrait être qu’exceptionnelle!
Enfin le projet de loi a intégré un amendement qui modifie le code de procédure pénale : le procureur pourra demander au juge des enfants de renvoyer un mineur devant le tribunal des mineurs en jugement dans un délai compris entre dix jours et un mois, ce qui équivaut exactement à le faire convoquer sans qu’on ne puisse examiner avant sa situation et les mesures les plus appropriées au regard de son âge. Une mesure semblable a été annulée par le Conseil constitutionnel cet été.
Ce projet est donc inutile, non financé, et contient une disposition probablement non conforme à la Constitution.
Dans ces conditions j’ai indiqué, comme porte-parole, que les députés du groupe socialiste, radical et citoyen ne le voteraient pas.
A la lecture du compte-rendu, vous pourrez constater l’absence de respect et l’agressivité verbale de certains collègues de la majorité, impatients face à des propos qui les contredisent et « mettent à mal » un texte encore une fois inefficace,


MKphotobureau.jpg

Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2011-2012
Compte rendu intégral, Première séance du jeudi 15 décembre 2011

« Service citoyen pour les mineurs délinquants »

Mme la présidente.

La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe SRC.

Mme Marietta Karamanli.

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont notre Assemblée est saisie en dernière lecture est emblématique, au sens historique et étymologique du terme, c’est-à-dire faite de pièces rapportées et, par extension, plaquées.

À l’évidence, une logique de communication, extérieure aux enjeux mêmes de la lutte contre la délinquance des jeunes, vise à faire passer ce texte alors même que son intérêt est contestable. À bien des égards, en effet, ce dernier est superflu et inutile €“ j’y reviendrai.

Je formulerai trois critiques majeures.

La première porte sur la méthode et la procédure. Cette proposition de loi est discutée dans le cadre de la procédure accélérée.

M. Jacques Alain Bénisti.

Il y a urgence !

Mme Marietta Karamanli.

Le Sénat, saisi le 12 octobre, a débattu de cette proposition en commission le 19 octobre, avant de voter le 25 octobre en séance publique, soit treize jours après sa saisine, une motion rejetant le texte. Le peu de temps laissé à la discussion au Sénat et l’absence de garantie sur les moyens de nature à assurer la mise en Å“uvre du texte ont en effet conduit à son rejet par la majorité sénatoriale. C’est ainsi que Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois du Sénat, a pu regretter que ce texte soit examiné dans le cadre de cette procédure, rappelant d’ailleurs qu’il n’était pas amendable.

M. Jacques Alain Bénisti.

Quelle irresponsabilité !

Mme Marietta Karamanli.

Nos collègues sénateurs ont bien indiqué €“ propos auxquels M. le garde des sceaux sera certainement sensible puisqu’il est lui-même issu de la Haute Assemblée €“…

M. Éric Raoult.

Elle a bien changé !

Mme Marietta Karamanli.

…que dans l’hypothèse d’une deuxième lecture €“ que leur refusait le choix de la procédure accélérée €“, ils n’auraient pas adopté une telle motion de rejet préalable.

M. Jacques Alain Bénisti.

On s’interroge sur l’utilité du Sénat !

Mme Marietta Karamanli.

Dans ces conditions, la commission mixte a échoué.

Le choix du Gouvernement de faire adopter un tel texte selon cette procédure est problématique. Les députés socialistes ne peuvent que partager les préoccupations exprimées par nos collègues sénateurs dont nous nous sommes fait largement l’écho en première lecture.

Une procédure contestable

Examiné selon la procédure accélérée, ce texte ne revient devant l’Assemblée nationale que pour y être adopté en une seule et petite séance, sans véritable possibilité pour les députés de discuter et encore moins de modifier le texte.

Seuls les amendements du Gouvernement pourraient être discutés et adoptés. Ce dernier peut toujours faire valoir les statistiques relatives aux nombres d’heures de débats dans l’hémicycle : il n’empêche que le recours systématique à la procédure accélérée finit par poser un véritable problème démocratique et constitutionnel.

M. Jacques Alain Bénisti.

Il y a urgence à légiférer !

Mme Marietta Karamanli.

Que le Gouvernement ait systématiquement recours à la procédure d’urgence revient à vider de son sens la procédure, prévue par la Constitution, de la double lecture par chacune des assemblées.

Pourquoi existe-t-elle, si le Gouvernement peut systématiquement s’en passer sans porter atteinte à la qualité et à la nature des débats ?

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est hors sujet !

Mme Marietta Karamanli.

Ce texte aurait, il est vrai, le mérite d’être une proposition de loi.

Je ferai deux observations. Le jour même où la commission des lois, le 7 juin dernier, examinait le rapport sur la mission d’information relative à l’exécution des décisions de justice pénale concernant les personnes mineures, un rapport était rendu au Président de la République par le député qui allait déposer par la suite cette proposition de loi tandis que le garde des sceaux présentait le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.

Et cela marche bien !

Mme Marietta Karamanli.

Comme je l’indiquais alors devant la commission, si le rapport soulignait bien les spécificités de la justice des mineurs, ni l’auteur du rapport au Président de la République ni le Gouvernement n’avaient pris la peine d’attendre les travaux de la mission pour éventuellement s’en inspirer ! Vous l’avez d’ailleurs reconnu, monsieur le garde des sceaux.

Par ailleurs,cette proposition est un véhicule législatif qui tient autant du projet que de la proposition mais qui, en prenant le seul habit de la proposition, évite l’étude d’impact donc une évaluation a priori de l’existant et un passage devant le Conseil d’État. Ces habiletés n’ont au final qu’un effet : réduire la place et le rôle du Parlement et déprécier la qualité de nos propres lois.

Un texte qui n’apporte rien

Ma deuxième critique concerne l’objectif même du dispositif. La proposition de loi part du constat suivant, indiqué dans l’exposé des motifs : « Alors même que les chiffres de la délinquance sont globalement en baisse depuis 2002, le nombre de mineurs délinquants est, lui, en augmentation. »

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est vrai !

Mme Marietta Karamanli.

Si le nombre de mineurs interpellés par les services de police et de gendarmerie a augmenté depuis 2002, passant de 180 382 mineurs en 2002 à 216 243 mineurs en 2010, cet accroissement résulte probablement d’un recours plus fréquent aux services de police et de gendarmerie, en vue de constater de petites infractions. Par ailleurs, cette augmentation demeure moindre que celle constatée chez les majeurs. En effet, entre 2002 et 2010, le nombre de majeurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie a crû quant à lui de près de 30 %.

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est bien qu’il y a urgence !

M. Éric Raoult.

Vous êtes dans la contradiction !

Mme Marietta Karamanli.

Je l’ai dit lors de l’examen en première lecture, s‘il faut être dur avec la délinquance, il faut d’abord être dur avec les causes de la délinquance.

M. Jacques Alain Bénisti.

Alors votez ce texte !

M. Éric Raoult.

Naïve !

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur Raoult, je vous en prie !

Mme la présidente.

S’il vous plaît, mes chers collègues, un peu de calme ! Seule Mme Karamanli a la parole.

Mme Marietta Karamanli.

Plusieurs études effectuées sur le plan international montrent que plus les relations dans un pays sont inégales, plus les comportements délinquants et violents augmentent. Et cette réalité touche aussi les jeunes.

La proposition entend mettre en place un nouveau dispositif avec la volonté de montrer qu’il faut faire plus sans que l’on ait eu, comme je l’indiquais, une vraie discussion sur la délinquance des jeunes, sur le bilan des dix dernières années, sur ce qui a marché et ce qui n’a pas marché, notamment les formules proches de celle-ci telle celle des « Jeunes en équipes de travail », abandonnée en 2004.

M. Jacques Alain Bénisti.

Vous allez donc voter ce texte ?

Mme Marietta Karamanli.

Sur le fond, la proposition de loi crée une mesure d’éducation dite volontaire de la part de mineurs délinquants, à réaliser dans le cadre de l’établissement public d’insertion de la défense. Pratiquement, cela revient à proposer à un jeune délinquant de suivre une formation dispensée par un EPIDE. Or le code pénal permet d’ores et déjà de placer des jeunes dans des établissements habilités.

L’article 10 de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante permet le placement de mineurs dans des établissements ou institutions d’éducation, de formation professionnelle ou de soins, c’est-à-dire des centres habilités de l’État ou d’une administration publique.

De plus, la composition pénale prévoit d’ores et déjà « le suivi de façon régulière d’une scolarité ou d’une formation professionnelle ». De surcroît, l’ajournement permet « le placement dans un établissement public ou habilité à cet effet ».

Par ailleurs, le sursis à mise à l’épreuve comprend dans les obligations de l’article 132-45 du code pénal celle d’« exercer une activité professionnelle ou [de] suivre un enseignement ou une formation professionnelle ».

L’ordonnance de 1945 permet donc déjà aux juges des enfants, si telle est la volonté du Gouvernement, par le biais de conventions, de placer des mineurs délinquants dans les centres relevant de l’EPIDE.

Vous l’avez reconnu, monsieur le garde des sceaux, l’autorité judiciaire dispose aujourd’hui d’une large palette de solutions permettant d’adapter la réponse pénale au profil du délinquant. Elle demande simplement de l’élargir.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.

C’est bien ce que nous continuons à faire !

Mme Marietta Karamanli. Reste que nous ne disposons pas d’une évaluation qualitative des mesures et de leur efficacité. Malgré cela, on nous demande d’en ajouter encore !

Lors de son audition, le directeur de l’EPIDE a exprimé son inquiétude. Il a d’ailleurs été suivi par la commission de la défense qui a rejeté ce texte.

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est un mensonge, il est pour le projet !

Mme la présidente.

Monsieur Bénisti, seule Mme Karamanli a la parole !

Mme Marietta Karamanli.

À cette confusion des dispositifs, s’ajoute le risque soulevé par les députés socialistes à l’occasion de la première lecture : à moyens constants, l’EPIDE n’aura plus le choix que d’accueillir des mineurs plus contraints que désireux d’y être et les jeunes véritablement volontaires ne pourront plus y aller. Certes, le Gouvernement annonce des crédits mais, en l’état, le projet de loi de finances pour 2012 ne porte pas l’inscription de ces crédits. Si un « bleu » de Matignon a vocation à annoncer un arbitrage officiel, l’inscription budgétaire n’est pas faite et celle-ci n’équivaut pas, surtout en période de coupes budgétaires, au constat a priori de sa réalité. Faut-il rappeler que les moyens de la protection judiciaire augmentent moins vite que l’inflation, ce qui nous prive collectivement d’actions concrètes pour prévenir les actes délictueux et la récidive ?

À la confusion des objectifs fait pendant la confusion des mots. On tente de maintenir l’idée d’un volontariat au travers de l’idée d’un contrat de service, notion juridique assez floue.

Côté efficacité, les données relatives aux jeunes majeurs accueillis par les centres EPIDE après et avant sentence, dans le cadre et au titre de la protection judiciaire de la jeunesse, montrent que les résultats sont, en l’état, très relatifs. Après sentence, peu seraient insérés. Avant sentence, l’effet positif serait des plus limités.

La présence d’un « escadron » législatif

Ma troisième critique porte sur l’extension de l’objet initial de la proposition de loi par un amendement gouvernemental.

C’est en ce sens que j’évoquais un véhicule législatif, ou plutôt, un hybride législatif, fait, d’une part, d’une proposition de loi et, d’autre part, d’un cavalier législatif d’origine gouvernementale portant modification du code de procédure pénale et de la justice des mineurs.

En effet, la proposition contient un article 6 sans lien direct avec l’objet de la proposition de loi. Plutôt que de parler d’un cavalier législatif, il conviendrait d’évoquer un escadron législatif, pour signifier que cet amendement est indépendant du reste du texte, mais aussi dangereux.

[[Un « cavalier législatif » est une mesure introduite dans les autres types de lois ordinaires par un
amendement dépourvu de lien avec le projet ou la proposition de loi déposé]]

M. Jacques Alain Bénisti.

Nous sommes en guerre, c’est pour cela qu’il y a des cavaliers !

Mme Marietta Karamanli.

Cet article, qui est le résultat d’amendements gouvernementaux, emporte de nouvelles modifications de la justice pénale des mineurs pour tenir compte de décisions du Conseil constitutionnel rendues l’été dernier.

D’une part, les dispositions qui visent à garantir le principe d’impartialité en imposant de ne pas faire présider le tribunal des mineurs par un juge des enfants pouvaient attendre le 1er janvier 2013, délai donné par le Conseil constitutionnel pour mettre en conformité la loi avec la Constitution.

D’autre part, le même article 6 prévoit que, dans le cadre de la procédure de présentation immédiate devant le tribunal correctionnel des mineurs institué par la loi du 5 août 2011, le procureur pourra demander au juge des enfants de renvoyer le mineur devant ce tribunal en jugement dans un délai compris entre dix jours et un mois, ce qui équivaut exactement à la procédure de convocation par officier de police judiciaire censurée par le Conseil constitutionnel.

Les magistrats vous ont posé une question pratique et concrète : Quelles procédures appropriées à la recherche du relèvement éducatif et moral pourront être menées en dix jours, voire un mois ? Peut-être consentirez-vous, monsieur le garde des sceaux, à nous dire ce qu’il en sera.

La disposition ne fait qu’organiser les délais de la comparution sans apporter les garanties utiles et nécessaires.

Comme je l’ai dit, la méthode choisie pour modifier la justice des mineurs n’est pas à la hauteur des enjeux de société et des exigences constitutionnelles du droit.

Pour toutes ces raisons, les députés socialistes n’entendent pas voter ce texte.

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est contradictoire !

Mme Marietta Karamanli.

En première lecture, les députés socialistes avaient déposé plusieurs amendements visant à maintenir la spécificité de l’EPIDE et à éviter toute confusion entre l’activité de celui-ci et le service citoyen tel que vous le concevez et le proposez.

M. Jean-Claude Viollet.

Très bien !

Mme Marietta Karamanli.

Tous ces amendements ont été refusés. Vous ne pouvez pas dire que nous avons refusé la discussion !

M. Jacques Alain Bénisti.

Vous avez déposé des amendements de suppression, arrêtez de dire n’importe quoi ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Marietta Karamanli.

Lisez leur exposé sommaire, monsieur Bénisti !

M. Jacques Alain Bénisti.

Vous êtes de mauvaise foi !

Mme Marietta Karamanli.

C’est vous qui êtes de mauvaise foi !

Mme la présidente.

Monsieur Bénisti, seule Mme Karamanli a la parole !

Mme Marietta Karamanli.

Nous ne pouvons que regretter la méthode et la portée de ce texte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Éric Raoult.

Double langage !

M. Jean-Claude Viollet.

Un peu de respect, monsieur Raoult !

Mme Marietta Karamanli.

Quelle agressivité !

Mme la présidente.

Mes chers collègues, écoutons Mme Karamanli !

Mme Marietta Karamanli.

Nous voterons contre ce texte, comme l’a fait la commission de la défense où vous êtes pourtant majoritaires, mes chers collègues ! Oui, nous voterons contre ce texte…

M. Jacques Alain Bénisti.

C’est une honte, vous ne pensez pas ce que vous dites !

M. Jean-Claude Viollet.

On n’est jamais déçus avec M. Bénisti !

Mme Marietta Karamanli.

…qui se veut spectaculaire, conformément à vos méthodes, mais qui n’est en aucun exemplaire. Nous voulons de l’exemplarité !

(Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)