« Assurance-vie : beaucoup de « bruit » pour une mesure de précaution en faveur des petits épargnants en cas de crise » par Marietta KARAMANLI

Il est un terme qui a fait son entrée dans les dictionnaires 2017 celui de « Post vérité ».
Celui-ci désigne la possibilité que face à une information, réelle ou supposée, événement ou rumeur, l’émotion l’emporte sur la raison et modèle l’opinion publique sans que celle-ci ait été à même de chercher à vérifier les faits et à faire prévaloir l’objectivité de ceux-ci.
Ce qui est vrai pour des sujets de société l’est aussi pour des sujets techniques et financiers…où, à juste titre, des informations tronquées, partielles et alarmistes peuvent créer des interrogations légitimes et une éventuelle crainte si les personnes « informées » ne prennent pas la peine de s’interroger sur la réalité et l’objectivité des faits.
Ainsi j’ai été interrogée par plusieurs titulaires et bénéficiaires de contrats d’assurance-vie sur une disposition de la loi dite « Sapin II » visant à mettre en place un régime de protection des petits épargnants et donnant à une autorité administrative indépendante placée sous le contrôle du juge administratif le plus élevé, le Conseil d’Etat, la possibilité sous conditions strictes de bloquer pendant une période limitée les retraits de façon à éviter l’effondrement de compagnies.
En l’espèce il s’est agi de donner à l’ Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (autorité administrative indépendante, surveillant l’activité des banques et des assurances en France) des moyens d’intervention rapides et accrus auprès des assureurs, de manière à prévenir et à limiter l’impact de leurs difficultés financières éventuelles. Comme je l’ai écrit dans une réponse que je publie sur ce site « Très concrètement tirant les conséquences de ce qui s’est passé dans les banques en 2008, l’objectif est la mise en place d’un mécanisme de résolution tel que celui-ci est d’abord et avant tout un mécanisme de protection des petits épargnants. En effet, en cas de crise grave et avérée mettant en cause la stabilité financière, il ne s’agirait pas de palier simplement une difficulté de liquidité ponctuelle, il conviendrait d’éviter que les gros épargnants, informés et avisés, retirent progressivement la totalité des sommes qu’ils avaient déposées dans le cadre d’une assurance-vie, au point que l’organisme d’assurance se retrouve à un moment donné dans l’incapacité de faire face aux autres demandes de retrait. Les victimes en seraient alors les plus petits épargnants, qui ne disposeraient évidemment pas, eux, du même type d’information, et qui ne pourraient plus rien retirer parce que leur compagnie d’assurance aurait été mise en faillite, ce qui les placerait, eux, en très grande difficulté. »
Les conditions ont été définies précisément, une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif de ces personnes ou pour la stabilité du système financier, conservatoires ;
Les modalités d’intervention sont connues « il pourra par exemple limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, et ce, pour une période de trois mois. » ;
Elles sont aussi limitées dans le temps ;
Enfin elles seront contrôlées par le juge, indépendant.
Le Conseil Constitutionnel, saisi de la loi adoptée ,a lui-même considéré que la motivation du législateur était l’intérêt général et qu’eu égard au différentes garanties légales apportées, la mesure n’était pas disproportionnée au but poursuivi
Ainsi ce qui doit être une mesure de protection des petites épargnants est bien ce qu’elle est une mesure d’intérêt général, entourée de garanties et visant à réguler un système où face à une crise majeure le retrait de certains pourrait valoir la ruine des autres. Il m’est apparu utile de rappeler les faits, les motivations, les garanties et la décision du Conseil Constitutionnel sur un sujet sensible auquel j’ai été et je reste vigilante.
J’étais en effet intervenue auprès des collègues députés rapporteurs à l’Assemblée et auprès du Ministre sur ce sujet.
Ma lettre en réponse aux titulaires d’un contrat d’assurance vie.


term_assurance.jpg

Ma lettre en réponse aux titulaires et bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie

« Madame, Monsieur,
Vous avez bien voulu, par un courriel ou courrier en date du (jj/mm/aa) , me faire part de vos interrogations s’agissant de l’intervention de l’Etat vis à vis des compagnies et des contrats d’assurance-vie.
Je me permets de porter à votre connaissance les éléments d’information suivants.

Sur le fond

Comme vous, je considère que la question évoquée est importante. Il s’agit d’un sujet pour lequel je suis personnellement intervenue notamment pour les autres secteurs de l’assurance (assurance-dommages et assurance complémentaire santé), auprès du rapporteur pour la commission des lois et du rapporteur pour la commission des finances ainsi qu’auprès du cabinet du Ministre de l’économie.

Un mécanisme de protection

La disposition en question est une disposition votée dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « Sapin 2 » concernant le secteur de l’assurance (article 21 bis du projet) devenue l’article 49 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016.
Plus précisément il s’agit de la disposition visant « à étendre les missions macro-prudentielles du Haut Conseil de Stabilité Financière à l’assurance vie» et à l’émergence d’un régime macro-prudentiel inspiré du régime macro-prudentiel bancaire pour le secteur assurantiel. En l’espèce il s’agit de donner à l’ Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (autorité administrative indépendante, surveillant l’activité des banques et des assurances en France) des moyens d’intervention rapides et accrus auprès des assureurs, de manière à prévenir et à limiter l’impact de leurs difficultés financières éventuelles. Dit autrement, il s‘agit de mieux surveiller l’activité des compagnies d’assurances en France.
Très concrètement tirant les conséquences de ce qui s’est passé dans les banques en 2008, l’objectif est la mise en place d’un mécanisme de résolution tel que celui-ci est d’abord et avant tout un mécanisme de protection des petits épargnants. En effet, en cas de crise grave et avérée mettant en cause la stabilité financière, il ne s’agirait pas de palier simplement une difficulté de liquidité ponctuelle, il conviendrait d’éviter que les gros épargnants, informés et avisés, retirent progressivement la totalité des sommes qu’ils avaient déposées dans le cadre d’une assurance-vie, au point que l’organisme d’assurance se retrouve à un moment donné dans l’incapacité de faire face aux autres demandes de retrait. Les victimes en seraient alors les plus petits épargnants, qui ne disposeraient évidemment pas, eux, du même type d’information, et qui ne pourraient plus rien retirer parce que leur compagnie d’assurance aurait été mise en faillite, ce qui les placerait, eux, en très grande difficulté.
L’autorité de contrôle prudentielle du secteur, avait déjà la possibilité de prendre des mesures de blocage des rachats de l’assurance-vie au cas par cas, pour une seule compagnie d’assurance. Il s’agissait jusqu’ici d’une mesure « micro-prudentielle ». Le gouvernement se dote cette fois d’une arme plus puissante qui permettrait d’intervenir sur l’ensemble du secteur.
Concrètement le Haut Conseil de stabilité financière pourra décider certaines mesures sur proposition du gouverneur de la Banque de France, président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, afin de prévenir des risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif de ces personnes ou pour la stabilité du système financier, conservatoires ; il pourra par exemple limiter temporairement l’exercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, et ce, pour une période de trois mois.

Les garanties apportées en matière d’assurance-vie

Les sénateurs de l’opposition « Les Républicains », majoritaires au Sénat, et les députés de la majorité gouvernementale ont exprimé une préoccupation commune et légitime que j’ai soutenue en matière d’assurance-vie : il ne faut pas que le système de résolution empêche, en particulier les petits épargnants, de procéder à des retraits, souvent de petites sommes, pour faire face à des situations difficiles de leur vie.
C’est ainsi que la mesure a été précisée et subordonnée à des conditions :

 l’objet de la mesure est précisément défini ; une menace grave et caractérisée pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif de ces personnes ou pour la stabilité du système financier,

 les actions possibles sont limitativement prévues,

 enfin leur durée est encadrée.
De son côté, la Fédération française de l’Assurance a indiqué par la voix de son Président M Bernard Spitz, « On a réécrit des choses, qui en pratique existaient déjà ».
Les députés de l’opposition ont pu, eux-mêmes, indiqué ne pas remettre « en cause le principe du dispositif parce qu’il s’appliquerait dans une situation par nature exceptionnelle ». Au final le dispositif est un dispositif de protection des épargnants, conditionné, encadré et limité dans le temps.

Le projet de loi adopté, a fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel …

qui a estimé que les garanties apportées lui apparaissaient suffisantes. En l’espèce la Conseil Constitutionnel a estimé dans sa Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016,
je cite,
« En premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre la prévention de risques représentant une menace grave et caractérisée soit pour la stabilité du système financier, soit pour la situation financière de l’ensemble ou d’un sous-ensemble significatif des organismes du secteur de l’assurance. Les prérogatives attribuées au Haut conseil de stabilité financière visent en particulier à parer aux risques, pour les épargnants et pour le système financier dans son ensemble, qui résulteraient d’une décollecte massive des fonds placés dans le cadre de contrats d’assurance-vie. Ce faisant, le législateur a poursuivi un but d’intérêt général.
En second lieu, d’une part, les mesures conservatoires ne peuvent être prises par le Haut conseil de stabilité financière que sur proposition du gouverneur de la Banque de France, après avoir recueilli l’avis du collège de supervision de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Par ailleurs, lorsqu’il recourt à ces mesures, le Haut conseil doit veiller à la protection non seulement de la stabilité financière dans son ensemble, mais aussi des intérêts des assurés, des adhérents et des bénéficiaires.
D’autre part, ces mesures sont décidées pour une période maximale de trois mois. Elles ne peuvent être renouvelées que si les conditions ayant justifié leur mise en place n’ont pas disparu et après avoir recueilli l’avis du comité consultatif de la législation et de la réglementation financières. En outre, si les mesures de limitation du paiement des valeurs de rachat, prévues au c du 5° ter, peuvent temporairement priver les assurés de la possibilité de retirer tout ou partie des capitaux accumulés au titre de leur contrat d’assurance-vie, ces mesures ne peuvent être maintenues plus de six mois consécutifs.
Enfin, en application du c du 2° de l’article 49 de la loi déférée, les mesures conservatoires prises par le Haut conseil de stabilité financière sont rendues publiques et susceptibles d’un recours en annulation devant le Conseil d’État.
Compte tenu du motif d’intérêt général poursuivi et des différentes garanties légales qui précèdent, l’atteinte portée par les dispositions contestées au droit de propriété, à la liberté contractuelle et au droit au maintien des contrats légalement conclus n’est pas disproportionnée. Les griefs tirés de la méconnaissance des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration de 1789 doivent donc être écartés. En conséquence, les troisième à dixième alinéas du b du 2° de l’article 49 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution. »
De la sorte le juge constitutionnel estimé conforme à la Constitution la disposition en cause. »
Espérant avoir répondu au moins partiellement à vos interrogations et restant à votre disposition, je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l’assurance de mes salutations les meilleures.

Marietta KARAMANLI

Source image : wikimédia commons