Vendredi 5 novembre je suis intervenue en séance publique lors de la discussion du projet de budget 2011 sur les crédits de la mission dotations de l’Etat aux collectivités territoriales. J’ai critiqué le projet de budget qui, sous couvert de geler les crédits aux communes, départements et régions, les diminue. En effet le taux d’augmentation depuis deux ans ne suit plus l’inflation ce qui oblige les collectivités territoriales à faire autant avec moins de moyens. Si ces dotations ne constituent qu’une part limitée des crédits de l’Etat vers les collectivités, ces derniers (55 milliards d’‚¬) sont néanmoins presque deux fois moins importants que l’augmentation de la dette de l’Etat sur une année (90 milliards d’‚¬). De la sorte l’Etat en gelant ses dotations aux collectivités territoriales leur fait payer sa mauvaise gestion et son refus de mieux soumettre les plus riches à l’impôt ! De plus les effets de la réforme de la taxe professionnelle créé des incertitudes sur les autres ressources des collectivités qui sont le premier investisseur de France devant l’Etat. Celui-ci en ne compensant pas comme il devrait le faire les dépenses sociales des départements les met en difficultés. Enfin le fonds de compensation de la TVA qui sert à « rembourser » partiellement la TVA sur les investissements des collectivités territoriales devrait diminuer, leurs investissements ayant baissé ; les remboursements anticipés n’ont pas permis de créer une dynamique suffisante pour les maintenir. A cela s’ajoute l’adoption de la réforme des collectivités territoriales qui va brider celles-ci. De la sorte le « gel » de 2,5 Milliards d’‚¬ de dotations aux collectivités territoriales est significatif d’une volonté de faire payer aux collectivités territoriales et aux contribuables locaux une mauvaise gestion de l’impôt national et un endettement excessif.
Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011
Compte rendu intégral
Deuxième séance du vendredi 5 novembre 2010
Mme Marietta Karamanli.
Le projet annuel de performances fixe trois orientations majeures : la compensation des charges transférées dans le cadre de la décentralisation ou les pertes de produit fiscal induites par des réformes des impôts locaux, l’accompagnement de l’investissement, et le renforcement de la péréquation que les orateurs précédents ont évoqué.
Nous sommes tentés de dire : « chiche », mais ici comme ailleurs les mots omettent la réalité financière actuelle des collectivités, cachent une réelle mise en cause de l’investissement local et font de la péréquation un sujet de consolation.
Pour citer Shakespeare : « les mots ne sont que des mots. »
Sur le fond, je souhaite faire trois observations.
Premièrement, ces dotations ne sont pas gelées mais régressent !
Le projet de budget, tel qu’il nous a été présenté avec ses quatre programmes serait en augmentation de 0,20 %. Cette augmentation, on ne peut plus minime, est néanmoins à mettre en relation avec l’évolution du coût de la vie. L’année passée, le projet de budget a été voté avec une hypothèse d’inflation à 1,2 % alors même qu’elle sera probablement en fin d’année de 1,7 %, soit 0,5 point d’écart.
En 2011 les prévisions d’augmentation vont de 1,5 à 2 %. Ainsi, il aurait fallu ajouter 43 millions d’euros pour réaliser le seul ajustement à l’évolution des prix. Les crédits de cette mission ne sont donc pas gelés, mais en baisse, puisque les collectivités auront en réalité moins pour faire autant.
Certes, monsieur le ministre, vous me répondrez que les quelque 2 milliards 480 millions d’euros que représentent les crédits de la mission ne sont qu’une partie des flux en provenance de l’État, à peine 5 %, puisque les prélèvements sur les recettes de l’État au profit des collectivités territoriales, qui figurent à l’article 27 de la loi de finances, atteignent 55,3 milliards d’euros.
Je rappellerai de mon côté que ce dernier montant reste minime comparé à la seule augmentation de l’encours de la dette de l’État, que le projet de budget fixe à 90 milliards d’euros entre la fin 2010 et la fin 2011. Cela revient à dire que notre pays finance aujourd’hui par l’emprunt non seulement les intérêts de sa dette mais aussi une bonne partie de ses dépenses courantes.
À l’inverse, le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques met en évidence que les collectivités locales sont parvenues à réduire leur déficit en 2009, le ramenant de 0,4 % à 0,3 %, alors même qu’elles ne peuvent recourir à l’emprunt que pour leurs investissements tandis que l’État, de son côté, ne se prive pas d’emprunter depuis plusieurs années. Autrement dit, les collectivités sont mises à la diète par un État qui continue de manger en empruntant.
Ma deuxième observation concerne la situation financière réelle des collectivités locales.
Leur situation peut être qualifiée d’incertaine pour toutes et de difficile, voire grave, pour un très grand nombre.
Les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur le calcul du potentiel financier des collectivités locales ne seront connues qu’en 2011, donc après la discussion sur les dotations venant compléter leurs recettes fiscales.
Par ailleurs, si l’on évoque beaucoup la nécessité de maintenir un fort niveau de péréquation entre les collectivités territoriales, les mécanismes évoqués restent eux-mêmes incertains ou flous dans leurs effets.
Pour ce qui est des modalités de péréquation dans le cadre des nouvelles recettes de substitution à la taxe professionnelle, Il est évoqué une péréquation sur les flux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises écrêtée à 50 % de la croissance cumulée à partir de 2011, et une redistribution en fonction des critères de ressources et de charges.
De plus, il apparaît acquis aujourd’hui que les moyens du fonds de péréquation des droits de mutation à titre onéreux alimenté par les seuls droits de mutation seront insuffisants pour faire face aux charges contraintes qui pèsent sur les budgets.
À bien des égards ces mécanismes apparaissent opaques, peu accessibles, et constituent finalement un obstacle à l’équité qu’ils sont censés servir.
La situation est également difficile ou grave pour un grand nombre de collectivités. Prenons l’exemple des départements : s’agissant des trois allocations de solidarité versées par les départements, l’APA, la PCH et le RSA, le ministre du budget a annoncé des solutions aux difficultés des départements qui apparaîtraient à l’occasion de la réforme du financement de la dépendance, qui doit être enclenchée dans la foulée de celle des retraites.
Il existe déjà une dette constituée qui risque de ne pas être prise En charge. Dans son rapport thématique sur la décentralisation d’octobre 2009, la Cour des comptes rappelait que la dépense globale de l’APA pour 2008 avait été de 4,8 milliards d’euros, laissant aux départements une charge nette de 3,2 milliards.
Le ministre du budget a évoqué une réforme de la dépendance pour régler la question de son financement, mais les propositions dont il fait état font une part croissante au recours à l’épargne privée et au désengagement de la solidarité nationale, je dis bien nationale, et non locale.
Dès lors, deux questions se posent : comment sera traitée la dette déjà constituée et laissée à la charge des contribuables locaux ? Et la réforme annoncée ne constituera-t-elle pas un nouveau désengagement de l’État et de la solidarité ?
Parallèlement, le secrétaire d’État a annoncé la mise en Å“uvre d’une mission d’appui chargée d’aider les départements en situation d’urgence financière : ceux qui s’estimeraient en situation de grande difficulté pourront s’engager dans un contrat de stabilité aux termes duquel ils pourront recevoir une avance, voire une dotation, en échange d’un programme de stabilisation de leurs dépenses.
Cela aboutit à ce que l’insuffisance de la compensation par l’État conduise les départements à se soumettre aux orientations de celui-ci dans leur gestion, pour obtenir son aide.
Il s’agit à l’évidence d’une régression sans précédent de la décentralisation, une sorte de mise sous tutelle, certes élégante, car prenant la forme d’un contrat.
Le groupe socialiste a fait plusieurs propositions visant à assurer une plus grande transparence des dépenses, une réelle autonomie des collectivités et une meilleure compensation des charges supportées par les départements.
Ma troisième observation est relative aux investissements des collectivités territoriales. Je rappellerai tout d’abord qu’en matière d’investissements publics les collectivités territoriales sont les principaux opérateurs puisqu’elles assument 75 % du volume annuel.
Pour reprendre le terme officiel, « la stabilisation des dotations » aux collectivités territoriales ne concerne pas toutes les dotations, le Fonds de compensation de la TVA restant extérieur au périmètre du gel. Ainsi il serait acquis que les dotations aux collectivités territoriales ne seront pas pénalisées par la croissance des investissements que celles-ci pourraient mener.
Permettez-moi de douter de cette version officielle.
D’une part, Le FCTVA est calculé avec un taux de compensation forfaitaire appliqué aux dépenses d’investissement. Autrement dit, l’État a une marge entre ce qui lui est versé par les collectivités et ce qu’il leur rembourse.
Ensuite, en 2011, du fait d’un recul de l’investissement, les remboursements devraient diminuer d’environ 3,1 %. Dans ces conditions, sortir le FCTVA de l’enveloppe normée, qui était partiellement indexée sur l’inflation, revient en apparence à garantir sa progression hors de tout gel, tout en sachant qu’il diminuera.
D’après la Cour des comptes, les remboursements anticipés de la TVA au titre du FCTVA ont eu une sorte d’effet d’aubaine permettant aux collectivités d’assainir le financement d’investissements déjà prévus, mais sans qu’il y ait constitution d’un stock permettant d’enclencher en 2010-2011 une dynamique supplémentaire.
Au final, l’image d’un FCTVA sanctuarisé paraît relever davantage de la méthode Coué ou de l’habillage, sans effet sur un recul attendu de l’investissement, ce dont aucun élu national ou local et aucun citoyen attentif à son avenir ne peut se satisfaire.
Le thème de la réforme territoriale a été abordé, nous y reviendrons. Le texte a été soumis à la CMP. Il prévoit d’attribuer à chaque catégorie de collectivité des compétences exclusives, même si elles ne sont pas encore définies. Seules échapperont à cette exclusivité les compétences en matière de tourisme, de culture et de sport, qui seront partagées entre les communes, les départements et les régions.
Les études ont montré qu’en matière de dépenses de fonctionnement seules 6 % de celles-ci visaient des charges qualifiables de financements croisés, ces derniers répondant le plus souvent aux intérêts complémentaires des contribuables locaux, départementaux et régionaux.
En matière d’équipement, 30 % des dépenses des régions et départements portaient sur des opérations où les compétences étaient partagées. Le fait qu’une région finance dans une ville ou un département un équipement à vocation régionale ou départementale ne paraît ni incongru ni déraisonnable.
Dans cette perspective, le gel de près de 2,5 milliards d’euros constituant une diminution du pouvoir d’achat réel des communes et des départements pourrait apparaître presque anecdotique s’il ne constituait et n’anticipait une modification radicale des relations entre un État endetté et des collectivités territoriales privées de leur autonomie et de leur dynamisme.
J’espère que nous allons pouvoir dans quelques instants obtenir des éléments de réponse et surtout avancer ensemble.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Photo / Marietta KARAMANLI aux côtés de plusieurs élus et de Christophe COUNIL, conseiller général de la Sarthe lors de la venue le 13 novembre dans notre département de Claudy LEBRETON, Président du Conseil général des Côtes d’Armor, Président de l’Assemblée des Départements de France