« Institution d’un corps de garde-frontières européen : une idée que je défends, une création désormais en cours » par Marietta KARAMANLI

Le 11 mai 2016 j’ai présenté, avec mon collègue Charles de La Verpillère (LR), devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale un rapport sur un projet de règlement (texte directement applicable dans la législation interne des Etats membres de l’Union Européenne) instituant un corps européen des garde-frontières. Ce document précédait et exposait un projet de résolution de l’Assemblée Nationale visant à compléter et préciser les objectifs et moyens de ce texte de l’Union.
Mon propos s’est articulé autour de trois idées : la constance avec laquelle la commission de l’Assemblée Nationale et moi entre autres nous sommes régulièrement et avec constance exprimés sur les mesures à prendre ; les enjeux récurrents au niveau de l’Union ; les mesures proposées. En effet sur mon initiative, la commission a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de voir instituer un corps de garde de frontières. Parallèlement les enjeux auxquels doit faire face notre pays et l’UE sont récurrents: une pression migratoire sans précédent ; une menace terroriste se maintenant à un niveau élevé et une augmentation continue du nombre de voyageurs. Sur le fond les mesures proposées relèvent des domaines suivants : les initiatives nouvelles à la main de l’agence : la principale innovation de ce règlement est de conférer à Frontex (l’agence européenne compétente) la capacité de prendre l’initiative de certaines mesures lorsqu’elle constate la vulnérabilité de certaines zones ou de certains Etats); la possibilité qui est donnée de faire une évaluation circonstanciée de situations amenant son intervention (il s’agit d’évaluer la capacité d’un Etat à faire face à des pressions sur la frontière extérieure) ; le pouvoir d’agir en urgence (le règlement introduit une disposition permettant à l’agence d’agir en urgence si un Etat membre est défaillant) ; le renforcement de ses capacités opérationnelles (il est, entre autres, prévu de constituer dans chaque Etat membre une réserve de personnel pouvant être mobilisée rapidement) ; enfin des attributions nouvelles dans l’organisation des opérations de retour (le projet prévoit la création d’un « bureau du retour », en charge, en lien étroit avec les services compétents des Etats Membres, du retour des réfugiés ou de tout autre individu en situation irrégulière dans leurs pays d’origine). Au final la réforme sera une bonne réforme si les acteurs, et en l’espèce, les Etats membre s’en saisissent pour la faire vivre et donner corps à cette institution nouvelle dont notre commission appelle depuis longtemps de ses vœux la mise en œuvre. La résolution adoptée par la commission a pris en compte plusieurs points d’amélioration ; elle suggère que la question de la responsabilité de l’Agence Frontex soit précisée notamment lors de l’organisation de procédures de retour qui peuvent conduire à l’emploi de la contrainte vis-à-vis des migrants et lorsque ces interventions se déroulent avec le concours d’agents de pays tiers ou sur le territoire de pays tiers. Dans le même ordre d’idées, la résolution propose l’institution d’un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil européen sur les suites données aux plaintes reçues.
Marietta KARAMANLI
Télécharger le rapport de Marietta KARAMANLI et de Charles DE LA VERPILLERE sur le site de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i3738.asp


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Commission des affaires européennes, mercredi 11 mai 2016, 16 h 30, Compte rendu n° 279
Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière sur la proposition de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (COM (2015) 671 final)

La Présidente Danielle Auroi.

Nous allons entendre nos collègues Marietta Karamanli et Charles de La Verpillière qui vont nous exposer les principaux points du projet de règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes.

La présentation de la situation et des enjeux par le co-rapporteur


M. Charles de La Verpillière, co-rapporteur.

Le Parlement européen devrait adopter en juin prochain le règlement instituant un corps européen de garde-frontières qui renforce considérablement les missions et les moyens de l’Agence Frontex pour parvenir à une gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union européenne.
Marietta Karamanli vous présentera le texte proprement dit et pour ma part je voudrais faire le point sur la question des réfugiés en remontant quelques années en arrière. Vous verrez que les sujets du droit d’asile, de la crise migratoire et par conséquent la gestion des frontières extérieures de l’Union, vont devenir le premier sujet de préoccupation des institutions européennes et même représenter une menace pour la cohésion de L’Union européenne.
On peut distinguer six étapes, les dernières se succédant à un rythme de plus en plus rapide, sous la pression des événements.
La première étape dans les années 90 est bien entendu la mise en place de l’Espace Schengen, succès considérable et emblématique en ce qu’il supprimait les frontières intérieures mais Schengen n’avait pas innové en ce qui concerne les frontières extérieures. Encore aujourd’hui, les États membres ont une compétence souveraine sur les frontières extérieures, assistés, il est vrai, par l’agence Frontex.
Il aura fallu la crise migratoire qui a vu affluer plus de un million et demi de personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières en 2015, pour qu’on prenne conscience de ce qui a posteriori apparaît comme une évidence : la décision de partager un espace commun de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle efficace des frontières extérieures.
La preuve en est que la crise migratoire aux portes de l’Europe, a eu pour conséquence la réintroduction, en principe temporaire ; des contrôles à certaines frontières intérieures, voire même leur fermeture.
La deuxième étape a été en 2013 lorsque nous avons manqué de clairvoyance pour anticiper ces flux migratoires, lors de la réforme du paquet asile.
Le principe selon lequel il revient au pays où est arrivé le migrant, de statuer sur sa demande d’asile même si le migrant n’a fait que transiter dans ce pays de premier accueil n’a pas été remis en cause. Or il est inadapté à l’arrivée massive de migrants dès lors que tout le poids repose en fait sur deux États : la Grèce et l’Italie.
En soulignant ce manque d’anticipation, je veux faire preuve d’humilité car membre de la Commission des affaires européennes à ce moment-là, je n’ai pas été plus lucide que d’autres pour prévenir cette crise.
Dans un troisième point, je voudrais souligner que si l’Union européenne n’a pas engagé de réforme de fond, elle a cependant fait face à l’urgence en adoptant des mesures pragmatiques.
Face à cette situation d’urgence, l’Union européenne a apporté des réponses en renforçant tout d’abord ses opérations de sauvetage en mer des migrants, avec l’opération Triton à partir de novembre 2014, pour prendre la relève de l’intervention Mare Nostrum, initiée par l’Italie ; puis pour renforcer la lutte contre les passeurs, a été lancée l’opération Sophia en juin 2015, avec l’approbation du Conseil de sécurité des Nations Unies (résolution 2240 du 9 octobre 2015).
L’efficacité de ces opérations Mare Nostrum, Triton, Sophia, est néanmoins limitée par un principe fondamental celui du non refoulement des demandeurs d’asile.
Au-delà de ces actions opérationnelles, la Commission a en effet présenté un agenda européen sur la migration en avril 2015 et a mis en place un schéma de répartition intra européenne des demandeurs d’asile, les hotspots étant chargés du premier accueil des réfugiés.
Ces mesures sont fondées sur l’article 78§3 TFUE(1) qui permet dans une situation d’urgence migratoire, de prendre des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés.
Les États membres de premier accueil se voient ainsi aidés dans la prise en charge immédiate des migrants, lesquels peuvent ensuite être redéployés vers les territoires d’autres États membres. Au 1er février 2016, on dénombre six hotspots en Italie avec une capacité totale d’accueil de 2 100 personnes, et cinq hotspots en Grèce avec une capacité totale d’accueil de 6 229 personnes.
L’importance de ces hotspots, qui sont en réalité des centres d’enregistrement et de triage, ne doit pas être minorée : ils sont la seule réponse qui semblait possible face à l’ampleur du phénomène, là où le jeu ordinaire des règles européennes de Dublin III ne pouvait offrir de solution. Néanmoins en pratique, ils font reposer sur la Grèce et l’Italie la charge du premier accueil.
Le schéma de relocalisation a, quant à lui, fait l’objet de deux décisions du Conseil adoptées sur le fondement de l’article 78, § 3 TFUE précité. La décision du 14 septembre 2015, prévoit ainsi la relocalisation, à travers les États membres de l’Union, de 40 000 personnes se trouvant en Italie ou en Grèce (art. 4), sous réserve qu’elles aient introduit une demande d’asile dans l’un de ces deux États et qu’elles proviennent d’un État pour lequel le taux de reconnaissance de protection est supérieur ou égal à 75 % (art. 3), ce qui permet de ne pas réduire le mécanisme aux seuls ressortissants syriens, même s’ils en sont les premiers bénéficiaires. La décision du 22 septembre 2015 prévoit une relocalisation pour 120 000 personnes supplémentaires (art. 4), avec une clef de répartition par État membre fondée sur des critères socio-économiques ((). Ces mesures provisoires, qui prévoient la relocalisation de 160 000 personnes au total, sont applicables jusqu’en septembre 2017, soit pour deux années (art. 13, § 2).
Si ces mesures provisoires de relocalisation peuvent paraître constituer la solution la plus efficace, leur mise en œuvre n’est pas à la hauteur des espérances. Selon les chiffres rendus publics par l’Union européenne elle-même, au 3 mai 2016, seules 1 440 personnes avaient effectivement pu bénéficier du mécanisme de relocalisation, sur les 160 000 prévues. Elles étaient réparties au sein de 18 des États membres – la France ayant accueilli ainsi, à cette date, 499 demandeurs d’asile venus d’Italie et de Grèce.
Tout récemment l’accord avec la Turquie a marqué une quatrième étape.
Compte tenu de la position stratégique de la Turquie qui conduisait de nombreux passeurs à convoyer à partir des côtes turques des embarcations de réfugiés jusqu’aux îles grecques, il a été décidé par l’Union Européenne de signer le 18 mars 2016, un accord avec la Turquie pour tenter de mettre fin à ces flux clandestins.
Je vous en rappelle les données essentielles :
Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière partis de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 devraient être renvoyés en Turquie. La Commission a souligné que ces retours se feront en totale conformité avec le droit de l’UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d’expulsion collective. Tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement.
Ainsi, les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d’asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d’asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l’asile ou dont la demande d’asile aura été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive seront renvoyés en Turquie.
La Turquie et la Grèce, avec l’aide des institutions et agences de l’UE, ont pris les mesures législatives nécessaires pour respecter les conditions de retour des réfugiés en respectant les exigences de la Convention de Genève. Côté turc, la situation juridique n’est cependant pas très claire. Après quelques réticences, la Turquie a adopté début avril une législation permettant d’accorder une protection temporaire aux ressortissants syriens. La situation juridique des autres réfugiés n’est pas clairement définie en dépit des assurances de la Turquie de leur offrir les mêmes garanties.
L’accord prévoit par ailleurs que pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l’UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies.
La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n’ont pas tenté d’entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l’UE.
Le premier bilan de mise en œuvre de cet accord a fait l’objet d’une Communication de la Commission Européenne le 20 avril 2016.
En tout, 385 personnes entrées clandestinement après le 20 mars et n’ayant fait aucune demande d’asile après cette même date ont été renvoyées de Grèce vers la Turquie. À ce jour, ce sont 1 292 migrants au total qui ont été renvoyés en 2016 dans le cadre de l’accord bilatéral de réadmission entre la Grèce et la Turquie, la plupart des opérations de retour ayant eu lieu en mars.
En contrepartie, 103 Syriens ont été admis dans le cadre de la réinstallation prévue par cet accord et ont pu gagner l’Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède dans un cadre légal.
Cependant, la Grèce doit faire un effort considérable pour gérer les réfugiés qui sont arrivés dans les différents hotspots et qui y sont retenus durant la période d’instruction de leur demande d’asile. La situation est assez critique et les hotspots sont devenus des centres de rétention qui sont largement saturés.
Cet accord avec la Turquie pose de multiples problèmes juridiques et politiques. Les ONG et le HCR font valoir aussi par exemple que la Turquie ne peut être considérée comme un pays tiers sûr compte tenu du sort qu’elle réserve à certaines minorités dans sa propre population. La Grèce a elle aussi fait l’objet de plusieurs décisions de jurisprudence défavorables de la part de la Cour de Justice estimant que les défaillances de cet État dans l’instruction des demandes d’asile rendaient impossible le renvoi de certains migrants dans ce pays en application de la Directive Dublin III qui prévoit que c’est le pays de premier accueil qui doit instruire la demande d’asile.
Les contreparties accordées à la Turquie à savoir la libéralisation du régime des visas pour les citoyens turcs pour autant que tous les critères de référence soient respectés et la relance du processus d’adhésion de ce pays à l’Union européenne, ont été considérées comme très, voire trop, favorables d’autant plus que l’Union s’est engagée à verser une somme de trois milliards pour l’accueil des réfugiés en Turquie et assurera le financement d’autres projets en faveur de personnes bénéficiant d’une protection temporaire dans ce pays. Le 4 mai dernier, la Commission a donné son accord pour la levée de l’obligation de visas pour les citoyens turcs sous réserve de derniers ajustements de la part de la Turquie. Mais le Président Erdogan ne souhaite pas modifier sa législation antiterroriste que l’Union européenne trouve trop extensive. L’accord sur les réfugiés pourrait être remis en cause suite à ce désaccord politique.
Même s’il semble fragile, cet accord semble au moins avoir dissuadé les passeurs, la Turquie ayant depuis montré plus de rigueur dans sa surveillance de ses côtes. Il est incontestable que les flux d’arrivées en Grèce se sont taris. Selon le HCR, du 1er au 23 avril 2 987 personnes sont arrivées alors que le chiffre était de 26 971 en mars, ce qui correspond à une arrivée journalière de 130 personnes contre 870 en mars.
Bien évidemment la grande inconnue demeure de savoir si les passeurs ne vont pas réorganiser les routes migratoires en passant par la Crète par exemple ou par la Libye.
Un cinquième aspect de la question migratoire porte sur le renforcement du dialogue avec les pays tiers d’où proviennent la majorité des migrants qu’ils soient des migrants économiques ou des réfugiés.
À ce titre il faut rappeler les engagements pris au Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur les migrations. Il a été prévu la création d’un fonds d’aide à l’Afrique qui devrait, à terme, être porté à 3,6 milliards d’euros. Le plan d’action vise notamment à s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de populations ; à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légale ; à prévenir la migration irrégulière, et à coopérer plus étroitement en matière de retour.
La Commission européenne considère que l’Union doit veiller au respect, par les pays tiers, de l’obligation internationale qui leur incombe de reprendre en charge leurs propres ressortissants en séjour irrégulier en Europe mais il faudrait que cette position se traduise en actes concrets. Il faudrait ainsi renforcer le lien entre partenariat économique avec ces pays d’origine des migrations et l’amélioration de la délivrance de laissez-passer consulaires.
Cette question est très importante dans une optique de moyen terme car l’Union européenne sera confrontée durant plusieurs années à ces flux migratoires. Elle a donc tout intérêt à lier aide au développement pour prévenir certaines formes d’immigration économique et régulation de l’immigration légale de travail.
Enfin, j’en arrive à mon sixième point qui porte sur la réforme du droit d’asile. Je ne dirai que quelques mots de la récente proposition de la Commission européenne concernant la réforme de l’Asile, la crise des réfugiés ayant démontré que le paquet asile de 2013 était totalement inadapté.
Alors que dans une Communication du 4 avril 2016, elle présentait des solutions alternatives, dont une très novatrice pour un régime d’asile géré entièrement par l’Union européenne avec un mécanisme permanent de quotas de réfugiés par pays, la Commission a finalement opté pour une révision plus limitée.
Le système restera fondé sur le principe d’instruction des demandes d’asile par le pays de premier accueil mais grâce à un mécanisme de répartition correcteur, un pays confronté à un nombre disproportionné de demandes d’asile pourra être aidé (mécanisme dit d’équité). La proposition prévoit un mécanisme de redistribution des demandeurs d’asile en cas de dépassement d’un chiffre « limite ». Ce chiffre de référence est établi pour chaque pays, selon sa taille et sa richesse. Le système prend également en compte le nombre de personnes en demande de protection issues d’un pays tiers et déjà admises dans l’État membre considéré.
Le palier est franchi lorsque les demandes dépassent 150 % du seuil de référence. Dans ce cas, toutes les personnes pouvant prétendre à l’asile seront automatiquement réparties dans l’Union, quelle que soit leur nationalité.
Si un État membre refuse participer à ce mécanisme, il devra verser une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d’équité, au profit de l’État membre de relocalisation.
Il est probable que ce mécanisme de localisation remplacera celui défini par la Commission en septembre 2015 qui serait donc ainsi simplement annulé sans avoir d’ailleurs été respecté par les États membres.
La Commission entend aussi imposer de nouvelles obligations aux demandeurs d’asile qui ne pourront choisir leur pays d’installation et qui devront rester dans le pays de dépôt de la demande d’asile durant le temps de son instruction afin de limiter les mouvements secondaires de flux de migrants à l’intérieur de l’UE.
Pour gérer tout cela, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) va être transformé en une Agence composée d’au moins 500 experts. Elle sera chargée « d’appliquer les nouvelles règles, de favoriser les échanges et la coopération entre les États membres, de veiller à la bonne répartition des réfugiés ».
La Commission prévoit également « l’adaptation et le renforcement » du système Eurodac pour faciliter la politique de « retour » et mieux lutter contre l’immigration illégale.
Il est peu probable que cette réforme limitée du droit d’asile suffise à rendre les politiques des États membres homogènes même si la Commission a annoncé vouloir harmoniser davantage les règles d’attribution du statut de réfugié et éviter que certains États soient plus attractifs que d’autres.
C’est pourquoi elle a annoncé qu’elle proposerait deux nouveaux règlements pour remplacer les deux directives actuelles (la première sur les procédures d’asile et la deuxième sur les critères de l’asile). Elle apportera en outre des modifications ciblées de la directive relative aux conditions d’accueil. Par ailleurs je rappelle qu’un projet de Règlement établissant une liste commune de l’Union de pays d’origine sûrs, pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, est en cours de discussion au Parlement européen.
Comme vous le voyez, l’Union européenne n’est pas restée inactive face à la crise migratoire, mais dans ce domaine encore plus qu’en matière économique ou sociale, la lenteur et la complexité du processus européen de décision sont un handicap sans même parler du manque de solidarité entre les États membres. Jusqu’à présent, les événements ont toujours pris l’Union européenne de vitesse. L’Europe a toujours été dans la réaction ou la réparation plus rarement dans l’anticipation ou la prévention.
Je laisse maintenant la parole à Marietta Karamanli qui va vous présenter le règlement sur le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes

Ma présentation du projet de règlement européen

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure.

Après l’intervention de Charles de La Verpillière qui a abordé la question de la crise migratoire et de ses implications dans la manière de gérer nos frontières communes extérieures, je vais vous présenter les principaux changements apportés par ce règlement.
Mon propos s’articulera autour de trois idées : la constance avec laquelle nous nous sommes régulièrement et avec constance exprimés sur les mesures à prendre ; les enjeux récurrents ; les mesures proposées.
Il est devenu de plus en plus évident que les différents États membres agissant en ordre dispersé ne peuvent pas convenablement relever les défis que constituent des mouvements migratoires de masse, nécessitant à la fois une prise en charge des réfugiés et leur accueil régulé, et l’arrêt aux frontières des migrants irréguliers.
Nous avons besoin de normes à l’échelle de l’Union et d’un système unifié de responsabilité partagée pour la gestion des frontières extérieures.
L’agenda européen en matière de migration adopté en mai 2015 par la Commission européenne a mis en évidence la nécessité de passer à une gestion commune des frontières extérieures, conformément à l’objectif visant à « mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures », énoncé à l’article 77 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Notre commission a émis à plusieurs reprises sa volonté de voir instituer un corps de garde de frontières.
Ainsi la résolution présentée par nos soins, Charles de La Verpillière et moi-même et adoptée par notre commission (enregistrée auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale le 11 février 2015) « sur les politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière au regard des migrations en Méditerranée » demandait « un renforcement très significatif des moyens de l’agence Frontex et de ceux mis à disposition des États membres les plus concernés » et rappelait « son soutien, à moyen terme, à la création d’un corps européen de gardes-frontières ; »
Nous avons renouvelé cette prise de position à l’occasion de notre projet résolution sur le programme européen de sécurité de l’UE (déposée auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale le 1er décembre 2015) et adopté par la commission. Elle mentionnait la position de notre commission qui, je cite, « Réitère(ait) ses observations et demandes en matière de mise en œuvre d’un corps de garde-frontières « européen » tout au long des frontières communes »
Venons-en aux enjeux récurrents. L’espace Schengen est confronté à trois défis majeurs : une pression migratoire sans précédent, une menace terroriste se maintenant à un niveau élevé et l’augmentation continue du nombre de voyageurs.
La situation géographique de l’Union européenne fait que certains États offrant une large façade maritime et de longues frontières extérieures sont particulièrement exposés, comme La Grèce, l’Italie ou Chypre. Les États Membres où arrivent les flux migratoires doivent donc être davantage soutenus et le contrôle des frontières extérieures plus intégré et modernisé. C’est dans ce contexte que la Commission a proposé le 15 décembre 2015 un nouveau Règlement portant création d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et renforçant les prérogatives de l’Agence FRONTEX.
L’actuel système fondé sur un vivier de garde-frontières mis à disposition par les États Membres auprès de l’agence FRONTEX dans le cadre des opérations conjointes, a montré ses limites. Face à une crise migratoire soudaine, le système Frontex actuel manque de réactivité car cette agence ne peut déclencher une opération conjointe qu’à la demande d’un État membre en difficulté
On constate aussi une rigidité en matière d’affectation des moyens ; Frontex est tributaire de l’implication des EM qui se montrent plus réticents en période de fortes tensions budgétaires. Frontex se heurte enfin à la compétence limitée des garde-frontières mis à disposition de l’agence car opérant sous l’égide de FRONTEX dans l’EM hôte, ces garde-frontières ont des pouvoirs moindres que les agents nationaux comme par exemple pour la consultation de certains fichiers de police.
Au constat d’enjeux à prendre en compte font écho…les mesures proposées.
Sur la forme, il faut tout d’abord saluer la rapidité avec laquelle la Commission et les États membres ont mené les négociations pour aboutir à un compromis. Ce texte représente l’aboutissement de longs efforts mais il ne va pas jusqu’à créer un corps autonome de garde-frontières européens sous la seule responsabilité de l’Agence Frontex.
Cette évolution aurait heurté de front tous les États membres soucieux de préserver leur souveraineté nationale même si elle est mise à mal par les flux migratoires ou par les menaces terroristes.
Le texte proposé reste donc dans une construction de compromis, le corps européen de garde-frontières sera constitué par la coopération entre les agents mis à disposition par les États membres et des personnels propres de Frontex qui interviendront sous la responsabilité opérationnelle de l’Agence dont les prérogatives sont renforcées.
Sur le fond, et pour la commodité de l’exposé je distinguerai, les initiatives nouvelles à la main de l’agence, ses pouvoirs d’agir en urgence, le renforcement de ses capacités opérationnelles et enfin ses attributions nouvelles dans l’organisation des opérations de retour.
Une étape symbolique a été franchie : la gestion des frontières extérieures ne relève plus de la seule responsabilité des États membres mais le principe d’une gestion européenne intégrée des frontières est posé qui repose sur la responsabilité partagée entre Frontex et les autorités nationales (art 5). L’Agence Frontex voit ses prérogatives accrues car elle a la charge de définir une stratégie technique et opérationnelle de surveillance des frontières. C’est surtout en cas de crise grave mettant en danger le fonctionnement de l’espace Schengen que l’Agence aura un rôle majeur pour proposer des mesures correctrices à l’État défaillant ou décider de mesures urgentes pour répondre à la menace.
La principale innovation de ce Règlement est de conférer à Frontex la capacité de prendre l’initiative de certaines mesures lorsqu’elle constate la vulnérabilité de certaines zones ou de certains États.
Le règlement définit de manière détaillée les missions de l’Agence (art 6 et 7) qui peuvent être résumées ainsi :
L’agence aura d’abord à établir une stratégie opérationnelle et technique pour la mise en œuvre de la gestion intégrée des frontières, elle supervisera le contrôle effectif des frontières extérieures de chaque EM, via un volet préventif et un volet correctif. Le volet préventif se traduirait par une « évaluation de vulnérabilité » élaborée par l’Agence des EM face à la pression migratoire, en complément des évaluations prévues dans le Code Frontières Schengen. Le volet correctif permettrait, face à une pression migratoire disproportionnée, de déclencher une opération aux frontières de manière autonome et indépendante de l’EM sur le territoire duquel aurait lieu cette opération.
Elle pourra fournir une aide technique et opérationnelle renforcée aux EM à travers les opérations conjointes, les interventions rapides aux frontières, et dans les cas nécessitant une action urgente aux frontières extérieures et dans les hotspots.
L’accent est mis sur le rôle de veille de l’Agence qui doit renforcer son centre de suivi et d’analyses des risques pour être en capacité de détecter le plus en amont possible les risques de flux migratoires importants.
Pour renforcer la prévention il est prévu un nouveau mécanisme à l’article 12 d’évaluation de la vulnérabilité des États membres. Au cours des travaux préparatoires, certains ont critiqué cette disposition car cette procédure risquait de faire doublon ou de se superposer avec la procédure d’évaluation de vulnérabilité du Code des Frontières Schengen.
Nous avons interrogé la Commission européenne sur ce point qui nous a précisé que ces deux mécanismes ont des objectifs différents.
Dans le cas présent il s’agit d’évaluer la capacité d’un État à faire face à des pressions sur la frontière extérieure dont il a la charge et de vérifier s’il est en mesure de mobiliser des forces d’intervention, des matériels pour réagir aux franchissements illégaux de la frontière.
Le mécanisme d’évaluation Schengen a un objet beaucoup plus large et vise à faire le bilan une fois tous les cinq de la politique de sécurité de l’État membre concernant sa politique des visas, la coopération policière, l’organisation des opérations de retour, l’instruction des demandes d’asile…. La procédure suite à cet audit est très encadrée si on découvre des défaillances puisque ces manquements peuvent conduire à déroger au principe de libre circulation. Dans notre projet de Règlement, l’évaluation de vulnérabilité vise à organiser une réponse immédiate en cas de danger détecté et à définir des mesures correctrices immédiatement opérationnelles.
Troisième innovation, de ce texte est le pouvoir d’agir en urgence. L’agence pourra agir en urgence si un État membre est défaillant et ne prend pas les mesures correctives suggérées ou si une « pression migratoire disproportionnée » menace le bon fonctionnement de l’espace Schengen.
Cette disposition de l’art 18 a suscité de fortes réserves parmi les États membres car il prévoyait que la Commission pouvait, sur demande de Frontex, imposer à un État membre par un acte d’exécution l’adoption de certaines mesures correctives. Certains y ont vu une atteinte à la souveraineté des États.
Les négociations entre la Commission et les États membres ont abouti à un compromis qui devrait faire que ce soit le Conseil et non la Commission qui décide des mesures correctrices à imposer à l’État membre.
L’idée est que cet acte sera considéré comme une décision politique et qu’il aura donc plus de légitimité qu’une décision d’exécution de la Commission perçue comme plus technocratique.
La Quatrième innovation est le renforcement des capacités opérationnelles de Frontex. Afin de rendre les interventions de l’Agence plus rapide à mettre en œuvre, il est prévu de structurer les mécanismes d’intervention. L’article 19 donne des précisions sur le déploiement des équipes d’intervention. Il est prévu de constituer dans chaque État membre une réserve de personnel pouvant être mobilisée rapidement.
Cette réserve rapide européenne de garde-frontières et garde-côtes (à minima 1 500 personnes) pourra être déployée avec l’accord du Conseil d’administration de l’Agence : chaque EM serait tenu de mettre à la disposition de l’Agence un vivier de 2 % de ses effectifs de garde-frontières et garde-côtes (3 % s’il ne dispose pas de frontières extérieures terrestre ou maritime). En cas de besoin, tout déploiement complémentaire de matériels et d’équipes de gardes-frontières serait requis dans les cinq jours qui suivent le déploiement de la Réserve Rapide.
Frontex devrait aussi renforcer l’efficacité de son système d’information à vocation opérationnelle qui coopérera et échangera les données collectées avec les États membres et les autres agences européennes dans le cadre de sa mission. Les données pourront notamment être échangées et croisées avec celles d’Europol ; (art 43). Il est important de noter que l’art 9 crée une obligation générale d’échange d’informations, les autorités nationales devant transmettre à l’Agence toutes les informations demandées pour surveiller les flux migratoires, effectuer les analyses de risques et procéder à l’évaluation de la vulnérabilité. Pour permettre une meilleure connaissance des spécificités locales, Frontex disposera d’officiers de liaison dans certains EM visant à s’assurer de la bonne gestion des frontières extérieures notamment dans le cadre de l’évaluation de la vulnérabilité, par l’accès aux systèmes d’information des États membres.
La manière de gérer les frontières extérieures de l’Union doit évoluer. L’enjeu n’est plus dès lors le contrôle de la frontière en tant que telle, mais celui des personnes qui pourraient être amenées à la franchir. Il s’agit d’anticiper leurs déplacements et, le cas échéant, de les empêcher. Le contrôle n’est plus focalisé principalement sur ce que le code frontières Schengen appelle la vérification, c’est-à-dire le moment où l’officier en charge d’un point de passage frontalier spécifique se retrouve face à la personne souhaitant franchir la frontière et effectue le contrôle, mais sur la surveillance. Les zones frontalières sont mises sous observation pour détecter les déplacements potentiellement suspects et intercepter les personnes concernées.
Plus que la coordination opérationnelle, part importante de son budget, mais verrouillée par les administrations nationales, la surveillance constitue le cœur des activités de Frontex.
Dans le souci de garantir une meilleure efficacité de Frontex, le Règlement prévoit l’augmentation de ses capacités techniques par la possibilité ouverte à l’agence de procéder à des acquisitions de moyens en pleine propriété ou en copropriété, et par le renforcement des obligations des États membres concernant la mise à disposition de moyens techniques, notamment aériens et navals (art 37 et 38).
Ces nouvelles attributions auront un coût important. Le budget de Frontex était de 114 millions d’euros en 2015 et devrait être de 238 millions pour 2016 ; un recrutement de 162 postes étant prévu en 2017. L’agence devrait passer d’un effectif de 300 personnes aujourd’hui à 1 000 agents d’ici 2020. La gestion des frontières extérieures est aussi assurée par les crédits du fonds Sécurité Intérieure (FSI) qui finance certains équipements de surveillance. Ces éléments budgétaires ne figurent pas directement dans le Règlement mais en annexe la fiche financière expose précisément les implications de l’adoption de ce texte.
Enfin dernière grande innovation, des attributions nouvelles dans l’organisation des opérations de retours. La difficulté de procéder à ces réadmissions étant le point faible de la politique migratoire de l’Union européenne et des États membres, il a été décidé d’afficher clairement une volonté politique d’améliorer ce dispositif.
L’article 28 prévoit la création d’un « bureau du retour », en charge, en lien étroit avec les services compétents des EM, du retour des réfugiés déboutés du droit d’asile ou de tout autre individu en situation irrégulière dans leurs pays d’origine. Des personnels spécialement formés seront spécialisés dans cette fonction, l’art 28 instituant une réserve de contrôleurs des retours forcés et l’article 29 une réserve d’escortes pour ces opérations de réadmission.
Le règlement prévoit aussi de renforcer les pouvoirs de l’agence dans sa coopération avec les États tiers avec qui elle pourra passer des accords opérationnels. Ces accords devront être approuvés par la Commission. Il s’agit là de gagner en efficacité en organisant des opérations conjointes de surveillance des frontières extérieures et d’empêcher certains trafics d’êtres humains qui prennent leur origine dans certains États tiers. De même, un effort doit être mené avec les États tiers notamment de transit pour organiser des opérations de retour. Actuellement le principal obstacle est le refus de certains États de délivrer des documents de voyage pour le rapatriement de leurs ressortissants. Frontex devra donc œuvrer dans ce domaine et disposera d’officiers de liaison dans les états tiers (art 53 et 54)
Enfin, il faut saluer une avancée pour la garantie des droits fondamentaux des réfugiés et migrants qui sont concernés par les interventions de Frontex. Un mécanisme de plainte est institué à l’article 72 répondant ainsi à une demande pressante de la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, qui a demandé à Frontex de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes relatives à des violations des droits fondamentaux découlant de son activité le 7 novembre 2013.
Par ailleurs, le Parlement européen a adopté une Résolution le 2 décembre 2015 sur le rapport spécial du Médiateur européen demandant à ce que Frontex dispose d’un mécanisme capable de traiter les plaintes individuelles concernant des allégations d’infractions aux droits fondamentaux pendant le déroulement des opérations Frontex ou de la coopération avec des pays tiers.
Plusieurs ONG dont la CIMADE, France terre d’asile et Amnesty international ont estimé qu’il y avait un réel problème juridique du fait de l’absence de responsabilité de Frontex dans des opérations que l’agence met entièrement sur pied (certes avec les autorités de l’État membre hôte). Le point de vue de Frontex qui considère que les violations des droits de l’homme relèvent exclusivement de la responsabilité de l’État membre concerné, du fait que l’essentiel des agents œuvrant sous l’égide de Frontex reste sous l’autorité de leur État membre sera de plus en plus contestable avec l’augmentation de la part des personnels propres de Frontex.
C’est pourquoi, le point 7 de notre résolution suggère que la question de la responsabilité de l’Agence Frontex soit précisée notamment lors de l’organisation de procédures de retour qui peuvent conduire à l’emploi de la contrainte vis-à-vis des migrants et lorsque ces interventions se déroulent avec le concours d’agents de pays tiers ou sur le territoire de pays tiers.
Il faut néanmoins se féliciter des avancées apportées par ce texte et l’importance accordée dans ce Règlement au respect des droits fondamentaux avec l’adoption d’un code de bonne conduite pour l’agence Frontex, la formation de tous les professionnels intervenant dans le cadre d’opérations coordonnées par Frontex à cette problématique et les larges attributions reconnues à l’officier des droits fondamentaux.
Nous suggérons dans la résolution que l’officier des droits fondamentaux présente un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil européen sur les suites données aux plaintes reçues tout particulièrement lorsque les agents mis en cause ne relèvent pas de l’autorité disciplinaire de l’Agence Frontex.
En conclusion, je voudrais insister sur l’importance de ce texte mais dire aussi que le changement dont il est porteur est aussi largement tributaire de la mobilisation des États membres qui devront répondre aux demandes de personnel et de matériel et qui devront négocier dans la transparence pour que les équipes de réserve de garde-frontières puissent être mobilisées rapidement.
Là encore la réforme affectant Frontex sera une bonne réforme si les acteurs, et en l’espèce, les États s’en saisissent pour la faire vivre et donner corps à cette institution nouvelle dont notre commission appelle depuis longtemps de ses vœux la mise en œuvre.

La discussion avec les autres membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale

M. Joaquim Pueyo.

Je partage l’avis de Charles de La Verpillière sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Malgré ses incertitudes, il a eu des effets plutôt positifs, le nombre des arrivées ayant fortement baissé même s’il y a eu encore récemment des naufrages de bateaux clandestins. Je voudrais évoquer un point de la résolution qui traite de la responsabilité de Frontex. Cet aspect me parait très important car ces opérations de retour doivent se dérouler en respectant les droits fondamentaux. J’espère que l’Union européenne parviendra dans un proche avenir à mieux coordonner ses opérations de surveillance en mer Méditerranée entre la partie de la Mer Egée et la zone limitrophe de la Libye, car certains passeurs pourraient réorienter leurs trafics.
Je me félicite de l’adoption prochaine de ce Règlement qui aboutira à la mise en place d’un corps européen de garde -frontières et de garde-côtes. Cette mise en œuvre a trop longtemps été repoussée et il faut le regretter. Je voudrais demander aux rapporteurs si la détermination des autorités communautaires leur parait bien réelle pour que ce texte débouche rapidement sur un dispositif opérationnel. L’Union européenne a été très critiquée pour sa gestion de la crise migratoire mais ne pensez-vous pas que la crise humanitaire aurait été bien pire si l’Union n’avait pas existé ?

M. Pierre Lequiller.

Je rejoins les propos de Joaquim Pueyo pour dire que la situation aurait certainement été pire sans l’intervention de l’Union européenne mais il ne faut pas masquer que sa principale faiblesse est d’avoir été sans cesse dans la réaction sans être capable de prévenir la crise. Il y a eu un vrai déficit de prévision alors même que de nombreux camps de réfugiés existaient déjà en Jordanie, au Liban et en Turquie et que nous aurions dû comprendre beaucoup plus vite que des afflux de réfugiés en Europe étaient inévitables.
L’image de marque de l’Europe n’en sort pas grandie et il nous faut aujourd’hui intensifier nos actions humanitaires aussi bien pour les pays d’accueil de ces réfugiés qu’au sein même de l’Union où des pays comme la Grèce ont beaucoup de mal à faire face pour recevoir ces réfugiés dans des conditions décentes. La France elle-même n’est pas exempte de reproches, certains lieux de vie de ces réfugiés étant indignes de notre pays.
Quant à Frontex, je voudrais rappeler combien nous avons insisté sur le renforcement de ses moyens et nous avons voté ici même plusieurs résolutions en ce sens. Je suis donc satisfait de l’adoption de ce Règlement mais je reste vigilant car tout dépendra de la mobilisation des États membres pour réellement être plus efficace.

M. Yves Fromion.

Je voudrais aborder la question des interventions de Frontex en haute mer et éventuellement, dans les eaux territoriales d’État tiers. Tout cela pose de redoutables questions de sécurité et suppose le déploiement de moyens militaires d’accompagnement. Il faudrait améliorer la coordination entre les interventions de Frontex, les forces engagées dans le cadre de notre politique de défense commune et dans certains cas même le conseil de sécurité de l’ONU qui peut être amené à donner son aval comme il l’a fait pour les opérations au large de la Libye. Il faudrait aussi mieux utiliser certains moyens disponibles comme les moyens de surveillance satellitaires et les forces militaires qui surveillent les cotes de la Méditerranée.

La Présidente Danielle Auroi.

Je souhaite vous faire part de certaines de mes inquiétudes. Charles de La Verpillière a rappelé l’effort de l’Union européenne pour resserrer ses liens avec les pays d’Afrique et promouvoir des actions en faveur du développement. Si ces intentions sont très louables, il faut constater que cette politique n’a pas l’ampleur nécessaire. Constatons la disproportion entre les 6 milliards que doit recevoir à terme la Turquie alors que le Fonds pour tous les États africains ne devrait avoir que 3,8 milliards de crédits. Il faudrait un effort beaucoup plus substantiel pour aider des projets concrets et pourvoyeurs d’emplois locaux.
Quant à l’accord avec la Turquie, ne faut-il pas s’inquiéter alors qu’aucun mécanisme de contrôle de l’utilisation des fonds européens n’est prévu ? Plusieurs témoignages d’organisations humanitaires rapportent que des migrants ont été maltraités et certains expulsés vers leur pays d’origine alors qu’ils y sont en danger. N’oublions pas que la Turquie a une politique très contestable vis-à-vis de ses propres minorités qui sont parfois amenées à demander une protection internationale. Enfin, la libéralisation des visas risque de se faire sans que les autorités turques n’aient répondu à toutes les exigences de sécurité demandées par l’Union européenne car toute cette négociation se déroule dans une situation de pression migratoire.
Je déplore le manque de solidarité entre les États membres alors que certains pays sont dans une situation d’urgence humanitaire. Le groupe de Visegrad ne veut faire aucun effort et s’est empressé de dire qu’il ne paierait pas les contributions prévues en cas de refus d’accueillir des réfugiés dans le cadre de la future réforme du droit d’asile, présentée récemment par la Commission. Il faut s’inquiéter de ces refus systématiques de ce groupe de pays qui s’oppose à de multiples initiatives communautaires. La situation de l’Autriche est aussi peu réjouissante. La Commission européenne a joué un rôle positif et a œuvré pour mettre en œuvre plus de solidarité. Le règlement dont nous discutons comporte des points positifs mais là encore, les sommes allouées sont faibles au regard des enjeux pour la gestion des frontières extérieures.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteur.

Malgré ses défauts cet accord avec la Turquie a eu des effets positifs car il semble avoir dissuadé les passeurs. Bien évidemment à l’avenir, il faudra s’assurer que de nouvelles routes ne s’ouvrent pas pour les navires clandestins. Je prends note de l’intervention de M. Yves Fromion et de la nécessité de mieux coordonner les moyens de Frontex et les forces d’appuis militaires et nous en ferons écho dans le rapport.
Concernant la réforme de Frontex, il est évident que la détermination des États membres à fournir du matériel et des personnels sera déterminante. N’oublions pas qu’en 2013 la Commission voulait réduire les moyens de l’agence et nous avons dû régir en votant une Résolution à ce sujet. Actuellement les besoins sont criants notamment en Grèce où il manque des agents qualifiés pour instruire les demandes d’asile.

La Présidente Danielle Auroi.
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.

Le texte de la résolution adoptée par la commission des affaires européennes

La commission des Affaires européennes a adopté à l’unanimité la proposition de résolution ci-après et a approuvé la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes COM(2015) 671 final – E 1858).
« L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu l’article 4 paragraphe 2 du traité sur l’Union européenne,
Vu les articles 68 et 72 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 28 avril 2015 : « Le programme européen en matière de sécurité » (COM(2015) 185 final),
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 13 mai 2015 : « Un agenda européen en matière de migration. » (COM(2015) 240 final),
Vu les conclusions des Conseils européens des 25 et 26 juin 2015 et du 23 septembre 2015 par lesquelles il a été demandé un renforcement de la gestion des frontières et de doter de ressources supplémentaires l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex),
Vu le rapport d’évaluation externe de l’Agence Frontex, basée sur l’article 33 du règlement (UE) n° 2007/2004, et les recommandations concernant d’éventuelles modifications au règlement original de l’Agence, adoptées par son conseil d’administration le 28 octobre 2015,
Vu la résolution européenne n° 499 appelant à un renforcement des politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, particulièrement en Méditerranée, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 mars 2015,
Vu la résolution européenne n° 652 sur le programme européen de sécurité rappelant son soutien à la création d’un corps européen de garde-frontières, adoptée par l’Assemblée nationale le 15 décembre 2015,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes et abrogeant le règlement (CE) n° 2007/2004, le règlement (CE) n° 863/2007 et la décision 2005/267/CE du Conseil (COM(2015) 671 final),
Considérant que l’Union européenne et les États membres sont confrontés à d’importants mouvements de populations dus à la fois aux flux de réfugiés fuyant la guerre et à des entrées irrégulières de migrants,
Considérant qu’une partie de ces franchissements des frontières se fait par le trafic organisé des êtres humains et par la détention de titres d’identité falsifiés, mettant ainsi en cause le fonctionnement normal de l’espace Schengen,
Considérant que si chaque État membre reste pleinement responsable du contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, il s’avère indispensable de progresser dans une gestion intégrée des frontières pour gagner en solidarité et en efficacité,
Considérant la nécessité de respecter les droits des demandeurs d’asile arrivant aux frontières extérieures de l’Union européenne, notamment au regard du principe de non-refoulement interdisant toute mesure qui aurait pour effet de renvoyer un demandeur d’asile ou un réfugié vers des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée,
Considérant que les politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière doivent être fondées à la fois sur la responsabilité et la solidarité : responsabilité qui incombe aux États membres dans le contrôle de leurs frontières extérieures et indispensable solidarité de tous les États membres de l’Union, qu’ils soient ou non directement exposés à l’afflux d’immigrants en situation irrégulière,
Considérant qu’un processus plus ambitieux de réinstallation dans les États membres de l’Union de réfugiés qui ne peuvent demeurer dans l’État tiers dans lequel leur statut de réfugié a été reconnu par le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (personnes enregistrées par l’ONU, hors du territoire européen), constituerait une manière efficace d’éviter que des demandeurs d’asile ne s’engagent dans des traversées périlleuses,
Considérant l’urgence de s’attaquer aux causes profondes des migrations irrégulières, notamment par une intensification de la coopération avec les pays tiers d’origine et de transit, et la nécessité de rechercher toutes les synergies possibles entre la politique étrangère et de sécurité commune et celle conduite en matière de justice et d’affaires intérieures,
Considérant la nécessité de mieux coordonner les politiques européennes visant d’une part à garantir les droits des personnes relevant de l’immigration légale et notamment des demandeurs de protection internationale et d’autre part à lutter contre le trafic des êtres humains et l’immigration irrégulière,
1. Salue la volonté de la Commission européenne d’accélérer l’adoption de la proposition de règlement relatif au corps de garde-frontières et de garde-côtes ;
2. Se félicite du projet de la mise en place d’un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes pour assurer une gestion européenne intégrée des frontières de l’Union et de l’attribution de nouvelles compétences à l’Agence Frontex ainsi qu’un renforcement de ses moyens opérationnels ;
3. Se félicite du développement des missions de veille stratégique de l’Agence Frontex avec la création d’un centre de surveillance et d’analyse des risques et le déploiement d’officiers de liaison de l’Agence dans les États membres pour renforcer les échanges d’information ;
4. Soutient le compromis proposé lors du Comité des représentants permanents (COREPER) du 6 avril 2016 permettant qu’en cas de défaillance d’un État membre dans sa gestion des frontières extérieures ou en cas de pression migratoire disproportionnée, l’Agence Frontex propose des mesures correctives qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent être mises en œuvre après une décision du Conseil européen à la majorité qualifiée, afin de donner le plus de légitimité possible à cette intervention en situation de crise ;
5. Souhaite que soit clairement indiqué si Frontex pourra ou non intervenir dans les eaux internationales, voire même dans les eaux territoriales d’un État tiers et demande que les compétences de Frontex au titre de ses interventions dans les eaux internationales concernées soient clairement précisées, des accords internationaux devant être passés avec les États tiers limitrophes afin de permettre les interventions nécessaires dans leurs eaux territoriales, pour la sauvegarde des êtres humains, la lutte contre les passeurs et la sécurité des frontières extérieures de l’Union ;
6. Soutient le renforcement des prérogatives de Frontex pour organiser des opérations de retour visant à reconduire dans leur pays d’origine les migrants en situation irrégulière avec la création d’un Bureau chargé des retours et d’une réserve de contrôleurs des retours forcés disposant de moyens techniques spécifiques pour organiser ces retours, des moyens proportionnés aux besoins constatés devant être effectivement mis en œuvre ;
7. Demande que soit précisée la question de la responsabilité de l’Agence Frontex en lien avec celle des États membres, notamment lors de l’organisation de procédures de retour qui peuvent conduire à l’emploi de la contrainte vis-à-vis des migrants et lorsque ces interventions se déroulent avec le concours d’agents de pays tiers ou sur le territoire de pays tiers ;
8. Se félicite de l’importance accordée dans cette proposition de Règlement au respect des droits fondamentaux, avec l’adoption d’un nouveau code de bonne conduite pour l’Agence Frontex, la formation de tous les professionnels intervenant dans le cadre d’opérations coordonnées par l’Agence à cette problématique et les larges attributions reconnues à l’officier des droits fondamentaux ;
9. Approuve le mécanisme de plainte institué par cette proposition de Règlement permettant aux victimes d’établir un recours en cas de violation de leurs droits fondamentaux, sous réserve que les victimes aient été informées de leurs droits au préalable, et suggère que l’officier des droits fondamentaux présente un rapport annuel au Parlement européen et au Conseil européen sur les suites données aux plaintes reçues, tout particulièrement lorsque les agents mis en cause ne relèvent pas de l’autorité disciplinaire de l’Agence Frontex. »

Télécharger le rapport de Marietta KARAMANLI et de Charles DE LA VERPILLERE sur le site de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i3738.asp