Samedi 27 janvier 2017 notre Ville du Mans a accueilli les entretiens, débats et conférences de « Femmes d’Histoire », sur le thème « Femmes en politique, aux portes du pouvoir ? ».
Plusieurs personnalités (femmes en politique) ont pu participer. Plusieurs interventions ont été marquantes, je citerai entre autres, celle de Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié du Maroc.
C’est l’occasion pour moi de republier, ici, un texte écrit en 2000 et ayant de servi de base à mon intervention lors des rencontres « Les Carrefours de la Pensée » sur le thème « Les femmes mais qu’est-ce qu’elles veulent ? ». Ce texte a été publié avec l’ensemble des interventions dans l’ouvrage du même titre.
J’y énonçais la nécessité de penser pourquoi les hommes concevaient l’exercice des responsabilités politiques comme étant un exercice « par nature » masculin…17 ans après mon propos est toujours d’actualité.
J’ai une pensée pour Henry LELIEVRE, ancien Maire-adjoint à la culture du Mans qui m’avait donné l’opportunité de réfléchir à cette question et d’exposer mon expérience en la matière.
Je reste persuadée qu’il faut toujours conjuguer espoir et combativité pour améliorer les choses et faire changer les hommes et femmes.
Marietta KARAMANLI
Mesdames, Messieurs, Chers Ami(e)s,
Lorsque Henry LELIEVRE m’a contactée pour participer à ces Carrefours, il m’a demandé de raconter ce qui s’était passé lors de la désignation du candidat socialiste à l’élection législative partielle en mars 2000 sur la deuxième circonscription de la Sarthe, circonscription de gauche finalement perdue au terme de l’élection.
Son point de vue était qu’il était surprenant qu’au moment même où le gouvernement socialiste de Lionel JOSPIN faisait le choix de la parité, le même parti socialiste au plan local préférait se donner comme candidat un homme, délaissant ainsi la possibilité d’une candidature féminine que l’opinion paraissait créditer d’une meilleure notoriété et proximité.
Il ne m’appartient pas d’apprécier la ou les qualités respectives des uns et des autres mais bien d’évoquer la machine à fabriquer du pouvoir et de voir comment elle tend par nature à en exclure davantage les femmes que les hommes.
Avant d’évoquer cette expérience du pouvoir comme privilège masculin et de voir comment et pourquoi la parité peut changer la façon de faire de la politique, je souhaiterais vous donner quelques éléments personnels sur mon engagement politique.
I Les raisons d’un engagement : comme bien souvent c’est le résultat d’une histoire personnelle et familiale et d’une prise de conscience politique
Une histoire personnelle :
Je suis d’origine grecque, fille de gens modestes confrontés à l’adversité
Mes parents ont été des résistants grecs à l’occupation nazie
Ils ont vécu la famine qui a décimé la GRECE au lendemain de la 2 ème guerre mondiale
Ils ont été fichés par le régime des Colonels
Ils ont perdu leur maison dans un tremblement de terre
Autrement dit j’ai été élevée dans une culture de la résistance même si le schéma familial était principalement favorable aux hommes.
Une prise de conscience
Jeune fille, j’étais commandée par mon frère.
J’étais destinée à être une femme pour laquelle on décide par forcément autoritairement mais subrepticement, qui doit obéir à la pression du groupe…
J’ai choisi contre l’avis de mes parents de venir faire mes études en France.
J’étais déjà membre du Pasok, parti socialiste grec.
J’avais l’ambition de vivre ma vie ailleurs et déjà une satisfaction à trouver la reconnaissance des autres dans le fait d’apporter la ou les solutions aux problèmes qui se posaient à eux
Pour moi la politique n’est pas un strict sacerdoce (où il faut la conscience et l’abnégation).
Si je pense avoir la conscience des autres, je retire aussi des satisfactions de mon engagement politique par : 1) l’affirmation de mes convictions, 2) le fait de m’appartenir et de décider par moi-même, 3) d’avoir une réflexion avec les autres et d’apporter ou tenter d’apporter des solutions.
L’expérience : le pouvoir comme un privilège masculin
Comment expliquer que les appareils des partis politiques soient peu enclins à promouvoir des femmes?
Qu’est qui explique qu’au moment même où le gouvernement socialiste de Lionel JOSPIN inscrivait la parité dans la loi, les dirigeants socialistes n’aient pas choisi d’affirmer à l’occasion d’une élection législative partielle en Sarthe qu’ils entendaient être représentés par une femme en réservant une circonscription ? (pour répondre à Henry Lelièvre )
Le partage du pouvoir entre les hommes
La réponse est à chercher dans un partage du pouvoir entre les hommes. Disons que l’exercice du pouvoir, est vu dans les partis politiques comme l’apanage des hommes (c.a.d comme quelque chose de propre aux hommes).
Gisèle Halimi a parlé vendredi soir des circonscriptions comme étant des fiefs, de mandats dont les partis et les élus masculins pensent qu’ils leur appartiennent.
Vous prenez 3 ou 4 dirigeants, vous les installez autour d’une table. Ils se partagent les responsabilités : à l’un tel mandat, à l’autre telle fonction…
Evidemment cela ne se fait pas toujours dans le bonne humeur et l’entente cordiale…chacun doit y aller de son petit sacrifice personnel.
L’acceptation de l’accord par chacun dépend de la capacité de l’autre à le dissuader c’est à dire en fait à pouvoir le faire battre dans le parti.
Comme le dit l’écrivain américain Ethan CANIN. « C’est un élément fort peu exploré de l’Histoire, et qui m’a longtemps fasciné, que pour une large part, le pouvoir politique, soit issu non point de positions intellectuelles ou d’impératifs sociaux, mais du simple affrontement des volontés entre des hommes attablés ensemble…. ».
Comment s’explique l’acceptation de cette situation par tous les autres : elle résulte des habitudes, du patronage et de l’insuffisance d’explications de ce que représente la parité.
Les habitudes:
Un parti comme tout groupe humain sur valorise le conformisme et l’union au groupe.
On continue de faire ce qu’on a connu jusqu’ici et on se protège de ce qui est différent.
L’entrée des femmes en politique bouscule bien des habitudes et interroge les hommes.
Comme en témoigne ce jeune adhérent qui est venu me demander « une fois élue comment feras tu avec tes trois enfants ?» ; peu de chance que cette question soit posée au candidat masculin.
La capacité des femmes à concilier leur vie personnelle et familiale, leur carrière professionnelle et leurs engagements fait peur aux hommes. Cela a été dit vendredi soir.
Le patronage :
Les hommes occupent très majoritairement les places du pouvoir politique ;
Pour s’assurer un soutien partisan, les « chefs » politiques dispensent des faveurs à leurs obligés.
Ils leur confient des responsabilités ou du prestige et ce en échange de leur soutien politique…
Ces mêmes chefs ont tendance à privilégier ceux de leur camp, souvent des hommes, au détriment de ceux, notamment les femmes, qui n’y appartiennent pas.
Il en va ainsi pour la réservation des circonscriptions aux femmes.
L’insuffisance d’explications
Tous les adhérents d’une même organisation ne disposent pas d’une information égale.
Ils ne connaissent pas les accords passés entre les chefs.
Ils ne savent pas toujours 1) qui a décidé, 2) pourquoi les chefs ne disent rien d’une candidature féminine et surtout de celles qui peuvent représenter un danger pour eux.
Ils ne voient pas en quoi une candidature féminine, perçue souvent par les cadres du parti comme « un problème » supplémentaire pourrait être positive pour l’opinion et la politique.
En définitive l’expérience m’a apprise que
– le « sommet » a la capacité d’avantager ou non le choix d’un homme ou d’une femme
– les chefs sont plus difficilement convertis que les militants (ils ont plus à perdre !) et veulent souvent choisir « leur » candidate…celle qu’ils pensent pouvoir diriger
Cette double résistance expliquent le difficulté à être une candidate.
Comment et pourquoi la parité peut changer la façon de faire de la politique
Je crois qu’il faut d’ores et déjà distinguer trois types de parité
– la parité d’obligation qui résulte de la loi
– la parité de convenance qui donne à des hommes la possibilité de choisir une femme parce que ça fait bien (expression que j’ai entendue !)
– la parité de conviction qui vise à donner toute leur place aux femmes et à reconnaître qu’elles seront les auteurs avec les hommes d’un changement dans la façon de faire de la politique.
Comment
Il y a peu d’hommes et encore moins de femmes engagés dans les organisations politiques.
A l’inverse de nombreuses femmes sont engagées dans les associations et syndicats.
Au parti socialiste, il y a environs 75 % d’hommes et 25 % de femmes.
Nécessairement les partis vont devoir accepter de voir des femmes s’engager à leurs côtés en ayant pas comme préoccupation première la gestion de leur ambition.
« Ca va faire entrer de l’air frais dans les maisons politiques».
Les partis politiques vont devoir
– s’ouvrir aux sympathisants, mieux les associer aux décisions
– discuter davantage avec les associations…
– faciliter la participation des femmes aux réunions par une organisation appropriée
– changer la façon dont la parole est accaparée par quelques hommes
Pourquoi
Pourquoi les choses devraient davantage changer avec plus de femmes ?
Parmi les arguments utilisés à l’encontre des femmes qui prennent des responsabilités politiques j’ai pu entendre :
– Elles utilisent leur charme pour traiter les dossiers.
– Leur comportement est semblable à celui des hommes voire pire car elles n’avouent pas avoir les mêmes défauts.
Autrement dit, on ne veut pas de femmes en politique
– parce qu’elles n’ont pour elles que leurs différences d’apparence
– parce qu’elles sont dans leur fors intérieur semblables aux hommes, la perversité en plus… Cela rejoint une affirmation stupide et gratuite de la psychanalyse selon laquelle la femme ne serait qu’un homme châtré , il n’y aurait donc pas d’essence féminine.
Tout cela justifierait qu’on ne changeât rien
L’égalité des droits ou des chances n’est pas la similitude.
La féminité définit certains caractères :
– la réceptivité
– l’endurance
– le sens du réel
– le sens de la globalité d’une existence (personnelle, familiale, professionnelle et publique) / les hommes politiques ont des enfants virtuels, ils en parlent, rarement réels, ils ne les élèvent pas ;
L’histoire, la vie quotidienne, et la psychologie nous apprennent que
– les femmes donnent priorité aux enjeux concrets de leur engagement plus qu’aux avantages qu’elles en retirent pour leur ego
– les femmes paraissent plus sensibles au pouvoir sur les actes qu’au pouvoir sur les individus
Est ce que la réalité correspond toujours à cette idée?
Non, le goût du pouvoir domine certaines femmes comme les hommes.
Que faut il en conclure… ?
La conduite automobile se fait à droite, conduire à gauche est un défi.
Il faut se conformer aux conduites majoritaires du moins composer avec elles. Le cas échéant utiliser les même méthodes pour maximiser les chances de « survivre » et progresser collectivement en donnant l’exemple.
Nombreux sont les femmes et les hommes qui ont des exigences par rapport à la façon de faire de la politique.
Ces exigences doivent être exprimées dans le débat public.
Il faut reprendre le chemin des partis…et exiger ensemble ce changement !
Marietta KARAMANLI.