« L’évolution de la réglementation pour lutter contre la prostitution, un moyen de faire reculer la traite et l’exploitation des êtres humains » par Marietta KARAMANLI

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A l’occasion de la dernière édition des 24 heures du Droit organisées le 3 juin 2016, par le Collectif L’Unité du Droit, avec le soutien de la Ville du Mans ainsi que des Universités du Maine (Themis-Um ea 4333) ainsi que de Toulouse 1 Capitole (Institut Maurice Hauriou, ea 4657), j’ étais invitée à contribuer aux discussions et débats autour du thème de cette année à savoir les droit(s) au(x) sexe(s).
Malheureusement invitée à accompagner le 1er ministre, Manuel VALLS dans son déplacement officiel en GRECE alors même que je travaillais sur une communication pour l’Assemblée Nationale sur l’investissement dans ce pays, je n’ai pu y assister.
Le thème de mon intervention était la réglementation de la prostitution et l’évolution de la position de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, en faveur d’une position de pénalisation des clients, non à raison d’une possible position morale (position qui par ailleurs se défend et se discute ) mais à cause du constat opéré du recul, là où le client a été directement impliqué, de la prostitution et concomitamment de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
Autrement dit ce qui est souvent considéré comme un fait de société en quelque sorte inéluctable a reculé au long des dernières décennies dans un grand nombre de pays, notamment en Europe, et devient un fait de droit.
Ce qui compte au final c’est l’efficacité de la mesure.
En France j’ai voté le texte devenu la loi du 16 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
A cette occasion le législateur a pu affirmer que le droit pénal a pour finalité d’assurer la protection de la société même si pour ce faire il a pu ignorer certains intérêts individuels comme ceux des prostitués consentants.
Voici le texte intégral de mon intervention (non prononcée) pour les raison exposées.


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Mesdames et Messieurs les Enseignants chercheurs,
Mesdames et Messieurs les Participants,

Cette année votre rencontre, désormais aussi classique que l’épreuve automobile à laquelle s’identifie notre Ville, a pour thème « le droit au sexe ».
Parler du droit au sexe pourrait s’interpréter comme « un droit à » à des relations sexuelles, au plaisir du même nom, ou encore comme la revendication à un genre et aux caractéristiques sexuées qui l’accompagnent.
Il s’agit, me semble t-il, d’abord évoquer les relations entre le droit et le sexe, relations aussi anciennes que le droit existe dans nos sociétés.
Pour cette brève intervention, j’ai choisi de centrer mon propos sur une question sensible celle du droit qui encadre, entoure, limite le droit à des relations sexuelles tarifiées, autrement dit le droit « de » et « à la prostitution ».
Ce sujet est discuté non seulement en France, certains semblent croire qu’il s’agirait d’un simple sujet hexagonal, comme si La France était seule au Monde, mais est devenu un thème de réflexion et de décision(s) dans de nombreux Etats.
La première observation que je souhaite faire n’est pas propre à cette pratique mais d’une façon générale au sexe et, est à l’origine d’une « ambiguïté » qui traverse l’ensemble du droit réglementant les pratiques sexuelles que la société et le législateur entendent, si ce n’est contenir, du moins réglementer, et ce, pour des raisons diverses.

Le sexe comme un fait de culture

En effet comme le note l’éminent Anthropologue Mashall SHALINS à défaut d’être enchanté l’univers humain est ordonné à partir d’une distinction « nature » et « culture ».
La façon de domestiquer nos besoins et nos envies ne sont pas identiques dans le monde, les matériaux rassemblées par l’ethnographie sont là pour nous le rappeler.
Pour faire simple, ce qui est important ce n’est pas que toutes les cultures aient une sexualité singulière mais que toute sexualité ait une culture.
Aussi l’expression et la répression des désirs sexuels varient ils selon des déterminations locales et suivant les partenaires, l’occasion, le temps, le lieu, et les pratiques corporelles.
Cette situation rend difficile la détermination des faits de société que le droit veut retenir et devant répondre à une règle que la société entend retenir par exemple en l’autorisant sous conditions ou en l’interdisant.
Il n’en va pas autrement en matière de prostitution.
L’idée très dominante jusqu’ici est que cette pratique étant connue dans la plupart des grandes cultures depuis fort longtemps, seule la tolérance organisée serait une façon de la réguler.
Pourtant à bien y regarder, cette pratique, dont la présumée immuabilité serait la principale justification à la laisser être, a beaucoup changé au sein même de nos sociétés.

Un fait de société qui a changé et reculé dans un grand nombre de pays

L’écrivain Stefan SWEIG a raconté au début du 20 ème dans « Eros MATUTINUS » comment la rude morale a réprimé pendant longtemps la sexualité des hommes et des femmes et a nourri une prostitution qui était à sa façon « morale ».
En évitant le problème, on le déplaçait ailleurs
A cette époque la science, elle-même, s’était ralliée à l’idée que « Naturalia sunt turpia » (les choses naturelles sont honteuses).
Ce grand auteur raconte une prostitution dont nous avons peine à imaginer l’importance quantitative. Je le cite « alors que dans les rues des grandes villes, les prostituées sont aussi rares que les voitures à cheval, autrefois, les trottoirs grouillaient tellement de femmes vénales qu’il était plus difficile de les éviter que de les trouver ».
De nombreuses études historiques viennent à l’appui de cette description d’un fait de société.
L’écrivain évoque ainsi la prostitution comme une institution indispensable pour la société et l’Etat car canalisant une sexualité « extra-conjuguale » ou hors morale dominante.
Si je cite ce témoignage c’est pour tenter de vous faire partager l’idée que contrairement à ce qui est affirmé le phénomène n’est pas globalement et en tendance historique en expansion ou même en maintien.
Il tend à diminuer à raison même du fait que ce phénomène n’est pas une fatalité née d’une quelconque nature humaine.
Venons en au droit lui-même.
De façon à dépasser le seul cadre du débat national, je souhaite, ici, évoquer
quelques-uns des éléments structurants du débat politique et juridique mené au sein du Conseil de l’Europe et de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe

L’évolution de la position du Conseil de l’Europe et donc des Etats membres depuis quelques années

Membre de la commission des affaires juridiques et Vice-présidente de la délégation française, je m’intéresse à la façon dont les parlements nationaux suivent et influent sur l’application de la convention européenne des droits de l’homme par leur Etat respectif.
S’agissant de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, celle-ci a jugé clairement et à répétition que la prostitution forcée constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme.
Elle a entre autres jugé que les sommes réclamées par l’URSSAF à une personne prostituée bien que freinant son possible abandon de la prostitution ne pouvaient être assimilées à une contrainte à poursuivre son activité (V.T France 2007).
Pour la Cour et le juge, c’est le critère de la contrainte qui fait de cette activité une activité illicite.
Dans le même ordre d’idées, la prostitution enfantine est jugée contraire car présumée d’emblée contrainte.
Néanmoins, cette situation est en train d’évoluer.
Lorsque l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe parle de la prostitution, elle distingue clairement la traite des êtres humains, qui est forcée, et l’esclavage qu’il constitue, de ce qu’elle appelle la prostitution volontaire, à savoir la prostitution exercée par des personnes de plus de 18 ans qui ont choisi la prostitution comme moyen de gagner leur vie.
La traite des êtres humains soumet les individus au travail forcé, à la criminalité ou encore au prélèvement d’organes mais aussi à l’exploitation sexuelle ; celle-ci est de loin la plus répandue des situations de traite. Elle concerne plus de 4 victimes sur 5 de la traite (84 % des victimes).
En France la loi du 5 août 2013 a, à mon initiative, redéfini la notion d’exploitation.
Pour faire simple sur ce sujet complexe, il est possible de dire que trois attitudes réglementaires se rencontrent dans les différents Etats.
Environ un tiers des Etats membres du Conseil de l’Europe a une attitude prohibitionniste, ce qui consiste à interdire la prostitution et à poursuivre au pénal prostitué(e)s et proxénètes (mais pas nécessairement les clients).
Une minorité non négligeable d’Etats membres souscrit à l’approche réglementariste, visant à réguler plutôt qu’à interdire ou abolir la prostitution.
Enfin, il existe une majorité relative d’Etats membres (20) considérée comme abolitionniste, ces Etats cherchant à éradiquer la prostitution en poursuivant les souteneurs et les proxénètes plutôt que les prostitué(e)s.
L’approche néo-abolitionniste de la Suède et de la France, depuis la loi de 2016 approfondit cette logique en incriminant les clients.
En 2007, une première résolution adoptée par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, avait prôné d’éviter les normes et politiques discriminatoires, qui poussent les prostitué(e)s à la clandestinité ou les font tomber sous l’emprise de proxénètes et de s’abstenir d’ériger en infractions pénales les actions des prostitué(e)s.
En 2012, la même Assemblée a pris une voie différente. Elle a appelé les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, les Etats observateurs et les partenaires pour la démocratie de l’Assemblée parlementaire à envisager la criminalisation de l’achat de services sexuels, fondée sur le modèle suédois, je cite « en tant qu’outil le plus efficace pour prévenir et lutter contre la traite des êtres humains ».

Lutter contre la prostitution en impliquant le client fait reculer la traite et l’exploitation des êtres humains

Ce revirement s’explique par deux éléments.
D’une part, la légalisation n’est en aucune façon apparue comme ayant été un moyen de réduire la traite et de garantir l’amélioration des conditions de travail des travailleurs(euses) du sexe.
D’autre part, et en quelque sorte de façon inversée, les constats établis à partir de la situation suédoise ont montré des répercussions considérables sur la traite des êtres humains, particulièrement si l’on compare avec les pays voisins.
Autrement dit les enquêtes de police et de justice et les analyses des services sociaux ont convergé pour montrer que le nombre de femmes et de filles étrangères introduites en Suède dans le cadre de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, sous la contrainte était tombé à quelques centaines au lieu de plusieurs dizaines de milliers auparavant comme encore aujourd’hui dans les pays comparables voisins.
Cette réglementation qui, de prime abord, a pu sembler idéologique ou moralisatrice, est aujourd’hui reconnue comme un outil important dans la lutte contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
Ainsi c’est le constat que la prostitution est à titre principal et très majoritaire une pratique de relations sexuelles tarifées faites par des femmes ou des hommes exposées à un contrainte qui explique ce revirement de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe
Dès 2006, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits fondamentaux des victimes de la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, présentant un rapport à la Commission des droits de l’homme sur les liens entre la traite et la demande à des fins d’exploitation sexuelle commerciale, rapportait que, je cite « dans la plupart des cas, la prostitution telle qu’elle est actuellement pratiquée dans le monde répond aux critères constitutifs de la traite.
Comme elle l’écrivait « Il est rare de trouver un cas où le chemin vers la prostitution et/ou l’expérience d’une personne dans la prostitution sont exempts de tout abus d’autorité ou situation de vulnérabilité ».
En 2010, 90% des prostituées en France sont d’origine étrangère.
Sur ces bases que l’Assemblée Nationale a adopté le texte devenu la loi du 16 avril 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
A cette occasion le législateur a pu affirmer que le droit pénal a pour finalité d’assurer la protection de la société même si pour ce faire il a pu ignorer certains intérêts individuels comme ceux des prostitués consentants.

En guise de conclusion, je dois noter qu’au-delà des clivages partisans, les clivages hommes et femmes ont été déterminants dans le vote des parlementaires Français : en 2014 dans la commission spéciale du Sénat, 75 % des hommes ont voté contre la pénalisation du client, 75 % des femmes ont voté pour.
Le législateur a ainsi fait passer un fait de société à un fait de droit.