« L’obligation des Etats signataires de la Convention Européenne des Droits de l’Homme de coopérer loyalement avec la Cour en charge d’appliquer la convention » par Marietta KARAMANLI

44233_01revue.jpg

Jeudi 10 avril , je suis intervenue en séance publique de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) où je représente l’Assemblée Nationale Française pour soutenir la nécessité pour le Conseil de l’Europe d’être vigilant à ce que les Etats membres du Conseil respectent la lettre et l’esprit du règlement de la Cour européenne des droits de l’Homme et plus précisément son article 39.
Tout État signataire de la Convention européenne et toute personne résidente (particulier, association…) s’estimant victime d’une violation de la Convention et qui a épuisé les voies de recours devant les juridictions de son pays, peuvent saisir la Cour. Les affaires sont instruites selon une procédure contradictoire et publique.
À défaut de solution amiable, la Cour prend un arrêt que l’autorité nationale mise en cause est tenue d’appliquer.
Au final la CEDH est une juridiction unique, ouverte aux individus, et intervenant en dernier ressort du contrôle juridictionnel interne des Etats signataires de la convention.
L’article 39 autorise la Cour à indiquer aux Parties toute mesure provisoire qu’elle estime devoir être adoptée dans l’intérêt des Parties ou du bon déroulement de la procédure engagée devant elle.
Celui-ci est notamment appliqué dans les affaires d’extradition et d’expulsion et autorise la Cour à veiller au maintien du statu quo ou à ce que la situation d’un requérant ne se détériore pas avant qu’elle n’ait la possibilité d’examiner le grief au fond.
Il s’agit donc à la fois dans des situations d’urgence que les décisions de l’Etat contre lequel un recours est dirigé ne créent pas une situation irréversible et grave contre les requérants et que les Etats respectent le principe de coopération loyale avec l’Institution en charge de dire le droite et protéger les droits de l’Homme.
Dans mon intervention j’ai insisté sur
1) la nature des faits qui expliquaient l’augmentation du recours à cet article (immigrés ou demandeurs d’asile craignant pour leur vie ou leur intégrité en cas de retour dans leur pays d’origine ; minorité politiques ou religieuses persécutées…)
et
2) sur la période de recomposition des frontières que nous connaissons où les instabilités politiques et économiques sont de nature à exacerber les mesures prises contre les opposants, minorités ou migrants.
Pour moi, l’intérêt de l’Assemblée en étant vigilante sur cette question est de rappeler l’obligation de coopération des Etats les amenant à faciliter les relations avec la Cour Européenne des Droits de l’Homme en charge de dire le droit et de protéger les droits de l’Homme


44233_01revue.jpg

Mon intervention

SESSION ORDINAIRE DE 2014 (Deuxième partie), COMPTE RENDU
de la dix-septième séance,
Jeudi 10 avril 2014 à 15 h 30

La séance est ouverte à 15 h 35 sous la présidence de M. Rouquet, Vice-Président de l’Assemblée.


2. Nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme

LE PRÉSIDENT

L’ordre du jour appelle la présentation et la discussion du rapport de M. Sasi au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur la nécessité de s’occuper d’urgence des nouveaux cas de défaut de coopération avec la Cour européenne des droits de l’homme (Doc. 13435).

LE PRÉSIDENT

M. Sobolev, inscrit dans le débat, n’est pas présent dans l’hémicycle, non plus que M. Xuclà et M. Labaziuk.

Mme KARAMANLI (France)

La question dont nous débattons aujourd’hui est, malgré son apparence technique, fondamentale pour la protection des droits de l’homme et les garanties reconnues aux individus pour faire valoir ces droits auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans son très intéressant rapport, Kimmo Sasi met en évidence le caractère essentiel du recours individuel et des dispositions conventionnelles qui le soutiennent ; la place progressivement prise par l’article 39 du Règlement de la Cour dans le dispositif ; enfin, l’ambivalence de la diminution du nombre de cas de non-respect des mesures provisoires prises en application de cet article.

Il rappelle en outre les demandes émises par le Conseil et notre Assemblée pour améliorer la coopération entre la Cour et les Etats concernés.

Il mentionne aussi les réponses juridiques apportées pour améliorer l’examen des situations et mettre en cause les Etats quand ils sont réticents ou tentent de fausser la coopération loyale résultant de leurs engagements. Je pense notamment à la présomption de fait et, si besoin est, au renversement de la charge de la preuve qui pèse sur les Etats « récalcitrants ».

Il pose enfin la question des intérêts politiques qui motivent lesdits Etats.

J’insisterai ici sur deux éléments.

D’abord, l’origine du développement de cette coopération. Le nombre de demandes formulées en application de l’article 39 du Règlement de la Cour a connu une croissance considérable dans la seconde moitié de la précédente décennie.

Ces demandes visaient pour une grande part des étrangers ou des demandeurs d’asile qui soutenaient qu’ils seraient soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans leur pays.

Ces toutes dernières années, les demandes concernent aussi des membres de minorités religieuses et politiques dont certaines activités sont poursuivies au plan pénal ou dont l’extradition est possible au titre d’une coopération entre Etats.

Dans ces deux cas, l’enjeu est le même.

La Cour doit prendre une décision très rapidement, car les délais sont brefs et les conséquences d’une non-protection peuvent être lourdes ou irréversibles.

Cette évolution du nombre d’affaires est elle-même, au moins en partie, l’effet de jurisprudences de la Cour qui ont condamné les Etats pour ne pas s’être conformés à une mesure indiquée au titre de l’ article 39 de son règlement, ce qui a renforcé la portée de cette disposition.

Comme le notait le Président Jean-Paul Costa, cela s’inscrit d’ailleurs dans une évolution jurisprudentielle de l’ensemble du droit international.

Le rapport rappelle l’intérêt objectif et politique, au demeurant condamnable, des Etats de prendre des décisions impropres pour faire prévaloir leur intérêt sur les droits des personnes et non pour les concilier avec eux.

La période, qui est une période de recomposition d’Etats au sein d’ensemble régionaux plus vastes ainsi qu’une période où les migrations politiques et économiques sont appelées à augmenter, verra probablement à l’ordre du jour la question du nombre d’individus concernés et l’augmentation des décisions étatiques prises à leur égard.

Nos appels posent donc des jalons importants dans l’interaction née de ce double mouvement.

Très clairement, dans le domaine des relations internationales et des ensembles d’association entre Etats, les principes, qu’ils soient ceux de bonne foi ou ceux de coopération loyale, ont une double signification : négative, ne pas violer les obligations auxquelles ils se sont engagés, et positive, faciliter la vie des institutions dans lesquelles ils ont porté leur confiance.

Il est du devoir de notre Assemblée de le rappeler. Je remercie notre rapporteur d’avoir pris cette initiative avec son travail.