Marietta KARAMANLI devant l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe « Mieux défendre la conscience et la liberté des jeunes face aux dérives sectaires »

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Le 10 avril 2014, je suis intervenue lors de la session de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe à Strasbourg où je représente l’Assemblée Nationale française (et suis vice-présidente de la délégation française) dans un débat sur la nécessaire protection des mineurs contre les sectes et les dérives sectaires.
Si j’acquiesce aux recommandations faites par mon collègue Rudy Salles, rapporteur sur ce sujet, en vue :

 d’assurer l’information du public,

 de mieux comprendre le phénomène,

 de garantir une réelle effectivité des législations protégeant les mineurs, notamment celles visant à assurer leur sociabilité et leur scolarité,

 d’encourager, aussi, la convergence des actions des services intervenant en faveur des jeunes et limiter les dérives de mouvements religieux ou pseudo-religieux,
j’ai fait observer que la définition légale retenue en France présentait l’avantage de mettre l’accent sur la protection des personnes et la constitution d’infractions qui, elles, existent en dehors de toute appréciation, de tout jugement sur le caractère religieux de l’auteur des actes mettant en cause l’intégrité des personnes.
Je me suis aussi interrogée sur le caractère « anxiogène » de nos sociétés, qui isolent et mettent en concurrence, et peuvent conduire les jeunes qui cherchent un sens à leur vie à se rassurer en se liant et en se soumettant à des mouvements fondamentalistes et sectaires.
Je crois que l’APCE en en débattant, en sensibilisant les Etats membres à la question, en diffusant les bonnes pratiques de prévention est à la fois un « lanceur » d’alertes et un défenseur des droits des individus.


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Mon intervention devant l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe

Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe
COMPTE RENDU de la dix-septième séance, Jeudi 10 avril 2014 à 15 h 30

3. La protection des mineurs contre les dérives sectaires

LE PRÉSIDENT* €“

L’ordre du jour appelle la discussion du rapport relatif à la protection des mineurs contre les dérives sectaires présenté par M. Salles, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Doc. 13441). Nous entendrons ensuite l’avis de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable présenté par M. Bugnon (Doc. 13467).

Mes chers collègues, je vous rappelle que l’Assemblée a décidé, au cours de sa séance de lundi matin, de limiter le temps de parole des orateurs à trois minutes.

Je vous rappelle que nous devrons en avoir terminé avec l’examen de ce texte, vote inclus, à 18 h 55. Nous devrons donc interrompre la liste des orateurs vers 16 h 55, afin de pouvoir entendre la réplique de la commission et de procéder aux votes nécessaires.

Monsieur le rapporteur, vous disposez d’un temps de parole total de 13 minutes, que vous pouvez répartir à votre convenance entre la présentation de votre rapport et la réponse aux orateurs.

M. SALLES (France), rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme €“

Monsieur le Président, mes chers collègues, mon mandat résulte d’une proposition de résolution mettant l’accent sur la nécessité d’examiner la question de l’influence des sectes sur les mineurs au niveau européen.

Etant donné que le terme « secte » est considéré comme péjoratif et qu’il ne peut être défini juridiquement, les sectes étant généralement constituées sous forme d’associations, je me suis penché sur la question des « dérives sectaires », à savoir les comportements et, plus précisément, les pressions et techniques de manipulation visant à la sujétion de la personne, plutôt que sur les mouvements sectaires eux-mêmes.

Il est évident que les dérives sectaires peuvent influer sur les relations familiales et sociales des mineurs, leur éducation, leur bien-être social, spirituel et moral, ainsi que leur santé, ou qu’elles peuvent engendrer des violences, y compris sexuelles, sous couvert de doctrine ou d’éducation. Ces comportements peuvent donc impliquer des violations des droits de l’homme tels que le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’éducation, sans parler d’un certain nombre de traitements inhumains.

L’Assemblée parlementaire s’est déjà penchée sur la question de la lutte contre les activités illégales des sectes, notamment en 1992 et 1999. Cependant, il n’y a eu, jusqu’ici, aucun progrès. Ce qui est le plus frappant, c’est l’absence d’informations sur l’ampleur du phénomène sectaire. Le Conseil de l’Europe peut-il se tenir à l’écart de menaces se développant à l’égard des mineurs ?

Dans le cadre de la préparation de mon rapport, j’ai donc essayé de combler ces lacunes. Ainsi, j’ai organisé une audition avec des experts et j’ai effectué des visites d’information en Suède et en Allemagne. J’ai également envoyé un questionnaire aux délégations parlementaires ; vingt-cinq Etats membres y ont répondu.

Il s’est avéré qu’en Europe le niveau de la protection des mineurs contre les dérives sectaires et l’étendue des informations à ce sujet varient considérablement d’un pays à un autre. Seuls quelques Etats membres ont pris des mesures législatives pour contrer ce problème, dont la France, la Belgique et le Luxembourg. Quelques autres, dont l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ont pris ou soutenu des mesures d’observation des dérives sectaires. En ce qui concerne plusieurs pays, nous n’avons pas obtenu de données.

À la lumière de ce bilan, le projet de résolution invite les Etats membres à élaborer des statistiques sur les dérives sectaires, créer des centres nationaux sur les mouvements religieux et spirituels et faciliter l’échange de données entre ces organismes ; prendre des mesures de sensibilisation des services sociaux, des juges ou encore de la police pour mieux détecter les dangers pour le bien-être des mineurs ; renforcer le contrôle étatique des écoles privées et de la scolarité à domicile et enfin pénaliser l’abus de faiblesse psychologique ou physique €“ voire les deux €“ de la personne, en introduisant une disposition explicite dans le code pénal.

Le projet de résolution préconise également de créer des groupes d’étude parlementaire sur le phénomène sectaire pour informer, éclairer et sensibiliser les décideurs politiques et la société à ce problème. Bien entendu, cette préconisation n’a aucun caractère obligatoire : chaque parlement national doit rester maître de son organisation. Au cours des quatre dernières décennies, les parlements nationaux de plusieurs Etats membres ont pris des initiatives dans ce sens. Il faut encourager l’ensemble de nos parlements à Å“uvrer dans cette direction.

En outre, il serait utile que le Comité des Ministres réalise une étude sur l’ampleur du phénomène sectaire touchant les mineurs au niveau européen et mette en place un groupe de travail pour échanger des informations sur ce sujet.

Je suis convaincu qu’il ne faut pas abandonner l’idée d’établir des règles et de mener des politiques au niveau européen pour protéger les mineurs contre les dérives sectaires, toujours en préconisant l’intérêt supérieur de l’enfant en raison de sa vulnérabilité.

Monsieur le Président, mes chers collègues, je suis conscient du fait que plusieurs plaintes, dont certaines très virulentes, vous ont été adressées, dont les auteurs estiment que mon rapport porte atteinte aux groupes religieux minoritaires. J’ai moi-même été soumis à des pressions inadmissibles tendant à m’empêcher de poursuivre la mission que vous m’avez confiée. J’ai même pu constater les moyens considérables utilisés pour discréditer notre travail, notamment à travers l’édition d’une revue en couleurs sur papier glacé. Cette offensive me paraît trop bien menée pour être tout à fait spontanée.

Je tiens à souligner que mon rapport ne vise nullement à mettre en cause la liberté de religion et de conscience, qui est une liberté publique fondamentale, tant dans mon pays qu’au sein du Conseil de l’Europe. Il s’agit de protéger les mineurs vis-à-vis des mouvements utilisant des techniques de manipulation, le plus souvent sous couvert d’une idéologie. Je tiens à rappeler notre attachement profond à la liberté de conscience, y compris pour les religions minoritaires, de même que pour tout groupe philosophique agissant dans le respect des lois. Dois-je rappeler que la principale différence entre les sectes et les religions €“ quelles qu’elles soient €“ est que, d’une religion, on sort quand on veut, alors que, d’une secte, on ne sort malheureusement pas ? C’est pourquoi je veux vous sensibiliser à l’importance du débat qui est le nôtre cet après-midi ; il doit nous mobiliser tous pour assurer la protection des mineurs contre les dérives sectaires.

LE PRÉSIDENT* €“ Monsieur le rapporteur, il vous restera environ sept minutes pour répondre aux orateurs inscrits dans le débat.

M. BUGNON (Suisse), rapporteur de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, saisie pour avis €“ La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable soutient dans l’ensemble le rapport préparé par M. Rudy Salles au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Ce texte analyse de manière approfondie les réponses normatives et législatives données au niveau européen et national pour protéger les enfants contre les dérives sectaires. Ce faisant, il se penche sur un aspect important de la protection de l’enfance.

Néanmoins, il serait souhaitable que le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, ainsi que la résolution et la recommandation qui en résultent, établissent un lien plus étroit entre les normes européennes et les situations de vie des enfants, et situent la problématique dans un contexte social et politique plus large. Les mesures à prendre pour protéger les enfants pourraient également être légèrement plus détaillées.

Comme vient de l’expliquer le rapporteur, il s’agit ici de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant et non de mettre en cause la liberté de conscience et de religion, laquelle fait partie des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Néanmoins, force est de constater qu’un certain nombre de groupes connaissent des dérives. Afin de mieux protéger les mineurs, la commission des questions sociales vous propose un certain nombre d’amendements que nous examinerons tout à l’heure.

LE PRÉSIDENT* €“

Mme Hohvannisyan, inscrite dans le débat, n’est pas présente dans l’hémicycle.

Mme KARAMANLI (France) €“

La question dont nous débattons aujourd’hui est d’une grande importance, car elle concerne à la fois la liberté de conscience, les libertés collectives et la jeunesse.

Dans son rapport très complet, M. Salles met en évidence l’absence d’une définition commune du phénomène sectaire ; les effets destructeurs, mentalement et socialement, pour les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, de la manipulation dont ils sont victimes et l’absence d’approche homogène de ce phénomène.

Après avoir rappelé qu’il s’agit d’une préoccupation déjà ancienne du Conseil de l’Europe et de notre Assemblée, il propose plusieurs orientations, que je qualifierai de pratiques, visant
à assurer l’information du public,
à mieux comprendre le phénomène,
à garantir une réelle effectivité des législations protégeant les mineurs, notamment celles visant à assurer leur sociabilité et leur scolarité,
à encourager, aussi, la convergence des actions des services intervenant en faveur des jeunes et à limiter les dérives de mouvements religieux ou pseudo-religieux. Il souligne in fine le caractère très sensible du sujet, eu égard au fait qu’est interrogée la conscience des individus.

Je souhaite m’arrêter sur deux points.

Le premier est la question de la définition juridique, le second est l’ampleur du phénomène.

En France, la seule définition existant est celle donnée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui considère comme sectes les mouvements se présentant ou non comme des religions dont les pratiques sont susceptibles de tomber sous le coup de la législation protectrice des personnes et de contrevenir aux règles de l’Etat de droit.
Elle me paraît constituer un élément intéressant en ce sens qu’elle met l’accent sur la protection des personnes et la constitution d’infractions qui, elles, existent en dehors de toute appréciation, de tout jugement sur le caractère religieux de l’auteur des actes mettant en cause l’intégrité des personnes.

Quant à l’ampleur du phénomène, plusieurs spécialistes mettent en évidence que, dans un monde globalisé comme le nôtre, où chacun peut se sentir isolé mais aussi mis en concurrence avec tous les autres, où les identités familiale, locale, religieuse traditionnelles ne valent plus reconnaissance automatique et personnelle, la peur de l’insignifiance est plus grande.
Dans un tel contexte, les jeunes s’interrogent sur le sens des décisions à prendre et leur devenir. Une façon de calmer ces interrogations existentielles est de se réfugier dans un fondamentalisme qui recrée un environnement cadré et destructeur.
Le mal-être que répand un monde où le sens est changeant et peu assuré nourrit des inquiétudes que certains mouvements, religieux ou non, peuvent tenter de maîtriser, en soumettant les individus les plus fragiles, parmi eux les plus jeunes, en les aliénant c’est-à-dire, littéralement, en faisant qu’ils ne s’appartiennent plus.

Il est donc de notre devoir de protéger leur conscience et leur liberté.

Notre Assemblée, par sa capacité à diffuser cette préoccupation et à soutenir les initiatives, peut y contribuer largement.