« Loi sur l’exécution des peines : plus de prisons, plus chères, et pas davantage d’efficacité de la justice » par Marietta KARAMANLI

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Le mardi 10 janvier, je suis intervenue en séance publique dans la discussion du projet de loi dit de programmation relatif à l’exécution des peines. Ce projet vise normalement à améliorer l’exécution effective des peines d’emprisonnement des personnes condamnées. Il prévoit notamment un nouveau programme de places de prison, sans en préciser le financement, de confier à des associations habilitées des tâches jusqu’ici dévolues aux services d’insertion et de probation (de l’Etat), à donner aux médecins traitants la possibilité d’informer le juge du suivi du traitement de soins en détention, de recourir à des internes en psychiatrie pour la prise en charge de patients sous main de justice etintervenir comme experts ou coordonnateurs, de favoriser les procédures d’implantation de centres fermés. L’article 1 consiste en fait à voter un rapport annexé précisant dans quelle mesure la chaîne des acteurs et des décisions visant la bonne exécution des peines a été et sera améliorée. Ce rapport prévoit la création de 25 000 nouvelles places de prison d’ici à 2017 et de postes de magistrats et greffiers pour mener à bien l’exécution des peines. La première observation que j’ai faite a été de constater que le gouvernement en créant ces places de prison considère d’emblée que sa politique de lutte contre la délinquance ne permet pas d’enrayer un mouvement que le ministre de l’Intérieur se félicite pourtant de faire baisser, et envisage une hausse des condamnations ! Concernant la création de postes, elle intervient après la suppression de postes des années précédentes€¦comprenne qui pourra ! Par ailleurs j’ai critiqué le recours envisagé aux partenariats public privé pour construire de nouvelles prisons€¦cela consiste à confier à une entreprise la construction et le financement de locaux et leur maintenance qui seront loués ensuite à l’Etat. Pas besoin d’être un expert pour comprendre que la collectivité paiera cher le loyer et devra acheter les locaux à la fin€¦il paiera en quelque sorte deux fois€¦mais cela permettra de dire qu’il ne se sera pas endetté en empruntant. Reste que la formule coût plus cher au final et qu’en Angleterre un récent rapport d’un organisme, comparable à la Cour des comptes en France, en a dénoncé l’usage important ! J’ai critiqué aussi l’absence de moyens des services chargés du suivi des détenus et la fin probable des enquêtes sociales pourtant primordiales puisqu’elles permettent d’envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en cause. J’ai regretté aussi que les enquêtes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) avant sentences des mineurs soient possiblement confiées quasi-systématiquement à des associations. Enfin le rapport y faisant allusion, j’ai émis de réserves sur les méthodes de gestion empruntées au privé pour améliorer la « productivité » des juges, méthodes payées à des consultants pour des résultats contestables. Au total la loi scelle l’échec de la lutte contre la délinquance menée depuis 10 ans, va coûter cher mais sans endettement apparent (probablement au minimum 3 milliards ‚¬ pour les seules opérations immobilières), délègue au privé certes associatif ce que l’Etat ne peut plus faire, et diminuera vraisemblablement la qualité de ce qui existait. J’ai voté contre ce texte.


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Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2011-2012, Compte rendu intégral, Deuxième séance du mardi 10 janvier 2012

Exécution des peines

Mme Marietta Karamanli.

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis est probablement le dernier de la législature que nous ayons à connaître en matière pénale.

M. Éric Ciotti.

Pas sûr !

Mme Marietta Karamanli.

Déposé le 23 novembre 2011, il a fait l’objet d’une procédure accélérée. À ce titre, je ne peux qu’une nouvelle fois, après mes collègues Dominique Raimbourg et Jean-Jacques Urvoas, déplorer que ce texte important, puisqu’il engage l’État dans un domaine sensible pour notre pays jusqu’en 2017, soit examiné selon une procédure qui ne devrait qu’être exceptionnelle.

M. Marc Dolez.

Très bien !

Mme Marietta Karamanli.

Rien dans les délais de connaissance des difficultés qu’il prétend traiter ne le justifie, sauf une campagne présidentielle qui ne dit pas son nom.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’exposé des motifs, qui rappelle les diligences faites ces dernières années sous forme de lois et de plans sans toutefois qu’il soit procédé à une évaluation d’ensemble de l’efficacité des dispositifs existants.

Dans la forme, le projet innove par ses neuf articles dont le premier valide un rapport annexé qui définit et précise ses objectifs.

Mon propos sera centré sur quatre constats.

Premier constat : l’échec annoncé en matière de répression pénale.

L’étude d’impact propose quatre scénarios d’évolution du nombre de condamnations de peines d’emprisonnement, d’une hypothèse basse à une hypothèse hausse. Il est remarquable que l’hypothèse finalement retenue soit celle d’une évolution de 2 % par an du nombre de peines privatives de liberté, « soit le taux de croissance annuel moyen constaté sur la période 2003-2011 » €“ je cite l’étude en question. Le nombre de ces peines devrait passer de 140 000 en 2012 à 154 000 en 2017.

Dans cette hypothèse, qui paraît donc être la norme et, d’une certaine manière l’objectif, il y aura, je cite une nouvelle fois, « 96 100 personnes placées sous écrou et 80 100 personnes détenues à horizon 2017 ». Le projet de loi nous explique donc tranquillement que la délinquance ne régresse pas et qu’elle va au contraire poursuivre sa progression tout au long des prochaines années.

Nous sommes surpris de lire que le texte anticipe l’échec de la politique de lutte contre la délinquance qu’il prétend en quelque sorte finaliser.

M. Jean-Jacques Urvoas.

Exactement !

Mme Marietta Karamanli.

Je m’inquiète que l’on puisse considérer que la délinquance serait une sorte de fatalité à laquelle on ne pourrait opposer que la prison. Les objectifs ainsi quantifiés n’auront d’ailleurs de cesse d’être revus à la hausse, car on ne voit pas pourquoi il y aurait une limite naturelle à un taux de délinquance, ni pourquoi il y aurait un taux d’incarcération normal €“ bien des comportements pouvant être considérés demain comme justifiant un emprisonnement.

De plus, l’augmentation de l’incarcération aura probablement des effets sur la récidive ce qui alimentera le flux des condamnations. Je note à cet égard que le texte lui-même évoque à deux reprises « le risque de désocialisation et de récidive » induit par l’incarcération.

Enfin la taille des établissements annoncés sera de nature, par elle-même, à générer la violence carcérale qui a des effets négatifs en matière de récidive.

Si nous avions la curiosité de regarder ce qui se passe outre-Atlantique, nous verrions que la violence n’est pas arrêtée par la promesse ou la certitude de l’emprisonnement. Plusieurs études montrent que l’État fédéral et les agences publiques se tournent désormais vers des solutions proactives, validées après expérimentation, pour dissuader la délinquance et enrayer la violence.

Deuxième constat : ce projet annonce un effort public dont les moyens devront être confirmés.

Ainsi, au titre de l’action « Renforcer les services d’application et d’exécution des peines », est prévue la création de 209 emplois, dont 120 de magistrats et 89 de greffiers. Ces créations reviennent pour partie sur des suppressions de postes décidées dans des lois de finances précédentes.

En octobre 2010, déjà, je m’étais étonnée de la suppression de 76 postes de magistrats dans le projet de loi de finances pour 2011, sans recevoir d’explications de la part de la garde des sceaux. Il est vrai que le projet de loi de finances pour 2012 prévoit la création de 142 postes de magistrats.

Parallèlement, le texte ne prévoit pas d’augmenter autrement que par la création d’emplois de psychologues les effectifs des services d’insertion et de probation. Les SPIP sont pourtant en première ligne pour veiller au respect des mesures de mise à l’épreuve, de suivi socio judiciaire et de surveillance judiciaire. La programmation de l’action publique aurait dû permettre de renforcer les moyens d’ensemble des SPIP, dont certaines affaires dramatiques ont montré la faiblesse.

D’une façon générale, cette loi de programmation fixe des objectifs quantifiés, sans mise en perspective avec ce qui a été fait ces dernières années, et sans que l’on sache si les moyens à venir seront des créations nettes ou s’ils seront obtenus au détour de redéploiements internes.

Ma troisième observation concerne certaines mesures immobilières dont l’efficacité pose problème, au-delà du principe même de la création de places.

Le projet de loi prévoit la création d’environ 25 000 nouvelles places entre 2013 et 2017, s’ajoutant aux quelques 5 000 places du programme précédent. Il prévoit aussi la diversification du parc carcéral avec une classification des places et établissements, et il annonce une densification.

D’emblée, le projet indique qu’il y aura, dans le cadre du nouveau programme immobilier, une augmentation de 532 à 650 du nombre de détenus par établissement. Au sein des établissements de « nouveau concept », polyvalents et modulables, on trouvera des unités d’hébergement pour courtes peines. Ces unités seront, je cite encore, « densifiées ».

Parallèlement, quatre nouveaux centres de semi-liberté supplémentaires verront le jour et l’on trouvera de véritables établissements pour courtes peines.

L’enjeu paraît être moins à visée pénale et rédemptrice qu’à visée économique. C’est dit de la façon la plus moderne qui soit dans le rapport annexé au projet de loi : « le maintien d’un parc uniforme est sous-optimal sur le plan économique ». Mais ce qui aurait été moderne, c’est de disposer d’une estimation d’ensemble du coût du programme. Or, celui-ci n’est pas précisément chiffré, même dans le cadre d’une fourchette, ce qui, concernant une loi de programmation, ne manque pas de surprendre.

Par ailleurs, l’article 2 du projet élargit le recours aux partenariats public-privé. A défaut de citer la Cour des comptes, je souhaite appeler l’attention de notre assemblée sur un récent rapport du National Audit Office, équivalent britannique de la Cour pour l’évaluation des politiques publiques, et qui porte sur les achats de biens et prestations par les personnes publiques. Ce rapport, qui date de mai 2011, souligne que le recours à des financements privés du type PPP est contestable : d’abord parce qu’il constitue une forme d’endettement au coût élevé ; ensuite parce qu’il fait échapper ces financements aux bilans publics, ce qui incite à y avoir à nouveau recours malgré l’endettement provoqué ; enfin, et c’est plus grave, parce que les constats opérés sont insuffisants pour savoir si l’utilisation du financement privé a conduit à une meilleure gestion ou s’il a été générateur d’un gaspillage d’argent public plus important que d’autres formes de passation de marchés.

Ma quatrième observation vise le renforcement de la cohérence et de la pertinence de la chaîne pénale dont le projet est censé être le porteur.

Vous faire la liste d’observations que je veux constructives pourrait s’avérer fastidieuse, aussi ai-je choisi d’évoquer quelques exemples.

Premier exemple : le suivi des personnes condamnées. « Mieux évaluer le profil des personnes condamnées » et « Généraliser le diagnostic à visée criminologique et le suivi différencié du SPIP » figurent parmi les objectifs précisés et définis dans le rapport annexé au projet de loi.

Il faut préciser que l’évaluation de la dangerosité fondée sur les « caractéristiques de chaque condamné » n’est jamais sûre, les circonstances et le temps étant aussi des facteurs significatifs, même si nous devons progresser dans le sens d’une meilleure prévisibilité. Le projet renvoie à la mise en place d’un outil partagé, valable pour tous les condamnés : le « diagnostic à visée criminologique ». Celui-ci fait actuellement l’objet d’expérimentations, et je constate qu’il nous est proposé de généraliser un dispositif dont les résultats de l’évaluation préalable ne nous ont pas encore été communiqués.

Selon les échos que nous pouvons en avoir, cet outil viserait à prédéfinir des modalités de suivi selon des items renseignés, et ce de façon quasi automatique. Il aurait été opportun que la représentation nationale soit informée de la portée de cet instrument et des utilisations qui en seront faites.

Au titre du renforcement et de la réorganisation des services d’insertion et de probation, le projet de loi prévoit de confier les enquêtes pré-sentencielles au secteur associatif habilité, afin de permettre aux conseillers d’insertion et de probation de se recentrer sur le suivi des personnes condamnées, le SPIP n’intervenant qu’à titre subsidiaire en l’absence d’un tel secteur. Cette disposition est très étonnante, voire inquiétante, car elle revient à déléguer une mission importante au secteur associatif et à rendre possible l’abandon de fait des enquêtes sociales, pourtant primordiales puisqu’elles permettent d’envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en cause. Là où il faudrait renforcer les équipes avec des personnels permanents, formés et expérimentés, il est choisi d’abandonner un pan entier d’activités pour économiser plus de 120 emplois de conseillers.

Deuxième exemple : la place et le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse.

L’article 4 du projet de loi appelle une observation particulière concernant le sort réservé aux éducateurs de la PJJ. En effet, le texte modifie les articles 41 et 81 du code de procédure pénale en supprimant toute référence à celle-ci. L’ordonnance de 1945 contient déjà des dispositions pour des enquêtes pré-sentencielles concernant des mineurs, mais il ne faudrait pas que cette rédaction aboutisse à un transfert quasi automatique des enquêtes pré-sentencielles au secteur associatif.

Troisième exemple : en vue de garantir une mise à exécution plus rapide des peines, il est proposé d’appliquer la démarche d’« excellence opérationnelle dans les juridictions ». Ce système, dit « lean », vise à réduire les délais de justice en utilisant une méthode issue du système de production expérimenté chez Toyota. Pour faire simple, cette méthode met en place le « juste à temps » dans la gestion des flux et l’automatisation à visage humain. L’expérimentation à laquelle elle a donné lieu dans plusieurs juridictions à partir de l’intervention de consultants ne connaissant rien à la justice a suscité de nombreuses interrogations chez les professionnels sollicités.

Je me permets de constater que le secteur public découvre souvent les méthodes expérimentées depuis longtemps déjà par le secteur privé au moment même ou ce dernier décide de les abandonner. Je note que la méthode retenue a fait l’objet de vives critiques lorsqu’elle s’appliquait à l’industrie automobile, de nombreux véhicules ayant dû être rappelés pour cause de non-qualité. On s’inspire donc de méthodes déjà périmées.

En résumé, ce texte, au-delà du programme immobilier qu’il présente et dont le coût ne nous est pas bien connu, apparaît comme un catalogue regroupant des mesures utiles et d’autres à l’efficacité discutable, dont l’énumération ne constitue pas un gage de réussite. Il est conditionné par l’inscription effective de nouveaux moyens dans les prochaines lois de finances ; nous y serons particulièrement attentifs.

De façon plus globale, l’augmentation annoncée du nombre de places du fait d’une délinquance et de peines privatives de liberté toujours plus nombreuses constitue un étonnant programme de protection des personnes et des biens, mettant en évidence, en creux, l’échec d’une politique de sécurité et l’absence de mesures complémentaires pour contenir la délinquance avec efficacité.

Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le ministre, même si nous constatons quelques améliorations, nous souhaitons que nos amendements permettent de revenir sur un certain nombre de dispositions de ce projet de loi.