« Maintenir la liberté de circulation pour les citoyens européens entre Etats membres de l’Union Européenne en renforçant notre coopération et notre solidarité aux frontières extérieures » par Marietta KARAMANLI

Le 1er Juin 2016, je suis intervenue en séance publique dans le débat sur le projet de loi approuvant l’accord entre Etats de l’Union Européenne instituant une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle. Cette agence est et sera chargée de la gestion opérationnelle des trois systèmes d’information existants au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice européen : le système d’information des visas, ou Visa Information System – VIS –, le système Eurodac, qui est la base de données des empreintes digitales des demandeurs d’asile, et le système d’information Schengen de deuxième génération – SIS II.
Aux termes d’un accord politique intervenu en novembre 2011, il a été décidé au sein de l’Union européenne que le siège administratif de l’agence serait en Estonie, tandis que la France accueillerait le site technique principal à Strasbourg et que l’agence disposerait également d’un site de sauvegarde en Autriche. Le rapporteur du projet de loi (« Les Républicains ») devant l’Assemblée Nationale avait souhaité un débat public alors même que le texte avait été adopté sans discussion auparavant par le Sénat. En effet ce texte met en œuvre un accord technique passé avec d’autres Etats : soit nous y sommes opposés et nous votons contre ; soit nous y sommes favorables et il est difficile de réengager une discussion terminée après avoir été menée pendant plusieurs années.
Le rapporteur avait indiqué en commission des affaires étrangères que l’Europe était une passoire.
J’ai souhaité lors de mon intervention rappeler que lorsque la crise migratoire n’était pas là, aucune mesure sérieuse n’avait été prise notamment entre 2007 et 2012 anticipant de possibles difficultés à venir; j’ai rappelé qu’en commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale l’ensemble des députés avaient constaté que l’Europe avait pris des mesures significatives : lutte contre le trafic criminel en mer et sauvetage des migrants ; « hotspots » ou centres installés pour distinguer réfugiés légaux et migrants économiques illégaux ; accord avec la Turquie pour traiter des migrants notamment syriens sur place ; mise en place d’un corps de garde-frontières européen…). Remettre en cause les accords de SCHENGEN qui garantissent le libre circulation entre les Etats de l’union serait un recul sans garantie que les autres Etats de l’Union Européenne jouent le jeu et soient solidaires sur toutes les frontières ; ce serait alors se priver d’un moyen de pression pour faire comprendre à nos partenaires les plus réticents la nécessité de partager les moyens et les informations et être plus forts à l’extérieur. Mon message clair a eu le mérite de remettre en perspective ce qui a été fait, ce qui reste à faire et ce qui doit être fait dans la solidarité entre Etats gage d’efficacité ensemble aux frontières.
Marietta KARAMANLI


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Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2015-2016, Compte rendu intégral, Première séance du mercredi 01 juin 2016

Mme Marietta Karamanli.

Comme cela a été dit, ce texte est un texte technique qui répond à une préoccupation politique. Examiné au Sénat, son article unique a été adopté par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. En séance publique, il a été approuvé sans discussion.
Mon propos sera organisé autour de deux idées. J’exposerai tout d’abord en quoi ce projet de loi traite d’un instrument utile à une politique européenne devenue incontournable, celle de la gestion et du contrôle des migrations, avant de montrer comment l’Europe a pris conscience de la nécessité d’une politique partagée des frontières extérieures, après des années de non-collaboration. Aujourd’hui, elle doit appliquer avec vigueur les principes de solidarité et de responsabilité dans ce domaine.
Si j’ai bien lu votre intervention en commission, monsieur le rapporteur, c’est moins le texte qui vous intéresse que le prétexte, puisque vous considérez ce projet de loi comme « un accord de siège assez classique ».
Je m’en tiendrai donc à l’essentiel.
L’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice a été créée pour assurer la gestion des systèmes d’information intégrés de l’Union européenne.
Il s’agit à titre principal du système d’information Schengen, du fichier de signalement à des fins policières, du système d’information sur les visas, qui rassemble les données liées aux demandes de visa d’entrée dans l’espace Schengen, et du système Eurodac, qui recense les empreintes digitales des demandeurs d’asile. Ces différents systèmes d’information sont composés de bases de données centrales reliées à des bases nationales. C’est un règlement de l’Union européenne qui a institué cette agence européenne, en 2011.
Le règlement prévoit par ailleurs que l’Agence peut se voir confier d’autres systèmes d’information à grande échelle. Un accord a été signé le 15 décembre 2011, qui régit le statut juridique de l’Agence. Il définit ainsi les modalités selon lesquelles la France met à sa disposition des locaux et d’autres soutiens, et confère à ses personnels des privilèges, immunités et autres avantages.
Cette agence rejoint ainsi la cinquantaine d’agences déjà créées dans de nombreux pays de l’Union européenne en vue de remplir des tâches spécifiques dans des domaines techniques, scientifiques ou administratifs. De façon générale, ces agences ont été créées au cas par cas, sans vision préalable d’ensemble. Théoriquement, elles répondent à l’accroissement et à la complexification des tâches de régulation qui incombent à l’Union européenne, tout en permettant une plus grande souplesse de gestion. Elles permettent une forme d’individualisation de certaines fonctions ne relevant plus de la seule négociation intergouvernementale. Néanmoins, leur multiplication et leur hétérogénéité posent la question de leur contrôle politique.
Sur ces sujets, nous pouvons nous rejoindre. Mais venons-en, monsieur le rapporteur, à ce qui nous différencie.
Ce qui vous préoccupe, ici, c’est moins le texte que le prétexte qu’il constitue pour vous, puisqu’il vous donne une tribune pour affirmer que l’Europe serait une véritable « passoire », menacée par un problème très grave de terrorisme, que vous liez à cet état.
Vos propos font écho à ce que l’ancien président de la République, entre 2007 à 2012, et possible nouveau candidat à l’élection présidentielle…

M. François Loncle.

Ah non, pitié !

Mme Marietta Karamanli.

…dit, en prônant la suspension des accords de Schengen I pour les remplacer par un nouveau système Schengen II « auquel les pays membres ne pourraient adhérer qu’après avoir préalablement adopté une même politique d’immigration ».

M. Christophe Premat.

Bon courage !

Mme Marietta Karamanli.

C’est évidemment toujours un peu le même refrain. Vous dites, monsieur le rapporteur, que vous ferez demain ce que vous n’avez pas fait pendant dix ans, de 2002 à 2012, alors qu’un accord aurait dû être possible et même facile au temps de cette belle alliance que constituait ce qu’on appelait le « Merkozy ».
Je crois utile de rappeler quelques faits auxquels souscrivent vos propres collègues du groupe Les Républicains, membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, très investis dans leur travail d’information et d’investigation sur la question des migrations, de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, ou l’enjeu de la gestion commune des frontières. Il suffit pour s’en convaincre de lire les rapports, les communications, les échanges et les résolutions adoptées par cette même commission – je vous y invite, monsieur le rapporteur, si vous ne l’avez pas encore fait.
Sur le fond, trois éléments me paraissent devoir être rappelés. À l’évidence, un lien existe entre la mise en mouvement de populations et les États ou régions connaissant d’importants déplacements forcés de populations civiles. Autrement dit, la déstabilisation de plusieurs États d’Afrique et du Moyen Orient a été un vecteur déterminant de la mise en mouvement de populations, qui fuient la guerre et les exactions. Sur cette période, la position de la France dans cette partie du monde semble avoir perdu de sa singularité et, peut-être, de son efficacité. Si les flux migratoires irréguliers n’étaient pas inconnus des différents États européens, leur ampleur nouvelle depuis 2015 en a changé la nature et a conduit à faire ce qui n’avait pas été fait.
Il aura fallu la crise migratoire, avec l’afflux, en 2015, de plus de 1,5 million de personnes ayant franchi irrégulièrement les frontières, pour que l’on prenne conscience de ce qui, a posteriori, apparaît comme une évidence : la décision de partager un espace commun de libre circulation ne peut se concevoir sans un contrôle efficace des frontières extérieures.
À la suite de cette prise de conscience, l’Union européenne a pris plusieurs mesures importantes, la France ayant toujours défendu une position très favorable à une coopération et un partage accrus des missions et des outils opérationnels.

Ainsi, les opérations maritimes des forces armées menées en mer Méditerranée par les États membres ont assurément sauvé de la mort plusieurs centaines de milliers de personnes – ce n’est pas rien ! – mais ont également mis un premier coup d’arrêt au large trafic des organisations criminelles, qui ont fait croire aux candidats à l’émigration que l’Europe pourrait les accueillir.

Nous pouvons citer à ce titre les opérations maritimes Triton et Sophia, avec, pour cette dernière, l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies.
Puis, des centres d’enregistrement et de vérification des motifs d’entrée, les hot spots, ont été installés : ils sont la seule réponse qu’il était possible de donner face à l’ampleur du phénomène, là où le jeu ordinaire des règles européennes de Dublin III ne pouvait offrir de solution. En pratique, ils font reposer sur la Grèce et l’Italie la charge du premier accueil.
Par la suite, d’autres mesures provisoires de relocalisation ont été annoncées, mais celles-ci ne sont que très partiellement réalisées. Selon les chiffres rendus publics par l’Union européenne elle-même, au début de mai 2016, seules 1 440 personnes avaient effectivement pu bénéficier du mécanisme de relocalisation, sur les 160 000 prévues, soit moins de 1 %.
Parallèlement, l’Union européenne a progressé, pas toujours à la vitesse à laquelle nous le souhaiterions, mais de façon plus assurée et plus cohérente.

Je rappelle ici qu’un projet de règlement européen établissant une liste commune de l’Union de pays d’origine sûrs, pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, est en cours de discussion au Parlement européen. La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a délibéré, il y a seulement deux semaines, sur un autre projet de règlement européen créant un corps de gardes-frontières. C’est, là encore, un progrès.
L’accord avec la Turquie a marqué une nouvelle étape. Compte tenu de la position stratégique de la Turquie, qui permettait à de nombreux passeurs de convoyer à partir des côtes turques des embarcations de migrants, l’Union européenne a décidé de signer, le 18 mars 2016, un accord avec ce pays pour tenter de mettre fin à ces flux clandestins. Cet accord est critiqué et critiquable, notamment en ce qu’il peut créer un effet d’aubaine pour des États peu regardants. Mais il est un pis-aller car la coopération avec la Turquie était et reste nécessaire.
À défaut d’une volonté politique et d’un système de gestion et de défense partagé des frontières extérieures, qui n’avait pas été pensé avant la crise migratoire, le sens commun semble dire qu’il suffit, puisque cela n’avait pas été fait à l’extérieur, de rétablir les contrôles aux frontières internes. Mais parfois, le sens commun n’est pas le bon sens. En effet, les accords de Schengen ne sont pas le problème, mais la solution.
C’est le système Schengen qui permet aux États membres d’agir ensemble, par la mise en commun et le partage de moyens humains et matériels. Il faut conforter Schengen et l’améliorer, non le remettre en cause.
C’est parce que Schengen existe, parce qu’il permet la liberté de déplacement et facilite le droit d’aller et venir des Européens au sein de leur territoire, qu’il est un moyen de pression pour faire comprendre à nos partenaires les plus réticents la nécessité de partager les moyens et les informations. En effet, à défaut d’une action énergique aux frontières extérieures, nous pourrions perdre le bénéfice de cette liberté.
La France et le gouvernement français ont fait des propositions concrètes pour que le système d’information de Schengen soit interrogé, pour qu’il soit alimenté de façon homogène et systématique par les systèmes de renseignement et qu’il soit connecté aux autres fichiers criminels.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, ni l’Union européenne ni la France ne sont restées inactives face à la crise migratoire. Mais, pour être juste, il ne suffit pas de hurler avec les loups,…

M. Pierre Lellouche, rapporteur.

Il faut plutôt hurler avec Lellouche !

Mme Marietta Karamanli.

…ni de caricaturer ce que l’on suppose être les peurs d’une partie des Français pour leur plaire. Comme l’ont déclaré certains députés de votre groupe, monsieur le rapporteur, la situation aurait certainement été pire sans l’intervention de l’Union européenne.
À ce titre, je dois me féliciter de l’important travail que la commission des affaires européennes de notre assemblée a réalisé au cours de ces dernières années.

Celle-ci a été une lanceuse d’alerte, prévenant des risques de diminuer les moyens de Frontex quand la crise n’était pas là, proposant, avant l’heure, la création d’un corps de gardes-frontières européens, mobilisant les parlements nationaux sur l’intérêt d’instituer un parquet européen plus apte à poursuivre la criminalité des trafics transeuropéens. En ces temps d’antiparlementarisme larvé, le rappeler ici est un engagement à poursuivre notre travail de vigilance, au service de nos concitoyens.

M. Pierre Lellouche, rapporteur.

Vous êtes bien la seule à vous en féliciter !

Mme Marietta Karamanli.

Pour cette raison, le groupe socialiste, écologiste et républicain soutiendra fermement ce texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)