Marietta KARAMANLI « Améliorer le contrôle de la constitutionnalité des lois ouvert aux citoyens par l’article 61-1 de la Constitution : mes interrogations au Garde des Sceaux »

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Les citoyens pourront faire contrôler la conformité d’une loi à la constitution après qu’elle ait été votée et promulguée. A l’occasion d’un litige soumis aux juridictions judiciaires et administratives, ils pourront faire valoir qu’une disposition de loi n’est pas conforme, au texte le plus important de notre ordre juridique, à savoir la Constitution et aux droits fondamentaux qu’elle garantit. Il s’agit d’un contrôle dit par voie d’exception car c’est indirectement que sera posée la question au Conseil Constitutionnel.
Le 3 septembre dernier, j’ai interrogé lors de son audition par la Commission des lois la Garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le périmètre des dispositions pouvant faire l’objet d’un contrôle, pour qu’il soit le plus large possible.
J’ai souhaité que les décisions du conseil soient motivées par rapport aux moyens de droit soulevés par les justiciables pour éviter que le Conseil constitutionnel n’annule d’autres dispositions qui auraient reconnu d’autres droits aux justiciables.
Enfin j’ai fait remarquer que le Sénat avait, à l’occasion de l’examen du précédent projet de loi organique souhaité par le Président MITTERRAND et qui visait déjà à instaurer un tel contrôle en 1990 (projet qui n’avait pas abouti du fait de l’opposition du Sénat), souhaité qu’on garantisse mieux l’indépendance des membres du conseil constitutionnel en étendant les incompatibilités qui s’appliquent à eux. La ministre a fait valoir que « S’agissant du statut du Conseil constitutionnel, je rappelle que celui-ci est déjà une juridiction, notamment lorsqu’il statue en matière de contentieux électoral. Il n’y a donc pas de novation radicale en la matière ».
Cette réponse est incomplète ; l’absence de toute prise en compte du périmètre, l’insuffisance d’encadrement des motifs et les faiblesse du statut des membres du Conseil risquent à un moment ou à un autre de poser question. Y répondre maintenant aurait permis de lever toute ambiguïté pour demain.


Extrait de l’audition

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Jeudi 3 septembre 2009
Séance de 14 heures 30
Compte rendu n° 73

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Mme Marietta Karamanli

Si, s’agissant du périmètre des dispositions contrôlées, la loi organique évoque des « dispositions législatives » €“ à l’instar de la Constitution €“, cette expression couvre-t-elle également l’ensemble des actes normatifs dont les mesures qui, normalement, relèvent des ordonnances au titre de l’article 38, les dispositions de nature législative nommées par l’article 53 et, enfin, les textes de forme législative visés par l’article 37 ? N’aurait-il pas dès lors été préférable d’évoquer des « lois et des textes à caractère législatif » ?

La procédure d’exception étant par ailleurs différente de la procédure de contrôle a priori, je m’interroge également sur les effets de l’appréciation de conformité à la Constitution. Le contrôle portant sur une disposition législative, que penser de la portée d’une décision d’inconstitutionnalité par voie d’exception prononcée à l’encontre de dispositions qui se révèleraient inséparables du reste de la loi promulguée, car essentielles ? N’aurait-il pas été de bonne politique de prévoir l’annulation des dispositions jugées « indétachables » ?
En outre, l’article 23-10 dispose que la décision du Conseil constitutionnel est motivée ; lorsque ce dernier statue dans le cadre de la procédure de contrôle préalable, il dispose par ailleurs de toute latitude pour choisir et retenir les motifs d’inconstitutionnalité.
Or, en 1990, le sénateur Larcher avait envisagé que la combinaison d’une déclaration d’inconstitutionnalité prononcée au-delà des moyens invoqués et portant sur des dispositions déclarées inséparables pourrait conduire à une décision contraire aux intentions de la partie requérante qui aurait donc été éventuellement susceptible de tenir de la loi d’autres droits et dont, en l’espèce, ni elle ni la partie adverse n’auraient contesté la constitutionnalité. N’aurait-il donc pas été préférable de préciser que la décision du Conseil constitutionnel est motivée notamment au regard des moyens soulevés devant les juridictions relevant du Conseil d’État et de la Cour de cassation ?

Enfin, le Sénat avait considéré en 1990 que le renforcement des compétences du Conseil constitutionnel et l’accentuation de son caractère juridictionnel imposaient d’accroître la nécessaire indépendance de ses membres en étendant le régime de leurs incompatibilités. Le sénateur Larcher €¦estimait alors cette extension d’autant plus nécessaire que le justiciable dont les exceptions d’inconstitutionnalité seraient renvoyées devant le Conseil constitutionnel n’admettrait pas que ses affaires soient tranchées par des juges constitutionnels exerçant par ailleurs des fonctions politiques, des mandats électifs ou syndicaux et des activités constitutionnelles susceptibles d’influer sur leur jugement. Il ajoutait également que la crédibilité même du mécanisme d’exception d’inconstitutionnalité suppose l’absolue neutralité de l’organe appelé à statuer. Il me semble en conséquence opportun d’adopter un amendement disposant que les fonctions des membres du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec l’exercice de toute fonction publique élective et de représentation : il n’est en effet pas possible d’être à la fois juge et partie.

Mme la Garde des sceaux.
Je vous remercie de vos interventions.
M. Geoffroy a eu raison de le dire : c‘est précisément parce que les lois organiques ne peuvent être modifiées du jour au lendemain lorsque l’on s’aperçoit que leur application n’est pas conforme aux attentes suscitées que nous devons être prudents et envisager l’ensemble des cas de figure susceptibles de soulever des difficultés.
Si, par ailleurs, le texte ne mentionne pas de délai s’agissant de la première instance, c’est que la réponse formelle apportée par le juge doit être littéralement « sans délai », les délais cumulés tout le long de la procédure devant quant à eux être raisonnables €“ ils sont d’ailleurs un peu plus encadrés s’agissant des cours suprêmes, notamment du Conseil constitutionnel. Si tel ne devait pas être le cas, outre que les recours sont assez rapides, je rappelle que l’appréciation du travail du juge dépend en partie de sa capacité à traiter en temps utile l’ensemble des dossiers qui lui sont soumis. En l’occurrence, nous y serons particulièrement attentifs. Faut-il pour autant être plus précis ? Cela n’aurait-il pas un effet inverse à celui attendu en encourageant le juge à attendre l’expiration du délai ? Votre commission peut bien entendu se saisir de cette question mais l’essentiel repose selon moi dans la relative concomitance entre l’instruction de l’affaire et l’usage de ce nouveau droit. Faut-il se limiter strictement à la question posée ? Je pense, pour ma part, que oui.

Didier Quentin a, à juste titre, souligné que la juridiction ne devrait pas attendre l’issue de la procédure pour soulever la question de constitutionnalité. C’est en effet dès le début qu’il faut s’en préoccuper. Faut-il parler de « question prioritaire » ou de « question préalable » de constitutionnalité? On peut en débattre. Je serai, comme toujours, à l’écoute à toute proposition d’amélioration du texte émanant des parlementaires qui sont au contact permanent des justiciables et des citoyens. Notre objectif est bien d’élaborer un droit compréhensible par tous : la rédaction retenue doit donc être la plus claire possible.
S’agissant de la priorité respective du contrôle de conventionnalité et du contrôle de constitutionnalité, j’ai donné mon avis et me réjouis qu’il soit partagé par nombre d’entre vous. Sur ce point également, nous nous efforcerons de parvenir à la meilleure rédaction possible€¦

S’agissant du statut du Conseil constitutionnel, je rappelle que celui-ci est déjà une juridiction, notamment lorsqu’il statue en matière de contentieux électoral. Il n’y a donc pas de novation radicale en la matière.
€¦

Vous avez ensuite évoqué une « partialité structurelle » du Conseil d’État, point de vue que bien sûr je ne partage pas. Je souligne que pour les textes récents, la plupart auront été préalablement déférés au Conseil constitutionnel. Si aujourd’hui une loi ne l’est pas, c’est que chacun s’accorde sur la constitutionnalité de ses dispositions, étant donné le droit de saisine dont disposent les parlementaires. Je ne vois donc pas de problème sur ce point. Enfin, dois-je rappeler que le Conseil d’État a lui-même deux formations, administrative et contentieuse ? Cette séparation règle, je le crois, la question. Aucune suspicion n’est de mise.
Pour ce qui est du président du Conseil constitutionnel, je fais observer que, dans toute instance, il y a toujours un président de séance, qui a voix prépondérante.
En ce qui concerne la place des avocats, si le ministère d’un avocat est obligatoire, ce sont ceux du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui seront compétents. Dans le cas contraire, la logique veut qu’il ne soit pas besoin d’y recourir. Pour autant, s’agissant de questions éminemment juridiques, cela sera sans doute recommandé et je ne doute pas que les choses se passeront naturellement ainsi.
Pour ce qui est de l’Alsace et de la Moselle, elles sont soumises à notre Constitution et les exceptions que comporte leur droit y sont d’ailleurs expressément prévues. Les règles qui s’y appliqueront seront donc les mêmes, comme il est logique.