Mardi 7 février 2017, comme Vice-présidente de la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale, j’ai interrogé Madame Emily O’Reilly, Médiatrice européenne sur les conflits d’intérêts au sein des instances politiques et administratives de l’Union Européenne.
Sa fonction est de procéder à des enquêtes sur des cas de mauvaise administration dans les institutions et organes de l’Union Européenne, sur la transparence dans les négociations commerciales internationales, et sur la lutte contre les conflits d’intérêts.
J’ai notamment attiré son attention sur la transparence nécessaire dans les négociations commerciales internationales que mène l’Union européenne, au nom des Etats membres et sur la situation des commissaires européens (la commission européenne est l’organe exécutif de l’Union Européenne en charge des intérêt de l’UE à la différence du Conseil qui est l’organe représentatif des Etats membres).
La médiatrice a fait valoir ses initiatives sur ces deux sujets.
Elle a rappelé que la commissaire en charge du commerce avait valoir que le principe de transparence est devenu un principe fondateur dans tous les pourparlers commerciaux ce qui implique l’accès le plus large sauf exceptions aux documents les concernant.
Elle a fait état que la Comité d’Ethique de la commission avait rendu un avis.
Elle a fait remarquer que le cadre de l’intervention de celui-ci (indépendance, avis donné, publié ou non,…) devait être revu. Elle a plaidé pour un allongement des périodes pendant lesquelles les fonctionnaires ne pourraient rejoindre les secteurs ou entreprises dans lesquels ils ont travaillé, régulé ou contrôlé (c’est ce que j’ai cru comprendre).
Il est important que les règles soient claires et que les possibilités de conflits soient limités.
Marietta KARAMANLI
Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de mes questions et les réponses de la Médiatrice.
Mme Marietta Karamanli.
Madame la Médiatrice, votre présence nous donne l’occasion de connaître un peu mieux votre rôle. Vous aurez d’ailleurs noté l’intérêt que nous exprimons les uns et les autres, par-delà nos sensibilités politiques, pour votre mission.
Transparence dans les négociations commerciales internationales
Dans votre rapport annuel pour l’année 2015, accessible sur votre site internet, vous saluiez les mesures que venait de prendre la Commission européenne afin d’accroître la transparence des négociations en cours sur le TTIP.
Deux ans plus tard, les parlementaires nationaux n’ont toujours pas le sentiment de savoir ce qui se passe réellement dans le cadre de ces négociations. J’aurais souhaité connaître vos recommandations sur ce point. Nous attendons beaucoup de vous.
Prévention et lutte contre les conflits d’intérêts
« L’affaire Barroso » a jeté une lumière crue sur les conflits d’intérêts d’anciens membres haut placés des institutions européennes. Pour la première fois, un ancien président de la Commission européenne a rejoint une entreprise privée, et quelle entreprise ! C’est la très controversée banque d’affaires Goldman Sachs, soupçonnée d’avoir maquillé la réalité des comptes de la Grèce, avant de spéculer sur sa dette. La conséquence en fut quand même une crise sans précédent !
Celle qui fut commissaire européenne à la concurrence, avant d’être commissaire européenne à la société numérique, est également l’objet de nombreuses interrogations.
Le Wall Street Journal soulignait déjà, en 2004, lors de sa nomination, que jamais les officiels européens n’avaient eu affaire à une candidate ayant autant de liens dans le monde des affaires et autant de conflits d’intérêts potentiels. Après son départ, elle est tout de même devenue chef lobbyiste d’Uber et elle est salariée de Bank of America !
Ce sont là, malheureusement, des situations bien réelles. Quelle est votre position sur les affaires de ce type ? Et quelles mesures devraient être prises pour préserver l’Union européenne de ces conflits d’intérêts ?
Madame O’Reilly, Médiatrice européenne.
Ma fonction n’est, en effet, pas très connue. Sur environ 30 000 fonctionnaires qui travaillent à la Commission européenne, mon bureau en compte quatre-vingts. Lorsque j’ai été élue par le Parlement européen, je me suis précisément donné pour ambition de rendre plus visible et plus efficace ma fonction. J’avais été auparavant Médiatrice en Irlande, où j’examinais des plaintes du même genre, mais celles qui me concernent sont aujourd’hui dirigées contre les institutions européennes. Je reçois quelques milliers de plaintes chaque année, mais j’en renvoie beaucoup vers les médiateurs nationaux, car elles sont en fait de leur ressort, puisqu’elles portent contre les administrations nationales dans des domaines aussi divers que la santé, la protection sociale ou le logement. Je n’ouvre ainsi qu’environ 300 enquêtes chaque année. Les plaintes que j’instruis sont relatives à la transparence, à l’éthique ou aux contrats de travail. Une fois élue, désireuse de rendre mon institution plus visible, je me suis aperçue que je disposais d’un instrument pour cela, à savoir les enquêtes stratégiques en auto-saisine, car elles peuvent rencontrer l’intérêt du grand public. Ainsi, une unité de mes services est désormais spécialement dédiée aux enquêtes stratégiques.
Notre première enquête stratégique, concernant la transparence des pourparlers sur le partenariat transatlantique, a connu un grand succès.
Naturellement, cela est dû aussi aux réseaux de la société civile, aux parlementaires européens et aux parlementaires nationaux. Grâce à mon enquête, la Commission a révisé son système de communication en ce qui concerne la transparence des négociations. Désormais, beaucoup de documents sont accessibles sur le site de la Commission européenne.
La commissaire Malmström, en charge du commerce extérieur, a ainsi souligné l’an dernier que le principe de transparence est devenu un principe fondateur dans tous les pourparlers commerciaux. En ce qui concerne les négociations commerciales, la commissaire Malmström a placé aujourd’hui l’ouverture des pourparlers entre l’Indonésie et l’Union européenne sous le signe de la transparence. Le mandat de négociation donné par le Conseil a été publié. Il en était allé différemment au sujet des pourparlers transatlantiques, pour lesquels la Commission n’avait pas publié le mandat, même s’il était disponible sur Google.
…
Madame O’Reilly, Médiatrice européenne.
Le cas du président Barroso a été un sujet de préoccupation pour beaucoup de fonctionnaires des institutions. Son recrutement a eu un retentissement mondial, du fait de la position anciennement occupée par l’intéressé et de l’entreprise concernée, à savoir la banque Goldman Sachs, emblématique de la crise financière, qui fut aussi bien impliquée dans le krach du marché immobilier américain que dans le maquillage des comptes de la Grèce ayant permis l’entrée de ce pays dans l’union monétaire, avec les conséquences que l’on sait. J’ai attendu deux mois, pour voir comment la Commission européenne allait réagir. Elle a estimé qu’aucune règle n’avait été transgressée, puisque son code de conduite impose un délai de dix-huit mois entre le départ d’une fonction et le recrutement par une entreprise ; en l’espèce, le recrutement a dû avoir lieu quelque chose comme dix-huit mois et une semaine après le départ de fonction. La Commission a pris cette position, alors même que ses membres étaient assez ennuyés par la situation, en raison de la publicité négative ainsi attirée sur l’institution – vous parliez de la confiance des citoyens…
Au début du mois de septembre, j’ai écrit au président Jean-Claude Juncker pour l’inviter à saisir le comité d’éthique de la Commission, et l’interroger sur le traitement réservé à M. Barroso, dans le cadre de ses nouvelles fonctions. Il m’a répondu rapidement qu’il serait traité comme n’importe quelle autre personne.
Le comité d’éthique a, quant à lui, estimé que M. Barroso n’a pas transgressé de règle.
Cela dit, les membres de ce comité sont désignés par la Commission européenne, qui décide de leur ordre de jour et de la question de savoir s’ils doivent publier ou non leur avis. Le code de conduite a néanmoins été modifié pour allonger la « période de refroidissement », tant pour les commissaires que pour les anciens commissaires.
Il y a deux jours, j’ai reçu une plainte de fonctionnaires européens mécontents de la réaction de la Commission européenne. Je dois aviser et me pencher sur la question de savoir comment rendre le comité d’éthique vraiment indépendant. Ses membres ne sont pas en cause, mais ils ont les mains liées. Dans l’avis rendu, ils estimaient même qu’ils n’ont pas même le droit de se prononcer sur le code de conduite lui-même.
Ci-après l’extrait de commission des affaires européennes du 7 février 2017
170207_commission_affaires_europeenne.mp4
Source photo : capture d’image depuis la vidéo de la réunion de la Commission sur le site de l’Assemblée Nationale